Répondre à: Mauvaise Conduite, documentaire critique sur la bagnole

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Izit
Invité

Ça m’a rappelé cette pub où on voit une nana s’apprêter à faire la grasse mat’, mais y a son SUV qui a l’air de lui dire : « Debout, fainéasse. » Alors, hop, en femme-dynamique-qui-fait-mille-choses-dans-la-journée*, elle enfile une tenue sportive, saute dans son ignoble engin, prend la route de sa banlieue en toc, et tout ça pour faire quoi ? Sautiller sur un bout de gazon vert fluo en bordure de parking, des écouteurs aux oreilles, sous la direction d’un « coach » – de nos jours, même sautiller semble requérir l’assistance d’un expert. Voilà le mode de vie qu’on est censés désirer ardemment.
On essaie même plus de justifier l’achat d’un SUV par le prétexte d’une utilisation tout-terrain. Il y a quelques décennies, les voitures qui cartonnaient, c’était les 2 CV, Fiat 500 et autre Coccinelle, qui vous avaient un air plutôt gentillet. On assiste maintenant à la prolifération de ces machines couleur gris requin aux pare-chocs agressifs qui prennent une place délirante et terrorisent le piéton.
C’était sacrément bien vu de montrer cette pub où on fait hurler à un mec : « C’est moi, le patron ! » Parce qu’il s’agit aussi de nous faire gober qu’on est encore ce qu’on n’est plus depuis longtemps, si tant est qu’on l’ait jamais vraiment été, à savoir un individu autonome – d’où aussi le nombre de pubs qui braillent « Vous êtes unique ! » pour tenter de vous fourguer des produits fabriqués en série.
Mais, au sujet de l’auto-stop, y a une contradiction qui m’a toujours emmerdée. J’ai jamais passé le permis non plus, mais en faisant du stop ou en profitant de la bagnole de potes, je compte que les autres fassent ce que je me refuse noblement à faire – encombrer les routes, défigurer le paysage, assassiner l’environnement, etc. Faut pas se leurrer, c’est pas du tout une réponse au tout-bagnole. Le gars qui se trimballe avec son âne est plus cohérent.
En plus, j’ai été sciée par une réflexion d’un des auto-stoppeurs, et c’est là-dessus que je pars un peu plus longuement, même si ça touche pas directement la bagnole. Il dit qu’il préfère le stop au train parce que, dans le train, il se fait chier ou passe son temps à pianoter sur son téléphone. Or ce sont précisément les écrans en tout genre qui ont tué le voyage en train. Y a vingt ou trente ans, je descendais rarement d’un train sans avoir eu une bonne petite tchatche avec d’autres voyageurs. Quand j’étais môme, s’installer avait même carrément des allures d’emménagement. Ça sortait les serviettes, les journaux, les fourchettes, les tricots, les couteaux, les plaids, les paniers pleins de bouffe. C’est tout juste si on disposait pas les photos de famille sous la fenêtre. On voit encore ça dans les trains de pays « reculés ».
Ici, y a plus aucun plaisir à prendre le train. On a envie de chialer à la vue de tous ces yeux hypnotisés par leur putain d’écran, comme un cauchemar d’anticipation des années 50 devenu réalité. Impossible d’échapper au voisin de siège qui vous emmerde avec le tic-tic-tic de ses doigts sur son ordinateur portable et/ou qui ferme toute communication possible en passant son temps à s’esquinter le pouce sur son smartphone. J’aime pas les téléphones portables, j’en ai jamais eu. Pour être dans le voyage, rencontrer des gens, regarder le paysage (ou ne serait-ce que bavasser au bistrot), faut déjà commencer par être vraiment là où on est au moment où on y est. Le trajet, c’est pas juste un temps à tuer.
Pour en revenir aux ravages urbanistiques et sociétaux qu’occasionne la bagnole, le problème avait effectivement été soulevé tout de suite. Si je me souviens bien, la réflexion des situationnistes avait aussi commencé par la critique de cet urbanisme tout fonctionnel, du cloisonnement travail-loisirs, de la réduction du parcours à sa seule destination, etc. Pour tenter d’y échapper, ils se lançaient dans des déambulations plutôt éthyliques dont le but était de se perdre, luxe qu’il est devenu impossible de s’offrir, ou faisaient des trucs du genre investir une rame de métro avec tables et chaises et nappes et bouffe pour faire un grand dîner sur la longueur d’un trajet. A côté de ça, il y avait aussi les odes à « la route, c’est le voyage » à travers la tapée de road-movies des années 60-80 ou de récits comme Sur la route, de Kerouac, ou Acid Test, de Tom Wolfe, qui raconte le voyage du bus de Ken Kesey. C’était pas forcément « mieux avant », mais faut bien constater que le summum de l’extase de ce qu’on nous vend désormais sous le terme de voyage, c’est de boire son café à Washington et de le pisser à Hong Kong.
Bref, merci pour ce doc. Il remue quelques neurones et ça fait jamais de mal.
Salutations
*Insupportable fil rouge de pas mal de pubs : non seulement on nous pousse à passer notre vie à courir comme des cons après l’infarctus, mais il faudrait en être fiers en plus.

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