La vie rêvée de Walter Mitty (2013) : Ben Stiller reprend du poil de la bête
25 avril 2014 | Posté par Paul Rigouste sous Cinéma, Tous les articles |
La vie rêvée de Walter Mitty (The Secret Life of Walter Mitty en anglais) raconte l’histoire d’un employé de bureau travaillant depuis de nombreuses années pour le magazine Life en tant que responsable des archives photographiques. Profondément timide et introverti, il arrive souvent à Walter d’être sujet à des « absences ». Pendant ces moments de rêverie, il se fantasme héros, aventurier, amant irrésistible, etc., bref : l’homme viril qu’il n’est pas.
Or les circonstances vont l’amener à devenir précisément cet homme viril, qu’il rêvait d’être sans jamais avoir eu le courage de passer à l’acte. Pour le dernier numéro papier du magazine (qui sera à partir de là publié exclusivement sur internet), le photojournaliste star et aventurier Sean O’Connell demande à ce que soit publié en couverture une de ses photos qui a réussi selon lui à saisir la « quintessence de Life ». Chargé de faire développer le négatif de la fameuse photo, Walter découvre que celui-ci est introuvable. Poussé par une collègue de bureau dont il est secrètement amoureux (et qui sera cantonnée au rôle de femme stimulant le héros dans sa quête de virilité), il décide alors de prendre son courage à deux mains et de partir sur les traces de Sean O’Connell, dans l’espoir de remettre la main sur le fameux négatif.
Durant son périple aux quatre coins du monde, Walter accomplit une série d’exploits par lesquels il devient un homme, un vrai (sauter d’un hélicoptère en pleine mer et se battre avec un requin au large du Groenland, dévaler une montagne d’Islande en skateboard, échapper de peu à l’éruption du volcan Eyjafjallajökull, escalader l’Himalaya, etc.).
Rien de tel qu’un peu d’aventure pour forger sa virilité
Au fur et à mesure de son aventure, la barbe lui pousse en même temps que ses testicules grossissent. Et lorsqu’il ramène enfin le négatif au type qui vient de le virer, il a enfin le courage de renvoyer chier cet efféminé à la barbe de minet et à la coiffure gélifiée.
D’un côté, il y a donc les vrais hommes, les virils au poil sauvage (comme Sean le baroudeur, ou Walter à la fin, une fois il a gagné héroïquement sa paire de couilles), et de l’autre, il y a ces hommes à la barbe raffinée, qui prennent soin de leur apparence comme des gonzesses. Les premiers c’est les gentils, et les seconds c’est les méchants, comme ça on est sûr que c’est bien clair.
Montre-moi ta barbe, je te dirai qui tu es
Au cas où l’on ne comprenne pas dès le début qu’il faut trouver la pilosité du méchant ridicule, le film l’explicite dans la scène de l’ascenseur. Alors que Walter se fait humilier devant ses collègues par cet esthète de la barbichette, il s’imagine dans un de ses moments d’absence qu’il le remballe en lui lançant : « Tu sais qui a l’air cool avec une barbe ? Dumbledore, pas toi ». LOL.
A la fin, Walter est donc devenu un homme qui a prouvé et reprouvé sa virilité et qui est maintenant capable d’affronter un autre homme sans sourciller. Récompense ultime : il peut enfin tomber Cheryl (Kristen Wiig), la collègue sexy dont il était amoureux depuis le début. Parce que les hommes vraiment virils sont hétéros, et qu’aucune femme ne leur résiste, c’est une loi de la nature… Pour couronner le tout, Walter devient même une figure paternelle virile pour le fils de Cheryl, auquel il offre le skate sur lequel il a accompli un de ses exploits.
Dans un dernier plan très joli au ralenti avec plein de lumière qui scintillent et sur fond de musique douce, Ben Stiller nous montre ce que c’est pour lui que le paradis sur terre. C’est simple : c’est juste un homme qui prend la main d’une femme. La femme, elle est sexy et habillée en rose, pour bien qu’on puisse la différencier de l’homme qui, lui, est habillé en bleu. Et puis comme elle a un peu chaud elle est en robe légère, courte et sans manche, alors que l’homme il est en pull et pantalon. Et tout ça c’est beau, parce que c’est l’amour hétéro, et y a rien de plus beau que l’amour hétéro entre l’homme viril et la femme amoureuse de l’homme viril.
L’aventure au contact de la Nature
Significativement, le monde dans lequel vit Walter est envahi par les nouvelles technologies (notamment internet). On retrouve ainsi le thème masculiniste (présent dans bon nombre de films récents, notamment de science-fiction[1]) où l’homme est menacé de féminisation par les nouvelles technologies et doit lutter contre elles pour (re)conquérir sa virilité.
Le film s’ouvre ainsi par une scène où l’on voit Walter devant son écran d’ordinateur, échouant à envoyer un « clin d’œil » à sa collègue sur un site de rencontre en ligne. Difficile d’être un homme viril dans un monde où l’on est condamné à séduire les femmes par ordinateur interposé. La vraie séduction, c’est pas ça, c’est face à face avec la femme-proie, la barbe mal rasée et les couilles en avant.
La vraie séduction, c’est « Je t’envoie un clin d’œil virtuel et on se contacte par mail » ?…
… ou « je fais violemment irruption dans ta vie et je te recontacte avec mon faucon voyageur » ?
Alors que le magazine est sur le point de passer d’une édition papier à une publication online, Walter doit accomplir une aventure qui est en elle-même la preuve que, même à l’heure d’internet et des nouvelles technologies, on aura toujours besoin de vrais aventuriers qui vont risquer leur peau à l’autre bout du monde.
Dans le même esprit, le film insiste à plusieurs reprises sur le fait que les indigènes des pays traversés par Walter en sont encore à l’âge de pierre niveau technologies. Par exemple, lorsqu’il arrive au Groenland, le héros demande à la tenancière du bar s’il est possible de recevoir du courrier ici, et celle-ci lui répond : « Héli-courrier » (« Heli-mail »). Devant l’air interrogateur de Walter, elle précise : « Nous livrons le courrier par hélicoptère sur les bateaux quand ils passent à proximité ». Ou encore, quelques minutes plus tard, quand il apprend du pilote d’hélicoptère que Sean est sûrement sur un bateau proche, Walter lui dit : « Très bien, je vais le contacter sur le téléphone du bateau… (le groenlandais ne comprend pas)… le téléphone qui se trouve sur le bateau… ». En fait, il n’y a pas de téléphone sur le bateau, seulement une radio, cassée. Du coup, Walter va être obligé de risquer héroïquement sa peau en montant dans l’hélicoptère piloté par un type complètement bourré alors qu’une tempête s’annonce, puis de sauter de l’hélicoptère sur le bateau. Au passage, le film se contrefout éperdument du sort du pilote de l’hélicoptère dans cette scène (probablement parce que c’est qu’un groenlandais alcoolique, donc un sous-être…). La seule question pour Walter (et pour le film) c’est : « est-ce que je vais éprouver ma virilité en risquant ma vie dans cet hélico ou pas ? ». Parce que l’important dans cette aventure de Walter à travers le monde, c’est pas le monde (et les gens qui y vivent), c’est juste Walter. Les « Autres » on s’en contrefout, car la seule chose qui compte, c’est la quête individuelle du héros blanc.
Le propos du film se fonde ainsi sur une opposition entre « chez nous » (le monde civilisé où les technologies occupent une place centrale) et un « ailleurs » (plus « proche de la Nature », pas encore contaminé par les technologies féminisantes). C’est dans ces contrées sauvages que le citadin occidental va retrouver à la fois le contact avec la Nature et avec sa nature d’homme viril. Ce dispositif ethnocentriste, qui fantasme un « ailleurs » plein de dangers et d’aventures, se redouble de racisme dans la représentation qu’il donne des habitants de cet « ailleurs ». Dans chacun des pays où il accomplit ses exploits, Walter trouve en effet toujours des gentils autochtones super contents de le voir. Ceux-ci sont ainsi réduits à des stéréotypes et supporters du héros blanc, voire à un simple décor exotique.
Même les barbus (qui utilisent des mitraillettes en guise de fourchettes) sont contents de croiser la route de Ben Stiller
Cette tendance atteint sans aucun doute son sommet dans la scène où Walter et Sean jouent au foot au cœur de l’Himalaya avec des jeunes du coin (bien entendu ravis de partager ce moment de virilité avec les gentils explorateurs blancs…).
A l’opposé des bureaucrates à la barbe coquette, le journaliste-photographe Sean O’Connell incarne cette virilité de baroudeur que les masculinistes fantasment en voie d’extinction. N’utilisant ni téléphone portable ni internet, Sean parcourt le monde avec seulement sa bite et son appareil photo. Et même parfois, il décide de ne pas prendre de photo pour mieux jouir de l’instant. Comme il l’explique à Walter, il fait ça quand le moment lui plaît à lui, personnellement (« If I like a moment, I mean me, personally, I don’t have the distraction of the camera »). Parce que c’est ça aussi être un homme, c’est vivre avant tout pour soi, pas pour les autres. Etre indépendant, sans attache, sans obligation. Parce que s’occuper des autres c’est un truc de femmes tu vois Walter ? Et nous on est des hommes, des vrais, tu comprends Walter ?
Leçon de virilité par Sean le baroudeur
L’aventure loin des femmes
Le film original de 1947 montrait le héros étouffé par une galerie de personnages féminins tous plus horribles les uns que les autres (la mère, la future épouse et la future belle-mère). Si Ben Stiller a eu le bon goût de ne pas nous ressortir ces stéréotypes nauséabonds, son remake reste tout aussi misogyne par sa manière d’exclure systématiquement les personnages féminins de l’aventure. Toutes les femmes (définies uniquement par rapport au héros, puisqu’il s’agit de sa mère, sa sœur, et sa copine) restent en effet sagement à la maison à attendre Walter pendant que celui-ci part à la découverte de lui-même, et Walter ne rencontrera pas non plus de femmes au cours de son aventure. Rien de bien étonnant là-dedans, puisque le but de cette quête pour le héros est de retrouver son essence d’homme viril. Et pour ça, rien de tel que de se retrouver entre hommes, loin des femmes.
Le premier personnage féminin que croise Walter dans le film est sa sœur Odessa, qui vient le trouver le matin devant son boulot pour lui souhaiter son anniversaire. Walter est en train de discuter avec un de ses collègues, et on entend alors sa sœur hurler de l’autre bout du hall : « Walteeeer ! Joyeux anniversaiiiiire ! Youhouuuuu ! 42 ans !! ». Effrayé par la bête, le collègue s’éclipse illico, et l’on voit Odessa habillée et coiffée de manière vulgaire s’approcher, un gâteau à la main. En introduisant ainsi le personnage de la sœur au milieu du hall d’entrée classieux de Life Magazine où défilent les hommes-importants-en-costard, le film nous la dépeint comme une femme sympa mais simplette, qui n’a même pas conscience qu’elle peut faire honte à Walter dans ce contexte.
Elle lui explique alors qu’elle n’a pas le temps de s’occuper du déménagement de leur mère parce qu’elle a une audition pour jouer Rizzo dans Grease, et demande à Walter de s’occuper de tout ça à sa place. Celui-ci refuse parce qu’il est déjà en retard à son travail et la laisse plantée là.
A ce moment, on peut encore espérer que le film ne méprise pas totalement les ambitions professionnelles de la sœur, et que le but de la scène est au contraire de pointer du doigt le comportement méprisant de Walter qui n’envisage pas une seconde que le travail de sa sœur puisse être aussi important que le sien. Mais une scène ultérieure lèvera ce doute, en confirmant que le film se contrefout complètement d’Odessa-qui-fait-des-auditions-pas-sérieuses-et-du-yoga-pas-sérieux. Il s’agit du moment où la famille est réunie dans l’appartement de la mère, et où Walter est assis sur le canapé du salon pour réfléchir à ses trucs importants de mec (Sean, la photo du piano, la quête de la « quintessence de Life », etc.), pendant que les deux femmes discutent à la cuisine en faisant à manger.
Femmes faire popote dans cuisine / homme réfléchir sur canapé
Pendant la majeure partie de cette scène, la caméra se focalise exclusivement sur Walter, et la voix de sa sœur qui parle à sa mère de son yoga et de son audition a seulement le droit d’être un bruit de fond. Une femme qui parle d’elle, c’est juste un bruit qui parasite. Au contraire, quand les deux femmes parlaient ensemble de Walter dans une scène précédente, le film les laissait un peu parler (mais pas trop quand même…), parce que là c’était intéressant vu qu’elles parlaient d’un homme et qu’un homme c’est vachement intéressant. Mais quand elles parlent d’Odessa alors là on en a plus rien à foutre, c’est en hors-champ et en bruit de fond.
Non seulement le film n’écoute pas Odessa quand elle parle d’elle, mais il la montre en plus comme une partie du problème de Walter. En effet, elle contribue à l’infantiliser en lui offrant pour son anniversaire son jouet préféré de quand il était petit (alors que Walter doit au contraire apprendre à devenir un homme) et à le « féminiser » en lui mettant sur les bras un gâteau qui le rendra ridicule à son travail.
Ben t’as l’air fin avec ton gâteau
Si la mère de Walter (Shirley MacLaine) n’est pas méprisée comme l’est sa fille, elle est tout autant exclue de l’aventure. Constamment associée à la sphère domestique, elle ne voyage que par l’intermédiaire de ses gâteaux qu’elle prépare pour Sean et Walter… Si elle joue à deux reprises un rôle décisif (en permettant à Walter de localiser Sean, puis en lui conservant son portefeuille), c’est toujours en tant qu’intermédiaire entre les deux hommes. Par elle-même, elle n’apporte rien d’autre à Walter que de l’amour et des gâteaux. Elle est donc strictement cantonnée au rôle de mère tel que défini par le patriarcat.
Enfin, Cheryl est réduite au rôle d’intérêt amoureux du héros. Alors qu’elle l’ignorait superbement au début (en saluant sa copine derrière lui comme s’il était invisible), elle finira dans ses bras une fois qu’il aura fait exploser son capital virilité. Elle est également exclue de l’aventure, ce qui apparaît d’autant plus injustifié qu’elle déclare au début adorer les enquêtes (elle commence même à aider Walter lorsque celui-ci peine à interpréter les indices qui lui permettront de retrouver Sean). Mais au lieu de lui donner aussi le droit de parcourir le monde, le film préfère la borner au rôle de supportrice, puis de repos du guerrier.
Envole-toi vers l’aventure mon héros, je t’attendrai fidèlement à la maison
Sur les traces de papa
Le film présente également l’aventure de Walter comme une quête du père. Quand sa mère et sa sœur ressortent ses affaires des cartons, on apprend que Walter n’a pas toujours été l’employé de bureau introverti qu’il est aujourd’hui. À l’époque où son père était encore vivant, Walter était un garçon prometteur, qui semblait bien parti pour devenir un homme accompli et qui faisait la fierté de papa. Il faisait du skate (encouragé par papa qui l’emmenait aux tournois), avait une coupe punk (que papa lui avait faite lui-même) et voyageait à travers le monde (avec la bénédiction de papa qui lui avait offert un carnet de voyage). Mais voilà, un jour papa est mort pendant que Walter était en Europe. À partir de ce moment-là, tout a basculé : Walter a perdu « le référent masculin » et s’est refermé sur lui-même. Il a arrêté le skate, s’est laissé repousser les cheveux et n’est plus reparti en voyage. Il s’est mis alors à travailler dans le fast food « Papa John’s », comme s’il cherchait désespérément à retrouver le père qu’il avait perdu.
Ooooh, je me souviens comme ton père était fier de toi quand tu avais gagné ta coupe de skate… c’est émouvant…
Par contre là, t’avais l’air un peu ridicule à faire le service dans un fast food, hihihi
Le film mobilise ainsi une rhétorique masculiniste et hétérosexiste qui prétend que la présence d’un père est une condition nécessaire du « développement normal du jeune garçon ». Sans « référent masculin », le pauvre Walter reste un petit garçon dans sa tête et n’arrive pas à s’affirmer en tant qu’homme. « Père manquant, fils manqué », comme on dit chez les masculinistes[2]…
Il lui faudra un papa de substitution pour y arriver, et ce papa ce sera Sean le viril. En effet, celui-ci joue un rôle de mentor pour Walter pendant tout le film, d’abord par l’intermédiaire du portefeuille qui lui offre et dans lequel est inscrite la devise de Life (qui inspirera Walter dans son aventure), puis en lui expliquant l’essence de la vie et de la virilité en haut de l’Himalaya, avant de taper un foot avec lui.
Son rôle de père symbolique est d’ailleurs souligné lourdement, puisque Sean se révèle être un ami intime de la mère de Walter (l’hétéroparentalité, y a que ça de vrai…).
Grâce à cette quête sur les traces de papa (il amène d’ailleurs avec lui le carnet de voyage que son père lui avait offert avant de mourir), Walter parvient à devenir un homme, un vrai. Quand il s’excusera auprès de sa mère parce qu’il n’a pas pu lui permettre de garder le piano que papa lui avait offert lors de leur mariage, celle-ci lui répondra : « Oh Walter, on est entre adultes, il n’y a pas de problème ». On comprend ainsi que l’enjeu pour Walter était de devenir un adulte (= un homme). Walter devait parvenir à faire le deuil de papa (symbolisé par le piano) pour arrêter d’être un petit garçon dans sa tête et devenir enfin un homme, un vrai. Et devenir un homme pour le film, ça veut dire se trouver une femme et être à son tour un père, ce que sera Walter avec le fils de Cheryl, qui lui enverra à la fin une vidéo de lui faisant du skate, comme Walter quand il était petit avec son père (y a pas à dire, c’est émouvant la transmission des valeurs patriarcales de père en fils…).
Culture d’entreprise et « ultra-libéralisme à visage humain »
Comme on l’a vu, la quête de Walter est purement individuelle. Cet ultra-individualisme du film apparaît avec d’autant plus d’évidence que les aventures du héros ont pour cadre un licenciement massif au sein de sa boîte. Or aucune action collective n’est envisagée par les employé-e-s, et l’idée même de s’unir pour faire quelque chose ensemble contre cette injustice manifeste semble de l’ordre de l’impensable dans ce film. En effet, alors qu’il sait qu’il va être licencié, la seule chose que Walter trouve à faire, c’est se donner corps et âme dans la dernière mission que lui a donné son horrible supérieur hiérarchique. Car l’important c’est juste de bien faire son boulot, sans réfléchir plus loin que le bout de son nez. Obéir avec zèle à ses chefs, se donner à fond pour l’entreprise, en voilà des belles valeurs…
Mais attention, à la fin ça critique quand même, parce que quand Walter a gagné sa paire de couilles et revient apporter le négatif au type qui vient de le licencier, il lui dit ses quatre vérités, et ça dénonce : « Ce que tu fais là, Ted, quand tu débarques quelque part et que tu fous tout le monde dehors… Tu devrais savoir que ces gens ont travaillé très dur pour le magazine. Ils croient en la devise de l’entreprise. Je comprends, tu obéis à des ordres qui viennent d’en haut, tu fais ce que tu as à faire, mais tu n’es pas obligé de te comporter comme un connard »[3]. En d’autres termes : « Tu peux virer tout le monde, ok, mais fais-le au moins avec le sourire, et en amenant du thé et des petits gâteaux ». Le film pose ainsi le licenciement massif comme une nécessité absolue qu’il n’y a pas à discuter, et prône une sorte d’ « ultra-libéralisme à visage humain », où l’important est juste de s’assurer que l’exploitation et les licenciements se font pacifiquement et dans la bonne humeur. Et de toute façon c’est pas grave de se faire virer puisque dans le monde libéral-merveilleux de Walter Mitty, tu retrouves un boulot sans problème si tu le mérites (comme Walter, qui s’est construit un CV de winner à la force du poing)…
L’allusion au fait que les employé-e-s de Life connaissent la devise de l’entreprise n’est pas anodine. Le film oppose en effet les gentils qui respectent cette devise et s’en inspirent (Walter et Sean) et les méchants qui s’en foutent totalement (Ted, qui la confond avec celle de McDonald’s). Les gens bien, ce sont donc ceux qui s’investissent à fond dans la vie et la culture de leur entreprise et font de sa devise un principe qui guide leur vie entière. Sean le mentor a ainsi fait inscrire la devise de Life sur le portefeuille qu’il a offert à Walter, pour guider celui-ci dans sa quête. Et c’est dans ce même portefeuille qu’il a mis le négatif de la photo qui représente selon lui « la quintessence de Life ». Or le film joue sur le double sens de l’expression : il s’agit à la fois de la quintessence du magazine Life et de la quintessence de la vie elle-même. Par ce glissement de sens, la devise d’une entreprise devient une philosophie à adopter dans toute sa vie.
Walter tout ému de voir la devise de Life Magazine inscrite sur son portefeuille en cuir (mais à part ça, « aucun animal n’a été maltraité durant le tournage »…)
Comme on le découvrira à la fin, la photo qui représente la « quintessence de Life » selon Sean montre Walter en train de travailler sur des négatifs. Il s’agit donc ici d’un hommage que le photographe vedette rend ainsi à cet homme de l’ombre qu’est Walter. Celui-ci était déjà valorisé depuis le début du film en tant qu’artisan exceptionnel et dévoué religieusement à son travail (son antre d’archiviste est presque sacralisé, car inaccessible au commun des mortels), mais c’est seulement à la fin, grâce à cet hommage de Sean-le-grand-artiste, que Walter est consacré « Grand Homme ».
Le film me semble ainsi chercher à jouer sur deux tableaux à la fois, puisqu’après nous avoir montré pendant 1 heure Walter devenir un-homme-un-vrai à coup d’exploits virils, on nous explique qu’en fait Walter était déjà un « Grand Homme » comme Sean depuis le début. Dans les deux cas, il s’agit pour Walter de devenir un homme en se distinguant du féminin, soit en devenant un aventurier-baroudeur viril, soit en étant consacré artiste génial. En effet, en tant que responsable des archives photographique, Walter pouvait passer pour quelqu’un qui ne fait que reproduire des œuvres dont Sean est le véritable créateur. Or, dans notre société patriarcale, ce sont les femmes qui sont assignées à la reproduction, tandis que les hommes se réservent le monopole de la création (« les hommes créent et produisent, les femmes procréent et reproduisent »). Ainsi, son travail plaçait plutôt Walter du côté de la féminité. Comme on l’a vu, le film exorcise doublement cette menace en embarquant Walter dans une aventure qui « lui fait la bite », et en le consacrant « Grand Artiste » par la bouche du grand Sean.
Ouf, Walter est sauvé. Non seulement il est devenu un homme viril avec des poils, qui accomplit des exploits et tombe les nanas, mais en plus il était déjà un Grand Homme sans le savoir, un artiste du négatif, la « quintessence de Life ». Et c’est vrai parce que c’est papa Sean, le grand maître de philosophie phallocratique qui l’a dit.
Paul Rigouste
[1] Cf. les articles de Charles-Antoine Courcoux (notamment « Des machines et des hommes. D’une peur de la modernité technologique déclinée au féminin », publié le livre Les Peurs de Hollywood. Phobies sociales dans le cinéma fantastique américain) dans lequel il évoque entre autres The Matrix (1999), la série Star Wars (1999, 2002, 2005), Cast Away (2000), Terminator 3 : The Rise of the Machines (2003), The Last Samouraï (2003), I, Robot (2004) ou encore Spiderman 2 (2004). Voir aussi sur ce site les articles consacrés à Oblivion et à Skyfall. Cf. aussi récemment le film Her
[2] “Père manquant, fils manqué” est le titre d’un livre de Guy Corneau (un éminent masculiniste et psychanalyste québécois), dans lequel il déplore notamment la « dérive du masculin qui est en train de se vider de sa substance » et le « déclin occidental de la virilité » (cf. le livre Contre le masculinisme : guide d’autodéfense intellectuelle, écrit par le Collectif Stop Masculinisme, p. 35-36)
[3] “This thing, that you do, Ted. Where you come into a place, and you push people out. You should know that, those people worked really hard to build this magazine. They believe in the Motto. And, I get it, you got your marching orders, and you had to do what you have to do. But, you don’t have to be such a dick.”
Autres articles en lien :
- Jack Reacher (2012) : plus phallocrate que moi, tu meurs
- Moi, moche et méchant 2 : Papa a raison
- Astérix et Obélix, Au service de sa Majesté (2012) : Virilix et Misogynix sont sur un bateau…
Je n’ai pas vu le film même si j’en ai évidemment entendu parlé (grosse promo hollywoodienne), mais je trouve atterrant de voir encore et toujours rabâché plus que jamais (lavage de cerveau, je le crois sincèrement aujourd’hui) : femme maison cuisine, homme intelligence aventure.
C’est juste fou ce verrouillage absolu tous médias confondu entretenu par une (grosse) franche des plus nantis et puissants. Cela me suggère automatiquement non seulement la non émancipation féministe, mais surtout, in fine, la non accession à quelque poste de transformation sociale que ce soit susceptible de changer ce rapport de domination « teeeeeeeeellement fragile et en danger ! brrrrr » T_T
Je n’ai pas tout à fait vu ce film ainsi. Globalement, je l’ai trouvé assez raté (à l’exception des très beaux paysages, mais je pense que même à travers la caméra d’un smartphone ils auraient semblé beaux…), mais il me semble qu’il y a deux aspects importants qui peuvent être interprétés très différemment.
En premier lieu, la photo de fin : vous l’avez recadrée pour la centrer sur le personnage de Walter, mais dans le film (ou du moins dans mon souvenir), il s’agit d’un plan bien plus large. Le fait que ce soit Walter est un code hollywoodien, je vous l’accorde volontiers, mais cette photo permet de mettre au contraire un anonyme au premier plan : qui, parmi les lecteurs présumés, sera capable d’identifier ce personnage ? On peut donc le voir comme un personnage représentatif des travailleurs.
Deuxième chose, je trouve intéressant que Walter s’intéresse au fils de Cheryl, ce qui remet en cause le schéma de la famille « parfaite » en tenant compte d’enfants non biologiques.
Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il s’agit d’un film subversif, mais seulement que l’interprétation que vous proposez peut être envisagée très différemment.
D’autre part, je suis mal à l’aise avec la manière donc vous envisagez le « coquet et son club » (légende de l’une de vos photos) : à aucun moment, je ne l’ai perçu comme efféminé (je veux bien être considérée comme une mauvaise observatrice, mais c’est mon ressenti). Il prend soin de son apparence certes, mais il est au contraire le représentant du pouvoir et, au bout du compte, il « gagne » économiquement (pas symboliquement d’accord, mais tout de même, qu’est-ce qui est le plus important ?).
Le problème est peut être plus profond, mais comment aurait-il fallu représenter un tel personnage ? Un hommme ? On l’aurait critiqué comme montrant comme toujours le pouvoir au mains des hommes. Une femme ? On aurait critiqué le film comme montrant des femmes faisant un mauvais usage du pouvoir (que n’a-t-on pas dit, parfois à juste propos mais de manière très excessive selon moi, à propos du « Diable s’habille en Prada » ou plus récemment du personnage d’Elsa dans « La reine des neiges » !). Un-e vieux-vieille sage ? On aurait dit que ce film faisait croire de manière subversive que le licenciement était la solution raisonnable. Un personnage montrant une particularité quelconque par rapport à l’homme blanc hétérosexuel (par exemple efféminé comme vous le dîtes pour ce personnage, non-blanc…) ? On aurait dit que le film présentait ce caractère comme associé aux défauts du personnage.
Bref, et je vais conclure ici, je me permets de répondre sur ce message car c’est une tendance que je vois souvent sur ce site (que je lis néanmoins avec la plus grande attention !) et en particulier (mais pas seulement) dans vos messages : la critique porte souvent sur l’image (qui est souvent interprétable de plein de manières différentes) alors que le réel problème est (selon moi et je comprendrais très bien que vous ne soyez pas d’accord) le scénario. L’existence même du personnage est problématique et toute l’apparence n’est qu’un effet secondaire : il n’existe pas de manière correcte de représenter ce personnage (à moins d’avoir réellement du talent et de faire un film comme « Ressources humaines » (qui n’est pas exempt de tout reproche mais qui est tout de même quelques niveaux au-dessus)) et c’est là que réside le problème : une n-ième variation autour du schéma « méchant-e qui oppresse le-a gentil-le et qui va gagner à la fin mais le-a gentil-le montrera quand même qu’il-elle est quelqu’un de bien ». Il ne vaut pas la pellicule sur lequel il a été tourné (mais je l’ai tout de même vu… dissonance cognitive, quand tu nous tiens !).
Enfin, merci tout de même pour cet article bien élaboré et en particulier certains points que vous avez soulevés fort à propos comme la photographie finale du couple, assez ridicule, et tous les autres aspects sur lesquels je n’ai pas répondu mais sur lesquels je partage globalement votre avis.
Merci pour votre commentaire, j’essaie de répondre point par point à vos critiques :
« En premier lieu, la photo de fin : vous l’avez recadrée pour la centrer sur le personnage de Walter, mais dans le film (ou du moins dans mon souvenir), il s’agit d’un plan bien plus large. Le fait que ce soit Walter est un code hollywoodien, je vous l’accorde volontiers, mais cette photo permet de mettre au contraire un anonyme au premier plan : qui, parmi les lecteurs présumés, sera capable d’identifier ce personnage ? On peut donc le voir comme un personnage représentatif des travailleurs. »
Non, je n’ai pas recadré la photo, le gros plan apparaît comme tel dans le film. Et ça me semble logique, vu que le film ne s’intéresse qu’à Walter de bout en bout. D’ailleurs, la dernière scène ne nous montre pas « les travailleurs » (comme aucune des scènes d’ailleurs), mais Walter qui est en train de se promener dans la rue Cheryl et qui voit sa photo faire la une de Life. Du coup, comme c’est trop une star maintenant, ben il peut enfin prendre la main de Cheryl. Il a gagné la femme, youpi. Donc à mon avis, Walter ne représente pas du tout l’ensemble des « travailleurs » pour le public qui a suivi ses aventures héroïques et exceptionnelles, ni dans cette scène, ni dans le film entier. Vous voyez ce que je veux dire ?
J’ai l’impression que le seul sens dans lequel on peut considérer Walter comme « représentatif des travailleurs » (même si à mon avis c’est déjà être trop gentil avec un film qui ne montre strictement aucune solidarité entre opprimé-e-s et a fortiori aucune conscience de classe entre les employés qui se font virer) est lui aussi archi-glauque politiquement. En effet, le « travailleur idéal » que le film valorise dans la figure de Walter, c’est l’employé soumis qui exécute les ordres sans broncher, et même avec zèle. Mieux, c’est l’employé qui croit aux valeurs de son entreprise, qui connaît sa devise par cœur et en fait le principe de sa vie. Donc même en ce sens là, je trouverais ça craignos que Walter soit « représentatif des travailleurs ».
« Deuxième chose, je trouve intéressant que Walter s’intéresse au fils de Cheryl, ce qui remet en cause le schéma de la famille « parfaite » en tenant compte d’enfants non biologiques. »
Certes, mais le cadre est tellement hétérosexiste que j’ai du mal à y voir quelque chose d’intéressant. L’idée c’est quand même que Walter veut être pour le fils de Cheryl le père que lui n’a pas eu. Avec en fond tout ce discours à la fois hétérosexiste et masculiniste qui veut qu’un fils sans père ne peut être que mal dans sa peau, parce qu’il lui manque un « référent masculin ». Quoi de plus biologisant que ce modèle de l’hétéroparentalité comme seule famille viable pour des enfants ?
« D’autre part, je suis mal à l’aise avec la manière donc vous envisagez le « coquet et son club » (légende de l’une de vos photos) : à aucun moment, je ne l’ai perçu comme efféminé (je veux bien être considérée comme une mauvaise observatrice, mais c’est mon ressenti). Il prend soin de son apparence certes, mais il est au contraire le représentant du pouvoir et, au bout du compte, il « gagne » économiquement (pas symboliquement d’accord, mais tout de même, qu’est-ce qui est le plus important ?).
Le problème est peut être plus profond, mais comment aurait-il fallu représenter un tel personnage ? Un hommme ? On l’aurait critiqué comme montrant comme toujours le pouvoir au mains des hommes. »
Je ne l’aurais pas critiqué s’il n’avait pas été un méchant efféminé. La problème avec ce genre de tropes sexistes qui opposent des gentils virils (Sean et Walter à la fin) à des méchants efféminés (Ted et ses copains), c’est qu’ils reproduisent un discours qui sanctionne celleux qui s’écartent des normes genrée (virilité pour les hommes, féminité pour les femmes), avec un mépris plus général pour ce qui est féminin (ici, le soin de son apparence).
Et la question importante politiquement n’est pas « est-ce qu’on représente des hommes de pouvoir ou pas ? », mais « COMMENT on les représente ? ». Un film qui fait l’apologie de l’homme de pouvoir viril comme Le Roi Lion, ça craint. Cf. http://www.lecinemaestpolitique.fr/le-roi-lion-et-surtout-pas-la-reine-lionne-surtout-pas/
Mais un film qui montre un homme de pouvoir viril comme un horrible, moi j’ai rien contre personnellement, au contraire 🙂 (cf. par exemple le film Daybreakers : http://www.lecinemaestpolitique.fr/daybreakers-2010-le-capitalisme-cest-la-mort/)
« Bref, et je vais conclure ici, je me permets de répondre sur ce message car c’est une tendance que je vois souvent sur ce site (que je lis néanmoins avec la plus grande attention !) et en particulier (mais pas seulement) dans vos messages : la critique porte souvent sur l’image (qui est souvent interprétable de plein de manières différentes) alors que le réel problème est (selon moi et je comprendrais très bien que vous ne soyez pas d’accord) le scénario. »
Pour moi les deux sont tout aussi importants et difficilement dissociables. Au cinéma, le propos passe par les images aussi bien que par le scénario non ? Rien que dans la manière de cadrer les individu-e-s, il y a déjà un propos qui passe. Pour prendre un exemple assez bateau, quand vous avez un champ/contrechamps avec d’abord un gros plan sur le visage d’un homme, puis un plan large sur le corps d’une femme (voire, pire, un gros plan sur une partie du corps d’une femme, genre ses seins ou ses fesses au hasard…), vous véhiculez déjà plein de chose rien que par l’image.
C’est marrant, parce qu’on nous reproche le plus souvent l’inverse dans les commentaires, à savoir de se concentrer sur les scénarios sans analyser les images (généralement, ce genre de critiques viennent de gens qui ont intériorisé le discours dominant sur le cinéma en France, qui veut que le cinéma ce soit avant tout de l’esthétique (ce qui est un moyen bien commode de ne pas s’interroger sur les représentations véhiculée d’un point de vue politique)).
Et il me semble que je parle quand même beaucoup du scénario dans cet article. Mais peut-être que je ne comprends pas le sens de votre critique.
Je comprend ce que tu dis à propos du genre Paul, mais celà dit sur cet article je trouve que ton indignation est selective et rejoins ce que dit Aurélie sur les considérations de classe.
Moi je n’ai pas trouvé non plus que le boss était spécialement efféminé. Il est à la rigueur « métro-sexuel ». Ce qui est (aussi) une forme de virilité réformée et ici vraiment dominante dans la mesure où c’est clairement le boss. Son comportement à plusieurs égard se rapproche plus d’un de celui d’un petit coq immature que d’un comportement « féminin » (sous quelque angle qu’on le prenne).
Je suis d’accord pour l’aspect masculiniste que je n’avais pas autant relevé que toi.
En revanche là j’avoue être choqué par le fait que rien ou presque n’est relevé sur les dynamiques de classe, qui y sont au moins autant exacerbées et entérinées que les dynamiques hétérosexistes. J’irai même plus loin en disant que c’est au final ce qui est le moins remis en cause dans le film. Enfin, y a pas de « concurrence » à faire mais là en l’occurence tu n’en relève que l’aspect idéologique (l’ultra-libéralisme). Ce que je trouve vraiment problématique dans la mesure où justement la mécanique du film consiste à montrer les « outrances » du capitalisme pour faire accepter le principe en incluant une critique partiale. Mais la dessus aussi le film est équivoque.
Après je suis d’accord aussi avec l’aspect « femme qui l’attend, cuisine » etc, mais en dépit des apparences, Cheryl est une femme relativement indépendante qui se sépare de son conjoint, et ne saute pas non plus sur Walter mais entretient au début une relation amicale avec lui. Elle laisse la porte ouverte. Comme le dit Aurélie lui s’intéresse à son fils. Là aussi double interprétation possible et non-contradictoire : certes la trame du film peut être vue comme masculiniste dans la mesure où là encore on en revient à la dynamique du « père absent ». Néanmoins, c’est positif qu’il s’intéresse à son fils, avec qu’il n’entretient pas un rôle justement de « père de substitution » (autorité, modèle viril) mais amicale là aussi, ou il essaie de s’intéresser à ce que fait son fils (en l’occurence le skateboard. Bon franchement j’y connais peut rien en matière de virilité, mais c’est pas non plus la quintessence du virilisme comme « sport » quand même).
D’autre part, je relève que son fils n’a pas spécialement l’air « manqué » ou mal dans sa peau, ou présenté comme « ayant besoin d’un père ».
Là aussi la conclusion que tu en tires sur le fait que de ses exploits virils il « tombe » Cheryl me semble aller un peu vite en besogne. Pour ne pas dire très schématique, tiré par les poils de la barbe. Je te rappelle qu’à la fin, il comprend avec ce qu’elle lui dit qu’elle était déjà intéressée au moment du parc et qu’elle lui faisait des appels du pied. Donc on peut tout aussi bien en conclure ce que ça veut dire « yavait pas besoin de tout ça » en gros.
D’ailleurs il me semble qu’en regardant honnêtement les scènes que tu décris comme pleines de virilisme(notamment dans ses rêves éveillés), je vois pas trop comment on peut passer à coté du fait que ces moments oniriques sont complètement auto-parodiques. Leur aspect outrancier ne semble pas indiquer « voilà ce qu’il faut que je sois » au spectateur masculin, mais plutôt que Walter a une conception complètement viriliste de ce que doit être un être humain de sexe mâle (« être un homme » en gros, selon l’expression consacrée) en décalage complet avec ce qu’il est en réalité. Ce que j’appellerai le syndrôme Eric Zemmour. Je me doute que le film n’est pas non plus une critique de la virilité, mais ces passages là me semblent vraiment parodiques. Ou alors je suis à coté de la plaque je ne sais pas…
Moi je vois surtout le virilisme et le vitalisme dans le coté quête mystique du retour à la nature (comme dans « into the wild ») et à la rigueur le masculinisme comme tu le relève dans sa relation paternelle avec Sean.
Pour en revenir à l’aspect « Klassenkampf » donc, j’ajouterai que je suis d’accord avec ce que tu dis sur l’ultra-libéralisme (et ce que les autres ajoutent), mais ça n’est pas suffisant. Et que le problème, ce n’est pas seulement l’image ou le discours véhiculé, mais le fond de ce que montre le film comme presque « tragique mais acceptable ». C’est à dire que le patron est « un sale con », mais au final c’est la vie, et c’est dans l’ordre des choses. Que le seul problème à la rigueur, c’est qu’il soit pas très « corporate » et « méchant ». Mais le comportement du coq à barbe n’est pas seulement insupportable parce qu’il serait « éfféminé » (ce qui moi aussi me semble sujet à caution) ou même « méchant » mais parce que c’est patron cynique et ultra-méprisant et que ça reflète malheureusement une certaine réalité. C’est à dire que ce que montre le film n’est qu’une question de discours idéologique sur la réalité oppressive, mais aussi des agents sociaux qui portent cette réalité. Pour le machisme, ou le masculinisme : les hommes. Pour le capitalisme : les patrons, les chefs du personnel.
La dessus au moins, il y a des aspects positifs dans le « réalisme » de ce que le film montre. C’est à dire un travailleur du 36e dessous qui tient tête à son patron, et que tu n’analyse que comme un truc de « combat de coq » (donc uniquement sous l’angle du « genre »). Alors que ça me semble sincèrement plus complexe que ça. Pour le redire, je trouve que ton indignation est sélective ladessus.
Et encore une fois je trouve ça problématique de ne pas relever ces aspects.
Je ne cherche pas à défendre ce film, puisqu’en dehors des jolis paysages et du passage avec la musique de David Bowie, je partage globalement ton dégoût pour ce film. Pour autant ça ne donne pas forcément raison à toutes les approximations ou affirmations en l’air.
De la même manière on pourrait tout aussi bien relire 1984 comme une nouvelle entièrement masculiniste et réac dans la mesure où c’est Winston qui mène la lutte et qu’il se fait poukav par Julia au parti intérieur. Métaphore alambiquée mise à part ce que je veux dire c’est qu’on peut très bien relever les aspects problématiques d’un film (même lorsque comme dans le cas de celui ils sont dominants) ou d’une oeuvre sans en faire une critique à charge, et en oblitérant d’autres aspects du film ou de la réalité qu’il décrit.
J’ai trouvé que cet article manquait globalement de la rigueur à laquelle le site m’avait habitué. Et là le manque « d’intersectionalité » déjà pointé dans d’autres articles me semble frappant.
A propos du patron métro-sexuel, on en revient à un débat complexe déjà initié sur d’autres articles. A savoir l’essentialisation du genre.
Je pense qu’à toutes époques il y a eu des modèles dominants de masculinité qui n’était pas forcément « viriliste » (caricaturalement virils), et aujourd’hui plus que jamais dans certaines branches socio-culturelles où la masculinité traditionnelle (à la papa) est vue comme « has been ».
Conséquemment, amalgamer virilisme et masculinisme me semble foireux (même si on peut condamner les deux). Il y a tout un pan des masculinistes qui revendiquent une masculinité réformée, genre « moins sexiste » ou soit disant « pas sexiste », sans même parler des faux-amis à la Weltzer-Lang (qui n’est clairement pas transphobe par exemple) qui pourtant sont clairement masculinistes.
A la rigueur justement, le film me semble aussi jouer ladessus. Mais ducoup l’analyse du patron « éfféminé » me semble d’autant plus bancale.
Je n’avais pas vu le petit bout en dessous 🙂
« Je pense qu’à toutes époques il y a eu des modèles dominants de masculinité qui n’était pas forcément « viriliste » (caricaturalement virils), et aujourd’hui plus que jamais dans certaines branches socio-culturelles où la masculinité traditionnelle (à la papa) est vue comme « has been ». »
Oui, je suis d’accord.
« Conséquemment, amalgamer virilisme et masculinisme me semble foireux (même si on peut condamner les deux). »
Oui. Mais je ne pense pas avoir amalgamé virilisme et masculinisme dans l’article. Je dis juste que le film est A LA FOIS viriliste ET masculiniste.
« A la rigueur justement, le film me semble aussi jouer ladessus. Mais ducoup l’analyse du patron « éfféminé » me semble d’autant plus bancale. »
Je ne comprends pas pourquoi l’analyse est bancale. Cf. ce que je dis dans la réponse au-dessus sur le patron « métrosexuel ».
Coucou Hosti,
Merci pour ce commentaire. J’essaie de répondre aux critiques point par point (ou de demander quand je comprends pas ou tu veux en venir). Je m’excuse à l’avance pour la longueur du pavé :-/
« Moi je n’ai pas trouvé non plus que le boss était spécialement efféminé. Il est à la rigueur « métro-sexuel ». Ce qui est (aussi) une forme de virilité réformée et ici vraiment dominante dans la mesure où c’est clairement le boss. »
Je ne comprends pas ce que tu veux dire. Tu dis que la « virilité métrosexuelle » est dominante dans le film. Mais il ne faut pas confondre « qui est le dominant dans la société dépeinte par le film » et « quelle valeur domine dans le film » (au sens de « quelle valeur le film promeut »). Certes, le métrosexuel est le patron, mais c’est avant tout le méchant, donc la mauvaise masculinité (opposée à la bonne masculinité incarnée par Walter (à la fin) et Sean).
Et après, je pense que dans ce film, il y a une opposition entre le « métrosexuel » et le « baroudeur » qui recoupe le couple virilité/féminité. Je ne parle pas ici de manières ou de comportements, je parle juste de l’apparence physique. Si l’on prend la définition de « métrosexuel » sur Wikipédia par exemple (http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9trosexuel), j’ai l’impression que se dégagent trois éléments de définitions qui correspondent aux grands thèmes du film que j’essaie d’analyser dans l’article : 1/ le métrosexuel est un citadin, 2/ il prend soin de son apparence, et 3/ il « ressemble à un homosexuel ». Or le cœur du film, c’est l’histoire d’un homme qui doit aller reconquérir sa virilité loin de la grande ville, dans la nature, et qui finit par gagner la femme habillée en robe rose. Du coup, dans ce schéma, le méchant patron métrosexuel (citadin, prenant soin de son apparence, et accompagné d’autres hommes « métrosexuels ») est le repoussoir du film, l’anti-Sean, l’anti-virilité. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ?
En résumé, je pense aussi que c’est bien un « métrosexuel », et je pense que, dans le dispositif idéologique du film, le « métrosexuel » incarne une masculinité moins virile, donc plus féminine, que la masculinité virile-aventurière-baroudeuse-sauvage incarnée par Sean (donc que ce que tu dis n’est pas contradictoire avec ce que je dis, mais que c’est au contraire lié).
« En revanche là j’avoue être choqué par le fait que rien ou presque n’est relevé sur les dynamiques de classe, qui y sont au moins autant exacerbées et entérinées que les dynamiques hétérosexistes. J’irai même plus loin en disant que c’est au final ce qui est le moins remis en cause dans le film. Enfin, y a pas de « concurrence » à faire mais là en l’occurence tu n’en relève que l’aspect idéologique (l’ultra-libéralisme). Ce que je trouve vraiment problématique dans la mesure où justement la mécanique du film consiste à montrer les « outrances » du capitalisme pour faire accepter le principe en incluant une critique partiale. Mais la dessus aussi le film est équivoque. »
Je ne comprends pas tes deux dernières phrases. Qu’est-ce que je n’ai pas analysé selon toi du rapport de classe ? Pourrais-tu expliciter ?
« Néanmoins, c’est positif qu’il s’intéresse à son fils, avec qu’il n’entretient pas un rôle justement de « père de substitution » (autorité, modèle viril) mais amicale là aussi, ou il essaie de s’intéresser à ce que fait son fils (en l’occurence le skateboard. Bon franchement j’y connais peut rien en matière de virilité, mais c’est pas non plus la quintessence du virilisme comme « sport » quand même).
D’autre part, je relève que son fils n’a pas spécialement l’air « manqué » ou mal dans sa peau, ou présenté comme « ayant besoin d’un père ». »
Pour le skateboard, je pense que c’est un sport plutôt connoté comme « masculin » dans notre société à mon avis (je ne cherche pas à invisibiliser les femmes qui le pratique, juste à savoir comment on se le représente communément). Regarde par exemple, sur la page wikipédia, la liste des « skateboarders renommés » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Skateboard#Skateurs_professionnels_renomm.C3.A9s. Ce ne sont que des hommes non ? Et ça me semble assez logique qu’il y ait monopolisation de ce sport par les hommes sous le patriarcat, puisqu’il allie des « compétences » socialement associées à la virilité, comme la recherche de la vitesse, de la hauteur, le côté « cascadeur »-risqué-dangereux, le côté maîtrise d’un outil (bricolage de la planche), voir d’un « moyen de transport » (je le dis mal car je n’y connais pas grand-chose, mais ça me semble assez évident non ?)
Et ce n’est pas parce qu’il n’est pas un père autoritaire qu’il n’y a pas un discours patriarcal-masculiniste-viril sur la relation père-fils. Je ne crois pas que présenter la relation père-fils comme une grande amitié déconstruise quoique ce soit à ce niveau, au contraire. En plus ici, on a la glorification de la transmission de l’héritage patriarcal (les valeurs viriles, symbolisées par le skate, qui est dans le film associé à des compétitions sportives et à l’exploit viril « sport extrême » de Walter sur le volcan). Donc je vois vraiment pas ce que ça peut avoir d’intéressant d’un point de vue anti-patriarcal cette relation…
« Là aussi la conclusion que tu en tires sur le fait que de ses exploits virils il « tombe » Cheryl me semble aller un peu vite en besogne. Pour ne pas dire très schématique, tiré par les poils de la barbe. Je te rappelle qu’à la fin, il comprend avec ce qu’elle lui dit qu’elle était déjà intéressée au moment du parc et qu’elle lui faisait des appels du pied. Donc on peut tout aussi bien en conclure ce que ça veut dire « yavait pas besoin de tout ça » en gros. »
Je pense que l’ambivalence du film à ce niveau est liée à l’ambivalence du discours que le film tient sur la masculinité du héros, comme je l’explique à la fin (on nous le montre devenir un homme à coup d’exploits virils pendant 1h30, puis à la fin on nous dit qu’en fait il était déjà un homme, parce qu’un artiste, donc « y avait pas besoin de tout ça », comme tu dis. Mais si y avait vraiment pas besoin de tout ça, pourquoi nous l’avoir infligé ??? pour le plaisir ? de manière totalement gratuite et incohérente ?). Là c’est pareil, il ne la tombe vraiment qu’à la fin (au sens où il la possède enfin), mais elle avait de toute façon craqué avant, parce qu’il était déjà craquant. Donc si y avait pas besoin de tout ça, pourquoi nous la montrer dans ses bras uniquement après tout ce déferlement de virilité ?
De plus, ce n’est pas parce que Cheryl était déjà amoureuse de lui que sa (re)conquête de virilité n’a rien à voir avec le fait qu’il la « tombe ». Peut-être qu’elle n’est pas amoureuse de lui parce qu’il est viril, mais peut-être aussi que c’est cette virilité nouvelle qui fait qu’il arrive à « conclure » (dans une conception à la fois hétérosexiste et sexiste du rapport du séduction où l’homme est actif et la femme passive (je rappelle que c’est lui qui lui l’invite à sortir ensemble à la fin, et c’est lui qui lui prend la main, choses dont il aurait sûrement été incapable quand il était introverti au début, mais qu’il parvient à faire à la fin, grâce à sa nouvelle paire de couilles…)
« D’ailleurs il me semble qu’en regardant honnêtement les scènes que tu décris comme pleines de virilisme(notamment dans ses rêves éveillés), je vois pas trop comment on peut passer à coté du fait que ces moments oniriques sont complètement auto-parodiques. Leur aspect outrancier ne semble pas indiquer « voilà ce qu’il faut que je sois » au spectateur masculin, mais plutôt que Walter a une conception complètement viriliste de ce que doit être un être humain de sexe mâle (« être un homme » en gros, selon l’expression consacrée) en décalage complet avec ce qu’il est en réalité. Ce que j’appellerai le syndrôme Eric Zemmour. Je me doute que le film n’est pas non plus une critique de la virilité, mais ces passages là me semblent vraiment parodiques.. »
Je pense aussi que ces scènes ont effectivement un côté un peu caricatural, de la même manière que le personnage de Sean semble parfois un peu « too much » dans le genre baroudeur viril. Mais cela ne change rien au virilisme du film. Je dirais que Sean et les fantasmes virilistes de Walter sont une sorte « idéal viril » ou de « virilité absolue » qui ne fonctionnent pas comme des repoussoirs, mais comme une sorte de direction vers laquelle aller (même si Walter n’atteint pas cette virilité à la fin, il a fait un pas vers elle). Une des preuves à mon avis, c’est que ce qu’accomplit Walter peut évoquer ce qu’il fantasme au début, comme lorsqu’il fait des figures de skates devant le fils dans le parc, scène qui fait écho à sa descente du volcan en skate. Donc certes, il y a un côté un peu rigolo exagéré, mais à mon avis, ça ne signifie pas du tout qu’il y a la moindre critique du virilisme.
A la rigueur, on peut les voir comme des fantasmes de gamin un peu immature qui a un peu trop regardé les films d’action, et que le film opposerait à la « virilité réelle » (ce qui est encore du virilisme). Mais encore une fois, la virilité réelle de Walter ressemble tellement à ces fantasmes (affronter un requin, sauter d’un hélicoptère, etc.) que même ça je suis pas sûr….
« Pour en revenir à l’aspect « Klassenkampf » donc, j’ajouterai que je suis d’accord avec ce que tu dis sur l’ultra-libéralisme (et ce que les autres ajoutent), mais ça n’est pas suffisant. Et que le problème, ce n’est pas seulement l’image ou le discours véhiculé, mais le fond de ce que montre le film comme presque « tragique mais acceptable ». C’est à dire que le patron est « un sale con », mais au final c’est la vie, et c’est dans l’ordre des choses. Que le seul problème à la rigueur, c’est qu’il soit pas très « corporate » et « méchant ». Mais le comportement du coq à barbe n’est pas seulement insupportable parce qu’il serait « éfféminé » (ce qui moi aussi me semble sujet à caution) ou même « méchant » mais parce que c’est patron cynique et ultra-méprisant et que ça reflète malheureusement une certaine réalité. C’est à dire que ce que montre le film n’est qu’une question de discours idéologique sur la réalité oppressive, mais aussi des agents sociaux qui portent cette réalité. Pour le machisme, ou le masculinisme : les hommes. Pour le capitalisme : les patrons, les chefs du personnel.»
Je ne comprends pas où tu veux en venir. J’ai l’impression que tu reviens en arrière dans ton raisonnement. De la manière dont je le comprends, j’ai l’impression que tu dis en gros « Je suis d’accord sur le fait que le film soit au final une apologie du capitalisme et du libéralisme, mais bon c’est bien qu’on montre qu’il y a des patrons qui soutiennent le capitalisme et le libéralisme par leur acte ». J’ai envie de dire « Ok, mais si c’est pour entériner l’ordre capitaliste-libéral en disant « on y peut rien, et il faut juste que les patrons exploitent en douceur », je vois pas très bien où est l’intérêt politique »… Mais ptet que c’est pas ce que tu veux dire (et si c’est le cas, tu veux dire quoi ?).
« J’ai trouvé que cet article manquait globalement de la rigueur à laquelle le site m’avait habitué. Et là le manque « d’intersectionalité » déjà pointé dans d’autres articles me semble frappant. »
Encore une fois, qu’est-ce que je n’ai pas analysé dans le rapport de classe selon toi ? Car je ne comprends pas ce que tu reproches à mon analyse. Qu’est-ce que j’ai « oblitéré » selon toi ? (désolé, mais je ne comprends vraiment pas, j’ai du mal, j’ai l’impression que tu dis la même chose que moi, en étant juste un peu plus gentil avec le film, mais je ne vois pas ce que tu me reproches d’avoir passé sous silence).
Bisous, et désolé encore pour la taille du pavé…
À propos de l’ultralibéralisme du film , il faut préciser que les placements de produits sont permanents dans ce film à tel point que ça ressemble à une très longue pause-publicité. Dire que certains ont payé pour voir ça…
Oui c’est vrai que maintenant que vous le dites, je me souviens avoir tilté plusieurs fois sur des gros plans bien scandaleux à ce niveau. Ce qui est bien au moins avec ce film, c’est qu’il est cohérent … 🙂
Dans le genre, je ne sais pas si vous avez vu The Internship, avec Vince Vaughn et Owen Wilson, sorti l’an dernier lui-aussi (http://en.wikipedia.org/wiki/The_Internship). Là c’est le niveau au-dessus, car c’est carrément assumé comme une immense pub de 2h pour Google (avec mention spécial pour le générique final). Comme dans Walter Mitty, y a aussi toute cette apologie de la culture d’entreprise et du dévouement total à ton entreprise qui donne sens à ta vie. C’est juste absolument gerbant.
The Internship est assez grandiose en effet, et en même temps pour Google ça fait presque amateur tellement c’est gros 🙂
Merci pour cette analyse très juste. J’ai trouve le film sympathique mais j’ai soupire de nombreuses fois devant tous les cliches sexistes qui s’accumulent.
D’ailleurs Paul, vous ne mentionnez pas la scene ou Walter, une fois redevenu viril, n’est plus timide et se rend directement a la maison de Cheryl pour lui avouer ses sentiments. C’est l’ex mari qui ouvre la porte et du coup, Walter repart sans avoir parle a Cheryl. Cette scene (qui existe dans un million de fims) peut etre vu comme le tact de celui qui met son envie de cote pour laisser celle qu’il aime meme avec un autre.
Mais j’y vois aussi un sexisme ou la femme devient propriete (d’un homme) avant d’etre une personne capable de prendre d’elle meme des decisions.
Ca me fait penser aux temoignages sur le harcelement de rue:
des femmes peuvent dire non sur tous les tons et le harceleur n’entend rien: le consentement de la femme n’a aucune importance. Soudain, il est fait mention d’un mari ou d’un petit ami et le harcelement s’arrete: on respecte le fait que la femme soit deja la propriete d’un autre homme..
Walter pourrait au moins parler directement a Cheryl:
« tu es revenue avec ton ex mari? »
et si elle repondait:
« oui mais c’est toi que j’aime! »
ou
« non on a juste couche ensemble hier mais c’est tout. »
Effectivement, je n’y avais pas pensé en voyant la scène en question, mais je suis d’accord avec vous. Décidément, ce film est un chef d’oeuvre inépuisable 😉
Merci pour cette analyse ! J’avais aimé le film et étais passée assez stupidement à côté de pas mal de choses, surtout sur la valeur travail.
Par contre il y a deux trois points qui me semblent exagérés : je ne dirais pas que le film est masculiniste; certes, il manque sévèrement de personnages féminins qui existent pour elles-mêmes, mais pour moi, « c’est tout ». Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de message du style « remettre les femmes à leur place », « elles sont trop envahissantes » ou autre message purement misogyne. Je vois plutôt le sexisme à travers le masculin universel, les rôles assez clichés de la soeur fofolle, la môman, l’hétéronormativité. De même, je n’ai pas trouvé le méchant efféminé du tout (je dirais plutôt : au contraire, c’est un leader, il occupe bien l’espace de parole avec ses blagues de merde, il est habillé en costume…).
Je trouve aussi que Cheryl est un personnage plus intéressant que ce que vous dites dans l’article : la scène où elle ignore Walter me semble bien plus montrer que lui est invisible, et juste après elle lui parle, donc bon ^^
Sinon, la scène avec Sean où il ne prend pas la photo pour mieux savourer l’instant présent, je ne vois pas où est le problème en fait. Je dirais plutôt que c’est révélateur d’un problème que ce soient beaucoup plus les hommes que les femmes qui vont penser à elleux plutôt qu’aux autres, mais sur ce coup, j’estimerais préférable que les femmes apprennent à prendre des moments pour elles et à savourer la vue, que les hommes arrêtent de le faire…non ?
Merci pour votre commentaire. J’essaie de répondre point par point.
« Par contre il y a deux trois points qui me semblent exagérés : je ne dirais pas que le film est masculiniste; certes, il manque sévèrement de personnages féminins qui existent pour elles-mêmes, mais pour moi, « c’est tout ». Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de message du style « remettre les femmes à leur place », « elles sont trop envahissantes » ou autre message purement misogyne ».
Pour moi, le schéma où les femmes sont exclues d’une aventure qui permet à un homme de retrouver sa virilité (notamment en s’inspirant d’un modèle masculin viril), c’est déjà largement masculiniste. Il n’y a pas besoin de représenter les femmes comme des méchantes harpies castratrices pour verser dans le masculinisme. En plus, on retrouve dans Walter Mitty un bon nombre de thèmes classiques du masculinisme (le fils qui manque de point de repère masculin parce que son père est mort et qu’il a été élevé par des femmes, la société qui se féminise (notamment à cause des nouvelles technologies), l’homme qui a perdu le contact avec sa virilité et qui doit la reconquérir, etc.). Sur le masculinisme, il y a des brochures intéressantes ici, au cas où ça vous intéresse et que vous ne les connaissez pas : http://lagitation.free.fr/spip.php?rubrique37
« De même, je n’ai pas trouvé le méchant efféminé du tout (je dirais plutôt : au contraire, c’est un leader, il occupe bien l’espace de parole avec ses blagues de merde, il est habillé en costume…). »
Je ne parlais pas de son comportement (à ce niveau, je suis d’accord avec vous), mais juste du soin qu’il apporte visiblement à son apparence, qui est clairement et explicitement opposé par le film au style baroudeur de Sean et Walter quand il a retrouvé sa virilité. Sinon, comment expliquez-vous le fait que le film attire autant l’attention sur cette barbe (qui est assez inhabituelle au cinéma non ?) ?
C’est par ailleurs un truc que l’on retrouve assez régulièrement dans la représentation des méchants Disney par exemple, type Jafar dans Aladdin ou Radcliff dans Pocahontas : http://www.lecinemaestpolitique.fr/mechants-et-mechantes-chez-disney-2-hommes-faibles/. Et il y a la même opposition entre héros virils qui ne prennent pas soin de leur apparence et méchants coquets (pensez par exemple dernièrement à La Reine des neiges, avec Christoph le gentil bourru qui pue opposé à Hans le méchant bien habillé tout bien peigné et tout propre : http://www.lecinemaestpolitique.fr/la-reine-des-neiges-ou-quand-disney-avance-dun-pas-et-recule-de-trois/)
« Sinon, la scène avec Sean où il ne prend pas la photo pour mieux savourer l’instant présent, je ne vois pas où est le problème en fait. Je dirais plutôt que c’est révélateur d’un problème que ce soient beaucoup plus les hommes que les femmes qui vont penser à elleux plutôt qu’aux autres, mais sur ce coup, j’estimerais préférable que les femmes apprennent à prendre des moments pour elles et à savourer la vue, que les hommes arrêtent de le faire…non ? »
Oui, mais je pense que ce n’est pas aussi simple que ça, car les privilèges qu’ont les hommes ne sont pas déconnectés de la domination qu’ils exercent sur les femmes. Le corrélat de « les hommes pensent avant tout à eux », c’est « les femmes pensent avant tout aux hommes ». Du coup je ne pense pas qu’il soit possible d’éradiquer la domination masculine en faisant juste évoluer les normes de féminité, sans toucher au reste (à la masculinité, construite sous le patriarcat par rapport à la féminité, dans un rapport à la fois d’opposition et de domination vis-à-vis d’elle).
C’est comme si vous disiez « le problème c’est pas que les hommes ont du pouvoir, c’est que les femmes n’en ont pas assez, donc il faut pas en enlever aux hommes, mais juste en donner plus aux femmes ». Ce genre de conception du féministe est très séduisante pour les hommes, puisqu’elle leur donne l’impression que le problème c’est pas eux et les privilèges qu’ils ont, mais les femmes. Mais le problème c’est que concrètement, ce pouvoir qu’ont les hommes, c’est un pouvoir qu’ils ont sur les femmes. C’est pour ça que je trouve mystificateur le discours qui présente le féminisme comme « gagnant-gagnant » pour les femmes ET LES HOMMES. Il me semble que la seule manière d’en finir avec la domination masculine est que les hommes perdent les privilèges et le pouvoir qu’ils ont sur les femmes. (Désolé, je suis très fatigué et j’ai du coup beaucoup de mal à m’exprimer clairement et simplement, j’espère que je ne suis pas trop incompréhensible. Dites-moi si c’est le cas)
Pour revenir à l’exemple du film que vous citez, pour que les femmes « prennent des moments pour elles » et « pensent plus à elles et moins aux autres », il ne faut pas juste qu’elles « apprennent à le faire » (ce qui revient à désigner les femmes comme le seul problème), mais que les hommes fassent plus de choses « pour les autres », c’est-à-dire pour les femmes. Donc prennent en charge leur part du travail (physique et psychologique) que les femmes font pour eux, et qui leur permet d’avoir le temps de penser à eux et de « savourer la vue ». Vous voyez ce que je veux dire ? (j’ai l’impression de pas arriver à être clair, désolé si c’est le cas).
Merci pour votre réponse !
Par contre j’ai dû mal m’exprimer parce que je ne pense pas du tout que ce soit aux femmes de changer d’attitude, je suis au contraire super critique des discours type ‘il faut que les femmes soient plus ambitieuses conquérantes etc’, même si c’était possible d’avoir une société égalitaire avec des valeurs qui sont actuellement masculines, je préfèrerais une société égalitaire qui soit portée sur le care et l’attention aux autres, etc. Je pense juste que c’est important au niveau individuel de prendre des moments pour soi et c’est un des rares trucs que j’estime être une véritable qualité parmi les caractéristiques typiquement masculines. C’est pour ça que je disais « sur ce coup », justement parce que je ne pense pas qu’il soit « possible d’éradiquer la domination masculine en faisant juste évoluer les normes de féminité, sans toucher au reste », et que même si c’était possible, ce n’est pas ce que je souhaiterais.
Mais j’ai beau repenser au film, je ne vois toujours pas son voyage comme une quête de virilité en fait. Je pense que c’est ça qui fait que je ne vois pas le film comme masculiniste et vous si. J’ai l’impression qu’il essaie d’échapper à un monde de bureaucratie plutôt qu’à un monde féminisé, et au final son voyage lui permet d’avoir la nana etc (donc je vois bien le sexisme), mais je ne vois pas la trame comme fondamentalement masculiniste. En fait je suis capable d’imaginer le film avec un rôle principal féminin sans que ça casse l’idée de base, même si plein de petites scènes auraient été différentes, j’en suis bien d’accord.
« J’ai l’impression qu’il essaie d’échapper à un monde de bureaucratie plutôt qu’à un monde féminisé »
Oui, mais je ne pense pas que ce soit incompatible !
Après je sais pas si j’irai jusqu’à dire que le film critique « un monde de bureaucratie ». Peut-être qu’on entend pas exactement la même chose sous ce mot. Mais pour moi, le mot « bureaucratie » connote un peu une sorte d’organisation hiérarchique qui empêcherait les individus de développer leur individualité, car ils seraient comme des rouages d’une grosse machine impersonnelle, et totalement soumis aux ordres venant d’ « en haut ». Or, à mon avis, le film ne critique pas du tout ça, puisque comme je l’ai dit dans l’article, Walter se donne corps et âme pour son entreprise, il obéit avec zèle aux ordres de son horrible supérieur hiérarchique, et cela est valorisé par le film (cette idée que ce sont les petites gens qui se dévouent à leur entreprise qui sont « la quintessence de la vie »). Pour moi, on est à fond dans de l’apologie de la « bureaucratie capitaliste ».
En plus, l’entreprise ne constitue pas un obstacle à l’épanouissement de l’individualité de Walter, puisque 1/ il est présenté comme un artisan/artiste du négatif au sein de son entreprise, et 2/ la quête qui lui permet de retrouver le contact avec lui-même (et avec sa virilité selon moi) est en même temps une mission au service de son entreprise. Pour le film, l’individu et la bureaucratie hiérarchique ne sont pas incompatibles, au contraire : l’individu ne se réalise pleinement qu’à l’intérieur de l’entreprise (cf. le discours selon lequel l’employé épanoui est celui qui a fait de la devise de son entreprise la devise de sa vie tout entière).
Et après pour ce qui est de la dimension masculiniste/viriliste, pour moi elle est vraiment omniprésente. C’est pas juste quelqu’un qui va voyager à travers le monde (pour par exemple rencontrer des gens, créer des choses avec elleux, etc.), c’est un mec qui combat un requin, saute d’un hélicoptère, échappe à une éruption volcanique, bat des autochtones à la course, fait un marathon vélo/course à pied, escalade l’himalaya et discute avec un pote barbu sur le sens de la vie avant de taper un foot avec lui ! Si tout ça c’est pas connoté virilité dans notre société, alors l’émission Man VS Wild est le plus beau documentaire féministe jamais réalisé 😉
Je n’ai pas vu le film, mais à la lecture des commentaires, j’ai tiqué sur la corrélation que vous faites entre « prendre soin de sa personne » et « efféminé ». Si les méchant·es, dans les films, sont bien habillé·es et apprêté·es, cela renvoie pour moi plus à un archétype de classe. J’entends encore mes grands-parents et mes parents m’engueuler parce que je n’avais pas mis mes habits du dimanche pour aller à l’église : il ne fallait surtout pas ressembler à un·e prol’. C’est les bourges qui ont les moyens d’être toujours bien habillé·es, manucuré·es, peigné·es etc. Sans vouloir dédouaner les implicites de ce film qui sont plutôt conséquents.
En ce qui concerne ce film en particulier, j’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment d’opposition bourgeois/prolétaires, car le peu que l’on voit du mode de vie des employé-e-s de l’entreprise (à savoir Walter et Cheryl), ça ressemble assez à de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure il me semble. J’ai l’impression que l’opposition efféminés/virils recoupent plus ici une opposition entre les citadins (au sens de ceux qui vivent dans une grande ville, donc dans un monde envahi par les technologies) et ceux qui sont plus proches de la nature (que ce soit les prolos islandais ou Sean l’artiste photographe). Mais après ptet qu’il y a aussi une opposition de classe que je n’arrive pas à voir.
Sinon, ce que vous dites me fait penser au stéréotype hollywoodien classique du méchant à l’accent britannique. Car dans ce cas il y a souvent à la fois une dimension de genre (l’accent britannique fait efféminé pour les américain-e-s) et de classe (l’accent britannique fait aristocrate). Après ça se recoupe sûrement en partie (avec hétérosexisme et anti-intellectualisme en plus) dans des amalgames du type : aristocrate = cultivé = maniéré = homo = efféminé etc.
Mais bon, après je n’y ai pas assez réfléchi pour être plus précis. J’avais juste l’impression que ce n’était peut-être pas tant la bourgeoisie qui était visé par ces stéréotypes sexistes/hétérosexiste/classistes que l’aristocratie (cf. les britanniques, qui sont historiquement pour les américains l’ordre ancien). Parce que ça serait quand même bizarre que les gens qui font des films à Hollywood valorisent les prolos contre les bourgeois (il n’y a qu’à voir les représentations classistes de prolos type Killer Joe ou Don Jon). Mais après peut-être que je dis des bêtises. C’est tellement vaste comme question que c’est aussi sûrement difficile de résumer ça en deux phrases. Si quelqu’un-e a des idées sur la question ça m’intéresse.
Paul lorsque tu dis « En ce qui concerne ce film en particulier, j’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment d’opposition bourgeois/prolétaires, car le peu que l’on voit du mode de vie des employé-e-s de l’entreprise (à savoir Walter et Cheryl), ça ressemble assez à de la classe moyenne, voire classe moyenne supérieure il me semble. »
Justement, moi ça me semble extrêmement problématique que tu ne la vois pas cette dynamique de classe. C’est un problème que tu « n’ai pas l’impression » qu’il y a opposition. Parce qu’il y a clairement de gros antagonismes de classes montrés dans le film. Le fait que les gens se fassent virer et savent que ça va les mettres vraiment dans la merde.
Pendant tout le film, on voit Walter scruter ses comptes et se demander comment il va payer son appart, son crédit et la maison de retraite de sa mère. Je pense que ce tu dis sur la « classe moyenne aisée » est aussi assez problématique parce que c’est typiquement avec ce type de discours qu’on neutralise toute analyse des dynamiques de classe.
C’est à dire en amalgamant des travailleurs sans résponsabilité de pouvoir ni capital (comme Walter et ses collègues dans le film) et patrons/capitalistes/PDG/propriétaires dans « la classe moyenne ». La « classe moyenne » ça existe pas. Il y a à la rigueur une « aristocratie ouvrière » ou des salariés qui s’en sortent mieux que d’autres (comme Walter), mais toujours suspendu au pouvoir patronal, à leur statut précaire de prol et à ce que ça peut entrainer.
Alors que dans ton discours, il ya une espèce de sous entendu du genre « finalement il s’en sort pas si mal ». Qu’il semble avoir un cadre de vie plutôt confortable peut tout aussi bien être mis en lien avec son ancienneté dans l’entreprise ou encore ses crédits. Pour avoir eu pas mal de problèmes de thunes ces dernières années, moi je vois pas comment on peut ne pas avoir non plus cet aspect du film. En tout cas je comprend que ça puisse parler à plein de gens.
Durant toute la longueur du film il se fait humilier par son boss et même ses collègues condescendants qui lui sous-entendent lourdement qu’il sert un peu à rien. Il n’est même pas journaliste, etc. Il occupe le poste le plus bas dans la hiérarchie, c’est un technicien de sous-sol. En fait, même si leur relation est « paternaliste/masculiniste », le seul à reconnaitre son travail, c’est le photographe célèbre envoyé à péta-ouchnok.
Mais dans la réalité, sans le développeur photo : pas de journal. Comme sans l’imprimeur : pas de journal. Le seul aspect positif du film, c’est à dire le fait qu’il tente un peu de rendre hommage à la « dignité du réel » (même si c’est dans un discours « libéral à visage humain ») te passe sous le nez. Encore une fois c’est problématique que tu sois aveugle à certaines formes de contradictions sociales ou d’antagonismes je pense. Surtout quand en plus, d’autres gens te le font remarquer…
J’ai l’impression que tu déformes ce que je dis dans ce commentaire et dans l’article, et que du coup tu m’attribues une position qui n’est pas la mienne. Peut-être que je n’étais pas assez clair, je m’en excuse si c’était le cas. Je vais essayer de clarifier. Tu me diras si tu es d’accord.
D’abord, sur le fait que je serais totalement aveugle aux antagonismes de classe dépeints par le film. Pour moi, ce n’est pas que je ne les vois pas, c’est juste qu’ils n’y sont pas, pas en tout cas au sens d’une lutte des classes entre exploiteurs et exploité-e-s.
C’est ce que j’essaie d’expliquer quand je dis que le film est hyper-invidualiste dans sa manière de se concentrer sur la quête individuelle de Walter, en n’envisageant jamais une lutte collective, et en sous-entendant que Walter va de toute façon se retrouver un boulot sans problème.
De même, en reprochant uniquement au méchant patron de ne pas avoir été poli, le film sous-entend qu’il s’agit juste d’un problème individuel (si le patron avait licencié les employé-e-s dans le respect, il n’y aurait rien eu à reprocher, puisque de toutes façons les licenciements c’est dans l’ordre des choses capitaliste-libéral).
Donc, pour moi, ce n’est pas moi qui ne voit pas l’antagonisme de classe, c’est toi qui le voit dans le film alors qu’il n’y est pas, ou alors qu’il y est brièvement évoqué pour être ensuite progressivement occulté (puisque le film atomise finalement les classes en se concentrant sur les individus, et disqualifie du coup l’idée de « lutte des classes » comme outil de compréhension et de lutte contre le capitalisme).
Ensuite, à propos de ma réponse à Pynchon, qui consisterait à « neutraliser les dynamiques de classes » en « amalgamant des travailleurs sans responsabilité de pouvoir ni capital (comme Walter et ses collègues dans le film) et patrons/capitalistes/PDG/propriétaires dans « la classe moyenne » ». Je suis totalement d’accord avec toi sur la dangerosité politique du discours type « la lutte des classes n’existe plus, car maintenant il y a plus qu’une grande classe moyenne ».
Mais ce n’est pas du tout ce que je disais ici. Il me semble que tu as extrait la citation de son contexte. Il était question ici non pas d’une opposition de deux classes au sein du mode de production capitaliste (exploiteurs/exploités), mais juste de deux classes au sens de « groupe qui ont des comportements, habitudes, modes de vie, etc. différents, et se distinguent du fait de ces modes de vie (comme décrit par exemple Bourdieu dans La Distinction, pour faire une référence pompeuse :-/). Tu vois ce que je veux dire ?
J’ai l’impression qu’il peut-être pas mal de distinguer ces emplois des mots, car sinon j’ai l’impression que ça peut mener à des amalgames du genre un-e ingénieur-e qui gagne 5000 euros par mois chez Total et qui va se qualifier de « prolétaire » au même titre qu’un-e travailleuses/eur précaire qui gagne à peine le smic, tout ça parce qu’ille n’est pas « patron/capitaliste/PDG/propriétaire ». Ou encore des profs qui se disent « prolétaires » (et surtout pas « bourgeois ») parce qu’ils n’exploitent personne et sont salarié-e-s. Du coup je pense qu’il faut définir précisément ce qu’on entend par l’opposition « bourgeois/prolétaires », car si ça peut être utile politiquement dans certains contextes, j’ai l’impression que ça peut embrouiller dans d’autres.
Bref, tout ça pour dire que je n’étais pas en train d’affirmer qu’il n’y avait pas de lutte de classe ou d’exploitation capitaliste, mais que je disais juste que Walter ne me semblait pas dans le film caractérisé comme un prolo (type les personnages de Killer Joe, Shotgun Stories, ou autres), mais plus comme un membre de la classe moyenne, au niveau de son mode de vie et de ses « habitus de classe ».
Après bien sûr que je pense qu’il est exploité au sein de sa boîte, mais c’est une autre question. Comme je l’ai expliqué, je pense qu’à ce niveau, le film est dans l’occultation de la lutte des classes, au sens d’opposition entre des exploiteurs et des exploité-e-s au sein du capitalisme (puisque, encore une fois, on a ce discours selon lequel « tout le monde fait ce qu’il a à faire, on ne peut en vouloir à personne, puisque c’est la déesse économie qui décide du cours du monde »). Et à ce niveau, le film montre le méchant licencieur comme tout aussi peu responsable de l’exploitation que Walter. Avec au final, le portrait d’un rapport d’exploitation sans exploiteurs, mais que des victimes.
Est-ce que tu vois ce que je voulais dire ? Et est-ce que tu es d’accord ?
Coucou Hosti,
Je dis peut-être des bétises, mais est-ce qu’on est pas dans l’opposition entre « classe en soi » et « classe pour soi » (ou un truc comme ca)?
J’ai l’impression qu’il est possible de voir dans le film, à partir du moment où il y a licenciement massif, un embryon de « classe en soi », au sens où le film au moins parle d’une réalité qu’est le licenciement, là où des milliers de films l’occulte.
Cependant, il faut voir comment le film en parle. A aucun moment dans ce film n’est t-il même vaguement question que les travailleurs-euses s’organisent, luttent, protestent plus qu’un « ah, c’est dommage ». Il me semble même que la nécéssité des licenciements massifs est entérinée par le film, comme le dit Paul.
Qui plus est, le film nous montre via son personnage principal, qu’en fait il suffit de se « prendre en main » (traduction: « vivre une aventure virilisante ») et vous obtiendrez rapidement un nouveau boulot*, parce que le boulot c’est pas ca qui manque (pour les winners, bien entendu, les loosers on s’en fout).
Et ca c’est méga problématique, parce que du coup j’ai l’impression que le film n’évoque que les licenciements massifs pour mieux les justifier et mysitifier leurs effets réels.
C’est fonction d’ailleurs de l’hyper-individualisme du film. En se concentrant uniquement sur un type qui s’en sort merveilleusement bien, le film occulte complètement les dizaines d’autres personnes qui connaissent des effets très néfastes suite à un licenciement.
Mais je pense que le fait que nous aillons à faire ici à un groupe de personne assez « aisé » n’est pas anodin, car cela permet de faire passer la pillule du licenciement dans le fait qu’on se dit « bin illes ont des économies, et des bons CVs, des compétences de valeur sur le marché du travail etc., illes vont s’en sortir ». Et encore une fois LE personnage qu’on suit s’en sort à merveille.
Du coup pour moi le film évoque l’idée d’un POSSIBLE ou POTENTIEL antagonisme de classe (parler de licenciement massif veut dire qu’on se pose peut-être au moins la question en tant que spectatrice-teur) pour mieux le neutraliser et le mystifier.
Du coup c’est vrai que, comme Paul, j’ai vraiment du mal à voir le potentiel subversif du film. A la rigueur, dans un océan de pauvreté absolu sur ces questions-là, peut-être qu’on peut se dire que le film à le mérite d’au moins invoquer une réalité comme celle-là.
Mais entre ne pas l’invoquer du tout, et l’invoquer pour le justifier et en mystifier les effets…bin je préfère aller regarder Norma Rae, perso 🙂
*cette réalité totalement fantasmée me rapelle Kramer vs Kramer, où Dustin Hoffman retrouve un boulot en moins de 12 heures, juste parce qu’il « l’a demandé ». Ce loin d’être le plus grand problème avec ce film, mais cette facon totalement libérale et fantaisiste de representer le monde du travail et de l’embauche m’avait choqué
J’ai oublié de noter que Cheryl s’intéresse aussi à son travail. Mais en fait pas tellement plus que ça. Elle est là plutôt dans une position traditionnelle (donc sexiste) de soutien féminin mêlé à un truc de « discussions de boulot » et d’entraide entre collègue à la rigueur.
Bonjour,
J’ai suivi plusieurs de vos analyses de film et tiens d’abord à vous féliciter pour la précision et la rigueur de celles-ci. Et si je trouve que certaines sont très justes notamment quant à la dénonciation de la mise en scène d’un scénario sexiste et dégradant pour l’image de la femme, je tiens néanmoins à tenter d’apporter un élément nouvel élément de refléxion sur la question, élément m’étant apparu après la lecture de cette dernière analyse sur « la vie rêvée de Walter Mitty » et qui je l’espère vous amenera à repenser certains aspects de ce film.
Le problème majeur de votre réflexion selon moi est que vous reproduisiez inconsciemmment le « collage d’étiquette » que vous dénoncez tant et si bien par ailleurs. Et beaucoup des personnes ayant laissé un commentaire sur cette page l’ont préssentie dans l’analyse que vous faites du personnage de Ted Hendricks. Je vous cite: » il y a ces hommes à la barbe raffinée, qui prennent soin de leur apparence comme des gonzesses » . En effet à aucun moment dans le film n’est fait un quelconque parallèle entre ce personnage et celui d’une femme, ou n’est mentionné le fait que sa personnalité ou sont apparence n’est effémninée. Vous même mon cher Paul regardez donc ce film, chargé de préjugés comme nous le somme tous, et voyez en cet homme une critique de la femme, en suivant le raisonnement suivant : » il prend soin de son apparence, et qui prend soin de son apparence? Les femmes. Donc forcément cet homme est efféminé « . Selon moi ce personnage dénonce au contraire tout autre chose. Le film parle en effet d’un retour de l’homme vers la nature, et Ted en est l’antythèse: homme Ultra civilisé, qui prend soin de sa personne jusque dans le détail . Il est effectivement tourné en dérision quant au soin qu’il porte à lui même, et comparé au personnage de Walter qui choisit au contraire le retour et la reconnexion à la nature(chacun sa barbe ! ). En celà je pense que l’on peut dire que ce film porte un regard critique sur notre société actuelle, en nous montrant que quand on choisit une vie « dans la nature » on a la classe, comme Benou.
Deuxième point beacoup plus court celui-ci, votre remarque par rapport aux personnages annexes ( le pilote , les enfants jouant au foot et Cheryl ) me semble elle aussi injustifiée. En effet , ce film est l’histoire d’UN personnage.Un homme en l’occurence. Pour autant, dire que le fait de ne parler de la vie des autres signifie que l’on n’a pour eux pas la moindre considération est je pense un non sens. Le pilote dans son hélico est grand, il a choisi d’être soul au commande de son vaissaux et en rien celà ne regarde Walter ( qui tente tout de même, à demi mot, de l’en dissuader : » Vous allez vraiment conduire ? Dans cet état ?? » ).Le personnage principal n’est pas non plus Cheryl : bien dans sa vie et dans sa tête, à l’aise avec elle même, elle n’a pas besoin de ce « rituel » que suit Walter, et qui lui permet non pas de devenir le stéréotype de l’homme viril, mais simplement quelqu’un d’épanoui, confiant et de bien dans sa peau.
A la lumière de ces réflexions personnelles, j’espère que vous serez désormais à même de portez un jugement nouveau sur cet oeuvre, qui reste néanmoins, je le conçois, répréhensible.