Marvel’s Agents of SHIELD : quoi de plus cool que le commandement de l’homme blanc !
18 mars 2015 | Posté par Paul Rigouste sous Séries, Tous les articles |
Je voudrais ici aborder quelques-uns des points qui me semblent particulièrement problématiques dans la série Marvel’s Agents of SHIELD, en m’attardant en particulier sur l’un des premiers épisodes, à savoir le 4ème, qui s’intitule « Eye-Spy » (« Dans l’œil de l’espion » en français). Si je ne prétends pas ici produire une analyse exhaustive de la saison 1, cet épisode me semble cependant assez représentatif de son esprit général (notamment d’un point de vue politique), comme j’essaierai de le montrer en faisant des parallèles avec d’autres épisodes.
L’équipe du SHIELD enquête ici sur une série de vols perpétrés par une jeune femme noire qui semble posséder un mystérieux pouvoir, puisqu’elle agit à chaque fois en fermant les yeux. Très rapidement, l’Agent Coulson identifiera la criminelle. Il s’agit d’Akela Amador, une ancienne agente du SHIELD qu’il avait lui-même formée, et qui avait été laissée pour morte sept ans plus tôt lors d’une mission. Au fur et à mesure de l’épisode, nous découvrons que la jeune femme a été transformée en une arme redoutable par des ennemis mystérieux qui lui ont placé une caméra ultra-perfectionnée à la place d’un œil. Celle-ci lui permet d’avoir une vision aux rayons X lorsqu’elle ferme les yeux, mais elle permet également à ses commanditaires de lui donner des ordres, de la surveiller en permanence, et de la tuer à distance si nécessaire. L’équipe menée par Coulson parviendra finalement à libérer Amador de son supplice en lui ôtant l’œil-caméra, pour la remettre entre les mains de la justice.
De la nécessité d’obéir à l’homme blanc
Si tous les membres de l’équipe jouent un rôle dans l’épisode, la relation entre Coulson et Amador en constitue néanmoins le cœur. Cette relation relève à la fois du rapport maître/disciple (puisque Coulson a formé Amador lorsqu’elle était agente pour le SHIELD), mais aussi plus profondément d’un rapport père/fille. L’attachement affectif de Coulson vis-à-vis d’Amador fait en effet directement écho avec la relation qu’il entretient avec Skye, l’héroïne orpheline qu’il a recueillie dans sa « grande famille » et sur laquelle il veille depuis lors. Celle-ci fait d’ailleurs elle-même le rapprochement lorsqu’elle lui déclare en blaguant : « Je ne suis pas si spéciale finalement. Je ne suis pas ta première protégée ».
Mais si les deux jeunes femmes ont en commun d’être ses « protégées », Coulson précise d’emblée la grande différence qui les sépare : contrairement à Skye, Amador « n’aimait pas le travail d’équipe ». Plus tard dans l’épisode, on comprend ce qu’il fallait entendre par là : le problème d’Amador est qu’elle avait tendance à « n’en faire qu’à sa tête » et à désobéir à Coulson. Elle l’avoue elle-même lorsqu’elle se retrouve seule face à lui : « Vanchat ne nous aurait jamais attrapé si j’avais juste fait mon travail. J’aurais dû vous écouter, croire en mon équipe comme vous me l’avez toujours dit ».
Quelle sotte j’ai été. Je n’en serais pas arrivée là si je t’avais sagement obéi…
Tout le propos de l’épisode consiste ainsi à condamner le désir d’autonomie de la jeune femme noire, et de réaffirmer la nécessité pour elle d’obéir aux ordres de son maître blanc.
Or cette injonction ne s’adresse pas seulement à Amador, mais aussi indirectement à la femme racisée de l’équipe dirigée par Coulson : May[1]. Pilote et combattante exceptionnelle, elle possède également une intelligence stratégique qui pourrait lui permettre de prétendre au rôle de cheffe d’équipe. La série en fait d’ailleurs souvent l’interlocutrice privilégiée de Coulson lorsqu’il s’agit de prendre une décision importante, sûrement parce qu’elle partage avec ce dernier une longue expérience au sein du SHIELD. Menaçant le pouvoir patriarcal de par ses capacités exceptionnelles, elle est également une femme dangereuse du fait de son indépendance. Ce trait de sa personnalité est d’ailleurs rappelé au début de l’épisode quand Coulson vient essayer de discuter avec elle dans son cockpit. Quand il lui demande ce qu’elle préfère le plus dans le pilotage, elle lui répond : « la solitude ». En plus d’être indépendante, elle est souvent très laconique et froide dans ses rapports avec les autres membres de l’équipe, dérogeant ainsi aux normes conventionnelles de féminité. Pour toutes ces raisons, May est une menace pour l’ordre patriarcal, et cet épisode se charge donc de la soumettre à l’homme blanc.
Au moment où il s’agit de décider quoi faire d’Amador, Coulson demande de traiter cette affaire sans en référer à la direction du SHIELD, car il veut essayer de sauver sa « protégée », qu’il veut recueillir dans l’avion (« We have to bring her in »). May s’oppose alors à lui en exigeant qu’Amador soit mise hors d’état de nuire en étant livrée directement au SHIELD, et ce au motif qu’elle représente une menace pour l’équipe (« We have to take her out »). Après avoir fait semblant de céder à Coulson, elle désobéit à ses ordres en partant capturer Amador seule. Cette initiative se révèle rapidement être une grave erreur. Déjà parce qu’Amador lui révèle qu’elle sera tuée à distance dès que ses surveillants se seront aperçus qu’elle a été capturée par le SHIELD. Puis parce que May est incapable de venir à bout d’Amador sans l’aide du reste de l’équipe. En très mauvaise posture, elle est sauvée de justesse par l’intervention providentielle de Coulson, dans un dispositif qui fait d’elle une damoiselle en détresse.
Lorsqu’Amador concède à Coulson qu’elle aurait dû l’écouter plutôt que de n’en faire qu’à sa tête, on voit May assister attentivement la scène par écran interposé, comme si elle demandait elle-aussi pardon à son maître blanc pour avoir désobéi à ses ordres.
La suite de l’épisode montrera qu’elle a tiré les leçons de son erreur : lorsqu’il faudra aller neutraliser l’homme contrôlant Amador, elle restera sagement à la maison comme Coulson lui a demandé, alors même qu’elle est censée être le bras armé de l’équipe (avec Ward).
Le caractère raciste et sexiste de ce scénario apparaît encore plus clairement si l’on constate que cette entreprise de dressage ne concerne que les femmes « fortes » et racisées. En effet, nul besoin de mater ainsi Simmons, la scientifique de l’équipe, qui a le bon goût d’être non seulement blanche, mais aussi très féminine. En effet, hormis le fait qu’elle est une experte en science dure et un peu geek sur les bords, tout chez elle la place du côté de la féminité la plus traditionnelle qui soit : elle est jeune, belle, souriante, dépendante des hommes, maladroite, très obéissante, et la plupart du temps cantonnée à l’intérieur de l’avion. En ce sens, elle incarne dans cet épisode la bonne féminité, en opposition à la mauvaise féminité incarnée par Amador et May, qui doivent nécessairement se soumettre à l’homme blanc pour faire partie des gentil-le-s.
Et la série nous fait d’ailleurs bien comprendre que des femmes comme May ou Amador sont des exceptions. Quand May demande à Coulson comment il a su que la femme recherchée pour avoir volé les diamants était Amador, il lui répond : « Seules quelques femmes dans le monde sont capables d’un truc aussi impossible. Puisque tu étais dans l’avion, j’ai pensé que c’était sûrement elle ». Si Marvel Agent’s of SHIELD a le mérite de proposer quelques personnages de femmes d’action, leur potentiel subversif est donc très strictement contenu dans des limites étroites, puisqu’elles sont non seulement punies lorsqu’elles osent désobéir à l’homme, mais sont également présentées comme des exceptions. Et ce n’est pas en présentant les écarts par rapport aux normes sexistes comme des « exceptions » que l’on a une chance de remettre profondément en cause les normes en question.
Il me semble même que, à l’échelle de la série, les épisodes qui valorisent la capacité de combat et l’autonomie de May sont souvent suivi d’un retour de bâton assez violent pour les personnages féminin. Je pense par exemple à l’épisode 13, dans lequel l’équipe agit sous couverture dans un train, et où May s’illustre notamment dans une scène très jouissive où elle fout une branlée à une bande des mecs qui l’avaient attachée au bout d’une corde, alors que Coulson et Ward restent relativement impuissants (notamment lorsqu’on les voit paralysés au bord des rails dans des positions ridicules). Or ce même épisode se conclut par une tragédie pour le personnage de Skye, puisque celle-ci manque de peu de mourir de deux balles dans le ventre parce qu’elle a été trop imprudente. Voilà ce qui se passe quand les femmes commencent à s’y croire un peu trop… L’épisode suivant remettra le bon ordre patriarcal en place en nous montrant les trois hommes de l’équipe (accompagnés du viril Garrett) aller héroïquement risquer leur peau pour sauver celle de Skye, en position purement passive de demoiselle en détresse. Et au cas où les choses ne soient pas assez clair, cet épisode est lui-même suivi de ce sommet de misogynie qu’est l’épisode 15 (« Yes Men »), dont tout l’enjeu est de mater la femme avide de pouvoir (sur les hommes avant tout…) en lui mettant notamment un collier en métal qui l’empêche de parler.
Lorelei, une femme trop indépendante…
… qu’il faut absolument museler
A l’image du dernier épisode, où juste après que May a foutu une grosse branlée à Ward, on a droit à une apologie du patriarcat incarné par Coulson (dont le commandement reçoit la bénédiction de Nick-Fury-le-grand-chef-trop-cool-du-SHIELD), il me semble ainsi que la série s’acharne à toujours contrebalancer les démonstrations de puissance et d’indépendance des femmes par une réaffirmation du principe de base de la domination patriarcale : les femmes doivent se soumettre à l’autorité masculine. Et comme on l’a vu, l’épisode 4 est à ce niveau exemplaire…
Où est le cool ?
On peut également voir dans le scénario de cet épisode un avertissement adressé à Skye, la jeune hackeuse rebelle que le SHIELD a recueilli au début de la saison. En effet, à ce stade de la série, celle-ci n’a pas encore choisi son camp une bonne fois pour toute, comme en témoigne l’épisode précédent dans lequel elle est tentée à un moment de trahir Coulson pour Quinn. L’épisode avec Amador peut ainsi être mis en rapport avec tous les autres moments où Skye est punie parce qu’elle ne s’est pas dévouée totalement aux idéaux du SHIELD (comme lorsque Coulson lui met un bracelet électronique pour surveiller chacun de ses mouvements à partir de l’épisode 5, bracelet qui ne lui sera retiré qu’une fois qu’elle aura « fait ses preuves », c’est-à-dire montré un dévouement total envers le SHIELD et ses idéaux).
Dans l’épisode 4, Skye ne cesse de chanter les louanges de Coulson, comme pour bien signifier qu’elle n’empruntera pas le même chemin qu’Amador. D’abord lorsqu’elle vient dans son bureau pour le remercier de croire en elle. Puis à la fin de l’épisode lorsqu’elle le surnomme « A. C. » parce que, dit-elle, c’est un surnom « cool » comme lui (« A.C.’s just way cooler. ‘Cause you are… cool »).
Comme tout le reste de la saison, cet épisode nous explique en effet à quel point Coulson est le mec le plus cool du monde. Lui qui, dans son infinie bonté, a donné à Amador une « seconde chance », et fait de même avec Skye. En effet, non seulement Coulson est valorisé pour ses aptitudes au combat et son intelligence (« J’avais oublié à quel point vous étiez bon », lui avoue à un moment Amador, impressionnée par ses déductions), mais il est aussi et surtout valorisé pour son empathie et sa capacité à écouter aussi son cœur. Valoriser ainsi chez un homme des qualités traditionnellement considérées comme féminines pourrait être intéressant politiquement, si le but n’était pas de réaffirmer la suprématie masculine. En effet, comme on le voit clairement dans cet épisode (et dans celui qui clôt la première saison), la série ne cesse de réaffirmer la légitimité du commandement de Coulson sur le reste de l’équipe, et en particulier sur les femmes.
Ce n’est un hasard si les deux « femmes de tête » de la saison (May et Hand) sont montrées comme trop froides et rationnelles. Deux exemples parmi d’autres : May n’est pas prête à laisser une seconde chance à Amador, et Hand n’a aucun scrupule à sacrifier Ward et Fitz dans l’épisode 7. Dans les deux cas, leur décision est montrée comme inhumaine en étant opposée à celle de Coulson, qui prend la bonne décision car il n’écoute pas que sa raison, mais aussi sa sensibilité. En présentant les femmes de pouvoir comme trop « froides », la série stigmatise les femmes de pouvoir et réaffirme ainsi la nécessité d’un commandement masculin.
Lorsque Coulson pardonne à Amador de lui avoir désobéi, celle-ci est étonnée par sa générosité. Elle lui demande : « Pourquoi faites-vous cela ? Pourquoi m’aidez-vous ? Où est le ‘je vous l’avais dit’ ». Ce à quoi Coulson répond : « Ce n’est plus moi désormais ». On nous fait ainsi comprendre que Coulson a changé, qu’il n’est plus un chef froid et autoritaire, mais qu’il est devenu plus compréhensif et généreux.
Il incarne ainsi une sorte de « nouvelle masculinité », que la série oppose à la masculinité plus archaïque et virile de Garrett à la fin de la saison. En effet, Garrett est construit comme une figure de mauvais père (notamment dans sa relation avec Ward), et ainsi opposé à ce père bienveillant qu’est Coulson. Or si la virilité excessive de Garrett est condamnée sans ambiguïté par la série, c’est uniquement pour valoriser par contraste la virilité irréprochable de Coulson, dont l’autorité est légitimée en grandes pompes à la fin de la saison 1 par l’intervention de Nick Fury, dans une belle scène de transmission du pouvoir patriarcal d’homme à homme. Si la série prône donc une redéfinition de la masculinité hégémonique, il ne s’agit en aucun cas de remettre en question la domination patriarcale, bien au contraire.
Ben parce que je suis trop cool, ma petite.
Une journée au SHIELD
Comme l’a expliqué un des scénaristes de la série, le but des premiers épisodes est de nous présenter le quotidien de l’équipe dirigée par Coulson avant la dissolution du SHIELD au milieu de la saison[2]. Dans la mesure où cette « crise des services secrets » sera présentée comme un événement dramatique que nos héro-ïne-s devront surmonter pour continuer à accomplir leur noble mission (protéger le « monde libre »), le fonctionnement normal de l’équipe tel qu’il nous est dépeint au début apparaît donc rétrospectivement comme une sorte d’Eden perdu, le bon vieux temps où tout allait bien et dont il faut sauver les derniers vestiges pour empêcher que le monde ne s’effondre. Examinons donc quelle répartition des rôles la série valorise dans cet épisode de début de saison.
Tout au long de l’épisode, on constate une répartition très stricte entre d’un côté, les hommes qui agissent à l’extérieur, et de l’autre, les femmes qui restent sagement à l’intérieur. Cette assignation des femmes à l’intérieur est à mettre en rapport avec la condamnation les femmes qui désobéissent à l’homme blanc et tentent d’agir seules à l’extérieur (May et Amador). Quand les femmes passent à l’action, les choses tournent mal : c’est May qui tente de coincer Amador toute seule dans sa chambre d’hôtel, ou encore Skye qui n’arrive pas tirer au pistolet ou à démarrer la camionnette (et se retrouve ainsi impuissante au fond d’un fossé).
La scène se déroulant à Zloda est assez édifiante à ce niveau. Tandis que les deux hommes virils (Coulson et Ward) partent à la recherche d’Amador, les autres membres de l’équipe sont cantonné-e-s à l’intérieur. May reste dans l’avion à suivre les opérations à distance, tandis que Skye, Fitz et Simmons restent dans la camionnette pour tenter de localiser Amador électroniquement. Si Fitz est un homme, il est cependant le moins viril de tous les membres de l’équipe[3], raison pour laquelle sa place est avec les femmes. Skye, Fitz et Simmons sont de surcroît clairement infantilisé-e-s dans cette scène. Illes appellent ainsi Ward au téléphone pour se plaindre parce qu’illes ont faim et envie de faire pipi. La blague autour du pipi dans la bouteille est d’ailleurs une occasion de « rappeler la différence des sexes » entre les membres de l’équipe (« N’avez-vous jamais appris que les filles et les garçons ont des parties différentes ? »).
De même, à la fin de l’épisode, Coulson va coincer l’homme qui surveille Amador pendant que May reste à l’intérieur de l’avion. Et parallèlement, Ward s’illustrer sur le terrain tandis que Skye reste dans la voiture à l’assister. Le dispositif de cette scène est assez significatif, puisque si Ward se retrouve momentanément dans la position d’une dominée (puisqu’il a pris la place d’Amador), c’est pour émanciper cette dernière. Ainsi, c’est seulement en substituant l’homme d’action (Ward) à la femme d’action (Amador) que le bon ordre (patriarcal) est restauré.
Une blague rappelle d’ailleurs explicitement cet enjeu : alors qu’il doit pénétrer dans une salle gardée par un homme, Ward (qui se fait alors passer pour Amador) reçoit l’ordre de le séduire. Lui qui ne cessait de répéter à Skye qu’il n’avait pas besoin de son aide, il se trouve ici complètement démuni (forcément, la séduction est une arme « exclusivement féminine »…). Après une rapide analyse (homophobe[4]) de la situation par Skye, Ward tente de faire copain-copain avec le garde. Mais, devant l’échec de cette stratégie (qui relève toujours de la séduction), Ward finit par opter pour une méthode plus virile : défoncer la tête du garde sur le bureau. Finies les techniques de gonzesses, l’action c’est un truc d’homme, et les hommes, ils tapent dans la tronche.
Libérer la femme noire … en la mettant en prison
Comme je l’ai dit, Amador passe très rapidement du statut d’ennemie dangereuse à celui de victime à sauver à partir du moment où Coulson et son équipe découvrent qu’elle agit sous les ordres d’une puissance supérieure. A un dispositif raciste s’en substitue un autre, puisque la jeune femme noire ne cesse d’être une menace pour les héro-ïne-s blanch-e-s que pour devenir une victime impuissante, incapable de s’en sortir toute seule. On retrouve ici le trope du « sauveur blanc »[5], qui interdit aux racisé-e-s d’être les acteurs/trices de leur propre émancipation, et ne met en scène l’oppression des racisé-e-s que pour glorifier les généreux et courageux héros blancs qui leur portent secours (voir par exemple des films comme Avatar, Django Unchained, Atlantide l’empire perdu, À la rencontre de Forrester, The Help, Lincoln, etc.).
Il est fait référence ici à la domination blanche, puisque Amador raconte à Coulson qu’elle a passé 4 ans enfermée dans une cage, avant d’être libérée pour servir d’esclave à des maîtres ayant sur elle pouvoir de vie et de mort. De même, lorsque Simmons lui annonce qu’elle va devoir lui injecter un anesthésiant à l’intérieur de l’œil pour la libérer, Amador lui répond : « Tout ce qui est nécessaire » (whatever’s necessary), phrase qui fait écho au « by any means necessary » de Malcolm X[6]. Mais si ces détails tendent à présenter l’oppression subie par Amador en des termes qui font écho à la domination raciste, l’épisode prend bien soin de ne pas pousser trop loin dans cette direction. En effet, l’oppresseur d’Amador est invisible. On croit pendant un moment qu’il s’agit d’un homme blanc, mais celui-ci s’avère lui aussi esclave d’un autre maître dont on ne verra pas le visage. La dimension raciale de la domination se dissout ainsi progressivement, dans la mesure où le dominant reste incernable.
Non seulement Amador ne peut s’en sortir que grâce à Coulson, son sauveur blanc, mais cette libération prend en plus la forme d’un emprisonnement. Le pire est que l’épisode montre Amador ravie d’être ainsi jetée en prison par son maître blanc, qui sait évidemment ce qui est bon pour elle. Le propos s’avère d’autant plus nauséabond qu’il est fait allusion un peu plus tôt aux premiers actes illégaux accomplis par Amador (voler, entrer dans des endroits par effraction). Non seulement l’épisode fait donc de son seul personnage noir une criminelle, mais il mobilise l’association « crime donc châtiment » sans aucun recul critique. En effet, il n’est fait strictement aucune allusion au « processus [qui] transforme les hommes, les femmes et les enfants issus de [certaines] communautés en parfaits candidats potentiels pour la prison[7] » : les « crimes » sont ici totalement déconnectés des systèmes de domination qui les ont produit, et la prison devient ainsi une institution nécessaire et même désirable. Comme dit Angela Davis,
« Nous voyons l’emprisonnement comme quelque chose qui n’arrive qu’aux autres – c’est le triste sort réservé aux « méchants », pour reprendre un mot cher à George W. Bush. En raison de la force de suggestion du racisme, les « criminels » et les « méchants » sont, dans l’imaginaire collectif, figurés par des personnes de couleur. La prison fonctionne donc sur le plan idéologique comme un lieu abstrait où sont déposés les êtres indésirables afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux vrais problèmes qui affectent les communautés dont sont largement issus les détenus. Tel est le travail idéologique de la prison : nous soustraire à la responsabilité qui est la nôtre de réfléchir sérieusement aux problèmes de notre société, notamment ceux liés au racisme et, de plus en plus, au capitalisme mondialisé.[8] »
Difficile de ne pas être scandalisé-e devant une série qui montre ainsi une noire contente d’être emprisonnée pour les crimes qu’elle a commis, surtout quand on sait que le « système carcéro-industriel » états-unien fonctionne concrètement comme une immense machine à ségréguer et à exploiter les noir-e-s et les autres racisé-e-s (sur ce point, voir le livre d’Angela Davis La prison est-elle obsolète ?, notamment les statistiques sur la composition raciale de la population carcérale[9], l’histoire de cette institution réinscrite dans le cadre plus large de l’histoire de l’oppression et l’exploitation des noir-e-s aux États-Unis[10], et la manière dont cette oppression et cette exploitation continuent aujourd’hui sous la forme de ce qu’elle appelle avec d’autres le « complexe carcéro-industriel »[11]).
L’épisode se termine sur une image d’Amador dans sa cellule, qui peut maintenant fermer paisiblement les yeux, sur les paroles de Coulson qui déclare « c’est bien de pouvoir être paisible » (peaceful is good).
Le seul endroit où un-e noir-e peut trouver la paix, c’est en prison
Amador déclare elle-même que l’emprisonnement n’est pas une atteinte à sa liberté, en réaffirmant une fois de plus sa reconnaissance envers Coulson, le généreux sauveur blanc.
Coulson : Tu auras un procès équitable (…).Tu mérites une seconde chance.
Amador : Tu m’en as déjà donné une. Peu importe ce qui arrive à partir de maintenant. Je suis libre. Merci.
En juxtaposant enfin les plans d’Amador qui s’endort paisiblement en prison avec le discours de Skye qui explique à Coulson à quel point elle se sent bien sous sa protection (« c’est cool de savoir que quelqu’un me protège »), l’épisode enfonce le clou en présentant encore une fois la domination de l’homme blanc comme une chance pour celles qui y sont soumises.
Le SHIELD, ce « gentil grand frère »
Ces scènes sont à mettre en rapport avec le discours que la série tient plus largement sur le SHIELD (et donc sur les services secrets américains), notamment à travers la figure de Coulson. En effet, celui est présenté comme une figure paternelle bienveillante qui recueille les brebis égarées et veille sur les siens. Lorsque May lui reproche de mettre en danger son équipe pour sauver Amador, il lui répond : « parce que nous protégeons les nôtres ».
Tout ce discours contribue à faire oublier la fonction essentiellement répressive et policière des services secrets américains. La série les présente en effet comme des institutions qui n’utilisent la violence et la surveillance à grande échelle que pour le bien des citoyens. Quand le méchant Quinn explique à Skye dans l’épisode 3 : « Le SHIELD est contre tout ce que tu défends, il est le grand frère (big brother) », elle lui répond : « Peut-être, mais il est le gentil grand frère (the nice big brother) qui défend son petit frère ».
La série s’évertuera à illustrer cette idée en montrant à quel point les actions du SHIELD sont nécessaires, et les gens qui y travaillent mus par de nobles idéaux. Si le service sera dissous, ce n’est pas parce qu’il est intrinsèquement condamnable, mais parce qu’il a été contaminé par des fascistes. Comme Captain America : Le Soldat de l’hiver, Marvel’s Agents of SHIELD ne remet donc pas du tout en question l’existence des services secrets et leurs pratiques, mais se contente de prôner leur « purification ».
La série discrédite d’ailleurs systématiquement les individus et mouvements qui critiquent leur politique du secret et luttent pour la liberté d’information. Ce discours réactionnaire vise ainsi à sauvegarder la légitimité de ces pratiques anti-démocratiques de plus en plus controversées (suite notamment aux révélations de WikiLeaks ou d’Edward Snowden). On peut par exemple penser non seulement à Quinn, un des grands méchants de la série, mais aussi au personnage de Miles Lyndon dans l’épisode 5, ce hacker révolutionnaire qui prétend œuvrer pour « la démocratisation du savoir » mais qui ne recherche en réalité que son profit personnel (il vend une information pouvant coûter la vie à un homme à une dangereuse organisation pour toucher de l’argent). L’épisode le dépeint finalement comme un traître doublé d’un hypocrite, et ajoute à ce beau portrait une petite touche de paternalisme en le présentant comme un type un peu paumé (« au moins tu sais ce que tu cherches… moi, je n’ai pas ça »). Ah là là, ces hackers révolutionnaires… ce sont juste des gens paumés qui ne savent pas ce qu’ils font… Au final, la seule hackeuse que le film valorise est Skye, celle-ci qui a définitivement laissé derrière elle ses projets révolutionnaires pour mettre ses talents au service de l’impérialisme américain.
L’épisode 4 contribue lui-aussi à légitimer les pratiques de surveillance du SHIELD en les opposant à celle des méchants, qui apparaissent comme beaucoup plus extrêmes et cruelles (la caméra-bombe implanté dans l’œil d’Amador). A un moment, Skye déclare à propos de la caméra-œil : « ça doit craindre de vivre comme ça, en se demandant si quelqu’un est en train de nous surveiller ». La série invente ainsi un système de surveillance redoutable qu’il attribue à une puissance étrangère pour ne pas avoir à s’interroger sérieusement sur les instruments de surveillance utilisés par les États-Unis.
Au début de l’épisode, Coulson laisse même entendre que le SHIELD ne surveille pas à proprement parler les citoyens, mais que ceux-ci se surveillent en fait eux-mêmes : « C’est incroyable. Chaque année, cette partie de notre travail devient de plus en plus facile. Entre Facebook, Instagram et Flickr, les gens se surveillent eux-mêmes ». En faisant porter toute la responsabilité aux utilisateurs/trices de ces nouvelles technologies, la série propose une analyse dépolitisante qui occulte la collaboration étroite entre les entreprises capitalistes (qui développent et imposent ces produits à une échelle mondiale dans leur intérêt économique, et collectent le plus souvent elles-mêmes des informations sur leur utilisateurs/trices à des fins de ciblage publicitaire ou de services) et les États (qui s’en servent comme un instrument de surveillance en obtenant des informations privées sur les utilisateurs à leur insu, grâce à des partenariats avec les géants américains comme Google, Facebook, Microsoft, etc., dont l’exemple le plus connu est probablement le programme secret PRISM[12]).
Il n’est pas anodin que la mission du Coulson et son équipe consiste ici à protéger le capital des puissants (en l’occurrence des diamants de grande valeur). Au final, voilà en quoi consiste la grande œuvre du SHIELD, ce pour quoi sont mobilisées des techniques de surveillance liberticides et une violence répressive : mettre en prison la femme noire qui avait volé l’argent des riches. Une noble mission en effet…
Paul Rigouste
PS : Pour avoir d’autres avis sur la série, et notamment sur des points que je n’ai pas abordé ici, voir la discussion sur le forum.
Notes
[1] Skye est aussi racisée (puisqu’incarnée par l’actrice eurasienne Chloe Bennet), mais parce qu’elle n’est pas aussi « typée » physiquement et que la série ne thématise pas cette « non-blanchité » (contrairement à May qui est régulièrement renvoyée à sa race/ethnicité avec son côté kung fu & tai chi), elle est probablement perçue par la majorité des spectateurices comme blanche dans cette saison.
[2] “All the episodes were written with the knowledge that S.H.I.E.L.D. would be destroyed in Captain America: The Winter Soldier, with Jed Whedon saying « It’s the kind of thing that if someone told you that concept, you’d think it was a great thing to have happen at the beginning of the show or the end of Season 3. To have it happen in the middle of your first season is an interesting kind of riddle because we had to quickly establish what a regular day at S.H.I.E.L.D. looks like, what [is] it like to go on a mission, say here’s the team, and that there are also different teams all over the world.” http://en.wikipedia.org/wiki/Agents_of_S.H.I.E.L.D._%28season_1%29
[3] Au sens de la virilité traditionnelle qui associe le masculin à l’action, la force, l’usage de la violence physique, et l’aventure à l’extérieur du foyer. L’épisode 7 insistera bien sur cette différence entre Ward le viril et Fitz le geek.
[4] Rien qu’en jetant un coup d’œil à son apparence, Skye déduit son hétérosexualité, et conseille ainsi à Ward de lui parler vodka et sport. La série contribue ainsi à la confusion hétérosexiste entre genre et orientation sexuelle (« un homme qui a une apparence masculine/virile est forcément hétérosexuel, et un homme qui est plutôt féminin est forcément homosexuel (car le masculin est forcément attiré par le féminin et inversement »).
[5] La série mobilise à plusieurs reprises ce schéma, notamment dans le traitement qu’elle réserve au personnage de Peterson (voir notamment le premier et le dernier épisode de la saison 1)
[6] http://en.wikipedia.org/wiki/By_any_means_necessary.
[7] Angela Davis, La prison est-elle obsolète ?, p. 18-19
[8] Ibid., p. 18
[9] Cf. par exemple, p. 14 : « La Californie compte désormais 33 prisons, 38 camps, 16 établissements correctionnels et cinq minuscules structures pour femmes avec pouponnières intégrées. En 2002, 157 979 personnes étaient détenues dans l’ensemble de ces établissements, dont environ 20 000 que l’État retient pour infractions aux règles d’immigration. La composition raciale de cette population carcérale est révélatrice. Les Latinos (qui sont désormais majoritaires) représentent 35,2 %, les Afro-Américains, 30%, et les Blancs 29,2% ». Voir aussi p. 22-23
[10] Voir notamment le chapitre 2, « Esclavage, droits civiques et perspectives abolitionnistes »
[11] Voir par exemple p. 18-20
Autres articles en lien :
- [vidéo] Doctor Who : L’Heure du Docteur (épisode de Noël 2013)
- Snowpiercer (2013) : Ces « queutards » de révoltés
- Avatar (2009) : le prophète blanc et ses sauvages
Je suis relativement d’accord avec vous, sauf en ce qui concerne « Le Soldat de l’Hiver » , qui me semble remettre profondément en question le SHIELD en révélant qu’il est infiltré quasiment depuis ses débuts. Ce qui implique que le « grand frère bienveillant » dont parle Skye n’a en réalité jamais existé et que tout ce que le SHIELD a accompli depuis sa fondation doit être réexaminé avec beaucoup de soin.
La serie TV insiste moins sur ce point, mais il y a néanmoins une réplique intéressante : Quand le Clairvoyant est demasqué comme étant un agent du SHIELD et propose à Coulson de rejoindre les rangs des traîtres, Coulson refuse en déclarant qu’il ne rejoindra jamais l’Hydra.
Ce à quoi le Clairvoyant lui rétorque qu’il sert Hydra depuis longtemps, sans le savoir… Si ce n’est pas de la remise en question…
Pour moi, ni la série ni le film « Le Soldat de L’hiver » ne remettent fondamentalement en question les pratiques du SHIELD, et plus largement des services secrets américains. Parce qu’il ne s’agit pas du tout de dire que le pouvoir et les méthodes de ce type d’organisations sont problématiques en elles-mêmes, mais qu’elles ont été pourries par des éléments infiltrés (qui lui sont donc par définition extérieurs).
Le film et la série ne dit pas « nous sommes des fascistes », mais juste « il y a des fascistes parmi nous ». Si le film et la série avait dépeint Captain America comme un fasciste, ou condamné la politique du secret en soi, là ça aurait dénoncé pour moi (il me semble qu’il y a l’embryon d’une critique de ce type dans Watchmen par exemple, mais je ne me souviens plus assez bien de cette BD ni du film qui en a été tiré, donc je ne sais plus quel en est le propos au final…). Mais là pour moi il n’y a rien de tout cela, il s’agit juste d’agiter l’éternelle menace fasciste-communiste-totalitariste pour mieux se poser par contraste comme les défenseurs de la démocratie et de la liberté.
Le discours de La Veuve Noire devant la commission chargée de juger les crimes commis par le SHIELD me semble lever toute ambiguïté : « Vous ne m’enverrez pas en prison. Ni aucun d’entre nous. Vous savez pourquoi ? Parce que vous avez besoin de nous. Oui, ce monde est vulnérable…et nous y contribuons. Mais nous sommes aussi les mieux placés pour le défendre. Donc si vous voulez m’arrêter, faites-le. Vous saurez où me trouver ». Et sur ces mots elle s’en va, laissant ses interlocuteurs démunis.
Personnellement, je trouve ça assez grandiose. Parce que sans détour, on nous explique que les services secrets américains contribuent à « rendre le monde vulnérable », mais que c’est pas grave parce que leur pouvoir est si grand qu’ils peuvent aussi le « défendre ». J’ai du mal à voir dans cette phrase autre chose que la justification de toutes les horreurs qu’ont commis les services secrets américains au nom de la protection du monde libre…
Après je suis bien d’accord qu’il y a un début de questionnement dans le Soldat de l’Hiver, ce qui est déjà très bien ! Je pense que c’est le film de super-héros le plus intéressant politiquement que Marvel a pu produire. Mais au final je pense qu’il n’y a pas vraiment de remise en question, au contraire… Vous n’êtes pas d’accord ?
Bonjour Mr Rigouste,
Je n’ai pas vu Agents of Shield mais votre analyse est forte intéressante, on retriouve bien, en effet, le schéma traditionnel hollywoodien fondé sur le paternalisme blanc d’une part, et sur le virilisme d’autre part (stéréotypes de personnages féminins, misent au rencart dès qu’il faut être sérieux, sauver le monde et arrêter les méchants c’est un truc de mecs).
Votre analyse me fait d’ailleurs penser au récent « Kingsman » de Matthew Vaugn, film d’espionnage/action qui vise à la fois à rendre hommage aux James Bond et autres classiques et à les parodier. J’ai bien aimé le film globalement mais on retrouve un un semble de codes sexistes similaires à ceux que vous mentionnez ici : le chef blanc est un mâle bien balèze (un « gentleman » comme il dit, un vrai mec). La masculinité du jeune personnage principale, acquise grâce aux conseils de son mentor, est mise en valeur, puisqu’il va jusqu’à se battre en costume. Les personnages féminins sont dénués de caractérisation et réduits pour l’essentiel à des rôles typiques – la mère impuissante face à son copain abusif, le sidekick qui reste sagement en dehors de la bataille finale, la princesse qui sert de récompense sexuelle au héros après avoir sauvé le monde…
J’aimerais juste ajouter un petit bémol à ce que vous dites sur « Le Soldat de l’Hiver » ; ce qui me semble bien faire partie d’un questionnement à l’encontre des méthodes ultra-sécuritaires et punitives du gouvernement américain, c’est une des premières scènes, qui voit Steve Rogers discuter avec Nick Fury des derniers prototypes de drones produits par SHIELD, capables de traquer et de neutraliser tout « danger potentiel ». Le parti pris du film est clairement contre ces mesures : Fury présente l’argumentaire typique de la défense des citoyens, de la protection de la nation face aux terroristes, etc, ce à quoi Rogers rétorque en critiquant l’abus de pouvoir de l’agence. « Ce n’est plus de la sécurité, c’est de la peur ! ». Et il découvre par la suite, en effet, que ces machines n’ont jamais été concues dans la but de préserver une quelquonque paix civile.
Certes , comme vous dites, ce propos se voit affaibli par la suite : Fury est toujours un « good guy », et les Nazis sont responsables de tout. Néanmoins, il me semble, et ça reste mon point de vue, que le film ose subrepticement aller plus loin et présentant l’intégralité du SHIELD comme atteint par la corruption d’Hydra, et le seul remède consistant en une dissolution complète et définitive de l’agence. Hydra, ici, par son emprise quasi totale (seuls les personnages principaux y échappent, ainsi que les quatres conseillers qui ne servent à rien, et quelques membres du personnel) pourrait représenter une sorte de métaphore de la fascication croissante de l’autorité américaine : les responsables sont tous de mèche, tous des salauds qui n’hésitent pas à marquer comme danger national ceux qui s’opposent à eux (un parallèle possible avec Bradley Manning et Julian Assange ?) ; la seule solution c’est de supprimer le mal à sa source (dissoudre le SHIELD = supprimer les agences de protection gouvernementales, ou bien nettoyer le gouvernement).
Et si Black Widow prononce la phrase que vous citez à la fin, ça n’est pas forcément qu’elle légitime l’action des instances supérieures, mais peut etre, au contraire, qu’elle prône un retour à l’individualité, au lieu de s’en remettre aux services secrets : son « nous » désignerait exclusivement elle-même et ses potes super-héros, infaillibles comme on le sait. On en revient à la structure classique type superman-batman : ces individus sont si exceptionnels qu’il faut leur laisser le champ libre pour sauver le monde, ils savent tous, ils ne feront pas d’erreurs, ne se laisseront pas corrompre, ils sauront protégér la veuve et l’oprhelin. C’est un concept problématique en soi, mais pas nécessairement de la manière dont vous l’entendiez.
Bonne journée !
Bonjour Starmada,
Je suis bien d’accord avec vous sur le fait qu’il y a dans Le Soldat de l’Hiver des répliques très intéressantes. J’ai bien aimé aussi le « ce n’est pas de la liberté, c’est de la peur ». Et encore une fois, je pense personnellement que c’est le Marvel le plus progressiste que j’ai vu politiquement (« le plus » je dis bien…).
Après, déjà sur cette critique des drones qu’il y a dans le film, il est intéressant de remarquer à mon avis que les drones en question ne sont critiqués que dans la mesure où ils menacent la sécurité des citoyens américains, et les autres le film s’en fout totalement il me semble. Alors que dans la réalité, les drones ne sont pas une menace pour les américains mais pour les populations qu’ils envahissent. Ce truc des drones qui programmés pour identifier les terroristes et les neutraliser, j’ai l’impression que dans la réalité c’est loin d’être envisagé pour le territoire américain, mais plutôt pour les territoires que les US agressent. Du coup, si je vois bien que c’est intéressant de critiquer l’usage de telles armes en soi, j’ai l’impression qu’on reste quand même dans une vision très américano-centrée (ce qui compte c’est notre liberté, celle des autres on s’en fout). Vous voyez ce que je veux dire ?
Sinon, par rapport à la signification concrète de la réplique de Black Widow à la fin. Vous dites que ça revient à critiquer les services secrets pour les remplacer par les super-héros, « ces individus sont si exceptionnels qu’il faut leur laisser le champ libre pour sauver le monde, ils savent tous, ils ne feront pas d’erreurs ». Mais c’est qui ça dans le monde réel, ces individus super-puissants qui font ce qu’ils considèrent comme juste sans jamais s’en référer au peuple ? Est-ce que ce ne sont pas précisément les dirigeants des Etats-Unis (dont ceux qui sont à la tête des services secrets) ? C’est qui ce « nous » quand Black Widow dit « vous avez besoin de nous, car si nous rendons le monde vulnérable, nous sommes aussi les mieux placés pour le défendre » ? Je ne vois pas qui ça peut être d’autre que les dirigeants des Etats-Unis, qui s’octroient tous les droits du simple fait qu’ils sont les plus puissants.
Du coup, pour moi, la seule chose que le film nous invite à nous dire, c’est « pourvu que ce soit les gens bien qui dirigent le monde », et pas « personne d’autre que le peuple ne devrait avoir autant de pouvoir ». Pour ce film, on ne peut pas envisager autre chose que de laisser tout le pouvoir à une poignée d’individus qui agissent à leur gré et en secret (les Captain America, Black Widow, Fury, etc, c’est-à-dire dans la réalité, les gens qui ont le pouvoir politique et militaire aux US). Donc il y a strictement rien de structurel qui est remis en cause (le problème est juste un problème de personnes : les méchants « fascistes » qu’il faut remplacer par les bons américains). Vous n’êtes pas d’accord ?
Bonjour,
D’abord, merci pour votre réponse, je trouve fort intéressant de pouvoir discuter de ces choses-là, l’occasion ne se présente pas souvent.
En effet, il semble que les canonnières du SHIELD soient exclusivement concues pour intervenir sur le territoire américain, en tant que mesures de protection intérieure ; l’ensemble du conflit du film se focalise d’ailleurs, et prend place, sur une petite partie du pays : le monde extérieur est à peine évoqué. Vous avez raison, on reste dans l’américano-centrisme propre aux Marvels, sans exception (même Thor, quand il est banni d’Asgard, atterrit au Nouveau-Mexique, allez comprendre).
Je suis également d’accord avec votre affirmation « la seule chose que le film nous invite à nous dire, c’est « pourvu que ce soit les gens bien qui dirigent le monde », et pas « personne d’autre que le peuple ne devrait avoir autant de pouvoir ». Pour ce film, on ne peut pas envisager autre chose que de laisser tout le pouvoir à une poignée d’individus qui agissent à leur gré et en secret. » Néanmoins, je ne pense pas que ce soient les dirigeants, même états-uniens, qui aient vocation à être glorifiés par le discours de BW : comme toujours ou presque dans ce genre de film, les élites officielles, celles qui n’ont pas recours à la super-technologie ou aux pouvoirs magiques, sont montrées comme impuissantes, voire totalement incompétentes. Dans « Avengers », le gouvernement et l’armée ne fotn absolument rien pour stopper l’attaque des Chitauris sur New-York, et le film nous fait comprendre que de toute façon, ça ne servirait à rien ; seuls les héros éponymes sont à même de résoudre le conflit. Dans le Soldat de l’Hiver, Hydra semble avoir infiltré jusqu’aux hautes sphères gouvernementales, et le bilan final en victimes civiles aurait été catastrophique sans l’intervention de Rogers et de sa clique. Tous ces films-là paraissent donc inviter le modèle traditionnel de régime présidentiel occidental en critiquant – peu subtilement – son incapacité à protéger les citoyens contre les menaces intérieures ou extérieures. Ce qui est prôné est l’abandon des structures humaines de gouvernance, trop faillibles, confier à la place sa sécurité, à des « entités supérieures » (les super-héros) ; autrement dit, autoriser certains à en pas s’embarrasser du pouvoir en place et même des lois, qui ne peuvent que les gêner pour accomplir leur mission.
Idéologie difficile à accepter, c’est vrai, avec toujours cet Américano-centrisme exacerbé.
Par curiosité, avez-vous vu « Watchmen » de Z. Snyder ? Il me semblerait utile de comparer les conceptions des super-héros dans les deux films, qui s’opposent complètement ; plus question d’infaillibité des héros dans l’oeuvre de Snyder, encore moins de glorification de la puissance américaine seule et unique ou de « sauver le monde, y a que nous qui pouvons le faire ». La guerre du Vietnam avec ses implixations est notamment (bien que brièvement) évoquée.
Bonne journée !
J’ai lu la BD Watchmen (et vu le film) il y a longtemps maintenant, donc je ne m’en souviens plus bien, mais je me souviens qu’au début il y a une manifestation contre les super-héros (du moins il me semble). Symboliquement je trouve ça très fort, parce que dans le genre idéologie anti-démocratique, les films de super-héros ça se pose là…
Après je ne m’en souviens plus assez pour en dire quoi que ce soit de très précis. Mais je m’étais dit, à la suite de discussions avec des fans du film, qu’il était probablement assez ambivalent sur des points que je ne soupçonnais pas (je pense au personnage du Comédien, que certains trouvaient super-cool, alors qu’il me semblait être plutôt dépeint négativement). Sinon, l’ambiance « super-héros en crise et menacés d’extinction », ça peut peut-être aussi se prêter à des lectures nostalgiques-réactionnaires, et pas que progressistes. Mais bon, encore une fois, il faudrait que je revoie le film pour me faire un avis. En tout cas c’est sûr que c’est déjà un peu plus intéressant politiquement que les Iron Man ou Captain America je pense…
Ce qui est prôné est l’abandon des structures humaines de gouvernance, trop faillibles, confier à la place sa sécurité, à des « entités supérieures » (les super-héros) ; autrement dit, autoriser certains à en pas s’embarrasser du pouvoir en place et même des lois, qui ne peuvent que les gêner pour accomplir leur mission.
Cela ressemble diablement au fascisme…
Je rebondis sur Watchmen pour évoquer une autre bande dessinée d’Alan Moore, la Ligue des gentlemen extraordinaires (et pas l’immonde adaptation qui en a été faite), qui présente aussi un groupe de supers héros mais au 19ème siècle et en s’inspirant de personnages de la littérature. Le deuxième tome s’inspire de la Guerre des mondes et raconte une invasion de Marsiens à Londres. Non seulement un des « supers héros » se range du côté des Marsiens, mais les instances gouvernementales utilisent un virus mortel pour détruire les envahisseurs marsiens, virus qui tue également tous les êtres humains à proximité. Le représentant du gouvernement conclut froidement qu’on attribuera ces morts aux Marsiens eux mêmes. On nous présente un gouvernement extrêmement « compétent » et pas du tout dépassé par les événements, mais d’un cynisme monstrueux.
Watchmen est en effet une critique politique des superhéros, ce serait intéressant que vous l’analysiez sur le site.
Chacun de ses personnages est un archétype – le Comédien est un facho qui se délecte dans la violence ; Rorschach un moraliste extrêmiste sympathisant d’extrême-droite ; Le Hibou est un naïf sympathique qui ne se sent sur de lui qu’en costume et aux commandes de ses gadgets ; le spectre soyeux une jeune femme élevée malgré elle en sex-symbol par sa mère et qui a détesté ça ; Ozymandias est mégalomane et se prend pour un dieu ; le Dr Manhattan est le seul à disposer de super pouvoirs mais du coup se désintéresse de l’humanité qui lui devient petit à petit étrangère.
C’est un monde où les superhéros sont effectivement hors-la-loi et impopulaires, car ils se croient au dessus de la justice (« who watches our watchmen »). Et ne sont finalement pas si différents des « méchants » qu’ils poursuivent.
Après, le film de snyder est agréable à regarder et je pense que c’est de loin le meilleur film de superhéros qui soit sorti jusqu’ic, mais il occulte une bonne partie du message politique – en rendant notamment « super badass » ses héros qui ne le sont pas, et en objectivisant à fond Laurie, le spectre soyeux, ce qui va à l’encontre de ce que représente le personnage.
Bonjour,
Je rebondis là-dessus pour vous faire une demande.
A quand une analyse des films Marvel (un par an à ce jour), qui sont problématiques à tellement de niveaux que s’en devient absurde?
Bonjour, merci beaucoup pour votre article !
Vos analyses sont toujours pertinentes, et je me demandais si un jour vous pourriez publier une analyse sur la série Once Upon a Time (je serais très curieuse de connaitre votre avis sur cette série).
Merci pour votre commentaire. Je n’ai personnellement jamais vu la série Once Upon a Time. Vous la conseilleriez d’un point de vue politique ? Il y a des trucs intéressants ?
Tiens en parlant de cette série d’ailleurs, j’avais lu une critique totalement masculiniste sur ce site (puisque la série est considérée par beaucoup comme féministe car la presque totalité des personnages principaux sont des femmes qui se débrouillent seules et font l’histoire) => http://www.papotonsensemble.com/2013/01/critique-de-la-serie-once-upon-time.html
Je vous laisserai d’ailleurs apprécier à sa juste valeur les autres « articles » de ce blog…
Merci pour vos réponses !
Effectivement, je la trouve intéressante, car comme le dit Vitany, la majorité des personnages principaux sont des femmes, pour la plupart très débrouillardes (c’est suffisamment rare pour être souligné, à mon sens).
Bien sûr, la série n’est pas parfaite, notamment à cause du faible nombre de personnages racisés ou homosexuels, mais j’ai l’impression que la série fait quand même des efforts là-dessus.
Je viens de lire l’article du lien : l’auteur aurait mieux fait de s’abstenir plutôt que d’écrire un minuscule article où il expose 2-3 arguments discutables (et qu’on pourrait résumé en : « Bouhou cette série trahit l’esprit (patriarcal et sexiste) des contes de fée :'( » ).
Ici un article critique féministe sur Once upon a time in wonderland
http://decolereetdespoir.blogspot.fr/2016/05/once-upon-time-in-wonderland-le-pays.html
Merci, ce site est intéressant !! ^^
Mais je ne suis pas tout à fait d’accord pr dire que OUAT in Wonderland est plus féministe que la série mère..
Je suis en train de regarder cette série et elle est géniale ! Merci beaucoup. Bon il faut passer sur les fonds verts et les effets spéciaux pas terribles, mais ça vaut le coup.