Répondre à: Bande de filles – Céline Sciamma
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Oui, effectivement, c’est peut-être vrai ce qu’elle dit sur la différence entre cinéma d’auteur et cinéma commercial, mais j’ai l’impression que c’est une autre question, et que du coup là elle détourne la question (voire même elle l’ignore) parce qu’elle a pas envie de répondre à la question du « regard féminin » (question qui, encore une fois, peut à mon avis être reformulée en termes féministes si on a envie de le faire, ce qui n’est visiblement pas le cas de Sciamma…).
Je trouve assez révélatrice sa manière d’éviter la question. Je re-cite bien le passage clef : « Donc le clivage… cette question du regard féminin, de cette sensibilité… elle se pose à l’endroit du regard d’auteur en fait. Donc c’est la question du regard d’auteur, pas la question du regard féminin ».
Là pour moi y a un sophisme. C’est pas parce que cette question « se pose à l’endroit du cinéma d’auteur » que « c’est la question du regard d’auteur ». Y a un glissement ici qui lui permet ensuite de ne pas répondre à la question du « regard féminin » (après elle le fait ptet par ailleurs dans le docu, je sais pas).
Ça me fait penser à une réponse qu’elle avait faite à cette question du regard féminin dans l’horrible numéro 681 de septembre 2012 des Cahiers du cinéma intitulé « Où sont les femmes ? ». Elle fait exactement la même chose : elle évite la question en évoquant la dichotomie cinéma d’auteur/cinéma commercial, puis en parlant de « la jeunesse » et des « nouvelles générations ».
Et en plus, je la trouve un peu ambiguë sur cette opposition cinéma d’auteur/commercial, car personnellement je comprends pas bien si elle critique l’idéologie auteuriste type Cahiers du cinéma (à base de « les films d’auteurs véhiculent une vision du monde, un regard singulier qui est celui de leur créateur, alors que les films commerciaux sont juste des machines consensuelles destinées à faire du fric (sauf quand un auteur génial réussi à y imprimer sa marque personnelle…)) ou si elle la reconduit juste. A mon avis, elle ne la questionne pas vraiment.
Après je veux pas charger spécialement Sciamma, parce que j’aime beaucoup ses films et que c’est une des réalisatrices les plus intéressantes politiquement à l’heure actuelle en France. Mais bon je pense qu’elle a un discours assez obscur, qui tient sûrement au fait que pour pouvoir avoir la place qu’elle a actuellement dans le cinéma français, elle a pas trop intérêt à y aller trop cash dans le discours féministe (je sais pas si c’est conscient ou pas chez elle, mais c’est pas tellement important de toute façon, le résultat est le même : il est difficile/mal venu de parler trop politiquement du cinéma en France, et surtout d’en parler d’un point de vue féministe quand on est une réalisatrice).
Et après je suis d’accord sur le fait qu’un cinéma « féminin » ça sert pas à grand-chose si ça se borne à reproduire la même sauce patriarcale. Mais je suis pas sûr qu’il y ait forcément besoin de « dénoncer » comme tu dis. Il ressort par exemple d’études sur le sujet que dans les films tournés par des réalisatrices, il y a globalement plus de femmes en général, et surtout plus de diversité dans les rôles féminins (par exemple au niveau de l’âge ou du physique des actrices, ou encore dans les personnages incarnés, moins stéréotypés). Sciamma est un bon exemple : Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles. C’est pas exactement les mêmes types de rôles féminins que dans les films de Ozon ou de Desplechin par exemple. (Je dis pas que c’est automatique, que des femmes déconstruisent forcément les stéréotypes, mais en moyenne y a quand même cette tendance qui laisse penser que les femmes n’ont peut-être pas le même regard sur la société (et en particulier sur les femmes) que les hommes, qu’elle ne regardent pas exactement au même endroit et de la même manière, et ce malgré les contraintes patriarcales qui pèsent sur elles dans le milieu, comme je l’ai dit.