Parle avec elle, et surtout qu’elle se taise !
18 juillet 2015 | Posté par Miss Understood sous Cinéma, Tous les articles |
Sorti en 2002, « Parle avec elle » (titre original: « Hable con ella ») est un film de Pedro Almodóvar qui a été encensé par la critique. Pour Télérama : « Parle avec elle est un grand film sur la transmission et le don ultime de soi. Un film d’amour fou, mais encore de deuil et de renoncement. » D’après le site AlloCiné, c’est l’histoire d’une « grande amitié quelque peu mouvementée » entre deux hommes dont les copines respectives sont dans le coma.
Selon les mots mêmes de l’auteur, « Parle avec elle est un film où on n’a pas à réfléchir »[i]. C’est son opinion et, théoriquement, il est possible de mettre son cerveau en pause devant n’importe quelle production mais je propose justement d’y réfléchir quand même. Il est vrai que ce film comprend de très belles images, que les acteurs sont très convaincants (Javier Cámara a d’ailleurs obtenu un prix d’interprétation pour le rôle de Benigno) et que la musique est superbe mais autant le dire tout de suite, j’ai été choquée par ses messages auxquels il semble dangereux de ne pas réfléchir. Je vais essayer de les décortiquer ici.
Marco est journaliste et auteur de guides de voyage. Quand sa copine Lydia, une torera, se retrouve dans le coma, il devient ami avec Benigno, infirmier de 24 ans qui soigne la jeune danseuse Alicia, elle aussi dans le coma.
A première vue, en se basant sur l’affiche et le titre du film, on pourrait croire que les deux femmes dont il est question vont beaucoup parler ou se parler. Or, c’est loin d’être le cas : Alicia et Lydia ne parlent que dans les flashbacks et, dans le cas d’Alicia, tout à la fin du film. Elles ne sont actives que dans les souvenirs de leurs copains respectifs, qui font tous deux figure de sauveurs. Elles pratiquent toutes deux une activité du spectacle (la danse pour Alicia, la corrida pour Lydia) et sont vues principalement à travers les yeux des protagonistes masculins.
Non, Lydia et Alicia n’échangent pas un mot de tout le film.
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Alicia : la femme-enfant passive
Alicia est sûrement le personnage le moins développé. On sait d’elle uniquement ce qu’elle a dit dans un flashback à Benigno, lors de leur unique conversation : elle est orpheline de mère et elle adore la danse, les voyages et les films muets. Le film la montre régulièrement à moitié nue sur son lit d’hôpital, son corps est fractionné et filmé en gros plan comme si elle était là uniquement pour satisfaire le regard masculin. En outre, elle arbore souvent un demi-sourire quand elle est inconsciente et elle parle à peine de tout le film.
Une patiente dans le coma, c’est tellement glamour…
Le corps d’Alicia n’est pas seulement esthétisé et soumis au regard du spectateur : Alicia est aussi infantilisée. Katerina, sa prof de danse, l’appelle par des surnoms enfantins (sweet potato, choukinolette, chéribibi…) alors qu’elle a dans les 20 ou 24 ans. Avant qu’Alicia se retrouve dans le coma, Benigno s’introduit chez elle par la ruse (parce qu’il se demandait pourquoi elle ne se rendait plus au cours de danse en face de chez lui). Il la surprend alors qu’elle sort de la douche et elle ne réagit presque pas ; elle a juste l’air choqué. Plus tard, quand elle est à l’hôpital, Benigno s’occupe d’elle comme une fillette s’occuperait d’une poupée : il lui lave les cheveux, lui raconte des histoires, et va jusqu’à la maquiller. Même sortie du coma, on ne voit jamais Alicia prendre de vraies décisions.
*
Lydia : une femme forte ?
Lydia représente un cas intéressant. Contrairement à Alicia, c’est un personnage non conforme aux stéréotypes genrés. Femme athlétique à la beauté sévère, elle apparaît sûre d’elle et déterminée à prendre ses propres décisions.
Si Alicia est danseuse (une activité considérée comme féminine), Lydia pratique la corrida, domaine presque exclusivement masculin. Il y a d’ailleurs un parallèle entre les scènes de ballet et les scènes de corrida, qui sont très esthétisées et filmées au ralenti. Quand Lydia est dans l’arène, ses traits deviennent si durs qu’on pourrait presque la prendre pour un homme. Marco tombe sous son charme, ce qui n’est pas inintéressant. En effet, un homme attiré par une femme « masculine », ce n’est pas très courant à l’écran, d’autant plus que Marco est un homme sensible. En effet, dès le début du film, il est remarqué par Benigno parce qu’il pleure en regardant un spectacle de Pina Bausch.
Enlevez son goût pour la torture des animaux et vous avez un modèle féminin très positif…
et qu’au moins un homme trouve attirante.
Seulement, Lydia n’est pas si indépendante que ça. Lors de leur première rencontre, Marco l’appelle une « femme désespérée » (parce qu’un homme l’a quittée) et il s’avère plus tard qu’il a raison, même si elle le nie farouchement. Face à un serpent (un symbole phallique?) dans sa cuisine (un espace traditionnellement considéré comme féminin), Lydia se met à hurler de peur et essaie de fuir le plus loin possible. Marco, qui est journaliste et auteur de guides touristiques (et dont la profession ne consiste pourtant pas à affronter des animaux « dangereux »[iii], contrairement à elle), doit voler à son secours et tuer le serpent pour la rassurer. Après qu’il l’ait « sauvée », Lydia devient instantanément gentille avec Marco et accepte l’interview qu’elle lui refusait peu avant. Elle se place d’elle-même dans la position de la femme qui a besoin de la présence d’un homme et à partir de là, il semble vouloir la protéger.
Lydia est ambitieuse. Contre l’avis de ses proches, elle a décidé de prendre de plus en plus de risques dans l’arène. Un jour, l’un de ces taureaux l’encorne et elle se retrouve dans le coma. Ce passage me pose problème. Déjà, il n’y a aucune remise en question du caractère cruel de la corrida, qui est même présentée comme une activité noble. Personne ne fait remarquer que les bovins ont un système nerveux très similaire à celui des humains et que par conséquent, ils endurent des douleurs inimaginables quand on leur enfonce une épée dans le flanc.[iv]
Aucun animal n’a été maltraité pendant le tournage de ce film… sauf quand on a filmé les scènes de corrida, bien sûr.[v]
Ensuite, on apprendra que Lydia trompait son petit copain Marco avec son ex et qu’elle ne lui en avait pas encore parlé. On peut supposer que son manque de concentration était dû à son état émotionnel avant la corrida. On a l’impression que forte soit elle, Lydia est donc rattrapée par ses émotions, et donc par sa féminité. Ainsi, le film lui-même interdit à Lydia de mener une carrière dans un domaine traditionnellement réservé aux hommes.
C’est au chevet de Lydia que Marco fait la connaissance de Benigno, un jeune infirmier qui soigne la danseuse Alicia, dans le coma depuis quatre ans.
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Marco, le sauveur de femmes en détresse.
Marco a la quarantaine, soit environ sept ans de plus que Lydia. Son ex, Angela, avait une quinzaine d’années de moins que lui. Cette manière de placer Marco en couple avec des femmes plus jeunes que lui conforte la posture de protecteur qu’il a vis-à-vis de ces jeunes femmes, et reconduit ainsi des rôles genrés traditionnels (homme protecteur / femme protégée). En effet, Angela avait des problèmes de drogue et il voyageait avec elle pour qu’elle décroche ( ?!?). Une nuit, en Afrique, Angela prend peur à cause d’un serpent dont elle avait la phobie (on dirait que toutes les femmes ont peur des serpents) et se sauve au milieu de la nuit, sans un vêtement sur elle (soumise et transformée en objet face au « male gaze », au regard du spectateur masculin) en attendant que Marco vienne la sauver. Marco continue de voyager avec elle jusqu’à ce qu’elle retourne vivre chez son père. Ils rompent et gardent leurs distances, mais il estime qu’il peut cesser de s’inquiéter pour elle le jour où elle se marie avec un autre homme, passant symboliquement de la protection de son père à celle de son époux. Vous reprendrez bien un peu de sexisme ?
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Benigno, le nice guy incompris
Comme Lydia, Benigno est un personnage qui n’est pas conforme aux stéréotypes genrés. Il nous est présenté comme un personnage doux, gentil, sensible et chaleureux. Il a longtemps vécu avec sa mère dont il s’occupait énormément, élève rarement la voix, n’a jamais eu de rapports sexuels à 24 ans, travaille comme infirmier et a suivi une formation d’esthéticien, deux domaines presque exclusivement féminins. Il prête une oreille attentive quand sa collègue féminine lui parle de ses problèmes de cœur et répète régulièrement qu’il faut toujours être gentil avec les femmes. Physiquement, il est un peu rondouillard, sans muscles, avec une bonne bouille de grand gamin. Il déroge aux codes de la masculinité, ce qui nous le rendrait aimable et a priori inoffensif.
Qui se méfierait d’un type qui arrose ses fleurs en tee-shirt Betty Boop?
En voyant Marco affligé de voir Lydia dans le coma, Benigno lui donne un conseil : il lui suggère de lui parler, de laisser parler son cœur et ses sentiments. C’est un moment qui donne son titre au film et qui est censé en être le « coeur ». Almodovar se distingue ici de tant d’autres réalisateurs en assumant clairement de montrer un personnage masculin adopter un rôle traditionnellement féminin (en l’occurrence, celui d’infirmier), être valorisé en tant que tel et dire à un autre homme qu’il a le droit d’avoir des émotions et de les exprimer. Cette affirmation et valorisation de la parole et de la verbalisation des sentiments pour montrer l’attention à l’autre rend le personnage positif et sympathique… jusque-là.
Si le film se bornait à montrer comment un homme très sensible apprend à un homme lambda qu’il n’a pas à avoir honte de son « côté féminin », cela pourrait être un film très progressiste. Malheureusement, le personnage de Benigno n’est pas si angélique que ça. Avant même de faire connaissance avec Alicia, il l’espionne par sa fenêtre à chaque fois qu’elle se rend à son cours de danse en face de chez lui. Il trouve un prétexte pour l’aborder dans la rue et lui parler (en lui rendant le portefeuille qu’elle a perdu). Plus tard, il s’introduit chez elle sous prétexte de consulter son père psychiatre, entre en douce dans sa chambre et lui vole une barrette. On nous montre donc Benigno se comporter en « stalker », en harceleur. Or le film reste assez ambigu vis-à-vis de ce comportement, qu’il semble regarder d’un oeil un peu amusé. Comme on voit le voir, cette complaisance que la caméra a pour Benigno perdure jusqu’à la fin du film, alors même que les actes de ce derniers sont de plus en plus condamnables…
Benigno ment sur son orientation sexuelle et se prétend gay pour pouvoir continuer à soigner Alicia. S’il est intéressant de voir qu’il n’a aucunement honte d’être pris pour un homo, ça reste quand même un mensonge. Si le mensonge de Benigno moque et démine l’homophobie du père dans cet échange, il lui sert néanmoins aussi à préserver une position qui lui servira en fait à abuser d’Alicia sans attirer les soupçons. Car il semble en effet complètement obsédé par elle et quand on voit une photo de la mère de Benigno en robe de mariée, on constate qu’Alicia lui ressemble de manière troublante. En outre, il se montre d’une dévotion dérangeante avec sa patiente, insistant pour qu’on ne raccourcisse pas trop ses cheveux afin qu’elle ne soit pas trop perturbée par le changement à son réveil. Il reste près d’elle des nuits entières, adopte tout ce qu’elle aime, brode leurs initiales sur un drap et va voir des spectacles de danse et des films muets parce qu’elle les aimait alors qu’il lui a parlé pendant à peine quelques minutes avant son accident. De façon assez ambiguë, le film joue sur la suggestion que Benigno est peut-être « psychologiquement troublé », notamment lors de la scène de la vraie-fausse consultation dans le cabinet du père psy d’Alicia. Si la scène se veut comique, puisque l’on sait que Benigno n’a pris ce rendez-vous que pour se rapprocher d’Alicia, au passage, on nous suggère à travers cet échange que Benigno « souffre » d’avoir eu une relation fusionnelle avec sa mère. Schéma tout de même bien misogyne.
Or le problème devient évident quand un jour, Benigno annonce à Marco qu’il veut épouser Alicia, parce qu’il se sent seul et que selon lui, beaucoup de couples s’entendent moins bien qu’Alicia et lui. Si Almodovar ironise ici sur le mariage et la conjugalité à travers Benigno et que cela peut être assez satisfaisant, si à travers la réaction de Marco, il pose bien la question pourtant centrale du manque de consentement de l’autre partie, et si sa colère est une forme de condamnation de cette non-prise en compte évidente de l’autre, le film nous amènera néanmoins et étrangement a finalement nous soucier bien peu du consentement d’Alicia.
Car bientôt, nous découvrons que Benigno a en fait violé Alicia un mois plus tôt et qu’elle est maintenant enceinte.
Le film ne montre le viol que de façon suggestive et euphémisée. Un soir où sa collègue est absente pour cause de grippe, Benigno raconte à sa patiente un film muet en noir et blanc, inventé pour les besoins du film et qui fait référence à « l’homme qui rétrécit »[vi]. On y voit une scientifique, Amparo, qui rétrécit accidentellement son fiancé, Alfredo, puis décide de tout faire pour le ramener à la normale. Pour lui éviter de souffrir, Alfredo la fuit (comme si cela pouvait lui éviter des souffrances!) et retourne vivre chez sa méchante mère (encore une mère « problématique »). Toujours rongée par le remords, Amparo va le rechercher. Ils dorment ensemble.
Amparo à peine endormie, Alfredo, qui est maintenant grand comme une allumette, découvre le corps de sa femme, géant par rapport au sien. Il s’amuse avec (sans lui demander la permission), puis, après ces vingt secondes de « préliminaires », décide d’entrer dans son vagin (mimiques de plaisir de la femme, comme s’il suffisait de faire entrer quelque chose dans un vagin pour avoir du plaisir) et d’y rester à jamais, sans lui demander son avis.
Un corps de femme est un terrain de jeux pour les hommes.
Pendant que Benigno lui raconte l’histoire, Alicia reste inanimée (évidemment !), maquillée et vêtue d’une chemise de nuit blanche comme une robe de mariée. Benigno la déshabille et la masse doucement. La scène peut sembler « mignonne » si on la regarde sans réfléchir mais quand on comprend qu’il la viole hors champ, elle fait mal. [vii]
Le court-métrage ‘L’amant qui rétrécit’ est certes fort joli, avec de belles images, une musique touchante et des détails très soignés (la femme s’appelle Amparo, prénom qui signifie « celle qui protège ».) Cependant, je le trouve franchement dérangeant car il montre un homme qui pénètre littéralement dans une femme à l’insu de celle-ci, tandis qu’elle dort. Il montre donc la femme qui semble avoir du plaisir (donc presque « malgré elle » aussi) et par là annule ici aussi clairement la question du consentement en le montrant comme potentiellement tout à fait accessoire. Par ailleurs, il ne montre pas ce qu’Amparo a ressenti en cherchant en vain son mari le lendemain mais, après tout, qui se soucie des sentiments des femmes ?
Mon problème avec ce passage, c’est qu’Almodovar a utilisé une métaphore amusante et poétique pour représenter un viol et le faire passer pour un geste délicat. Encore une fois, le corps des femmes est présenté comme un terrain de jeu, joli et passif, les femmes n’ont pas le droit de décider de ce qui se passe dans leur propre corps, et elles s’en portent soi-disant très bien.[viii]
Quand on constate le viol et la grossesse (à la suite d’une aménorrhée prolongée d’Alicia), Benigno est licencié et condamné, et donc si il y a bien une condamnation morale et institutionnelle du viol, celle-ci est minimisée presque dans le même mouvement. Car quand Marco va lui rendre visite en prison, il demande à celui-ci si Alicia a accouché, s’il s’agit d’un bébé fille ou d’un bébé garçon, il se plaint parce qu’on le considère comme un psychopathe, parce que l’avocat qu’on lui a commis d’office le méprise pour ce qu’il a fait, et il annonce qu’il est tellement gentil qu’il travaille à l’infirmerie de l’hôpital. À aucun moment il ne manifeste de remords pour avoir violé Alicia.
J’ai déjà entendu ou lu des commentaires selon lesquels il ne s’agissait pas d’un viol parce que Benigno est soi-disant amoureux ou parce qu’il est gentil avec sa patiente. Je vous arrête tout de suite : un viol, c’est un rapport sexuel sans consentement[ix]. Alicia était complètement inconsciente, incapable de donner un consentement éclairé. Il s’agit donc d’un viol, point barre.
On retrouve ici une idée reçue assez courante selon laquelle quand un homme se montre gentil avec une femme (par exemple en écoutant ses problèmes ou en lui offrant à dîner), elle doit obligatoirement le récompenser avec du sexe. Ce syndrome du Nice Guy a tendance à culpabiliser les femmes qui n’éprouvent pas d’attirance sexuelle envers quelqu’un de « gentil » (entre guillemets car la vraie gentillesse est gratuite ; Benigno est quelqu’un d’intéressé) tout en alimentant la culture du viol[x].
À ce stade de l’histoire, Marco pourrait pousser une gueulante et dire à Benigno qu’en tant que violeur, il ne mérite pas sa compassion. Mais il continue d’apporter son amitié à Benigno, allant jusqu’à louer son appartement pour que Benigno puisse se payer un avocat plus compréhensif. Symboliquement, Benigno tend la main pour implorer l’aide de Marco, et Marco accepte de l’aider, renonçant à le croire coupable. C’est aussi ce qui se passe entre le film et les spectateurs/trices, qui renoncent à blâmer Benigno.
Marco, fais-moi un câlin à travers la vitre, tout le monde est troooop injuuuuuste !
Après cette entrevue, Benigno avale une quantité massive de médicaments de l’infirmerie de l’hôpital. Il laisse à Marco une lettre expliquant qu’il veut sombrer dans le coma pour y rejoindre Alicia tellement il l’aime. Au lieu de cela, il meurt, au grand désarroi de Marco. Avant l’enterrement, Marco glisse la pince à cheveux d’Alicia dans la poche de Benigno, ainsi qu’une photo d’elle et de sa mère, pour qu’elles soient avec lui pour toujours. Ce n’est probablement pas ce qu’aurait voulu Alicia mais après tout, on se fiche pas mal de sa volonté à elle, non ?
Entre temps, Alicia est sortie du coma. En effet, elle a mis au monde un fœtus mort-né et l’accouchement l’a réveillée. Elle assiste à son premier cours de danse depuis quatre ans, toute émue, le visage auréolé par ses longs cheveux que Benigno a eu la bonté de ne pas couper trop court. Elle est sortie du coma mais son personnage reste sans relief, silencieux et surtout observé. On n’aura jamais son point de vue à elle sur ce qui vient de se passer ; d’ailleurs le film laisse entendre qu’elle ne sait pas précisément ce qui lui est arrivé. Une survivante de viol peut gérer son traumatisme de beaucoup de façons différentes, par exemple en pleurant, en se confiant à un proche, en contactant une association spécialisée, en devenant colérique, en changeant radicalement ses habitudes ou encore en écrivant dans son journal intime, pour ne citer que ces possibilités. Or, on ne voit jamais Alicia faire quoi que ce soit, même dans les flashbacks, et on ne saura pas non plus ce qu’elle a ressenti lorsque les douleurs de l’accouchement l’ont réveillée. Quand elle retrouve Katerina, dont elle est pourtant proche, elle lui parle de rééducation, pas de son viol. On a l’impression que le viol, tel le baiser du prince charmant dans Blanche-Neige, est un acte d’amour qui l’a sortie du coma. Sauf que là ce qui réveille la princesse, ce n’est pas un baiser non consenti, c’est carrément un viol. Beurk, sortez vos seaux à vomi. Alicia n’aura jamais la satisfaction de regarder son violeur dans les yeux pour lui dire tout net ce qu’elle pense de lui mais c’est pas grave! Si elle pleurait, ça ternirait la réputation de Nice Guy de Benigno ! Et puis, il lui a bien soigné les cheveux, alors de quoi se plaindrait-elle ?
Si on me laissait le choix entre un viol et une coupe de cheveux pas à mon goût, je choisirais la coupe de cheveux mais c’est juste moi…
Le film est problématique parce qu’il montre principalement les points de vue de Benigno et de Marco sur le viol d’Alicia. En effet, même si Benigno est condamné par la justice, le film se concentre surtout sur les souffrances de Benigno, et dans une moindre mesure, de celle de Marco. On nous a montré Benigno qui souffre parce qu’il est en prison et Marco qui souffre parce que son ami est un violeur. On pourrait penser qu’Alicia sera la plus affectée des trois. Or, elle a l’air heureux (ou du moins elle revit) et en outre, Katerina est ravie d’avoir retrouvé son élève préférée. Il y a là une logique ignoble : dans Parle avec elle, le viol fera finalement souffrir les hommes mais ne fait pas de mal aux femmes. Les souffrances des survivantes de viol ne sont même pas minimisées : elles sont carrément niées.
La fin du film laisse imaginer que Marco et Alicia vont se rapprocher, qu’elle va revenir à la « normale » grâce à lui (comme Angela a échappé à la drogue grâce à lui), qu’il va rester un sauveur de femmes et qu’elle demeurera une femme-enfant passive jusqu’au bout. Marco, Alicia et Katerina assistent à un spectacle de danse et Marco parle brièvement à Katerina de ce qui s’est passé / mais sans que la première concernée ne s’exprime et surtout n’ait accès au secret que partagent ceux qui prétendent se soucier d’elle. La question de savoir si vraiment tout est bien qui finit bien puisque celui qui a commis un viol est mort et que la jeune femme remarche reste en suspens voire, est évacuée. Mais clairement cette fin permet une telle lecture d’autant plus que c’est bien celle que font les deux personnages. Alicia est infantilisée jusqu’au bout par sa mère de substitution et par le sauveur de femmes du film.
Les dernières images sont toutes en couleurs douces, avec une jolie musique par derrière. Pendant 1h48, on a eu un viol complètement banalisé et des femmes muettes mais ce n’est pas grave du tout. L’important, c’est que les images soient jolies pas vrai ? Ce serait dommage de réfléchir !
Miss Understood
*
Notes :
[i] Dans une interview dans Première
http://www.premiere.fr/Cinema/Exclus-cinema/Interview-cinema/Interview-Pedro-Almodovar
[ii] Un test créé à l’initiative d’Allison Bechdel dans les années 80 pour évaluer le taux de présence féminine dans les films. S’il y a au moins deux personnages féminins dans un film et s’ils ont au moins une conversation sur un sujet autre qu’un homme, le film passe le test. http://bechdeltest.com/
[iii] Je rappelle que dans la nature, les bovidés sont des herbivores qui n’attaquent pas les humains à moins de se sentir en danger. De même, les couleuvres sont des serpents non venimeux.
[iv] http://www.planeteanimaux.com/sujet/2015/01/19/corrida-le-taureau-ne-ressent-pas-la-douleur/003286 http://www.veterinaires-anticorrida.fr/pages/Jose_Enrique_Zaldivar_veterinaire-3322825.html
[v] C’est vrai. Un groupe écologique de Madrid a voulu faire un procès à Almodovar pour maltraitance envers les animaux. Almodovar a répondu que les propriétaires des taureaux l’avaient autorisé à les tuer et que les écolos cherchaient simplement à faire parler d’eux. http://www.imdb.com/title/tt0287467/trivia?ref_=tt_trv_trv
[vi] Film de Jack Arnold, tourné en 1957. http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=409.html
[vii] Pour ceux qui pensent que ce film muet n’est pas forcément la métaphore d’un viol, Almodovar lui-même l’a avoué dans une interview : http://www.festival-lumiere.org/manifestations/parle-avec-elle.html
[viii] Si vous voulez voir un film où les réactions d’une survivante de viol sont présentées de manière plus crédible, je vous conseille « une histoire banale ». http://www.lecinemaestpolitique.fr/une-histoire-banale-2013-daudrey-estrougo/
[ix] http://www.larousse.fr/encyclopedie/medical/viol/16948
[x] Voir à ce sujet les posts de blog suivants : http://lesquestionscomposent.fr/toutes-des-salopes-ou-le-mythe-du-mec-trop-gentil/ ethttp://www.legorafi.fr/2013/10/10/lyon-elle-refuse-toujours-de-coucher-avec-lui-alors-quil-est-tres-gentil-avec-elle/
Autres articles en lien :
- 500 jours ensemble (2009) et Elle s’appelle Ruby (2012) : Et le nice-guy rencontra la manic pixie dream girl…
- Blue Valentine (2010) : autopsie d’un mariage filmée « sans parti-pris »
- Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012)
Wow!
Dans mes souvenirs le film parlait de l’impossibilité d’un amour veritable et fecond s’il n’est qu’idéalisé et dans un seul sens (parle avec elle).
Comment ai je pu oublier qu’une comateuse ne peut tomber enceinte sans viol et passer à coté de la symbolique du court métrage noir et blanc?
Je n’etais pas encore infirmier et sans doute je me suis laissé porter par la réalisaton de Almodovar (que je n’apprécie pas plus que ça en plus), mais ca sent le refoulement XXL.
Merci pour votre analyse du film (que je doit revoir)
Merci pour cet article !
J’avais été très très choquée quand j’ai vu ce film étant ado, et ce d’autant plus que les gens avec qui j’en ai parlé (y compris mes parents !) et les critiques que j’avais lues ne considéraient pas la représentation valorisante de ce viol comme problématique. Dans mes souvenirs le seul critique que j’avais entendu condamner cet aspect est Peter Fondu.
Je n’avais pas fait le rapprochement avec la belle au bois dormant ^^
Merci pour cet article. Je me souviens trés bien avoir vu le film au cinéma et le malaise que j’ai ressenti alors.
Cependant, je crois le film ne « héroïse » par le personnage de l’infirmier. Selon moi, il est vraiment montré comme complètement malade mental et dangereux psychopathe. Sauf que la gentillesse dont il fait preuve amène les autres (dont les spectateurs, du moins dans un premier temps) à se tromper sur lui et à penser que c’est un bon gars, juste « amoureux » d’une belle fille.
Ce qui m’a le plus géné dans ce film ce sont:
– le personnage de Marco, qui ne sert pas à grand chose si ce n’est à réconforter les femmes
– le fait que Alicia ne parle pas et ne se rebelle pas du film. J’aurai aimé qu’à la fin, elle dégomme Marco en lui disant qu’il est inadmissible qu’il ait laissé faire ça.
– que l’hôpital est montré comme un lieu sans surveillance. Où un infirmier peut assouvir ses fantasmes de voyeur et de violeur en toute tranquillité.
– paradoxalement que le personnage masculin infirmier (qui est donc dans une sphère traditionnellement féminine) soit finalement l’anormal. C’est pas normal de soigner des gens pour un homme. C’est forcément qu’il a une case en moins ou qu’il va profiter de la situation.
Bref, c’est juste quelques pensées comme ça.
Aïe la psycophobie !
C’est pratique de dire que les violeurs sont des « fous malades », ça permet de dédouaner les Monsieurs tout le monde qui commettent ces crimes. C’est pas comme si les personnes avec des troubles mentaux étaient déjà stigmatisé.e.s (Coucou 40% des thrillers et des films d’épouvante !).\s
Pareil pour moi, a l’epoque ou je l’avais vu j’avais etait choque par la clemence du realisateur envers le violeur..
Il va vraiment falloir que je revoie ce film, j’avais le souvenir que le spectateur était bien plus invité à condamner Benigno, mais peut-être que je n’ai vu que ce que je voulais voir.
Je me souviens combien je m’étais sentie à contre-courant, à l’époque, en détestant ce film pour l’image de la féminité qu’il renvoie, pour sa banalisation du viol et sa complaisance à décrire les émois de ces deux hommes « amoureux »…
Je me souviens aussi du malaise ressenti face à cette immense passivité — des personnages, tant féminins que masculins, mais aussi du réalisateur, jusqu’au public, bercé, enchanté, embobiné —, face à la dévotion et la douceur du violeur dépeint en victime : c’est lui le gentil que l’on visite en prison, qui meurt, et dont le film semble finalement commémorer la mémoire, se faisant presque récit initiatique. Que va faire son « ami » à la fin du film, en se rapprochant de la victime, la vraie, violée, Alicia ? La « protéger » à son tour et poursuivre l’œuvre du défunt ?
Trompés par l’esthétique, par la mièvrerie lénifiante, on en ressort semi-comateux, témoins de viol, impuissants… pouah ! Aucune envie de revoir ce film.
Merci pour cette critique.
Ce film est peut être problématique mais vous faites un mauvais procès au réalisateur qui a mis le plus les femmes en valeur. Regardez par exemple Volver. Il n’y a quasiment que des personnages féminins, femmes fortes qui prennent leur vie en main et qui, face aux violeurs, ont une réaction…disons glaciale (ceux qui ont vu le film comprendront).
Almodovar est le cinéaste des femmes et les actrices adorent tourner avec lui.
Personnellement, je trouve qu’Almodovar est capable de très bon (notamment dans Volver) mais aussi, clairement, de très très mauvais (merci pour la critique d’ailleurs ! quand j’avais regardé le film il y a un certain temps, j’avais ressenti beaucoup de malaise diffus et clairement pas tout remarqué !).
Je suis d’accord avec Grussie.
J’ajouterai que je ressens un malaise de plus en plus intense face à ce réalisateur. En effet, il a minimisé voire glamourisé le viol dans au moins 3 films :
> Parle avec elle, donc ;
> Talons aiguilles (le juge déguisé en travesti viole après une représentation sa principale suspecte, viol qui commence par une agression, se prolonge par un cuni et finit en relation consentie par la magie de la frustration de la victime, laquelle finira d’ailleurs en couple avec son agresseur) ;
> Attache-moi (un déséquilibré enlève et séquestre une actrice porno – d’ailleurs dans une des premières scènes il la cogne et le coup lui arrache une dent – mais au fil de sa séquestration la femme tombe amoureuse et le film se finit en mode comédie romantique, l’actrice finissant en couple avec son agresseur. Tiens, y aurait-il comme un schéma ?).
Une telle récurrence d’une vision pleine d’indulgence, si ce n’est laudative, du viol dans une filmographie me laisse… songeuse.
J’ajouterai que Volver, à côté, avec sa figure de violeur infâme (le beau-père alcoolique et violent au chômage qui viole sa belle-fille mineure, quand même !) servirait presque le propos du réalisateur.
Il nous a pointé le vrai viol, qui réunit au moins tous ces éléments et dont le coupable est complètement déshumanisé. Maintenant il ne faudrait pas qu’on confonde avec les faux viols, et sa filmographie nous aide à déterminer ce que l’on a droit de condamner, et ce que l’on doit repenser au lieu d’hurler avec les féministes et la justice (qui parlent de la même voix, c’est bien connu).
Dernier point : même dans Volver, le réalisateur ne peut s’empêcher de tomber dans les mythes sur le viol, puisqu’on nous montre le beau-père harceler en vain sa femme qui se refuse à lui (sous prétexte qu’il est au chômage en plus ! Ben oui, elle se démène pendant qu’il se la coule pépère. De là à croire que s’il avait un travail et de l’argent elle serait plus excitée sexuellement… Mais je m’égare), donc le beau-père va violer sa belle-fille parce qu’il est frustré sexuellement, sa femme n’accomplissant par son devoir.
Bon, on ne va pas aller jusqu’à suggérer la responsabilité de l’épouse ou l’irrépressibilité des pulsions masculines, mais disons que la vision du viol proposée par Volver ne risque pas trop de bousculer les préjugés des gens.
Donc non, Pascal, Miss Understood ne fait pas du tout un mauvais procès au film. Au contraire, c’est vous qui en faites une mauvaise lecture, aveuglé soit par votre indulgence face aux violences sexuelles à l’encontre des femmes, soit par votre admiration pour ce réalisateur.
Tout à fait d’accord avec vous !
Je me souviens avoir vu ce film dans un de mes cours de cinéma. Avec l’enseignant qui affirmait haut et fort avant la projection que pour lui, il ne s’agissait pas d’un viol qui était représenté dans le film, car le protagoniste était amoureux au moment de l’acte… Mouais, vive la pédagogie…
Je me console en me disant que lorsque j’ai raconté cette anecdote à mon conjoint, il a eu une expression aussi horrifiée que la mienne à l’époque. Tous ne pensent pas, heureusement, comme ce prof!
J’avais vu ce film, étant ado, avec mes parents, et bien qu’étant d’ordinaire plutôt fan des films d’Almodovar, là, on avait été (mes parents itou) vraiment choqué-e-s par ce film, qu’on trouvait malsain, que ce soit pour le viol banalisé ou la corrida.
J’ai d’autres souvenirs de films d’Almodovar avec des viols banalisés, il me semble que dans Talons Aiguille il y a une scène comme ça…
trigger warning : la scène est super érotisée, le mec écarte de force les cuisses de la femme pour lui faire un cunni qui bien sûr lui fera complètement changer d’avis, et puis coït trop sexy…après la femme lui dit « merci, j’avais besoin de ça », en bonus. 🙁
Mais c’est vrai que dans d’autres films, il y a des trucs très bien niveau féminisme…la culture du viol imprègne tout.
Reprocher à deux femmes dans le coma le fait qu’elle ne parle pas ?! Je ne comprends pas cette approche critique, si tu remets en cause l’un des fondements de base du scénario, ce n’est pas constructif.
Je ne suis pas tout à fait sur d’avoir eu la même approche du personnage de Benigno. Pour moi il est clairement présenté comme quelqu’un d’instable, et extrêmement malsain.
Je n’ai pas revu le film depuis un moment, je creuserai l’idée dès que j’aurais le temps.
Juste une précision, qui abonde quelque part dans votre sens. Almodovar n’est absolument pas clair sur la question du viol. Vraiment, vraiment pas clair. Il suffit de revoir Attache-moi ! pour comprendre l’étendue du problème : on « s’attache » à un psychopathe qui nous kidnappe pour peu qu’il ait eu des problèmes avec sa maman … Matador, La Loi du Désir, Kika, même Talons Aiguilles comportent des scènes de viol, ou du moins de violence, parfois hors champ, à la fois décrites comme telles, par les personnages qui les subissent mais aussi les autres, suivies parfois de traumatismes, de rancune (sans déconner) mais aussi intégrées par les victimes, qui pardonnent, voire finissent par éprouver un sentiment amoureux pour leur violeur. Et c’est, à l’exception de Parle avec Elle, toujours du côté de la victime qu’on sent une identification de la part d’Almodovar. Son cinéma ne parle même que de ça, et s’est résolu à ce niveau dans son dernier vrai bon film, ou du moins son plus poignant, la Mauvaise Education : il est assez évident que l’enfant de choeur à la voix d’or violé par le prêtre pédophile est très inspiré de sa propre enfance :-/ …
Ena tu oublies Volver.
C’était un bon film et postérieur à Mauvaise Education.
Et la question du viol est également abordée. Toutefois si on insiste sur le pardon de la victime, on en traite pas des motifs de violeurs.
Chez Almodovar le violeur semble toujours agir sous une impulsion subite et… c’est tout.
Tu as tout à fait raison Bender, et je me rends compte que si je l’ai oublié, c’est sans doute parce que je ne le considère pas comme un si bon film, malgré la sympathie que j’avais pour lui à l’époque. Il se voulait, comme Tout sur ma mère, plus mature, mais je le trouvais finalement, malgré le talent des actrices, pas très à propos sur les motifs dont il traitait – la famille, l’inceste et … à nouveau le viol. Qui est évidemment son motif principal, décliné dans la plupart de ses films sous diverses facettes jamais abouties, voire carrément dérangeantes. Tu as parfaitement raison : on a toujours l’impression que le violeur ne peut pas s’en empêcher. Et d’assister à une rédemption qui sauve moins le violeur que le violé. D’où mon hypothèse il me semble partagée par pas mal de monde. A l’époque de la sortie de Parle avec Elle, il me semblait clair que ce qui était profondément raté, c’était que pour une fois Almodovar, tout en montrant la folie de Benigno, ne lui opposait jamais de réponse de sa victime. Il me semble que son cinéma va, depuis, vers ça : la muse sacrifiée, le savant fou qui en abuse … Et il m’émeut moins. Même si, effectivement, ses films en deviennent idéologiquement très craignos.
Merci ! Je n’avais rien vu, tant je suis habituée à ce que la culture officielle minimise les abus sexuels. Mais, comme souvent, lorsque la vérité s’exprime, elle se reconnaît d’elle même : là, j’entends l’évidence. Aaaah, ça fait du bien.
Merci pour cet article, de façon générale, je trouve qu’Almodovar est complètement déifié , au mépris de toute réflexion cohérente . Ce film s’efforce d’esthétiser un crime sexuel. Il faudrait prendre ses films un à un, et dévoiler la supercherie abominable de ce gros plouc qui d’ailleurs semble bien préoccupé par le fric, pour un artiste. L’impunité de ces tartuffes encensés par le marché de l’art me rend vraiment dingue.
J’ai trouvé votre article intéressant. Le film interroge, c’est sûr mais, à titre personnel, je n’y vois pas une apologie du viol. Pas plus que je n’y vois une apologie du suicide (qui est double dans le film quand même !).
Je m’explique : je ne pense pas que viol soit banalisé comme vous le dites dans la conclusion de l’article. Au contraire, c’est la scène la plus choquante (et marquante sur le plan esthétique). Le personnage de Benigno restera, je pense, un psychopathe aux yeux du spectateur (= la société). Que Marco soit ami avec lui ne diminue pas cela, lui-même étant dans un état psychologique délicat.
Néanmoins, la question du traitement des psychopathes par la société reste posée de manière critique. Un fou a-t-il sa place en prison parmi « les pensionnaires » (comme le film les nomme) ? Un fou est-il responsable de ses actes ? Est-il victime lui aussi ? C’est une question extrêmement dure à poser dans nos sociétés aujourd’hui mais reste légitime je pense. Cette question n’atténue pas, bien sûr, le statut de la victime qui est ici effectivement désamorcé. Peut-être que si on peut faire un reproche au film, c’est de ne pas avoir été plus frontal car il peut donner lieu à des interprétations comme la votre (qui n’est pas mauvaise et à le mérite d’ouvrir le débat).
Le film est ouvert à l’interprétation
mais de là à le réduire à un film d’hommes qui néglige le viol , c’est être à côté de la plaque.
Parle avec elle ,en soi, est un film de nuances.
Marco et les médecins ne négligent pas de critiquer vivement Benigno pour ses actes. Mais le film montre l’acheminement des décisions de Benigno et comment elles sont conditionnées et modelées par son rapport aux femmes notamment.
Il n’empêche que le film invite à la compassion envers un violeur et participe activement à construire une culture du viol, du corps objet de la femme qui en est dépossédée et a été récompensé aux oscars ! Je me fous du rapport d’un trentenaire médiocre aux femmes, il s’agit ici du supplice et des traumas vécus par elles depuis toujours ! L’esthétique et la branlette intellectuelle de grands réalisateurs ne rivalise pas avec les souffrances des gens ! C’est à cause de ce type de raisonnement que des violeurs et des pédophiles sont récompensés au césars, encore en 2020, et qu’on en fait l’apologie : au nom de l’art, d’un art privilégié, d’un art de ceux qui n’ont jamais souffert, deux ceux qui peuvent se payer le luxe de montrer de la compassion.
Je suis d’accord avec votre commentaire et si cela est sûrement pertinent avec Almodóvar, suggérer que Polanski n’a jamais souffert c’est quand même fort de café.
Il est d’ailleurs l’exemple-type pour appuyer que les horreurs vécues dans l’enfance et par la suite (en plus, comme vous le dite de la défense « au nom de l’art ») ne doivent pas servir à contre-balancer ou relativiser les crimes commis.
C’est un très beau film, il ne s’agit nullement de viol, mais un acte d’amour
de cet homme , un ultime acte d’amour.
pendant 4 ans il s’occupe d’elle avec tellement d’attention.
Il faut pas décortiquer les films de cette façon il faut les recevoir avec toute la beauté que Almodovar a voulu donner.
c’est probablement un beau film (je ne l’ai pas vu) mais ça n’en est pas moins un viol (à mon avis). Il est certes amoureux, mais d’une femme dans le coma. Elle n’est donc pas en état d’accepter ou de refuser l’acte sexuel. Comme quelqu’un qui aurait pris du GHB.
Lolita, de Nabokov, est aussi un superbe roman. Du point de vue du personnage principal, Humbert, c’est l’amour fou avec sa belle-fille ( la pauvre Lolita, douze ans au début de leur « relation »). Et pourtant il la viole.
Le fait que dans « parle avec elle » il y ait un viol ne fait pas de ce film un mauvais film. ça ne veut pas dire non plus qu’Almodovar cautionne le viol ou qu’il l’encourage. Moi aussi, j’aime bien Almodovar, et même après avoir lu cet article je continuerai de voir ses films. Mais je ne peux pas nier qu’il s’agit d’un viol.
C’est clairement un viol puisque la relation n’est pas consentie (elle est dans le coma) ?!?
Connaissez-vous la définition du viol au moins ???
Je viens de regarder Parle avec elle et effectivement on a un sentiment très malaisant à la sortie du film : on a de la compassion pour Begnino et peu ou pas pour Alicia.
Bravo à Almodovar d’arriver si bien à jouer avec nos émotions et notre sens moral. Il parvient à nous faire entendre « C’est un viol…oui, mais… » et donc à nier ou minimiser le caractère criminel de cet acte.
Les scènes de torture animale sont abjectes (d’ailleurs, dans les mises en garde sur la plateforme sur laquelle j’ai visionné ce film était indiqué « Contient agression sexuelle/viol, contenu à caractère sexuel explicite »… Aucune note sur la maltraitance animale (qui pour le coup est bien réelle).
Vouloir rendre esthétique une mise à mort et nous faire apprécier son bourreau : exercice raté en ce qui me concerne !
Le spécisme est à l’honneur dans son film (on le voit avec les serpents également), il est important à mon sens de le souligner.