« Je voudrais devenir un homme comme vous » : du Roi Louie à Louis l’Alligator
27 mai 2014 | Posté par Paul Rigouste sous Films d'animation, Tous les articles |
Je voudrais ici analyser deux personnages de l’univers Disney : Le Roi Louie du Livre de la jungle (1967) et Louis l’alligator de La Princesse et la grenouille (2009). Outre leur nom, ces deux personnages ont pour points communs d’aimer le jazz, d’être des Noirs, et de vouloir par-dessus tout « devenir des humains ». Il me semble intéressant de les rapprocher, non seulement pour montrer que malgré les 40 ans qui les séparent, ces personnages sont tout aussi spécistes et racistes l’un que l’autre, mais aussi parce qu’ils incarnent deux facettes d’un discours récurrent chez Disney, selon lequel chaque individu est destiné par essence à occuper une place bien déterminée en ce bas monde, et ne doit sous aucun prétexte déroger à cet ordre naturel et hiérarchique.
Louis l’orang-outan
Le Livre de la Jungle raconte l’histoire de Mowgli, un enfant élevé parmi les loups qui doit « rejoindre les siens » car la jungle est devenue un endroit trop dangereux pour lui depuis le retour du tigre Shere Khan. Escorté dans son voyage par Bagheera la panthère, le « petit d’homme » croise sur sa route des personnages hauts en couleurs, comme Baloo l’ours épicurien, ou le Colonel Hathi, sorte de vieil éléphant militariste. Mais l’une de ses rencontres les plus mémorables reste celle avec le Roi Louie, un orang-outan vivant dans les ruines d’un temple abandonné et régnant sans partage sur les singes qui l’entourent.
Il est possible de lire les scènes avec le Roi Louie de deux manières différentes suivant le niveau de lecture que l’on adopte. A un premier niveau, on peut voir Louie avant tout comme un orang-outan, et le propos du film s’avère alors spéciste, comme on le verra. Mais à un second niveau de lecture, on peut aussi voir Louie comme un Noir, ainsi que nous invitent à le faire un grand nombre de détails qui, pris ensemble, ne peuvent pas être simplement dus au hasard, surtout lorsqu’on a en tête le contexte social dans lequel le film a été produit. Et à ce second niveau, le film se révèle profondément raciste.
Devenir un humain comme vous
A un premier niveau, le Roi Louie est un animal qui rêve de devenir un humain. Il vit dans les ruines d’un temple (donc dans une construction humaine), et on comprend rapidement que la raison pour laquelle il a fait kidnapper Mowgli est son désir de posséder le « secret du feu » (technique qui symbolise la supériorité des humains sur les animaux, comme en témoigne la fin du film où Mowgli débarrasse la jungle de Shere Khan en effrayant ce dernier avec une branche enflammée). Le film nous dépeint donc un animal frustré de ne pas être en haut de « l’échelle de l’évolution », et qui veut à tout prix faire partie de cette élite du « règne animal » que sont les humains.
Les paroles de la chanson sont très explicites. Dans la version originale, ça donne :
Now I’m the king of the swingers / Oh, the jungle VIP / I’ve reached the top and had to stop / and that’s what botherin’ me. / I wanna be a man, mancub, / and stroll right into town, / and be just like the other men,/ I’m tired of monkeyin’ around! / Oh, oobee doo, / I wanna be like you, / I wanna walk like you, / talk like you, too! / You’ll see it’s true, / an ape like me, / can learn to be human too.
Ce qui a été traduit dans la version française par :
Je suis le roi de la danse / Oh, la jungle est à mes pieds / De la puissance, je suis au plus haut / et pourtant je dois vous envier. / Je voudrais devenir un homme, / ce serait merveilleux, / vivre pareil aux autres hommes / loin des singes ennuyeux. / Oh, woupidou / je voudrais marcher comme vous / et parler comme vous / faire comme vous, tout. / Un singe comme moi / pourrait, je crois, / être parfois / bien plus humain que vous.
Le film véhicule donc une vision anthropocentrée du « règne animal » qui hiérarchise les espèces en fonction de leur place sur « l’échelle de l’évolution » (« I’ve reach the top and had to stop » / « De la puissance, je suis au plus haut »). Si l’orang-outan veut être un humain, c’est parce que les humains sont supérieurs à tous les autres animaux, et possèdent un savoir qui leur ouvre des possibilités infinies, alors que les animaux sont englués dans leur morne et ennuyeuse condition (« I’m tired of monkeyin’ around » / « Vivre pareil aux autres hommes loin des singes ennuyeux »). Le film hiérarchise d’ailleurs aussi les singes entre eux, puisqu’il distingue le « grand singe » (« ape ») des autres singes (« monkeys ») qui lui obéissent. Avec cette configuration où le « singe supérieur » commande les « singes inférieurs », on a déjà la justification de l’exploitation par les humains des autres espèces animales : « il est dans l’ordre de la nature que les espèces supérieures dominent les inférieures ».
Les singes supérieurs dominent les singes inférieurs, c’est une loi de la nature
Non seulement le film défend l’idée d’une hiérarchie entre les espèces, mais il punit aussi sévèrement celui qui tente d’échapper à sa condition d’inférieur. En effet, le temple du Roi Louie (que l’on peut considérer comme le symbole de sa démesure) s’écroule à la fin de la chanson où il a exprimé son désir de devenir un humain, c’est-à-dire de transgresser la loi de la nature qui veut que chaque individu a une place précise dans la hiérarchie des êtres en fonction de l’espèce à laquelle il appartient. Il y a un ordre naturel, et ne pas s’y soumettre engendre le chaos.
Peut-être que ce rêve est trop gros pour moi finalement…
Cette scène est d’ailleurs parfaitement cohérente avec tout le reste du film, qui se conclut avec le retour du « petit d’homme » chez « les siens », dans le village humain. La dernière scène montre ce retour à l’ordre comme « naturel », puisqu’on voit Mowgli être irrésistiblement attiré par une jeune fille venue chercher de l’eau à la rivière. En présentant ainsi l’attirance hétérosexuelle avec un membre de son espèce comme relevant de l’instinct, le film naturalise non seulement l’hétérosexualité, mais en fait même le fondement « l’ordre naturel ». Comme le disait Bagheera à Baloo pour essayer de lui faire comprendre pourquoi « le petit humain doit retourner dans le village des humains » : « Tu n’épouserais pas une panthère, n’est-ce pas ? ». Si le « petit d’homme » doit retourner parmi les siens, c’est donc parce que son destin naturel est d’engendrer une descendance avec une femelle de son espèce. Vous avez dit hétérosexisme ?…
Qu’est-ce que vous voulez les amis, la nature est ainsi faite…[1]
Mettre ainsi en avant l’idée d’un ordre naturel où chacun a sa place permet ainsi au film de naturaliser la hiérarchie entre les espèces que le Roi Louie avait l’orgueil de vouloir transgresser. En effet, le fait que Mowgli veuille rester dans la jungle avec ses amis est reformulé dans les termes suivants : « Mowgli veut devenir un ours, et se prend même pour un ours ». Or le film explicite bien que cela revient pour le petit humain à aspirer à une vie inférieure à celle qu’il aurait en tant qu’humain. Dans la chanson où il fait l’apologie de son mode de vie, Baloo dépeint une existence qui ne recherche que l’assouvissement des « besoins primaires » : boire, manger, dormir.
En version française, ça donne :
« Il en faut peu pour être heureux / Vraiment très peu pour être heureux / Il faut se satisfaire du nécessaire / Un peu d´eau fraîche et de verdure / Que nous prodigue la nature / Quelques rayons de miel et de soleil. / Je dors d´ordinaire sous les frondaisons / Et toute la jungle est ma maison / Toutes les abeilles de la forêt / Butinent pour moi dans les bosquets / Et quand je retourne un gros caillou / Je sais trouver des fourmis dessous. / – Essaye c´est bon, c´est doux, oh! / (…) / Et tu verras qu´ tout est résolu / Lorsque l´on se passe / Des choses superflues / Alors tu ne t´en fais plus. / Il en faut vraiment peu, très peu, pour être heureux. »
On peut certes voir cette chanson comme illustrant une conception épicurienne du bonheur, mais si on la replace dans le propos général que tient le film sur la hiérarchie entre les espèces, je pense qu’elle sert surtout à présenter la vie animale comme une « vie répétitive », « engluée dans un éternel présent », et beaucoup plus « pauvre » que l’« existence humaine » (car « rivée aux besoins corporels », alors que « les humain-e-s s’élèvent au-dessus de cette condition grâce à leur esprit »). Baloo est content de pouvoir « se passer des choses superflues », comme il dit dans sa chanson, mais il ne se rend pas compte que ces choses sont précisément « tout ce qui fait la richesse et l’intérêt de l’existence humaine ». Le film conçoit ainsi les animaux comme des sortes d’imbéciles heureux, des êtres limités se contentant de peu (ils n’ont pas le choix de toute façon, car c’est la nature qui les a fait ainsi inférieurs). Des « bêtes » quoi.
Au final, le Roi Louie et Baloo sont tous les deux coupables de la même faute : ignorer la sacro-sainte hiérarchie naturelle entre les espèces. Le Roi Louie est un animal (inférieur) qui veut devenir un humain (supérieur), et Baloo encourage un humain (supérieur) à devenir un animal (inférieur). La voix de la sagesse dans l’histoire est celle de Bagheera, qui soutient du début à la fin que les humains doivent vivre avec les humains et les animaux avec les animaux. Et le film donnera finalement raison à son respect de la hiérarchie naturelle.
Devenir un Blanc comme vous
Comme je l’ai dit, il est aussi possible de voir le Roi Louie comme un Noir, ainsi que nous invitent à le faire un grand nombre de détails. Les producteurs du film pensaient au départ à Louis Armstrong pour doubler ce personnage, mais ce sont finalement rabattus sur Louis Prima parce qu’ils avaient peur d’être accusés de racisme s’ils donnaient à un singe la voix d’un Noir[2]. Malheureusement, ce point de détail ne change pas grand-chose à la scène, dont l’esprit reste raciste de part en part[3].
Alors que les autres habitants de la jungle un accent américain ou britannique, le Roi Louie et ses amis primates sont les seuls à parler un anglais vernaculaire afro-américain (AAVE[4]). Le film réactive ainsi l’imaginaire colonialiste qui compare les Noir-e-s à des primates, avec l’idée qu’ils seraient des sortes de créatures situées entre les singes et les humain-e-s dans la « chaîne de l’évolution »[5] (cf. les paroles de la chanson du Roi Louie, frustré de ne pas pouvoir évoluer « plus haut » que sa condition : « I’ve reached the top and had to stop, and that’s what botherin’ me »).
En plus de conférer une identité de race à ces personnages, cet accent a aussi une dimension de classe très marquée, puisqu’il renvoie dans la réalité principalement aux afro-américain-e-s des classes populaires[6]. Dans un esprit à la fois raciste et classiste, le film les dépeint comme une bande de voyous (ils kidnappent Mowgli pour lui voler le secret du feu) dont le langage est parfois à la limite de l’incompréhensible (avant l’arrivée de Mowgli, on voit Louie affalé sur son trône bredouiller un « Scobby doo hooby dees heebo does zub diddly ub doody moy. Wanna be a man man mon mon lorang worang utang utang »).
Disney versera d’ailleurs exactement dans les mêmes stéréotypes racistes et classistes trente ans plus tard dans Le Roi Lion. On y rencontre en effet une bande de hyènes vivant dans un ghetto insalubre et doublées par une afro-américaine et un italo-américain[7]. Parmi elles, on en trouve même une qui n’a pas accédé au langage articulé et se distingue par son imbécillité (Ed). Le Livre de la jungle nous montre lui-aussi les singes (les Afro-Américains des classes populaires) comme des individus intellectuellement limités (« scatter-brained apes », comme les appelle Bagheera). On voit par exemple Louie proposer deux bananes à Mowgli en montrant le chiffre trois avec ses doigts.
Mais c’est peut-être par l’intermédiaire de la musique que le film invite le plus au rapprochement raciste entre singes et Noirs. Comme je l’ai dit, le Roi Louie était au départ pensé pour être doublé par Louis Armstrong (mythique jazzman afro-américain), et on le voit effectivement chanter et jouer de la trompette en étant accompagné de ses musiciens, puis se lancer dans un duo de scat enflammé avec Baloo. Celui-ci est d’ailleurs attifé d’un déguisement exotique qui séduit immédiatement l’orang-outan. Le film parvient ici à être à la fois sexiste (puisqu’on est censé-e-s trouver ridicule le fait que Baloo porte une jupe) et raciste (puisque cet accoutrement mobilise à fond l’imaginaire colonial qui fantasme sur les femmes « sauvages » qui se trémoussent en petite tenue).
La scène où Baloo se fait ensorceler par la musique du Roi Louie puise elle aussi à fond dans l’imaginaire raciste qui réduit les Noirs à leur corps (et réserve en contrepartie aux Blancs le monopole de la raison). L’ours perd en effet la tête à partir du moment où le rythme endiablé du Roi s’empare de lui. Bagheera tente de le raisonner en lui disant qu’il va leur falloir utiliser leur cerveau et non leurs muscles pour sauver Mowgli (« this will take brains, not brawn »), mais rien n’y fait, Baloo est comme possédé par un sortilège qui l’attire irrésistiblement au cœur du danger. Cette scène ne nous explique donc pas uniquement que « les Noirs ont le rythme dans la peau », comme le dit l’adage raciste, mais aussi que leur musique est contagieuse car elle parle avant tout au corps, c’est-à-dire à notre part « sauvage » et « animale ».
Dans ce contexte, les paroles de la chanson du Roi Louie acquièrent un nouveau sens. « Je voudrais devenir un homme comme vous » signifient alors dans la bouche du singe afro-américain « Je voudrais devenir un Blanc comme vous », ou du moins « Je voudrais être l’égal des Blancs ». Or, comme je l’ai remarqué plus haut, ce désir de s’élever au-dessus de sa condition d’inférieur est présenté par le film comme un outrage à l’ordre de la nature qui engendre le chaos (l’effondrement du temple).
Les Noirs qui aspirent à une égalité avec les Blancs sont donc dépeints par le film comme des individus dangereux qui menacent l’équilibre social. Nous sommes alors en 1967, juste après les « luttes pour les droits civiques » (la Marche sur Washington où Martin Luther King prononce son célèbre discours « I have a dream » a lieu en 1963, le Civil Rights Act est voté en 1964, le Voting Rights Act en 1965[8]), à une époque où certains mouvements qui radicalisent la lutte pour l’égalité effraient le pouvoir blanc (le Black Panther Party est fondé en 1966). Mais tout cela n’est sûrement qu’une coïncidence, n’est-ce pas ?…
Louis l’alligator
Plus de 40 ans après le Livre de la jungle, Disney ressuscite un peu de l’esprit du Roi Louie avec le personnage de Louis l’alligator dans La Princesse et la grenouille. Comme son illustre prédécesseur, Louis a un accent afro-américain, adore le jazz et rêve par-dessus tout de devenir un humain. Et de la même manière, deux niveaux de lecture sont possible vis-à-vis de ce personnage, suivant si on le considère avant tout comme un animal ou comme un Noir. Comme on va le voir, malgré les différences de scénario entre les deux films, La Princesse et la grenouille s’avère au final tout aussi spéciste et raciste que Le Livre de la jungle.
Un animal pas comme les autres
Louis n’est pas un alligator comme les autres. Il a en effet appris la trompette en écoutant les groupes de jazz qui jouent sur les bateaux navigant le long du Mississipi, et rêve de devenir un humain pour pouvoir jouer avec ses idoles. Comme Louie l’orang-outang, Louis l’alligator chante son désir de devenir un humain :
Si j’étais humain, je filerai / à la Nouvelle-Orléans / et je deviendrai le King du Swing, / le meilleur de tous les temps. / Il y avait Louis Armstrong, / Mister Sydney Bechet / Terminé! Ils sont dépassés, /l’ex-alligator va se lâcher. / Écoute! / Quand je serai humain pour la vie / J’entendrai les trompettes de la renommée / Et j’aurai le monde entier à mes pieds[9].
Devenir humain est présenté ici comme une ascension pour l’alligator, puisqu’il ne s’agit pas seulement de jouer avec des copains, mais également de devenir une star du jazz devant et d’avoir « le monde entier à ses pieds ». Ce désir d’ascension sociale fait ainsi écho à celui de Tiana, l’héroïne prolétaire du film qui rêve de monter son propre restaurant. Le fait que Louis veuille faire partie de la « classe supérieure » est signifié visuellement dans le film par une opposition entre « en haut » et « en bas » : tout l’enjeu pour Louis est de réussir à monter sur un bateau, et à s’élever ainsi de sa basse condition.
Coucou les ami-e-s, je peux faire partie de la haute moi aussi ?
Non ? Bon alors je retourne à mes bas-fonds…
Comme dans Le Livre de la jungle, les espèces sont donc ici aussi hiérarchisées, avec au sommet l’espèce humaine. De la même manière, devenir une grenouille est vécu comme une malédiction pour Naveen et Tiana, qui chercheront pendant tout le film à redevenir humain-e-s. La fin est d’ailleurs totalement hypocrite sur ce point, puisqu’on nous fait d’abord croire que les deux humains vont finalement accepter de rester des grenouilles jusqu’à la fin de leurs jours (sous-entendu : c’est pas si terrible que ce qu’on pensait d’être des amphibiens), mais les retransforme in extremis en humain-e-s (ouf, c’est quand même mieux comme ça !).
Aaaah, on est quand même moins moches en humains ! Parce que c’était bien sympa d’être des grenouilles, mais on est des êtres supérieurs nous, pas des petites bestioles baveuses.
Contrairement au Roi Louie, l’alligator réalisera son rêve à la fin du film en étant accepté par les humains comme un des leurs. On pourrait donc penser que, malgré sa hiérarchisation entre les espèces, La Princesse et la grenouille est un peu moins spéciste que Le livre de la jungle, puisqu’il accepte qu’un animal (inférieur) soit un égal des humains (supérieurs). Mais il importe d’être attentif aux discours qui entourent ces deux personnages.
Le Roi Louie était présenté comme une sorte d’imposteur : un animal qui veut être l’égal des humains alors qu’il leur est inférieur par nature. Il veut en effet voler le secret du feu à Mowgli parce qu’il est incapable de le découvrir tout seul, sûrement du fait de son intelligence limitée (« prends deux bananes »). Au contraire, Louis l’alligator n’est pas un imposteur, mais un brillant trompettiste de jazz. Il n’est donc pas un animal parmi d’autres qui tente d’échapper à sa condition, mais un animal exceptionnel qui se distingue de la masse des autres alligators parce qu’il possède un talent qui le rend supérieur (au sens où il le rapproche de cette espèce supérieure que sont les humains, puisqu’il s’agit bien là d’un talent spécifiquement humain).
On comprend ainsi mieux pourquoi les trajectoires des deux personnages différent. Le Roi Louie voulait échapper à sa nature, il est puni. Louis l’alligator veut accomplir sa véritable nature, il est récompensé. Cette idée d’une nature profonde que les individus auraient à réaliser est d’ailleurs explicitée dans la scène chez Mama Odie. Celle-ci explique en effet à tous les personnages qu’ils doivent « chercher au fond d’eux-mêmes qui ils sont vraiment » pour savoir ce dont ils sont besoin (« You got to dig a little deeper, find out who you are »), et que cela ne dépend pas de l’endroit d’où ils viennent ou de ce qu’ils sont (« Don’t matter where you come from, don’t ever matter what you are »). Mama Odie résume ici ce mythe libéral selon laquelle le milieu de naissance ne constitue pas un obstacle à l’ascension sociale, et que le film relaie en montrant Tiana la prolétaire devenir patronne de son propre restaurant à force de travail et de persévérance. Il est intéressant de voir que cette apologie du « self made man » (l’individu qui s’est fait tout seul grâce à sa seule volonté) s’accommode ici très bien d’une idéologie essentialiste selon laquelle les individus auraient une nature profonde qu’il leur faudrait réaliser. Tiana est née chez les prolétaires, mais elle appartient par nature à la classe supérieure. Et de même, Louis l’alligator est né animal, mais sa nature profonde fait de lui l’égal des humains.
En ce sens, La princesse et la grenouille est donc tout aussi spéciste que Le livre de la jungle, puisque ce ne sont pas les animaux qui sont posés comme les égaux des humains, mais seulement UN animal exceptionnel, qui se distingue précisément de tous les autres animaux par qu’il est « plus humain qu’eux ». La hiérarchie entre espèces supérieures et inférieures reste donc bien en place, plus légitime que jamais.
Réaliser son essence de Noir
Le fait que le personnage de Louis l’alligator ait un accent afro-américain semble moins problématique ici que dans le cas du Roi Louie, car la majorité des personnages de La Princesse et la grenouille sont noirs. Malheureusement, cela ne suffit pas à éviter le racisme, loin de là.
On peut tout d’abord remarquer que les accents des personnages principaux diffèrent de manière assez significative. Par rapport aux autres personnages noirs du film, Tiana et Naveen ont peut-être les accents les moins « prononcés » (au sens de « le plus proche de la norme selon Disney : l’américain blanc »). Le Dr Facilier a quant à lui un accent britannique, qu’il partage avec un grand nombre de méchants hollywoodiens (comme Shere Khan dans Le livre de la jungle d’ailleurs). De son côté, Louis a un accent afro-américain très prononcé, du « fin fond de la Louisiane » (comme Ray la luciole, cet autre habitant du bayou qui se dévouera lui aussi aux deux héros). En ce sens, il me semble que l’on peut affirmer que Louis l’alligator est l’un des personnages du film qui est le plus explicitement désigné comme noir.
On a donc affaire avec ce personnage à un Noir qui a le jazz dans le sang et qui rêve de devenir un grand musicien comme Louis Armstrong ou Sidney Bechet, comme il le dit dans sa chanson. Il n’y a ici rien de problématique en soi. Le seul problème, c’est que, comme on l’a vu, le film décrit cette aspiration comme une « nature profonde » que le personnage aurait à réaliser. On se retrouve ainsi avec un discours raciste essentialiste selon lequel les Noirs possèdent par nature certains désirs ou prédispositions.
Cela ne se résume pas ici à avoir le jazz dans le sang (qui est une version du fameux « les Noirs ont le rythme dans la peau »), mais s’ajoute également à cette « nature de Noir » le fait d’aspirer à une vie d’oisiveté et d’insouciance. Comme le Prince Naveen, Louis rêve de passer sa vie à s’amuser avec ses potes en tapant le bœuf jusqu’à pas d’heure. Le film les oppose ainsi à Tiana la fille un peu ennuyeuse et rabat-joie « qui n’a jamais appris à s’amuser », et qui se fait petit à petit décoincer par son prince charmant, ce grand déconneur devant l’éternel.
Allez, décoince toi un peu poupée, apprends à t’amuser !
A la fin, tout le monde est heureux : Louis et Naveen s’amusent comme des petits fous pendant que la femme fait tourner le restaurant, une distribution des rôles sexués qui permet à chacun-e de réaliser son essence…
Qu’ils soient alligators ou humains, petits ou grands, pauvres ou riches, les Noirs ont le rythme dans la peau et rêvent de se la couler douce sur un air de jazz
Ce n’est pas la première fois que Disney mobilise ce stéréotype du Noir fainéant qui rêve de flâner toute la journée en jouant de la musique avec ses copains. En effet, c’était déjà le cas de Sébastien, le crabe esclave à « l’accent africain » qui tentait de dissuader Ariel de quitter les îles où « on fait carnaval tous les jours » pour la métropole où on « bosse toute la journée » (voir ici pour l’analyse de ce personnage de La Petite sirène). Contrairement à Louis l’insatisfait qui doit réaliser sa nature de Noir, Sébastien était déjà à sa place au fond de l’océan et heureux de sa condition[10]. La différence entre un Noir heureux et un Noir malheureux, c’est que l’un a réalisé son essence de Noir et l’autre non. Ce qui est bien avec ces gens-là, c’est qu’ils ont une psychologie facile à comprendre.
Conclusion : chacun-e à sa place et les hyènes seront bien gardées
Au final, que les individus se fasse punir parce qu’ils ont voulu être plus que ce qu’ils sont par nature (comme le Roi Louie) ou qu’ils soient récompensé parce qu’ils ont réussi à se hisser jusqu’à leur essence (comme Louis l’alligator), le discours est le même : la nature nous a attribué une place en ce bas monde, il suffit de comprendre laquelle et de ne surtout pas en bouger.
C’était aussi tout le propos du Roi Lion, qui légitimait son ordre politique hiérarchique à coup de grandes théories essentialistes sur « le cycle de la vie » et « l’équilibre de la nature ». Simba est un roi par nature, il doit donc reprendre sa place (que Scar l’inverti lui a usurpée), et sa place c’est en haut, à commander le peuple qui doit quant à lui rester bien en bas. De même, les hyènes sont de la vermine par nature, et elles doivent donc rester dans leur ghetto insalubre loin du centre-ville, parce que là est leur place (voir ici pour une analyse plus détaillée de ce film).
De la même manière, Merida menaçait de faire sombrer son royaume dans la barbarie lorsqu’elle refusait d’être une femme soumise dans Rebelle (voir ici).
Mais le Disney le plus puant à ce niveau est peut-être le récent Les Mondes de Ralph, où ceux qui ont osé aspirer à une vie meilleure que celle à laquelle ils étaient destinés comprennent finalement qu’il leur faut se résigner car leurs désirs transgressifs engendrent le chaos. Ralph vit tout seul dans une décharge pendant que les gentil-le-s de son jeu se la coulent douce dans leur immeuble luxueux. Mais Ralph doit arrêter de se plaindre et être content de sa condition. Parallèlement, Vanellope est exclue de son jeu de course, mais comme elle est en fait une supérieure par nature (qui a été bannie par un méchant imposteur), elle finira quant à elle en haut de la pyramide sociale (pour une analyse de cette dimension du film, voir le commentaire de Lau ici).
Quel beau monde tout de même, que celui de Disney. Chacun y a sa place : les êtres supérieurs par nature en haut, et les êtres inférieurs par nature en bas. Si ça c’est pas des beaux idéaux qu’on a envie de transmettre aux enfants, alors qu’est-ce que c’est…
Paul Rigouste
[1] Cf. aussi http://www.lecinemaestpolitique.fr/nouveaux-peres-ii-de-lage-de-glace-a-kung-fu-panda-redefinir-les-liens-familiaux/
[2] http://en.wikipedia.org/wiki/King_Louie
[3] http://theaporetic.com/?p=3186
[4] http://adamholwerda.com/cartoonviolence/2006/12/racism-in-disney-films.html
[5] Cf. par exemple : http://www.deshumanisation.com/phenomene/negre-primate
[6] http://en.wikipedia.org/wiki/African_American_Vernacular_English
[7] http://www.lecinemaestpolitique.fr/le-roi-lion-ou-lhistoire-de-la-vie-expliquee-aux-enfants/
[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_des_droits_civiques_aux_%C3%89tats-Unis
[9] If I were a human being / I’d head straight for New Orleans / And I’d blow this horn so hot and strong / Like no one they’d ever seen. / Louis Armstrong, Mister Sidney Bechet / All the boys gonna step aside / When they hear this old ex-gator play / Listen! / When I’m human / As I hope to be / I’m gonna blow this horn till the cows come home / And everyone’s gonna bow down to me.
[10] Contrairement à Ariel qui aspire à l’ascension sociale (pour une interprétation du conte d’Andersen qui va dans ce sens, voir par exemple le livre de Jack Zipes intitulé Les contes de fées et l’art de la subversion, et plus particulièrement le chapitre « Hans Christian Andersen et le discours du dominé »).
Autres articles en lien :
- Frère des ours (2003) : qui est le monstre ?
- Méchants et méchantes chez Disney (2) : Hommes faibles
- Predator Tears, Les larmes des prédateurs : Zootopie, une allégorie nauséabonde
Merci pour cet article très complet ! Il met des mots sur des malaises que je n’arrivais pas bien à cerner, les idées derrière sont bien puantes :/
Le déguisement de Baloo me rappelle cette scène du Roi Lion que j’avais oubliée, où Timon fait « diversion » : http://www.youtube.com/watch?v=iSOJVj70TWQ Ici aussi le subalterne porte le déguisement ridicule car vaguement ethnique (c’est-à-dire qui peut se faire avec des feuilles qui traînent, on se fiche de la culture qui peut y être associée) et féminin (ce que je trouve d’autant plus malsain pour le Roi Lion parce que le but du costume est de faire l’appât > être habillé.e en fille, c’est être une proie).
Merci beaucoup, je n’avais pas pensé à faire le lien avec cette scène du Roi Lion. Et bien vu aussi pour l’équivalence entre femme et proie, je n’y avais pensé à propos de cette scène (qui me faisait d’ailleurs hurler de rire quand j’étais petit…). C’est d’autant plus net que Pumba appâte quant à lui les hyènes en « faisant la viande ». Glauquissime…
Ça me fait penser d’ailleurs à un truc que j’avais lu sur internet mais que je n’ai pas mis dans l’article, sur le fait que Baloo se déguise en femme. Comme dans le Roi Lion, il s’agit d’appâter, mais plus au sens sexuel. Et d’ailleurs on voit le Roi Louie être attiré par Baloo en femelle et lui faire un peu la cour. Le texte que j’avais lu (et avec lequel je suis d’accord) trouvait ça raciste car ça renvoyait au stéréotype raciste du Noir mu par ses pulsions sexuelles (et par là encore une fois ramené à son corps, et construit comme une menace pour les blanc-he-s (« ils vont violer nos femmes »)).
Et le parallèle avec cette scène du Roi Lion me permet aussi de mieux me formuler un truc que je voyais bien pour le sexisme, mais pas aussi clairement pour le racisme dans la scène du Livre de la Jungle. A savoir : le déguisement de Baloo est risible parce que c’est un déguisement de femme et que Baloo est un homme (sexisme), mais il est aussi risible parce que c’est un déguisement de « Noir-e » (ou en tout cas de non-Blanc-he-s) alors que Baloo est un Blanc (il n’a pas d’accent afro-américain comme les singes dans le film) (racisme). Du coup, c’est le même mécanisme humoristique : le dominant est risible quand il prend les habits du ou de la dominé-e. Humour qui repose sur la hiérarchie entre dominant-e-s et dominé-e-s (l’apparence et les comportements des dominé-e-s sont ridicules, méprisables, inférieurs, etc.).
Niveau racisme, ça me fait penser à Michel Leeb et ses sketches où il parlait avec « l’accent africain » (https://www.youtube.com/watch?v=8DT8SK34fRA). Et niveau sexisme, ça me fait penser à Guillaume et les garçons à table, dont l’humour repose à mon avis en grande partie sur le fait qu’on a un homme qui se comporte « comme une femme » (dans un esprit très « cage aux folles »…).
Le déguisement de Baloo (babanes autour de la taille) fait référence assez clairement à l’un des costumes de scène de Joséphine Baker, devenu ensuite un archétype publicitaire et cinématograpĥique du noir sauvage. L’interprétation de la sauvagerie par les noirs au cinéma et sur la scène jazz ou comment le racisme blanc réalise son fantasme et les dominés parodient l’archétype dont on les couvre, est d’ailleurs en soi un vaste sujet.
Bonjour!
Bien que je n’adhère pas, je peux discuter de votre position concernant le « racisme » présent dans ces deux films.
En revanche, en ce qui concerne le spécisme… Excusez-moi mais en quoi est-ce odieux de penser l’homme supérieur à l’animal? A quoi vous attendiez-vous dans ces films? Quels changements auraient pu vous convenir?
Honnêtement, je ne comprends pas le caractère dérangeant de ce que vous prétendez dénoncer.
Le problème avec l’idée que l’homme est supérieur à l’animal, c’est que c’est faux. Les humains ne se trouvent pas en haut d’une hiérarchie déterminant la valeur des autres espèces animales, parce qu’il n’y a pas de hiérarchie, juste des animaux (les humains en font partie) avec leurs propres intérêts à valeur égale.
Partir de cette idée permet cependant de faire prévaloir les intérêts humains sur les intérêts animaux, et de considérer que les animaux sont à la libre disposition des humains. Elle rend donc normal le fait de torturer, mutiler, confiner, exploiter ou tuer des animaux : ce n’est pas anormal de broyer vif un animal si l’humain estime qu’il ne lui sert à rien, ce n’est pas anormal de tuer le petit d’un animal puis de lui prendre son lait jusqu’à épuisement si l’humain estime que l’intérêt de cet animal réside dans le lait, ce n’est pas anormal de tuer un animal si l’humain estime que l’intérêt de cet animal réside dans le divertissement que sa mort lui procure, etc etc.
Le terme de supérieur peut paraître brutal je veux bien le concevoir. La cruauté envers les animaux est un crime, je l’approuve.
Cependant, je suis navrée, mais je ne rencontre pas les animaux en allant voter. Je les déguste dans mon assiette, je les élève comme animaux de compagnie, je les admire au zoo ou je les laisse vivre en pleine nature. Nous n’avons pas les mêmes droits que les animaux, alors je ne comprends pas ce qui vous dérange dans ces films.
Coucou Mel,
Alors je pense que l’idée c’est que cet état de fait que vous décrivez très bien (à part le coup du vote, sur lequel je reviendrais), n’a pas lieu d’être, et vient du fait que les êtres humains (enfin du moins certain-e-s) cré-e-s cette hierarchie de toute pièce, parce que cela convient à leur intérêts, ou plutôt leurs goûts, parce qu’avec le mot intérêts il peut y avoir une connotation de besoin, alors que ce n’est clairement pas le cas ici.
Dans notre société, nous n’avons aucun besoin de nous nourrir de, d’utiliser, d’emprisonner ou de domestiquer pour notre plaisir les animaux. Ce n’est pas (ou plus) un besoin, c’est donc juste une envie.
Et cette envie nie ou minimise les intérêts qu’on les autres animaux de cette planète à vivre leur vie, à créer les relations qu’illes ont envie de créer, de découvrir les choses qui les intéresse etc. C’est, tout comme le racisme ou le sexisme, qui nient ou minimise la sensibilité et les intérêts des personnes non-blanches et des femmes, un système de domination et d’oppression, à la différence prêt qu’ici nous avons affaire à des millions et des millions d’assassinats par jour, organisés, systématiques. Nous avons affaire à de la torture massive et systématique au nom de « la science », a des euthanasies par milliers parce la « domesticité » veut dire qu’on peut abandonner les animaux à tout moment, et j’en passe et des pas mûres. Il y a une très grosse littérature sur cette souffrance et cette oppression systématique infligée par les humains sur les non-humains. Si vous voulez des images, je vous conseille « Earthlings », un documentaire qui est sorti en 2006, qui est une très bonne entrée en matière.
En ce qui concerne l’idée que les animaux n’ont pas les mêmes droits que les êtres humains, c’est bien sûr évident. Le droit est un concept humain, crée par les humain-e-s au sein d’une société hautement socialisée. Les animaux ont des capacités différentes que les humain-e-s, et il serait absurdes de leur « accorder des droits » comme nous « accordons des droits » aux êtres humain-e-s. L’idée même de leur « accorder des droits » sous-entend que les êtres humain-e-s exercent une domination justifiée sur elleux, ce qui est exactement ce qui est contestée ici.
Les animaux n’ont pas le droit de voter parce qu’illes ne sont tout bonnement pas capables de voter, et s’en foutent d’ailleurs royalement, vu que leurs sociétés (qui sont bien entendues tellement multiples et variées que la simple dichotomie « humain-e-s/non-humain-e-s » est assez contestables) sont organisées différemment des notre, voir pas organisées du tout.
Du coup ce qui dérange dans ces films c’est que cette hierarchie, qui est une construction humaine qui sert à justifier la négation de la sensibilité et des intérêts des non-humain-e-s, est glorifiée et naturalisée, et donc à aucun moment ces films ne cherchent à remettre en question l’idée que les humain-e-s peuvent se servir des animaux selon leur bon vouloir.
Vous avez très bien décrit un état de fait. Ce que l’on cherche à vous dire ici, à mon avis, c’est que cet état de fait n’est pas justifiable et pose des gros problèmes éthiques. Vous pouvez choisir d’ignorer ces problèmes éthiques (ce que j’ai moi-même fait pendant de très longues années), ou vous pouvez choisir de au moins vous posez la question et de vous renseigner sur les conséquences (dramatiques) de cette domination.
Mais simplement lorsque vous dites que « je les déguste dans mon assiette », sachez que l’animal que vous mangez à très certainement été élevé dans des conditions atroces tout au long se vie, subit des souffrances physiques et psychiques quotidiennement, torturé et infliger les pires souffrances physiques juste avant sa mise à mort, mise à mort qui n’a aucune utilité autre que le goût humain vu qu’il a été prouvé encore et encore que les êtres humain-e-s n’ont pas besoin de viande pour vivre.
Notre idée, c’est que ça c’est inacceptable, que ça n’a pas lieu d’être, et qu’il s’agit donc de le contester, et de contester les oeuvres culturelles qui participent à la justification de cet état de fait.
Voilà, je sais pas si j’ai été clair, je me suis un peu perdu par moment. Perso il n’y a pas si longtemps que ça je ne m’interessait pas du tout à ces questions-là, j’étais un énorme consommateur de chaire morte animale, si on me questionnait là-dessus je sortais des sottises comme « bah l’être humain est un chasseur », et des variations sur ce thème.
Et puis très petit à petit je suis venu (en écoutant d’autres gens surtout, mais aussi en lisant des trucs et en regardant des documentaires) à me poser sérieusement la question, à me remettre en question. Durant cette période j’ai désespérément chercher à trouver des arguments qui pourraient justifier ma consommation de viande et de produits issus de l’exploitation animale, mais plus ça avançait et plus je voyais que tous ces arguments reposaient sur le fait de mettre mes intérêts (et mes goûts culinaires) devant leurs sensibilités, leurs intérêts, leurs vies.
Bon après ça c’est moi, tout le monde à des démarches et des manières de réfléchir différents, et je suis loin d’être exempt de critiques aujourd’hui sur ces questions-là, donc encore une fois mon but ici n’est pas de prendre de haut ou d’expliquer la vie ni rien, juste de partager mon ressenti face au truc, et du coup d’essayer de clarifier ce qui peut déranger dans ces films.
PS. Ah oui et sur les zoos, vu que vous en avez parlé, je vous recommande le documentaire « Zoo, l’enfer du décor » disponible ici http://rutube.ru/video/04a00b0fe3933fe5fb88081be7229f74/
Coucou!
Merci pour avoir pris le temps de me répondre aussi longuement! Les problèmes que vous avez soulevé concernant les traitements infligés aux animaux méritent d’être examinés naturellement cependant, je considère l’animal comme un être vivant qui, s’il n’est pas « maîtrisé », j’insiste sur les guillemets faute d’un meilleur terme, peut être dangereux pour l’homme. Affirmer que l’homme n’a pas à empiéter sur la vie animale revient à dire que l’idéal serait de renoncer à la civilisation urbaine au profit d’une cohabitation naturelle avec l’animal. En ce qui me concerne, le « specisme » ne peut être assimilé au racisme. Je reconnais que mon opinion pourrait être fondée sur de l’égoïsme pur mais sincèrement, je n’ai aucun problème avec ce mode de vie.
Coucou Mel,
Alors pour moi la question n’est pas de savoir SI on va avoir des interactions avec les animaux (il serait à mon avis naïf de penser qu’on pourrait les éviter totalement), mais plutôt de se poser la question de COMMENT, et selon quelles valeurs, nous voulons penser ces interactions.
Et là donc il a un choix. Soit l’on accorde la même valeur aux vies animales que l’on accorde aux vies humaines, et l’on essaye de réfléchir comment prendre en compte les interactions selon cette valeur-là. Soit l’on estime que leurs vies n’ont pas la même valeur, et l’on trouve des raisons plus fausses ou arbitraires les unes que les autres pour justifier cela (« moins évolués », « n’ont pas le langage », « ne pensent pas » etc.), et on en arrive à la situation actuelle, où au nom de la « maitrise » des animaux on les torture, les assassine en masse, les traite pire qu’on traiterait des esclaves.
Je caricature, bien entendu, car ça reste plus complexe que ça, avec d’autres facteurs qui rentrent en jeu. Je le fais pour mettre en évidence le fait que nos interactions avec les animaux sont régies par des valeurs, et qu’il est à mon avis intéressant de réfléchir à ces valeurs.
Qui plus est, je ne vois pas en quoi les animaux que l’on élève intensivement aujourd’hui représentent un « danger » pour les êtres humains. Surtout que l’unique raison pour laquelle ils sont aussi nombreux, c’est du fait de l’élevage intensif que leur font subir les êtres humains, en forçant les femelles à avoir des bébés selon un rythme et une méthode qui sont tout sauf naturels (et qui contribue à réduire drastiquement leur espérance de vie).
Du coup je trouve que cet argument, qui consiste à évoquer le « danger » que représenteraient les animaux pour les humains pour justifier notre utilisation de ceux-ci, est plus un écran de fumée qu’autre chose. Cet argument invoque à mon avis une réalité complètement fantasmée où les êtres humains seraient entourés par des animaux dangereux et hostile et qu’on serait donc justifié dans notre oppression de ceux-ci. Si cette réalité existait peut-être il y a 10,000 ans, elle n’existe plus du tout aujourd’hui, donc je ne vois pas en quoi cet argument est recevable.
En ce qui concerne le racisme, je tiens à vous signaler que les discours racistes (dans nos sociétés, en tout cas) ont très largement tendance à « animaliser » les personnes non-blanches et en se faisant les inférioriser. Les animaux sont donc perçus comme la forme la plus inférieure de la vie. C’est également vrai pour les discours sexistes, d’ailleurs.
Ce que je veux dire, c’est qu’à mon avis le racisme et le sexisme sont (en partie) fondés sur une conception très spéciste des animaux, qui leur refuse toute individualité, tout intérêt propre. Je ne dis pas que le spécisme et le racisme sont identiques, je dis que les mécaniques qui les régissent sont similaires, comme elles le sont d’ailleurs pour tous les systèmes d’oppressions que je connais.
Après, je dis tout ça, mais je me rends bien compte que si vous n’avez aucun problème avec un mode de vie qui repose sur le fait de mettre vos intérêts devants les intérêts des autres, il se peut que nous n’ayons en fait rien à se raconter :-). Je dis ça en toute sincérité, je ne cherche pas à vous insulter ou quoi que ce soit, je dis juste que si vous êtes sincère dans ce que vous dites avec cette dernière phrase, nous avons une manière complètement différente, même opposée de voir les choses 🙂
Étrangement j’arrive plutôt à la conclusion inverse. Je ne sais pas, c’est peut-être une vision simpliste, mais j’ai toujours vécu en pleine ville, je n’ai jamais vu un cochon vivant en vrai, ni un lion ailleurs que dans un cirque, ni un rhinocéros hors captivité… Pour autant que je puisse en juger, le contact avec les humains fait rarement du bien aux animaux, alors je ne pense pas qu’il faille chercher la cohabitation plus que ça et au contraire cesser de forcer la présence d’animaux dans des concentrations urbaines.
« je n’ai aucun problème avec ce mode de vie. »
C’est drôle, c’est souvent ce que disent les dominants lorsqu’ils sont dans une situation dominant/dominé.
« je n’ai aucun problème avec ce mode de vie. »
Pour toi non, mais pour l’environnement oui.
L’élevage industriel étant l’une des premières cause du réchauffement climatique.
« je n’ai aucun problème avec ce mode de vie. »
patiente encore un peu et les problèmes de santé arriveront.
Désolé, je n’ai pas la patience exemplaire de Liam.
L’animal peut être dangereux pour l’homme, et pour l’animal aussi bien. On pourrait en dire davantage de l’homme pour l’animal. Ou de l’homme pour lui-même. La distinction entre les deux provient, en réalité, avant tout d’une vison anthropocentrique. Mais l’animal le plus dangereux pour lui-même, ainsi que pour toutes les autres espèces est bien l’homme. Aucun animal n’a d’ailleurs jamais mis en péril l’espèce humaine.
On peut, bien sûr, postuler la supériorité de l’homme, encore faut-il savoir ce qu’on y place derrière. S’il s’agit de son pouvoir de destruction et de nuisance, certainement mérite-t-il la palme haut la main. Car aucun autre animal n’a jamais provoqué, de près ou de loin, un nombre comparable d’extinctions d’espèces que lui.
S’il s’agit de son organisation sociale, en prenant pour modèle les démocraties d’un petit nombre de pays riches, encore faut-il avoir à l’esprit qu’elles reposent pour beaucoup sur la sur-exploitation de pays défavorisés et, plus largement des ressources la planète.
S’il s’agit du droit de vote, sans doute cela réfère-t-il à la privation du citoyen d’un réel pouvoir de décision…
C’est assez fou, je n’ai jamais prêté une quelconque couleur de peau aux personnages non-humains dans les Disney. Depuis toute petite, pour moi Sébastien était un crabe, le roi Louie un singe ect. Il y a peu de temps on m’a fait la réflexion raciste « Ça se voit que Timon & Pumba sont noirs, sinon il bougeraient pas comme ça! » J’ai été profondément choqué (BIG U¨P JF Copé si tu m’entends):
1) Par la teneur raciste du propos
2) Par le fait qu’on puisse par ce biais (ou un autre) identifier une « race » derrière un animal (certes anthropomorphisé mais quand même!)
Maintenant, je comprends un peu mieux pourquoi et comment les gens arrivent à ce genre d’identification : à coup de clichés racistes, tout simplement. L’accent, l’attitude corporelle, à travers certains activités essentialisées… Je me dis que enfant, du coup, j’ai dut échapper à la plupart de ces clichés, et que je ne les ai pas spécialement intégrés (il m’arrive d’en découvrir encore…) En revanche, il est clair que la plupart des enfants élevés dans un système raciste ne pourront qu’avaler et intégrer ce genre de stéréotypes nauséabonds. Et les perpétuer…
A vrai dire cet aspect est beaucoup plus visible, ou plutôt audible, en version originale qu’en français. Les studios Disney choisissent avec soin les doubleurs en fonction de leur accent et de ce qu’ils veulent leur faire jouer. En France, les studios de doublage font très peu de cas de cet aspect et préfèrent ne choisir presque exclusivement que des doubleurs ayant un accent neutre, à quelques exceptions près (ex : le chat potté et une foultitude de vilains à l’accent slave ou germanique).
Je suis toujours assez dubitatif quant à cette pratique. D’un côté, ce refus d’employer des doubleurs ayant des accents régionaux ou « ghetto » me semble quelque peu raciste car relevant du point de vue assez répandu en France que les accents sont ridicules, de l’autre les accents peuvent être utilisés pour renforcer les stéréotypes, comme le fait justement très bien disney en donnant des voix de noirs à tous ses personnages baba-cools et des voix d’hispaniques à ces racailles de hyènes dans le Roi Lion.
J’y pense, je ne connais pas suffisamment de Disney pour savoir si c’est révélateur, mais quelqu’un disait qu’en plus de représenter comme animaux des personnages non-blancs, il y avait une certaine tendance à faire subir aux héros non-blancs une transformation animale pendant la plus grande partie du film. C’est le cas dans Kuzco, Frère des Ours, et donc aussi La princesse et la grenouille alors que je ne vois pas d’exemple de film avec des héros blancs.
Je ne connait pas bien les disney mais je pense que la bête dans la belle et la bête subit une transformation animal etje croi que dans rebelle, la mère est transformé en ours.
Ok mais dans l’autre sens ? Quelle proportion des héros non-blancs subit une transformation animale ?
J’en sais rien NÎme je citais juste deux exemples que je connaît de perso Disney blancs qui subissent une transformation animal. Je ne connaît pas assez Disney pour te donner raison ou tord.
Oui effectivement, je n’avais jamais pensé à ça, mais j’ai l’impression aussi que c’est très vrai, il y a proportionnellement beaucoup plus de personnages non-blancs qui subissent une métamorphose en animal que de personnages blancs.
Et quand on ajoute à cela toutes les non-blanches animalisées (type Pocahontas ou Kidda de Atlantide l’empire perdu), il ne reste plus beaucoup de personnages non blancs qui ne soit pas associé à l’animalité d’une manière ou d’une autre … Il y a peut-être Mulan (qui se distingue du méchant animalisé Shan-Yu) et Lilo et sa sœur (qui se distinguent elles-aussi de l’animalité incarnée par Stitch, qui doit être dressé pour pouvoir intégrer la famille humaine).
Le truc regrettable dans tous les cas, c’est que c’est toujours spéciste (vu que l’animalité est présupposée inférieure à l’humanité), sauf dans le cas de Frère des Ours, où il s’agit justement de déconstruire ce présupposé spéciste.
Après je pense qu’il faut regarder au cas par cas comment fonctionne cette référence à l’animalité dans chacun des films pour bien comprendre le propos politique. J’ai l’impression par exemple que dans La Belle et la Bête, il est plus question d’aphrodisme que de spécisme, et du coup ça se comprend peut-être mieux que ce soit un blanc qui soit transformé en animal, vu que si la race n’est pas le sujet du film d’une manière ou d’une autre, alors Disney prend ce qui est pour lui « l’universel » (l’homme blanc cis hétéro)…
D’autant plus que dans la Belle et la Bête, la « Bête » n’est pas un animal à proprement parler. Il possède des attributs animaux, mais ne correspond à aucune espèce existante contrairement à tous les exemples cités précédemment, porte des vêtements, vit dans un bâtiment créé de main humaine, se tient en station verticale et communique sans problème. Je n’ai pas vu le film depuis longtemps, mais il me semble qu’il est plus souvent désigné comme un monstre que comme un animal.
D’autre part il est à noter que si pour les blancs, la transformation est toujours vécue comme une malédiction, les non-blanc en viennent assez souvent à apprécier leur nouvelle forme. Même dans la princesse et la grenouille où le retour à la forme humaine est tout l’enjeu du film, les deux héros finissent par se résigner et se dire qu’être une grenouille c’est pas si mal (avant d’être malgré tout retransformé). Dans Rebelle, lorsque la mère de Merida commence à se faire à sa vie d’ours, c’est le moment que la malédiction choisit pour révéler ses pires aspects puisqu’elle se met à adopter les instincts de l’ours et s’attaque à sa propre fille.
Je ne parlerais pas de Frère des ours que je n’ai pas vu, mais il me semble que là aussi le non-blanc finit par trouver assez sympathique sa vie d’animal. Au contraire de Merlin l’Enchanteur où Merlin et Moustique s’amusent à prendre diverses formes animales et se retrouvent systématiquement poursuivis par des prédateurs, ce qui transforme le jeu en cauchemar.
La seule exception serait Kuzco, qui à aucun moment n’accepte sa transformation en lama, mais je ne sais pas si on peut le prendre en compte étant donné que l’Empire Inca sert juste de décor exotique à des personnages qui pourraient tout aussi bien venir de Los Angeles étant donné leurs comportements et références culturelles.
Je tiens juste à préciser que dans le cas de La Belle et la Bête, c’est un scénario repris du roman de Mme de Villeneuve, XVIIIe siècle. La Bête symbolisant le mâle et la rose la virginité féminine, proposait un discours visant, oui, à première vue un discours sur le jugement par l’apparence, et plus sous-jacent, le motif de l’époux monstrueux : le dominant mâle ayant toute emprise sur la femme (et droit de regard sur leur virginité, cf la rose que cueille le père, celle que conserve jalousement la bête). Le fait qu’il soit appelé « monstre » (du latin monstrare, « montrer ») dénonce donc le sexisme. Ceci seulement pour éclairer votre réflexion sur un éventuel spécisme ou racisme dans La Belle et la Bête de Disney, non… ou c’est à revoir ils ont peut être inclus des personnages absents dans le conte originel !
On dit parfois que le morceau de Louis Prima dans la séquence du roi Louie dans le Livre de la Jungle, serait calqué, au moins pour sa rythmnique, sur une composition de Roy Eldridge au nom éloquent : « King David. » Prima était d’ailleurs aussi surnommé « le roi des swingers » et Duke, Count sont des titres nobiliaires en même temps que les prénoms de scène de chefs d’orchestre aussi noirs que géniaux, Ellington et Basie. L’interprétation raciste de ces titres parodiques était que les noirs voulaient accéder à une respectabilité dont ils étaient incapables. Evidemment, le filtre évangélique du christ appelé roi des juifs par dérision par les romains avait de quoi faire réfléchir dans le nom de Luther King. Son assassinat devait démontrer que les américains étaient bien devenus, avant les Israëliens, les Romains d’un de leurs propres mythes fondateurs.
ce bon vieux Roi n’en reste pas moins le personnage le plus cool du film (je trouve en tous cas ^^)
Je pense que les réalisateurs ont tout de même cherché à en faire un personnage charismatique plutôt qu’un simple guignole.
Du coup, Est-ce que le réduire à du simple bashage raciste ne vous semble pas un peu abuser ?
D’ailleurs cela me mène à une question : POURQUOI ?
Quel intérêt pour Disney de s’encombrer d’un tel discours raciste qui risquerait juste de les faire taper sur les doigt. Quel était leur but avec cette scène ?
Pour la partie spéciste j’y avait déjà pensé mais je vois plus une réflexion qu’un véritable parti prit. Le désir de Louie de maîtriser le feu et de s’élever au niveau des Hommes est parfaitement justifier pour moi. Ce serait même une preuve d’intelligence de sa part, Et un aspect pertinent de l’histoire puisque le singe est justement l’animal qui se rapproche le plus de l’homme.
Au final, le temple qui s’écroule sur le Roi Louie est plus la pour punir ses méthodes que son ambition. Le pilier se brise suite à la course poursuite durant laquelle Il essaye de rattraper mowgli pour, je le rappel, le séquestrer jusqu’à ce qu’il lui révèle le secret du feu.
Le personnage du méchant pitoyable est assez répandu. Pensez au Jocker de Batman par exemple. La monstruosité concentre dans notre culture la tare du réprouvé mais aussi la fascination pour le tout-autre que chacun porte en soi. Dans le schéma narratif dont Dumbo est l’archétype : un héros monstrueux se découvre une particularité qui le met au banc d’une communauté toujours très conformiste et trouve (ou pas) une façon de faire valoir cette particularité comme utile aux autres. Il n’empêche que même les monstres de bonne volonté (Frankenstein, le pasteur de la Nuit du chasseur…) peuvent nous fasciner et échouer au nom du maintien de certaines valeurs.
Tout l’enjeu du livre de la Jungle est le respect de ce qui sépare l’humain (dont Mougli est le specimen égaré) du règne animal. Kipling est aussi l’auteur du fameux fardeau de l’homme blanc… Il peut y avoir alliance, amour, amitié entre les êtres. Ils doivent au final respecter la hiérarchie des êtres.
C’est une morale qui ne déplaisait sans doute pas à un certain Disney Walt dont les relations avec l’extrême droite ne sont plus un secret pour personne.
Et du reste, vous avez l’air de dire que ce message (raciste et spéciste) pouvait coûter à Disney en oubliant qu’au moment où sortit le film, cette opinion était encore très largement majoritaire dans le public blanc américain sur le point de perdre sa suprématie. Il n’y avait donc que du bénéfice à défendre de telles options. Plus délicat serait le cas du Roi Lion et de ce qu’il nous renvoie de l’état de l’opinion aujourd’hui.
Le feu et les bonobos :
http://www.youtube.com/watch?v=EMbWDRzqNhc
Excellent article mettant en lumière les frontières poreuses entre les formes les plus primaires de discriminations : sexisme, racisme et spécisme. (usant toutes trois exactement des même schémas de justifications essentialistes arbitraires, n’en déplaise à Mel)
J’aurais une micro suggestion à faire : rendre les parenthèses ou commentaires ironiques un peu plus évidents pour des néophytes sur les questions sur le spécisme, car je pense qu’il passeraient à coté dans des messages comme « (car rivée aux besoins corporels, alors que les humain-e-s s’élèvent au-dessus de cette condition grâce à leur esprit) »
Sinon pour Dude, Disney ne s’encombre de rien à part sans doute de quelques dessous de table bien fournis quand il s’agit de redonner un coup de fouet à de bonnes vieilles valeurs patriotiques ou traditionnelle durant des périodes de débats socio aux Etats Unis (je pense qu’ils se foutent pas mal de la réception de leurs films en france au moment de les réaliser, du moins à cette époque)
Aujourd’hui encore je ne crois pas qu’il faille voir Disney comme autre chose qu’une boite de prêt-à-penser qui tacheronne pour les plus offrants, sinon pour les idées de ses dirigeants au minimum, le tout, il faut le reconnaitre, très habilement dilué dans des scénarios, personnages et scènes hautes en couleur, des musiques entêtantes et des histoire fascinantes quelque soient les âges des spectateurs.
Effectivement, peut-être que je n’ai pas assez clairement mis en évidence que je ne cautionne pas ce discours sur « la vie animale plus pauvre que l’existence humaine »,mais que c’est justement ce que je critique. J’ai essayé de le rendre plus évident en rajoutant plein de guillemets partout, j’espère que ça suffira 🙂
Merci en tout cas de me l’avoir fait remarquer.
Merci pour cet article. Je n’ai jamais vu « La princesse et la grenouille », qui ne m’inspirait guère, pour une raison simple : les médias me l’ont survendu à base de « youpi, enfin une héroïne Disney noire ! »… mais elle n’a pas les cheveux crépus. Je l’ai pris comme « on ne va pas trop choquer le spectateur, non plus » et je trouve ça affligeant.
En fait, si ma mémoire est bonne, il a fallu attendre Rebelle pour avoir enfin une héroïne Disney aux cheveux bouclés.
Au vu des images de « La princesse st la grenouille » intégrées à cet article, je m’interroge encore plus sur Naveen : est-il supposé être également afro-américain ? Car il le paraît encore moins que Tiana… (A titre personnel, je trouve par ailleurs qu’il a un physique assez inquiétant !)
Bonjour,
autant je trouve le thème du propos intéressant, autant je trouve que pas mal d’arguments sont tirés par les cheveux pour mieux coller à la conclusion. Dommage.
Déjà, le livre de la jungle reste assez parallèle à l’écrit de R. Kipling, son auteur, et il me semble que vous occultez un peu facilement les personnages de la panthère, sage et prudente, et de la meute de loup. Ce qui est pointé dans l’histoire du retour parmi les hommes (ce retour est l’issue de l’histoire écrite par Kipling) est essentiellement le pouvoir de l’amour, thème cher aux scénarii de Disney.
Le discours de Baloo est loin d’être pointé comme idiot, et sans l’attirance pour une fille séduisante, on sent bien que Mowgli resterait dans la jungle. Donc oui, il y a un discours sur la « place » de chacun… place que bien des humains passent leur vie à chercher. Ce n’est pas ce trait de l’histoire qui en fait le plus un conte moralisateur quant aux places pour les noirs ou les blancs.
Quant à la grenouille, l’héroïne est tout de même un femme intelligente et noire… le retour au statut d’humain est certainement davantage commercial (il faut qu’elle reste un princesse, ça se vend mieux en produits dérivés).
Donc oui, je trouve poussif et attristant le stéréotype posé sur le roi Louis, arriviste qui se veut plus supérieur que le détenteur du feu (la connaissance ?) mais qui n’a pas le niveau. J’y vois bien le musicien (noir, donc) qui a réussi à faire gloire et fortune et se vante de posséder les apparences de la réussite, qu’il aurait usurpé. Là, c’est une image nettement raciste et c’est ce que j’accorde à votre propos. Mais pour moi, le reste est capillotracté et c’est dommage car ça dessert votre première assertion.
Alors on va resituer les personnages toute de suite ! Ils ne sont pas noirs (d’ailleurs le roi Louie n’est pas doublé par un Afro-américain et le seul singe disney doublé par une personne d’origine Africaine c’est Rafiki) et ce sont surtout des hommages à LOUIS PRIMA Jazzman de la Nouvelle-Orléans d’origine SICILIENNE ! Alors oui il y a plein de choses racistes dans l’oeuvre de Disney et surtout ce passage singe aimant le jazz qui veut devenir un homme qui est clairement une insulte à la communauté noire mais King Louie et Louis l’alligator ne font pas référence à Louis Armstrong … C’est Scat Cat qui fait référence à Louis Armstrong !
A ce petit jeu la, on pourrait aussi dire que c’est vous qui faites du racisme en essentialisant les noirs (le jazz, l’accent) et en les comparant pour ces raisons à un personnage, doublé par un blanc de surcroît. Comme souvent, les discours militants d’aujourd’hui (dont je partage souvent les objectifs mais pas les moyens) essayent de faire dire à des œuvres d’art des choses qu’elles ne disent pas. C’est une voie lente mais sûre vers la censure (qui se met d’ailleurs clairement en place avec la cancel culture).
Les artistes parlent par images, ces images leur sont inspirées par leur époque, leur contexte, évidemment; mais elles ont une dimension symbolique, pas littérale.
Moi par exemple comme pas mal d’autres commentateurs j’adore le personnage du Roi Louis et je ne le trouve pas moins « bon » que d’autres personnages, et notamment les humains, dont la vie au village ne m’attire guère. Vous parlez de hiérarchie des valeurs mais c’est ce que vous faites tout au long de votre article en glorifiant la raison sur les émotions ; je suis personnellement persuadé que savoir davantage suivre ses émotions (sans renoncer) à sa raison est une grande force et ma lecture du Livre de la jungle en est ainsi toute autre : tous les animaux que l’on voit représentent pour moi différents types de caractères humains qui ont chacun leur défaut (l’ambition pour le roi Louis, la paresse pour Baloo, la rigidité des éléphants, etc.) mais qui sont eux mêmes, qui s’assument et vivent libres dans la jungle, même si cela suppose un certain inconfort et une acceptation du danger. Les humains au contraire, et c’est ce que la fin illustre, préfèrent se conformer, au prix souvent de leur liberté, pour un peu de confort et pour ne pas être seuls.
Les singes du film ont été inspirés par la vision que les auteurs avaient des noirs à cette époque, cela fait peu de doute, mais ce ne serait raciste que si cette représentation était insultante, si elle induisant une infériorité des noirs. Je ne trouve pas que ce soit le cas, si vous trouvez que ça l’est, c’est sans doute que vous considérez que notre société, la direction que prend l’évolution humaine, est incontestablement désirable, puisque c’est ce qu’envie le Roi Louie. Si vous pensez que notre société n’est pas nécessairement supérieure, alors la sagesse est du côté du mode de vie du Roi Louie (même si il ne voit pas, drame de l’humain, qui désire toujours ce qu’il n’a pas). Les singes du film sont donc des hommes comme les autres, avec des qualités et des défauts. Et c’est pourquoi le plus important n’est pas la vision des noirs qui a inspiré cette représentation ait été raciste (elle l’était certainement) mais le discours véhiculé qui lui n’est absolument pas raciste à mon sens.
Les exercices de déconstruction peuvent être intéressant (par exemple ici, la représentation, qui est issue d’une vision raciste) mais elle ne doit pas être prétexte à alimenter une vision paranoïaque de la société qui mène à la censure et donc à l’inverse du but poursuivi par les milieux militants progressistes : que chacun puisse être ce qu’il est, sans crainte ni jugement. Ce qui compte, dans une œuvre, c’est le discours. Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.
Je tiens à préciser que je ne vous traite pas d’imbécile, car vous me semblez animé de bonnes intentions; et ce genre de déconstruction abusive et de tentative de politisation à l’extrême de l’art est une tendance lourde actuellement. Mais vous vous gâchez bien des œuvres et toutes leurs richesses en cherchant avant tout à en faire une interprétation politique. D’autant que, et cela peut donner foi en l’humain, je crois les œuvres d’art qui cherchent à faire passer des messages nauséabonds sont souvent assez mauvaises et résistent peu à l’usure du temps. Réfléchissez aux « vieilles » œuvres d’art qui ont encore une popularité aujourd’hui : lesquelles glorifient les émotions ? Lesquelles véhiculent un message politique ?
Le cinéma peut être politique, bien sûr; mais les films, lorsqu’ils se veulent art, ne cherchent pas à convaincre : ça c’est le rôle des discours politiques, des essais, de la science, des religions. Une œuvre d’art, et c’est ce qui fait sa singularité et sa force, cherche avant tout à laisser une impression, un sentiment, et son discours n’a qu’une valeur symbolique visant à alimenter ces émotions. Et je doute qu’en visionnant le livre de la jungle on en ressorte en se disant que certains hommes valent mieux que d’autre- bien au contraire. Je doute d’ailleurs aussi que l’on en ressorte en se disant que les animaux valent moins que les humains d’ailleurs, bien au contraire la aussi, pour réagir à votre 2e argumentaire.
La vision d’un film ne débouche effectivement pas nécessairement sur des réflexions sur les conditions de vies des différentes communautés humaines, sur les relations sociales entre elles ou sur les rapports entres espèces. Parfois, c’est beaucoup plus insidieux. C’est notamment le cas avec les messages qui ne sont pas explicites, et d’autant plus lorsqu’ils sont associés à des émotions.
Qu’on soit d’accord ou non avec, l’analyse qui est ici faite a le mérite mettre en lumière un certain nombre de questions. Il peut en effet être salutaire de s’arrêter de temps en temps pour se demander quel message est véhiculé par une œuvre, que le spectateur soit conscient ou non sa teneur, qu’il y soit ou non réceptif, et qu’il l’ait ou non réinterprété et conformé à ses propres convictions.