Les comédies romantiques américaines sur l’amitié homme/femme : redéfinition ou réaffirmation du couple et de l’Amour ?
13 septembre 2012 | Posté par Fanny Gonzagues sous Cinéma, Tous les articles |
Sexfriends (No strings attached, 2011), Sexe entre amis (Friends with benefits, 2011), et Friends with kids (2012) nous racontent la même histoire : deux ami-e-s se rendent compte au fil de nombreuses péripéties qu’ils sont amoureux. Le public est content, ces films connaissent un joli succès. Tout va bien. Non, ça ne va pas si bien…Ces récentes comédies romantiques prétendent prendre acte d’une certaine modernité dans les rapports affectifs entre les sexes mais finissent invariablement par reproduire le traditionnel schéma du couple hétérosexuel. Nous sommes floutté-e-s sur la marchandise : on a des « friends » dans les titres mais l’Amour est toujours là, aussi normatif, aussi grand, et aussi immortel, et surprise, c’est lui qui gagne à la fin (spoiler, oups, enfin vous vous attendiez à quoi ?). Il serait temps de tuer les idoles, non ?
Redéfinir les relations affectives
(ça aurait pu être bien….)
. No strings attached (2011) : Adam et Emma se fréquentent de loin pendant de nombreuses années. Un jour, Adam, ivre, s’endort chez Emma et ils ont une relation sexuelle. Un peu géné-e-s, illes préfèrent ne plus en parler et rester ami-e-s. Emma argue qu’elle n’a pas le temps d’avoir des relations de couple car elle travaille beaucoup (elle est médecin) et qu’elle n’aime pas s’investir émotionnellement. Plus tard, illes recouchent ensemble et concluent qu’illes peuvent être partenaires sexuels sans investissement émotionnel, et se retrouver à toutes heures quand illes le désirent.
. Friends with benefits (2011) : Dylan et Jamie se font plaquer en même temps dans un merveilleux montage alterné. Les raisons avancées sont les mêmes : illes sont émotionnellement foutu-e-s, incapables de s’impliquer. Jamie recrute Dylan pour un travail à New-York comme directeur artistique de GQ (magazine hautement féministe). Illes deviennent rapidement ami-e-s et se racontent leurs petites histoires amoureuses ratées en concluant que « le couple c’est fini, ce n’est pas pour nous ». Un soir, Jamie confie à Dylan qu’elle est en manque de sexe. Il lui propose alors de coucher ensemble entre ami-e-s, « comme on jouerait au tennis », c’est-à-dire sans complexes, naturellement, et sans être impliqué-e-s sentimentalement. Illes se racontent leurs préférences sexuelles et se font mutuellement jouir.
. Friends with kids (2012) : Deux amis de longue date qui s’appellent au téléphone à n’importe quelle heure de la nuit pour jouer à « tu préfères », ont du mal à avoir une relation « sérieuse ». Tou-tes leurs ami-e-s sont en couples avec bébés. Julie propose donc à Jason de faire un bébé entre ami-e-s. Illes se mettent à l’ouvrage (par voie naturelle) et se partagent la garde de leur bébé.
Jusque ici, on est plutôt d’accord, il est intéressant de redéfinir dans une réflexion commune les relations affectives. Face à la multitude de biens affectifs (un câlin, un bisou, une discussion, une caresse…) on n’est pas obligé d’être soit ami-e-s, soit en couple. Les personnes intéressées discutent ensemble de leur préférence, de la meilleure relation qu’ils pourraient entretenir. Et puis, on commençait à en avoir assez de voir au cinéma soit du sexe version porno soft soit la romance version drap de soie et mains qui se crispent. Ici, on entrevoit les prémisses d’une certaine démystification des scènes sexuelles : les personnes discutent et rigolent pendant l’acte.
L’Amour est dans la place : réaffirmation de la norme
Dans une démarche politique, où l’on souhaite déconstruire et comprendre les normes qui régissent notre société, on peut trouver intéressant de brouiller les limites tellement tranchées entre l’amour et l’amitié. Le concept de « sexfriends » semble prendre acte d’un désir de les remettre en question. Mais comme le dit un sage monsieur qui promène son chien dans No strings attached : « des amis qui couchent ensemble, ça n’existe pas ». Et ce sera là tout le propos de ces films : brouiller les limites, ce n’est pas possible. On en revient toujours au même schéma : on est ami OU on est amoureux. Les masques tombent : le faux progressisme affiché au début n’était qu’un moyen de mieux revenir à la norme sacrée : l’Amour.
. No strings attached (2011) : Emma explique à sa collègue/amie (car forcément les femmes entres elles ne parlent que des mecs, la chose est bien connue) que si elle ne s’investit pas dans une relation, c’est par peur d’être brisée… « Je vais me retrouver à pleurer dans ses t-shirt ». Pauvre petit être fragile… Pour Adam, le deal ne pose pas de problème jusqu’à ce qu’un autre homme prenne de la place dans la vie d’Emma. Une discussion surréaliste a alors lieu : le rival lui dit : « je sais que tu couches avec elle, mais moi je suis celui qu’elle va épouser car je vais m’occuper d’elle et je serais là tous les jours à lui dire des mots compliqués (REALLY ?????) et sauver des vies ». Se dessine ici une idée de ce qui doit faire rêver les femmes : il a la sophia, il prend soin de moi et il sauve le monde… [l’orgueil de ce sur-mâle sera puni à la toute fin du film car on le verra entretenir des relations homosexuelles (ohhhhhhh !!!!!), il me semblait suspect aussi à être si masculin.] L’instinct mâle d’Adam s’éveille et il tendra à faire de cette relation une relation de couple classique : exclusive et éternelle. Il multiplie les déclarations et le reste vient tout seul : la pression sociale de la famille et des amis (qui ne comprennent pas pourquoi si affection il y a, couple il n’y aurait pas) contraignent Emma a accepter cette situation et à accomplir son destin de femme : l’Amour dans le couple.
On a remplacé les fleurs par des carottes, et alors ?…
. Friends with benefits (2011). Le grand retournement conservateur du film (que l’on soit clair-e, on se doutait très bien que ça allait arriver, on a feint la surprise seulement pour l’hypothèse sociologique !) se produit quand la mère de Jamie l’interroge sur sa relation d’amitié sexuelle avec Dylan, Jamie répond qu’elle en profite en attendant. En attendant quoi ? De connaître le « true love », car elle croit en l’Amour qui vous saisit, vous transcende et rend les moments avec l’autre absolument inédits. Parallèlement a lieu une discussion entre bro’ après un match de basket (on est pas des pds) : « Que fais-tu avec Jamie », demande l’ami, « On est des sexfriends », répond Dylan. « Ahhhh ces choses ne peuvent jamais marcher car les femmes veulent toujours plus » (autre poncif essentialiste anti-féministe). Dylan est dégouté : « pouahhh le couple c’est la mort ! ». Le sage ami répond : « tu verras un jour tu rencontreras quelqu’un qui fera que tu ne peux plus respirer » et blabla l’amour le vrai…. Nous, pauvres spectateurs/trices, comprenons alors que nos héro-ïne-s ne cherchent pas à déconstruire mais sont tout simplement paumé-e-s. Le film saura par la suite les remettre dans le droit chemin de la relation de couple hétérosexuelle et monogame. Car encore une fois, l’apparition d’un tiers masculin va bouleverser leur petit arrangement et Dylan se retrouve sur le carreau. Jamie prend conscience la première qu’elle « aime » Dylan. Et il finit par en prendre conscience aussi. Dans une fin ambiguë, il organise une flash-mob pour Jamie car « tu voulais que ta vie ressemble à un film, voilà » (après qu’on ne vienne pas nous dire que le cinéma n’est pas politique car même dans les films, les films ont une influence) il se met à genou et demande : « veux-tu redevenir ma meilleure amie, je t’aime », ils s’embrassent et FIN. J’avoue que j’ai eu du mal à décrypter le sens de cette fin : mon hypothèse serait que le réalisateur trouvait intéressant de continuer à « casser » les codes et à détourner le sens de la déclaration (en témoigne la volonté de jouer la carte de la « méta comédie romantique » en nous montrant les personnages du film regarder une comédie romantique qui, elle, finit par la classique demande en mariage). Mais cette hypothèse me semble outrageusement hypocrite au sens où le film finit par la formation d’un couple. En quoi cela serait progressiste de changer les mots de la demande si c’est pour finalement en arriver à la même conclusion (je t’aime et bisou) ? C’est bien là le danger de ces films : nous faire croire en une nouveauté, en une modernisation des rapports, pour nous ressortir la même soupe oppressive : l’Amour dans un couple.
« Jamie, veux-tu redevenir ma meilleure amie ? », oulala ça déconstruit grave par ici…
. Friends with kids (2012), Jason et Julie sont heureux entre ami-e-s avec leur bébé jusqu’à ce qu’encore une fois un tiers vienne bouleverser leur arrangement. C’est Megan Fox dont Jason est tombé amoureux et qui elle n’aime pas les bébés (c’est une femme hybride, elle est mauvaise). De son côté Julie s’est rendue compte que Jason est la personne qui la connait le mieux au monde : il sait prendre soin d’elle. Comme le dit son amie (encore !!!) : « partager une si belle chose [un bébé] avec quelqu’un-e ne peut pas laisser indifférent ». Elle lui fait sa déclaration mais lui n’a pas de sentiment romantique pour elle, ni d’attirance. Illes se quittent faché-e-s et organisent une garde alternée pour leur enfant. Lors d’une discussion au bar avec un bro’, Jason raconte qu’il fait des rêves érotiques avec Julie… Mais ça veut dire qu’elle l’attire en fait, mais alors si attirance physique il y a + grande estime amicale, c’est donc de l’Amour ? Fort de cette grande avancée, il court chez Julie et lui déclare son « true love ». Baisers et Fin. Encore une fois, on assiste au grand retour de l’Amour le puissant vainqueur qui donne un sacré coup de bâton à l’idée de faire un enfant sans « Amour ». Et la comédie romantique américaine conserve les mêmes valeurs. Sous un emballage nouveau/moderne qui semble de prime abord redéfinir les relations sociales entre les sexes se cache un bon vieux conservatisme : homme + femme = Amour = couple = bébé.
Backlash : le couple cet absolu, et l’Amour avec un grand A
Dangereux ces 3 films ? Oui, car ils réaffirment pernicieusement une norme, une loi « naturelle » : une relation sexuelle entre un homme et une femme ami-e-s aboutit nécessairement à une relation amoureuse. La nature humaine ne peut pas repousser l’équation amitié + sexe = Amour. Et ces films pourrissent au passage les qualités de l’amitié car selon eux seul l’Amour est désirable, l’amitié n’étant qu’un pis-aller : « non, on n’est pas ensemble, on est juste ami-e-s ». En plaçant l’Amour au-dessus de toutes les formes de relations affectives, ces films en condamnent donc par avance l’invention de nouvelles.
De simples divertissements sans conséquences ? N’ayant pour but que de nous changer les idées après notre journée de boulot ? Pas seulement, car il y a quelque chose de pourri au royaume des comédies romantiques, quelque chose de dangereux : l’Amour. On nous le vend comme étant la chose à rechercher, la plus belle chose de l’univers, ce qui fait de nous des êtres vraiment accomplis. Que pense-t-on de quelqu’un qui ne connaît pas l’Amour ? Qu’il lui manque quelque chose d’essentiel.
Mais attention, on ne parle pas ici de l’amour « banal », de celui que l’on peut avoir pour un-e ami-e, pour un membre de sa famille ou pour son chien. Non, on parle ici de l’Amour avec un grand A, l’Amour avec une majuscule, celui qui s’empare de nous sans raison, et qui unit un homme et une femme (parce que des homos qui s’aiment, moi j’en ai pas vu beaucoup dans les comédies romantiques), qui les unit exclusivement, et les destinent à vivre des jours heureux en couple avec des enfants (qui seront bien sûr, les « fruits naturels » de cet Amour…). Cet Amour est à bien distinguer de ces sous-produits qui lui ressemblent, qui en ont l’odeur mais qui n’en sont pas (l’amitié, l’affection, le désir, etc). Entre tout ça et l’Amour il y a un fossé, que dis-je, un précipice…
Il n’y aurait rien à objecter si tout le monde était heureux/reuse comme ça. Or, c’est bien là le problème, l’Amour est loin de ne faire que des heureux/reuses. Il y a d’abord ceux/celles qui ne le trouvent jamais (ou qui le perdent et jamais ne le retrouvent), qui le cherchent sans relâche, toute leur vie, et qui en souffrent parce que d’autres à côté semblent l’avoir. Et puis il y a ceux/celles qui croient l’avoir trouvé mais qui se rendent compte que finalement cela n’est peut-être pas si auto-suffisant que ça, qui sentent qu’ils/elles aspirent à quelque chose d’autre, peut-être à une vie affective plus riche, moins refermée sur le tête à tête entre les deux Amants exclusifs, où que sais-je encore…
Contrairement à ce qu’on nous répète donc à longueur de bobines, l’Amour n’est pas la plus belle chose au monde, car l’Amour fait souffrir (peut-être même plus qu’il ne rend heureux)[1]. Ce n’est peut-être pas un hasard si un besoin se fait ressentir de briser cette idole, besoin si fort que les comédies romantiques les plus mainstream s’en font l’écho. Et la tâche ne serait pas difficile. Il suffirait déjà de casser cette barrière arbitrairement érigée entre les différentes formes de rapports affectifs possibles, barrière qui place l’Amour d’un côté (et tout en haut), et le reste de l’autre. En multipliant ainsi les possibilités de rapports affectifs dans lesquels les individu-e-s pourraient s’épanouir pleinement, on éviterait peut-être déjà que beaucoup restent sur le carreau.
Tout cela semble facile en théorie. Mais comme on peut le voir avec les films dont nous avons parlé, le combat est loin d’être gagné. Car même lorsque certain-e-s réussissent à déconstruire ces structures oppressives pour construire d’autres vies affectives, l’artillerie lourde débarque (sous la forme de films, mais aussi évidemment de tous les autres gardiens de la norme sacrée) pour leur expliquer qu’ils/elles ont fait fausse route. L’Amour a manifestement beaucoup de défenseurs/seuses, et ils/elles ont tout l’air d’être particulièrement zélé-e-s.
Annexe : Iconographie du coït dans Friends with Benefits
Ce film est mon préféré des 3 car c’est celui qui fait semblant d’aller le plus loin ! Permettez donc que je m’attarde un peu sur les scènes de sexe. Car il y a une vraie différence entre elles : au début, les personnages sont ami-e-s et pendant leurs relations sexuelles illes discutent, rigolent, mangent ensemble et se font des blagues. Vers la fin, la scène de sexe est beaucoup plus sérieuse, induisant ainsi que leurs sentiments ont changé et que de l’amitié, illes sont passé-e-s à l’amour ! On quitte donc une vraie complicité pour une imagerie kitsh faite de lune et de caresses tendres. C’est là toute la différence entre « baiser » et « faire l’amour » ! Et tout se passe comme si « faire l’amour » était plus sérieux, plus intense, plus vrai… plus tout quoi !
Entre ami-e-s, on rigole, entre amoureux/euses, les baisers sont intenses
Changement de décor : entre ami-e-s on blague avec un nounours pendant qu’on a une relation sexuelle, entre amoureux/euses la lune brille à l’horizon et les corps s’enlacent dans le clair-obscur.
Les ami-e-s se donnent des conseils, les amoureux/euses sont silencieux car leurs corps parlent à leur place, en témoigne les fameuses mains enlacées, symbole de l’orgasme mutuel qui souvent dans ce genre de films apparaît comme le sommet de l’union de deux êtres dans l’Amour.
Et ce n’est pas seulement la manière dont les personnages couchent ensemble qui change, c’est aussi la mise en scène de l’acte. Lorsque c’est « entre ami-e-s », la musique est rythmée et entraînante, et les plans se succèdent aussi rapidement que les paroles décomplexées que les personnages échangent sur ce qu’ils sont en train de faire. Lorsque c’est « entre amant-e-s », une musique pop bien romantico-sirupeuse nous est infligée, et les fondus enchaînés s’enfilent jusqu’à la nausée pour bien symboliser la fusion totale que les deux personnages sont en train de réaliser.
Le fait que le sexe oral (cunnilingus puis fellation) constitue le cœur du coït entre ami-e-s, alors que celui entre amant-e-s se réduit à la bonne vieille pénétration en mode missionnaire n’est peut-être pas innocent. En effet, s’il s’agit avant tout entre ami-e-s de se faire plaisir mutuellement (d’où les conseils constamment échangés pour y parvenir), ce n’est apparemment pas le but premier lorsque les amant-e-s « font l’amour » (et en effet, on ne les voit pas jouir dans cette seconde scène de sexe). C’est que l’événement qui a lieu alors dépasse largement le vulgaire coït et sa recherche bassement matérialiste du plaisir. Non, ici, les plaisirs de la chair sont transcendés par un sentiment infiniment supérieur : l’Amour. Or il est à craindre au passage que cette évacuation de la question du plaisir se concrétise surtout dans les faits par une évacuation de la question du plaisir féminin. Certes, on ne nous montre pas la fin de la scène « d’amour », mais on peut facilement imaginer ce qu’elle aurait donné : dans une communion mystique, les deux amant-e-s auraient atteint l’orgasme exactement en même temps (évidemment, puisqu’ils s’aiment…). La bonne blague ! Cette évacuation de la question du plaisir féminin est d’autant plus flagrante quand on se souvient que la première scène de sexe (entre ami-e-s) se fondait justement sur la déconstruction du phallocentrisme spontané du coït hétérosexuel. En effet, elle nous montrait à la fois l’homme sûr de lui et pourtant au final incapable de faire jouir la femme sans les conseils de cette dernière, et en même temps le même homme présupposant l’incapacité de sa partenaire à le faire jouir et commençant ainsi à lui donner une leçon de fellation, leçon immédiatement interrompue par sa découverte de la bien plus grande compétence de son amie en la matière. Ainsi, grâce au dialogue, la femme put prendre du plaisir (alors que sinon l’autosuffisance de son partenaire ne l’aurait pas permis), et l’homme put se rendre compte qu’il en savait beaucoup moins sur son propre plaisir que n’en savait sa partenaire. Que la deuxième scène de sexe se déroule dans un silence religieux n’est donc pas vraiment de bonne augure, et il est à craindre que, « par Amour » et conformément à la tradition, papa y éjacule dans maman sans trop se préoccuper du plaisir de cette dernière…[2]
[1] Je passe ici sur le lien sur un point pourtant important : le lien indissociable entre cette idéologie de « l’Amour » et la domination masculine. En effet, est-ce un hasard si le discours qui fait de l’Amour quelque chose d’essentiel à l’accomplissement d’une personne est beaucoup plus martelé aux femmes qu’aux hommes ? Peut-être est-ce là un moyen de rendre les femmes dépendantes des hommes, pendant que ces derniers peuvent quant à eux se consacrer avec moins de scrupules à d’autres projets que celui de trouver l’âme sœur pour fonder une famille. Et si certain-e-s sont si réticent-e-s à étendre le concept d’amour aux couples homosexuels, et n’arrêtent pas de nous marteler leur théorie sur la complémentarité homme/femme dans l’Amour, n’est-ce pas qu’il y a là un enjeu politique crucial qui ne se réduit pas à une simple question de définition ?
[2] Le fait que cette deuxième scène se déroule dans la maison de famille de Dylan n’est pas un hasard. Si la seule recherche du plaisir est une chose au final assez immature à laquelle peuvent à la rigueur se livrer deux ami-e-s un peu paumé-e-s, « l’acte d’Amour » est quant à lui beaucoup plus sérieux et beaucoup plus significatif en termes d’engagement. Qui dit Amour dit bébé, et qui dit bébé dit vie de couple et famille…
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Bravo Fanny Gonzagues !
On en revient toujours au même constat : la société capitaliste étant fondée sur la cellule familiale (cf Marx), elle ne peut qu’encourager encore et encore sa fondation sous peine de voler en éclat. Parce que l’homme et la femme sont d’abord des forces de travail, ils ne peuvent pas dépenser très longtemps quasi toute leur énergie dans leur recherche d’un « partenaire de reproduction ». Le couple permet ainsi une économie (pas qu’énergétique) et, du fait des obligations que les deux partenaires contractent alors l’un envers l’autre, il cristallise deux individus en une entité plus stable du point de vue des normes sociétales.
Le passage par la case sexfriends s’explique peut-être par un allongement de la phase de quête de soi adolescente n’excluant plus les relations sexuelles. Mais finalement, c’est n’est qu’une parenthèse initiatique, un peu comme l’appareil dentaire à 15 ans : nécessaire, pratique, mais au bout du compte assez désagréable sentimentalement parlant.
Il faut une force peu commune pour s’opposer longtemps à ce modèle qu’on nous propose / impose, car l’amour avec un grand A, bien qu’une invention de l’Occident médiéval dit-on, est particulièrement incrusté dans les mentalités. Si la pleine conscience de cet état fait est le début de la libération à l’échelle de l’individu, elle ne suffit pas. Nous sommes toujours tentés de conclure le pari de Pascal à l’échelle de l’amour fantasmé, s’il existe et que j’y crois j’ai tout gagné, et dans le cas contraire je me moucherai dans des tee shirts. Opium du peuple vous disais-je.
Analyse dans l’ensemble très bonne, même si je regrette sa terminologie, qui ne fait que reprendre la dichotomie, imposée par ses films entre amour et amitié. L’amour « avec un grand A », comme vous dites, ou le « true love », celui qui ne s’exprime que dans l’exclusivité et le fantasme de la fusion (1+1=1, le Couple tout puissant comme monade, ce qui dans une société patriarcale, signifie en fait plutôt trop souvent « homme + femme = pater familias »), est en fait trop rare, quasi mythique, pour qu’on puisse en faire la norme, à moins de la détourner (ici, au profit d’une annihilation de l’épouse comme individu). [Même si je ne nie pas pour autant que des formes d’amour réellement fusionnelles et égalitaires puissent arriver, et tant mieux pour ceux qui y accèdent.]
Mais quid de l’amour avec un « petit » a ?
Pour moi, il n’y a pas de différence transcendante entre amitié et « amour », ou plutôt, les deux termes se chevauchent sans s’égaler exactement. En tout cas, étymologiquement, les deux viennent du verbe aimer, et il clair que l’amour parent-enfant, par exemple, ou le lien qui lie deux « meilleurs ami(e)s », n’est pas moins fort que celui qui lie les amants. Par contre, il s’agit d’affection pure, essentiellement spirituelle et décorporéisée, « platonique », diraient certains. Alors qu’entre deux amants, il n’y a pas seulement de l’affection (et tout ce qui l’entoure, admiration, respect, etc.) il y a aussi et en même temps autre chose, de la sensualité.
Vous l’aurez compris, avec ces définitions, la notion même de « fuckfriends » n’a pas lieu d’être : soit il n’y a que du sentiment, de l’affection, et, aussi forte soit-elle, il s’agit d’amis (terme que je ne méprise pas, « juste » amis ne veut rien dire, il n’y a pas de degré supérieur) ; soit il y a de la sensualité (et le sexe en fait partie), et dans ce cas, on peut parler d’amants, et ça n’implique PAS, contrairement à ces films veulent nous faire croire, nécessairement un couple exclusif, monolithique, et socialement reconnu comme tel (via le mariage).
Alors, oui, je serai susceptible de dire, comme dans les films, « des amis qui couchent ensemble, ça n’existe pas », simplement parce que le fait de coucher ensemble en fait des amants – des amants, oui, mais pas « un couple » pour autant.
Bref, vous allez dire que je joue sur les mots, mais les mots sont importants, non ?
Je crois qu’un des noeuds du problème vient du fait de vouloir faire de l’amour (chose subjective par essence) quelque-chose de normalisé sous l’enseigne « Amour ».
Au même titre que LA beauté, ce genre de dictat social arbitraire normalisé quoi…
En ce sens je rejoins un peu ce qu’en a dit DarkPara dans ce sens où, je crois que la langue française a de grosses lacunes, notamment en ce qui concerne la conceptualisation DES rapports amoureux ou amicaux, et des infinies nuances qui peuvent exister entre ces deux « normes ».
Particulièrement pertinent. J’ai vu juste le premier un jour d’ennui. Pour les autres, dès le lancement, j’avais compris la magouille. Dans un genre proche et tout aussi retors il y avait Crazy Stupid Love, cf : http://gouffreausucre.wordpress.com/2011/10/10/la-revanche-propagandiste-de-la-comedie-romantique/
Tout à fait d’accord…du coup les comédies romantiques actuelles sont à peu près toutes d’un ennui mortel !
Revenons donc à nos classiques : il y a 80 ans, Ernst LUBITSCH réalisait des comédies pas si romantiques que ça (mais souvent très drôles par leur double langage souvent sexuel). Leur modernité est encore aujourd’hui confondante : Apologie du ménage à trois et de l’adultère, interrogations permanentes sur la capacité du couple à durer, sur la différence et/ou le lien entre désir et amour (jamais avec un grand A)… le tout doublé d’observations sociales particulièrement fines ! Je me demande à chaque fois quel réalisateur américain oserait faire un film comme Design for living aujourd’hui (?)
Je conseille particulièrement au féministes La huitième femme de Barbe bleue.
Tout à fait d’accord…du coup les comédies romantiques actuelles sont à peu près toutes d’un ennui mortel !
Revenons donc à nos classiques : il y a 80 ans, Ernst LUBITSCH réalisait des comédies pas si romantiques que ça (mais souvent très drôles par leur double langage souvent sexuel). Leur modernité est encore aujourd’hui confondante : Apologie du ménage à trois et de l’adultère, interrogations permanentes sur la capacité du couple à durer, sur la différence et/ou le lien entre désir et amour (jamais avec un grand A)… le tout doublé d’observations sociales particulièrement fines ! Je me demande à chaque fois quel réalisateur américain oserait faire un film comme Design for living aujourd’hui (?)
Je conseille particulièrement aux féministes La huitième femme de Barbe bleue.
« Il n’y aurait rien à objecter si tout le monde était heureux/reuse comme ça. Or, c’est bien là le problème, l’Amour est loin de ne faire que des heureux/reuses. Il y a d’abord ceux/celles qui ne le trouvent jamais (ou qui le perdent et jamais ne le retrouvent), qui le cherchent sans relâche, toute leur vie, et qui en souffrent parce que d’autres à côté semblent l’avoir. Et puis il y a ceux/celles qui croient l’avoir trouvé mais qui se rendent compte que finalement cela n’est peut-être pas si auto-suffisant que ça, qui sentent qu’ils/elles aspirent à quelque chose d’autre, peut-être à une vie affective plus riche, moins refermée sur le tête à tête entre les deux Amants exclusifs, où que sais-je encore… » (Fanny Gonzagues)
J’aime beaucoup ce paragraphe.
C’est effectivement vrai pour ci-dessus et je dirai « il ne faut pas en avoir honte! »
J’avais dit à ma thérapeute de cette semaine et je crois que c’est ma dernière année que je serai en thérapie…
… J’avais aimé quelques garçons et quelques filles en ma vie et je n’ai jamais voulu imposer mon amour et mon désir sur eux et je n’ai pas voulu perdre ce sentiment bénéfique en ayant une relation amoureuse avec eux ou elles et en tombant déçue. J’ai déjà souffert en deux désirs intenses et jamais encore. J’ai renégocié avec moi « c’est quoi l’amour ».
Ma thérapeute se sentais dépourvue à mon dire… alors je lui dis « je préfère qu’il ne le sache pas et que je me contente simplement de sa présence ou de le regarder de loin.
Je crois que j’ai laissé un écrit sur mon concept sur l’amour en ce site.
Alors je fais simplement le réécrire… en une autre version…
Bin, il faut qu’il pense comme moi au sens des philosophies (de santé et sensuelle) et il faut qu’il ait les comportements (manières et de santé, encore) que j’aime et l’habillement, qu’il s’habille en chemise blanche en tissu naturel, jeans serré ou en jupe écolière ou en robe blanche en tissu naturel et qu’il le fasse en toute amour pour lui-même et puis inconsciemment.
Je ne suis pas vraiment sexuelle alors moi, la sensualité et l’onanisme me conviennent très bien et alors je crois que ça devra aller comme cela avec lui. À cause, ça devrait être dure pour moi de trouver l’amour, en fait, non!
Reiko no ai!
Dans l’ensemble je suis parfaitement d’accord avec l’article (je trouvais moi même agaçant que ces films sur les sex friends finissent systématiquement en romance, envoyant le message bien net du « c’est pas possible d’avoir une relation sexuelle épanouie sans tomber amoureux de la personne et l’Amour c’est le but logique de tout dans la vie blablabla » ) mais il y a deux trucs qui me gênent néanmoins :
– « dans une communion mystique, les deux amant-e-s auraient atteint l’orgasme exactement en même temps (évidemment, puisqu’ils s’aiment…). La bonne blague ! »
Euh. A moins que je ne me trompe, ça arrive, dans la vraie vie, des amoureux qui jouissent en même temps… pas systématiquement après certes mais je trouve la formulation moqueuse un peu trop violente de ce côté là, limite une gifle en fait. Question de ton.
– »le même homme présupposant l’incapacité de sa partenaire à le faire jouir et commençant ainsi à lui donner une leçon de fellation, leçon immédiatement interrompue par sa découverte de la bien plus grande compétence de son amie en la matière »
Ce qui me déplaît là dedans, c’est l’acceptation du fait que la femme guide son amant pour la faire jouir (tout à fait réaliste on est d’accord) mais du coup, que elle-même comprendrait instinctivement comment marche la fellation pour lui sans qu’il ait besoin de lui dire comment il la préfère, comme si tous les hommes fonctionnaient de la même manière… je recommande de faire attention parce que du coup le discours introduit une inégalité entre les sexes de cette manière-là…
Pour le reste, tout à fait d’accord néanmoins.
hello!
Merci pour vos commentaires sur mon texte, c’est intéressant. En fait, j’ai écrit ce texte y’a 2 ans et je crois qu’il y a beaucoup de choses que j’aurais formulé différemment aujourd’hui. Non pas que je le renie, c’est juste qu’au fil de mon évolution politique, je formule différemment certains trucs.
Pour cette phrase que j’ai dite, je vois bien ce que vous voulez dire : « le même homme présupposant l’incapacité de sa partenaire à le faire jouir et commençant ainsi à lui donner une leçon de fellation, leçon immédiatement interrompue par sa découverte de la bien plus grande compétence de son amie en la matière »
Et en effet, le terme « compétence » est maladroit il me semble. J’ai été un peu emporté par mon affection pour cette scène, alors qu’il y a quelques trucs dedans tout a fait problématiques. D’abord comme vous le soulignez, cette naturalisation des compétences des femmes pour le sexe par rapport aux hommes introduit une différence de nature entre hommes et femmes (en gros, eux doivent apprendre, elles savent déjà) et du coup c’est comme si il pouvait pas y avoir un rapport égalitaire dans la sexualité.
Ensuite, il y a un moment dans la scène où Dylan fait une moue dégouté quand Mila l’embrasse après qu’elle lui ait fait une fellation. Genre beurk, c’est sale alors que lui l’avait embrassé et que c’était ok…
J’ai trouvé ça coolos de reréfléchir sur ces trucs là et y’aurait beaucoup à dire encore je suppose.
J’espère maintenant que le ton parfois « humoristique relou » de cet article n’empêchera pas mes potentiel.les lecteurices de poursuivre leur lecture! EN tt cas, j’en suis désolée!
« En multipliant ainsi les possibilités de rapports affectifs dans lesquels les individu-e-s pourraient s’épanouir pleinement, on éviterait peut-être déjà que beaucoup restent sur le carreau »
Cette phrase demande des précisions : qui sont ces beaucoup et qu’est ce carreau?
Il est plaisant que vous mentionniez le plaisir dans votre analyse, tant la réalité et la complexité du plaisir dans la sexualité est absent du cinéma.
Je ne peux pas m’empêcher de relier ce déni à l’injonction d’une forme d’accomplissement dans l’acte, dans les limites d’une sexualité amoureuse, sinon procréatrice.