Whiplash (2014) : un jazz blanc super-viril
12 janvier 2015 | Posté par Arroway sous Brèves, Cinéma, Tous les articles |
Whiplash raconte l’histoire d’Andrew, un jeune batteur ambitieux de 19 ans qui intègre l’orchestre de jazz du renommé mais redoutable Terence Fletcher. Très bien accueilli aussi bien par la critique que par le public[1], le film propose une vision particulière du monde de la musique, directement inspirée de l’expérience personnelle du scénariste et réalisateur Damien Chazelle :
« J’ai moi même été batteur de jazz, je jouais dans un orchestre très dur et compétitif et pour moi, la musique était associée à la peur. Lorsque je regardais des films sur la musique et les musiciens, j’avais parallèlement le sentiment qu’aucun d’entre eux ne reflétait ce que je vivais. J’ai vu Full Metal Jacket pour la première fois alors que j’étais en troisième année dans l’orchestre et ce jour là j’ai eu enfin l’impression de voir un film qui correspondait à mon vécu. J’ai trouvé ça très ironique : il fallait que je voie un film de guerre pour trouver au cinéma quelque chose qui représente correctement ma vision de la musique. Quant à Black Swan, c’est une histoire similaire à Whiplash puisque les deux films parlent de l’art à travers la souffrance, avec au bout du compte la même question : est ce que ça vaut le coup ? » [2]
Dans le film, Fletcher est l’équivalent des sergents entraîneurs de l’armée : il est très exigeant, il crie, se met en colère rapidement. Ses recrues, les musiciens constituants son orchestre, se lèvent à son entrée dans la salle de répétition, et se tiennent bien droit comme au garde à vous, l’instrument (et non l’arme) à la main. Profondément antipathique, il humilie ses élèves à coup d’insultes racistes, homophobes, sexistes et grossophobes.
Fletcher humilie « Bouboule ».
Le film suit le personnage d’Andrew qui, à la recherche de l’excellence, ne rêve que d’entrer dans l’orchestre de Fletcher, le meilleur ensemble de jazz de la meilleure école de musique de Manhattan. Après s’être fait remarqué de Fletcher, Andrew intègre le groupe en tant que remplaçant, gagne la place de batteur attitré mais craque sur scène sous le stress et la pression imposées par Fletcher. Il est renvoyé de l’école, puis témoigne contre Fletcher accusé d’avoir poussé un élève au suicide, ce qui provoque aussi le renvoi du professeur. Après plusieurs mois d’arrêt de la musique, Andrew rencontre Fletcher dans un bar jazz. Celui-ci lui expose alors sa vision de la musique et ses méthodes pour faire émerger les futurs talents : c’est en poussant à bout les musiciens (même si cela signifie parfois les conduire au suicide), en exigeant d’eux de faire toujours mieux, que l’on obtient les musiciens exceptionnels de demain. Fletcher lui propose ensuite de venir jouer dans son nouvel orchestre pour un festival. Il s’agit en fait d’un piège de Fletcher pour se venger d’Andrew d’avoir témoigné contre lui en le ridiculisant sur scène, mais Andrew relève le défi et délivre un formidable solo, révélant ainsi son génie et prouvant ainsi l’efficacité des méthodes de Fletcher.
Selon le réalisateur, Whiplash se veut ambigu sur sa conclusion : l’excellence dans l’art, « l’art pour l’art » s’obtient mais avec un prix :
« Je n’ai pas de réponse à la question de savoir si Fletcher a raison d’agir ainsi ou pas. A chacun de trouver sa propre réponse. Ce que moi je sais, c’est que parfois la souffrance, la maltraitance, dans la compétition de haut niveau, parfois ça marche. La question de fond étant : est-ce que ça vaut le coup ? Je suis quelqu’un d’humaniste et la souffrance pour l’art, je trouve ça bête. Mais en même temps je ne crois pas que les solos de Charlie Parker ou les symphonies de Beethoven ont été créées dans le bonheur. La fin du film est quelque part plutôt triste, Miles est devenu un gars totalement solitaire au nom de l’art, il est devenu Fletcher. Il est devenu un monstre…« [3]
*
« Je voulais de l’ambiguïté. L’art pour l’art, oui, mais avec le prix à payer. Le solo de batterie final correspond bien à cette idée romantique du triomphe de l’art. Mais mes personnages restent un peu des connards. C’est une amère victoire qui peut s’appliquer à la musique, au sport. Ou à toute réussite. » [4]
Le film semble jouer sur le fait que Fletcher est clairement identifié comme un « monstre ». Son comportement est légitimé ou non selon que l’on considère ou pas que l’excellence dans l’art est un objectif justifiant les moyens qu’il emploie.[5] Pourtant, la conclusion du film, en accord avec ce que déclare le réalisateur (« Le solo de batterie final correspond bien à cette idée romantique du triomphe de l’art. ») représente la victoire d’Andrew sur lui-même et sur Fletcher, mais aussi celle de ce dernier puisqu’il atteint son objectif ultime en ayant travaillé à la naissance d’un nouveau batteur de jazz de génie. Andrew est certes seul, mais comme il le dit lui-même au téléphone à son ex-petite amie, le jazz n’est « pas pour tout le monde ». Ses proches ne comprennent d’ailleurs pas vraiment sa passion, et le travail exigeant qu’elle demande. Andrew n’est donc pas vraiment plus seul à la fin qu’au début du film : depuis le début, il a fait le choix de la musique.
Dépassant la confrontation qui n’était qu’un moyen pour tester son élève, Fletcher encourage la révélation du talent d’Andrew pendant le concert final.
Jouer pour dominer
Si les spectateurs/rices sont amenées à réprouver le sexisme, le racisme, l’homophobie et la grossophobie explicites de Fletcher tellement celui-ci est antipathique, le film n’en reste pas moins problématique d’un point de vue politique. Whiplash se concentre en effet sur la relation/confrontation entre Fletcher et Andrew, ce qui en fait un film mettant en scène des hommes blancs dans une position d’affrontement et de violence : pour garder sa place de dominant dans le cas de Fletcher, pour apprendre à dominer dans le cas d’Andrew, et cela dans l’exclusion des femmes et des musicien-nes non-blanc-hes.
Dans Whiplash, l’évolution d’Andrew dont l’ambition est de devenir un grand artiste peut être interprétée comme la quête d’un certain type de masculinité, dont le modèle (ou en tout cas le moteur) est Fletcher – un type sexiste, raciste et homophobe. L’un des enjeux d’Andrew est de faire reconnaître la musique comme une activité suffisamment masculine et ambitieuse. La scène du repas de famille est particulièrement révélatrice : face à ses proches qui dévalorisent la musique par rapport au sport ou à de « vraies » carrières (Andrew est mis en compétition avec ses cousins qui ont, eux, des occupations qui correspondent aux normes de la virilité traditionnelle), Andrew reprend les répliques de Fletcher pour essayer de se valoriser : « être le plus grand musicien du 21e siècle, je pense que c’est l’idée qu’a n’importe qui du succès. ».
Loin de remettre en cause ces normes, le film injecte au contraire les codes des films d’armée et de sport pour rendre l’exercice de la batterie plus viril : la sueur, la douleur, les efforts physiques intenses jusqu’au sang qui gicle sur le set de batterie, les affrontements entre le professeur et les élèves, la scène héroïque d’Andrew se rendant en sang sur scène après avoir été percuté en voiture par un camion, l’altercation physique avec Fletcher. Pour continuer dans la thématique de la violence, le nom du film « Whiplash » – qui est également le titre d’un morceau de jazz joué dans le film – peut signifier « coup de fouet » en anglais.
L’affrontement entre les deux hommes, campés comme pour un vrai combat.
La performance physique et l’effort pour se dépasser.
Continuer malgré la douleur et la souffrance jusqu’au sang.
Ceci rejoint la vision de la musique véhiculée par le film. Les critères d’excellence en jazz qui sont mis en avant sont la vitesse d’exécution (plus c’est vite, mieux c’est… ainsi voit-on les batteurs lutter pour atteindre 300 bpm) ainsi que la compétition et les qualités de meneur, d’abord incarnées par Fletcher en opposition au professeur noir de l’autre groupe. Andrew atteint l’excellence lorsque, dans le concert final, il refuse d’obéir à Fletcher et lui coupe la parole en jouant plus fort que lui sur son instrument. Puis lorsqu’il prend les rennes du groupe et le dirige, ordonnant aux musiciens de partir lorsqu’il leur fera signe, prenant ainsi de force le bâton de commandement de Fletcher qui était jusqu’alors le chef d’orchestre. Pour Andrew, devenir un excellent batteur de jazz signifie dominer : être plus fort que les autres batteurs (physiquement et mentalement), prendre le dessus sur Fletcher.
Dans le film, il n’est jamais fait question de vivre et de transmettre des émotions par la musique, de s’approprier les morceaux, de travailler l’expressivité de l’interprétation, ni même d’écoute. Jouer en orchestre de jazz implique pourtant de jouer ensemble, de s’écouter jouer les uns les autres, de savoir se faire plus discret lorsqu’un instrument improvise. On ne peut dès lors s’empêcher de remarquer que dans le film, l’excellence dans l’art équivaut à des qualités associées traditionnellement à la masculinité (performance physique, autorité, compétition), tandis que celles passées sous silence sont plutôt associées à la féminité normée (écoute, expression des émotions).
Exclure ou rabaisser les femmes
A cela s’ajoute le fait que les femmes sont exclues de tous les espaces importants du film : familial, personnel et musical. La mère d’Andrew a quitté son père lorsqu’il n’était encore qu’un bébé. Fletcher énonce l’hypothèse qu’elle soit partie parce que son père est un écrivain raté : loin d’être remis en question à un quelconque moment du film, cette explication renvoie l’image négative d’une femme égoïste, cupide et mauvaise mère qui n’est intéressée que par la réussite sociale et financière d’un homme.
Du point de vue personnel, la relation entre Andrew et Nicole est brève mais représentative. Bien que visiblement intéressé par Nicole depuis un moment, Andrew ne trouve le courage de l’inviter à sortir que le jour où il est accepté dans le Studio Band de Fletcher. La réussite en musique semble lui donne suffisamment de confiance en lui pour parler à Nicole. Si l’on replace cela dans la lecture de la quête de masculinité d’Andrew par la musique, cet épisode lui permet de s’affirmer en tant qu’homme hétérosexuel dont la réussite lui donne accès aux femmes. Les femmes se révèlent finalement des obstacles sur le chemin de l’excellence, en réclamant trop de temps et d’attention, en tout cas selon le point de vue d’Andrew.
Pour atteindre l’excellence, Andrew va devoir renoncer aux diners en amoureux à la pizzeria du coin.
Les femmes sont aussi exclues du monde de la musique dans le film. Il y a seulement une femme tromboniste dans le groupe du concert final. Aucune femme n’appartient au Studio Band. Et la jeune femme saxophoniste auditionnée par Fletcher est humiliée en étant ramenée à son physique : « Voyons voir si tu es là parce que tu sais jouer ou si c’est pour ton physique. [Après quelques notes] Ah oui, c’est bien pour ton physique. ». La seule femme ayant vraiment une autonomie propre dans le film, qui ne soit pas un intérêt amoureux pour le personnage principal ou sa tante (i.e. un substitut de mère ?) est l’avocate qui l’encourage à témoigner contre Fletcher. Cependant, on peut noter qu’elle encourage Andrew à condamner les méthodes de Fletcher : d’une certaine manière, elle représente un obstacle entre Andrew et la réalisation de son plein potentiel en suivant les pratiques Fletcher.
Gentrification et « blanchiment » de la culture jazz
Le film reproduit une forme de suprématie masculine et blanche. De la même manière que les femmes sont exclues du champ de la musique, les noir-e-s sont reléguées à la périphérie de l’univers jazz. Si l’on voit un certain nombre de musiciens non-blancs dans les rangs des orchestres, aucun ne bénéficie d’un rôle parlant significatif à l’exception du professeur du premier orchestre d’Andrew, qui n’est visiblement pas au niveau des attentes des élèves puisqu’ils rêvent tous de le quitter pour rejoindre celui de Fletcher. Difficile de ne pas y voir un processus d’appropriation malheureusement fréquent : des formes d’expression culturelle et artistique initialement créées par des artistes noir-e-s alors considérées comme inacceptables socialement, connaissent un succès de masse que lorsqu’elles sont reprises par des artistes blanc-hes : par exemple, le Rock and Roll avec Elvis Presley, le rap avec Eminem, le twerk avec Miley Cyrus. Ce phénomène a été appelé « Colombusing » dans une vidéo de CollegeHumor : le fait que des blanc-hes « découvrent » quelque chose qui n’est pas nouveau (tout comme Christophe Colomb avec l’Amérique).
Le jazz est une musique d’improvisation dont les racines plongent dans le blues et la musique folk : il s’agit d’une forme artistique faisant partie intégrante de la culture et de l’histoire des Africains Américains (le terme « jazz » étant d’ailleurs à la base un terme dépréciatif en anglais dans l’expression « and all that jazz » – « et tout ce tintouin » -, révélateur du racisme de l’époque par rapport aux musiques non-blanches. Sans tomber dans un travers essentialiste qui associerait systématiquement le jazz à des musicien-nes noir-e-s, ce qui est problématique ici est la minorisation des noir-e-s dans un pan de la culture dont illes ont été et sont des acteurs et actrices essentiel-les. Sans compter que dans un contexte où trop peu de noir-e-s sont visibles dans des rôles importants au cinéma, il s’agit d’une occasion perdue.
William Repass dans son article « Whiplash and the Deathliness of Co-opted Jazz » souligne ce processus de récupération de la musique jazz à l’exclusion des noir-e-s et des classes populaires visible dans le film :
Whisplash offre une vision cynique de l’état du jazz contemporain. Mais en même temps, le monde d’Andrew et de Fletcher est tellement circonscrit que la possibilité d’un jazz plus authentique reste ouverte aux marges de ce monde. Si la forme de jazz « blanchie », privilégiée de Fletcher stagne entre The Academy et Lincoln Center, s’appropriant les ruptures qu’il crache par intermittence, où devrions-nous regarder pour trouver un jazz vivant ? Dans la périphérie du film, peuplée de « black faces » et d’ombres envahissantes ? Est-ce qu’un jazz vivant existe encore, ou bien le jazz perdure-t-il seulement dans cette forme zombifiée – jouée dans la musique d’ascenseur, dans les CDs de jazz de Noël, et dans les conservatoires de jazz qui excluent systématiquement la classe pauvre, qui est à l’origine de la musique jazz ? Est-ce que la haute culture contrôlée par les blancs s’est si totalement appropriée le jazz et l’a si bien dilué que la forme que nous comprenons ne conserve plus aucune pertinence pour ceux à qui elle a donné voix autrefois ?[6]
***
Bien que cette ambigüité puisse être questionnable en soi d’un point de vue politique, on peut accepter de jouer avec les incertitudes de Whiplash à propos de sa position sur la légitimation des méthodes de Fletcher, les choix d’Andrew et la recherche de l’excellence en art. Mais le film se révèle franchement problématique dès lors que l’on considère sa manière de représenter la masculinité et sa construction, ainsi que son exclusion des femmes et des musicien-nes noir-e-s de l’univers du jazz. Que le réalisateur se soit inspiré de sa propre expérience n’explique pas le fait d’avoir restreint l’intrigue du film de manière si étroite autour de la confrontation entre les deux personnages principaux blancs et masculins, sans montrer de regard, de personnages ou de situations alternatives valorisées.
Arroway
Notes
[1] Article Wikipédia du film Whiplash : https://en.wikipedia.org/wiki/Whiplash_%282014_film%29#Reception
[2] Interview de Damien Chazelle, Daily mars https://www.dailymars.net/semaine-whiplash-interview-de-damien-chazelle-realisateur/
[3] Interview de Damien Chazelle, Daily mars https://www.dailymars.net/semaine-whiplash-interview-de-damien-chazelle-realisateur/
[4] Interview de Damien Chazell, Lui magazine http://www.luimagazine.fr/culture/cinema/festival-cannes-whiplash-interview/2/#toptitre
[5] Cette justification de la violence par ceux qui l’exercent comme ceux qui la subissent, soi-disant au nom de l’excellence, se retrouve dans d’autres domaines comme la restauration. http://seenthis.net/messages/317145
[6] William Repass ,« Whiplash and the Deathlinessof Co-opted Jazz », Film International http://filmint.nu/?p=14084
« Whiplash offers a cynical outlook on the state of contemporary jazz. But at the same time, Andrew and Fletcher’s world is so circumscribed that the possibility of a more authentic jazz remains open at the margins of that world. If Fletcher’s whitewashed, privileged form of jazz stagnates between The Academy and Lincoln Center, appropriating what ruptures it fitfully coughs up, where should we look to find living jazz? In the film’s periphery, populated with black faces and encroaching shadows? Does a living jazz still exist, or does jazz endure only in this zombified form—played-out in elevator music, Jazz-Christmas CDs, and jazz conservatories that systematically filter-out the underclass responsible for jazz music in the first place? Has white-controlled high culture so completely appropriated and diluted jazz that the form as we understand it no longer retains any relevance to those it once gave voice? »
Autres articles en lien :
- Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012)
- Taken (2008), un florilège des pires clichés du film d’action américain
- Shotgun Stories (2007)
Cela me fait très plaisir de lire cet article, notamment en ce qui concerne l’exclusion des femmes et des des noirs-es, d’autant plus que les personnes avec qui je l’ai vu n’ont pas remarqué ces éléments problématiques.
Cependant, il y a un point avec lequel je suis en désaccord. Notamment lorsque vous écrivez, je cite : « Si les spectateurs/rices sont amenées à réprouver le sexisme, le racisme, l’homophobie et la grossophobie explicites de Fletcher tellement celui-ci est antipathique… »
Je ne saurais pas dire si vous avez tort mais les personnes autour de moi riaient aux éclats lorsque le sergent Fletcher s’amusait à humilier cette fille qui ne serait là que grâce à son physique, le musicien en surpoids, etc. Peut-être la plupart des gens ont intégré toutes ces discriminations. J’ai plus eu l’impression que l’on était amené à rire avec lui, mais ce n’est peut-être qu’une impression.
Salut,
Et ben… dans la séance où j’étais, je ne me souviens pas que des gens aient rigolé.
C’est vraiment triste de voir ce genre de comportements 🙁
Quand le réal parle de Fletcher, il le décrit comme étant un « monstre », un « conard », qui terrifie tout le monde y compris Andrew. Ce film n’est pas conçu pour être une comédie comique ^^. D’ailleurs, vous dites « J’ai plus eu l’impression que l’on était amené à rire avec lui »: mais Fletcher ne rie pas lorsqu’il lance ses insultes. Au contraire, il est très en colère, très impressionnant. Certes, il prend plaisir à humilier, et c’est là certainement que l’on va trouver des points communs avec les réactions d’un certain public qui ont intégré certaines discriminations. Il y a peut-être aussi le côté « rire jaune » ou d’incrédulité tellement il va loin.
Mais j’ai l’impression que l’intention du film n’était pas de faire rire avec les insultes de Fletcher.
Au vu des extraits d’interview que tu cites, j’ai l’impression que l’ « intention » du réal reste quand même très ambiguë concernant le personnage de Fletcher. Je n’ai pas vu le film, mais quand je lis que le réal a pu dire des trucs comme « Je voulais de l’ambiguïté. L’art pour l’art, oui, mais avec le prix à payer. Le solo de batterie final correspond bien à cette idée romantique du triomphe de l’art. Mais mes personnages restent un peu des connards », je me dis qu’il y a de fortes chances pour qu’une grosse perche soit tendue à celleux qui ont envie de jouir avec Fletcher de ses humiliations.
Je trouve tout à fait intéressant que le réal cite Full Metal Jacket comme inspiration centrale pour son film, car je pense que précisément, le traitement que ce film réserve au personnage du Sergent Hartman est hautement ambigu. D’un côté c’est un connard qui conduit Leonard au suicide à force de l’humilier, mais d’un autre côté, le film se complet à écouter ses discours interminables (surtout que Kubrick a pris bien soin de choisir quelqu’un qui a du charisme et dont les discours sont ultra- « efficaces »). J’ai d’ailleurs connu plein de gens (et moi le premier quand j’étais ado) qui connaissaient ces discours par cœur et les récitaient pour rigoler.
Je ne sais pas si le traitement du personnage de Fletcher dans Whiplash est comparable à celui du Sergent dans Full Metal Jacket, mais vu les déclarations du réal, j’ai un peu peur que oui. Surtout que si je comprends bien, contrairement à Full Metal Jacket ou Black Swan (qui restent eux aussi beaucoup trop ambigus à mon goût), le film se conclut sur un discours relativement ambigu vis-à-vis de Fletcher (puisque celui-ci a malgré tout réussi à faire d’Andrew un grand musicien).
Personnellement, si je faisais un film sur ce thème, je prendrais bien garde à faire des personnages de ce genre des connards intégraux (et pas juste « un peu connards » comme dit le réal de Whiplash), et à me concentrer sur les vies qu’ils détruisent et les souffrances qu’ils répandent autour d’eux, et non sur leurs « succès ». Car rester ambivalent quand on montre des pratiques de dominations aussi horribles, ça revient pour moi à conforter le statu quo, puisqu’on permet à celleux qui cautionnent (voire pratiquent ces « méthodes ») de continuer de se dire que « ça peut avoir du bon »…
Ce qui est exactement la position du réal ^^
Dans Full Metal Jacket, le sergent pousse ses hommes à bout, certes mais au final pour en faire simplement des machines à tuer. Ce sont des pions, des animaux envoyé à la boucherie pour rien du tout, des horreurs. Donc fondamentalement, c’est la même chose dans Whiplash. Certain peuvent devenir exceptionnels, comme un héros de la guerre, les autres n’ont qu’à crever. Ce film pourrait être une métaphore sur la guerre.
Merci pour ton analyse Arroway. Je me permet d’ajouter une petite info statistique par rapport au faible accès des femmes au milieu de la musique professionnel et France en 2014.
http://www.francemusique.fr/actu-musicale/ou-sont-les-femmes-dans-la-culture-6883
Je vais voire si je trouve sur le jazz en particulier.
Pour le jazz Ca semble encor plus sexiste que dans la musique classique
Voire la page 24 de ce rapport ministériel sur la répartition femmes-hommes dans la culture :
http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/71542/546294/version/1/file/Observatoire+egalite+.pdf
En 2011 0% de femmes directrices d’ensemble conventionné de jazz.
Et 1femmes pour 13 hommes parmis les directrices d’ensemble structuré de jazz.
Très intéressant. Je me demande pourquoi le jazz est un milieu si sexiste. Il doit y avoir plein de facteurs qui expliquent ça j’imagine, mais je me demande quoi. Si quelqu’un-e a des idées sur la question ou des références de textes de gens qui y ont réfléchi, ça m’intéresse.
tu as des réponses à tes question ici Paul,
http://www.largeur.com/?p=3753
Juste un truc qui me fait loler:
« «Bien sûr, il y a une question pratique, reconnaît Elisa Barman, chanteuse de jazz et professeure de musique en formation à Genève (lire son portrait ci-dessous). La contrebasse est un instrument difficile à transporter.» »
Une contrebasse, c’est encombrant pour tout le monde,
et une batterie, personne ne se balade avec dans la rue !
Pour le piano, c’est pareil, pourtant c’est peut-être l’un des instruments les plus féminisés. Donc cet argument, il est plus que douteux je trouve.
En fait le piano ne se déplace pas, il fait partie du club, de la salle. La batterie se démonte mais la contrebasse non. J’ai un ami contrebassiste et assez balèze et je l’entend beaucoup râlé au sujet de l’encombrement de l’instrument et des autres musiciens qui l’aide jamais.
Je pense que ca peu joué pour la contrebasse et pour certaines femmes mais ca n’explique pas pour les cuivres ou d’autres instruments moins volumineux.
Merci pour ces pistes très intéressantes!
je connais des filles qui jouent de la contrebasse, balaises ou pas. Et elles râlent… autant que les mecs.
Il y a une chose qui me dérange dans cette analyse : j’ai l’impression qu’elle ne fait pas suffisamment la différence entre l’acte de représentation, et ce qui est représenté.
Le lien donné ci-dessus par Meg, ainsi que la citation de William Repass, décrivent la réalité d’un certain milieu (le jazz orchestral, qui est déjà à la lmite entre jazz et musique « classique » puisqu’il est bien plus écrit que le jazz traditionnel). C’est effectivement un milieu sexiste et « colombisé ».
Mais alors du coup, c’est bien que le film ne triche pas, et qu’en voulant ouvrir une fenêtre sur ce milieu, il est plutôt honnête dans sa représentation !
Donc dire que le film est problématique sur le plan de sa représentation politique de ce milieu très particulier, c’est faire d’un certain naturalisme une faute politique, comme si l’on ne pouvait représenter que des utopies ?
Pour ma part je suis sorti plutôt mal à l’aise de ce film, ceux avec qui j’en ai discuté aussi, et personne n’a ri dans la salle hormis quelques rires crispés de temps en temps. Mais est-ce que c’est le film qui m’a mis à l’aise, ou son contenu ?
Ni Fletcher ni Andrew ne sont sympathiques (le second a beau être victime du premier, ça ne rachète pas son égocentrisme et son orgueil démesuré, et la façon méprisante dont il traite son entourage : son père qui pourtant le soutient dans tout, ses cousins qu’il humilie, sa petite amie qu’il jette comme un jouet usagé…), donc il est difficile d’avoir une lecture de ce film qui en fasse des modèles – et donc, du coup, qui fasse un éloge des valeurs qui les sous-tendent, dont cette forme de virilité. Au contraire, le film questionne un paradoxe : celui qui peut lier certaines réussites artistiques (donc le beau, positif) et la souffrance (négatif).
Toutes les choses que j’ai pu lire ou entendre du réal, y compris dans cet article, pousse à me faire dire que le malaise que j’ai resnneti autour de ce milieu, et de ces personnages, et de leur vision du monde et de l’art, était voulu, et qu’il est assumé.
Dans ce sens, alors, le film est une réussite (il transmet effectivement le(s) message(s), l(a)(es) question(s) et/ou l(es) émotion(s) que le ou les auteurs voulait faire passer), et, sur le plan politique, loin de faire l’apologie du système Fletcher : pour une réussite, combien de « déchets » – c’est-à-dire de vies et de carrières brisées ?
Une phrase de Fletcher lui-même, lorsqu’ils se retrouvent dans le bar avant le concert final, porte toute cette ambiguité (la citation n’est pas exacte, elle est de mémoire) : « jusqu’à présent je n’ai jamais réussi, mais au moins j’ai essayé, et je ne m’en excuserai jamais ». Ce qui montre combien sa croyance dans sa technique est irrationnelle !
(Technique dont le fondement même est fragile : il prend comme exemple fétiche Charlie Parker, or Charlie Parker était auto-didacte, il n’a pas eu besoin d’un pygmalion pour le faire réussir, et faisait une forme de jazz bien moins écrite et « coincée » que celle de Fletcher, basée autant sinon plus sur l’expression que sur la technique musicale pure – on imagine aisément qu’il aurait claqué la porte au nez de Fletcher au bout de la première leçon, pas comme Andrew qui, par ubris, « tient le coup »…)
Je réagis seulement sur un extrait de votre propos (je ne me sens pas apte à parler du reste). Voici l’extrait en question : « Donc dire que le film est problématique sur le plan de sa représentation politique de ce milieu très particulier, c’est faire d’un certain naturalisme une faute politique, comme si l’on ne pouvait représenter que des utopies ? »
Au niveau des représentations, ce qui m’a dérangée et c’est d’ailleurs évoqué dans l’article, c’est le fait que le meilleur chef d’orchestre est blanc et que l’on se focalise sur un musicien qui est également blanc. La perfection est associé aux blancs mais pas à n’importe quel blanc, il faut que ce soit un homme, pas trop gros etc.
Ensuite, je ne vois pas pourquoi est ce que vous vous demandez si on ne peut représenter que des utopies. Ce n’est pas comme si c’était souvent le cas, c’est même très rarement le cas. Le racisme et le sexisme est partout ou presque dans les films. quand je suis au cinéma je ne vois que ça et plus particulièrement lors du quart d’heure bande annonce où on peut voir un enchaînement de héros blancs, masculins, hétéro, cisgenre etc.
Pour rebondir sur ce que dit Maelyra, il me semble (de ce que j’en comprends, car je n’ai pas vu le film) que Whiplash adopte quand même un certain point de vue pour parler de ce milieu raciste et sexiste : le point de vue d’un homme blanc qui finit par y réussir. Est-ce que ça c’est pas déjà problématique ?
Parce qu’en parlant d’approche « naturaliste » ou d’ « ouvrir une fenêtre sur un milieu », vous laissez entendre qu’un film pourrait se contenter de montrer quelque chose de manière presque objective. Or rien que dans le point de vue que l’on privilégie, et la posture que l’on adopte (ici l’ambiguïté), on fait des choix politiques. Si le film « ouvre une fenêtre sur ce milieu » comme vous dites, par quelle « fenêtre » le regarde-t-il ? Par la fenêtre de celleux qui y dominent, ou par la fenêtre de celleux qui en sont exclus (ou qui en souffrent/meurent) ?
Pour moi, ce qui est problématique d’un point de vue politique, ce n’est pas de montrer ce milieu de manière qui colle(rait) à une réalité donnée. C’est plutôt de :
1) rester volontairement ambigu sur les pratiques de domination et les violences exercées, voir carrément silencieux à leur propos, pour les raisons expliquées par Paul Rigouste.
2) ne montrer *que* cette réalité, de rester, comme je l’ai écrit en conclusion, dans un monde extrêmement restreint autour des deux personnages principaux, sans faire référence une seule fois à des pratiques de jazz différentes, à des musicien-nes de background différent, voire même à des pratiques de résistances face aux pratiques de Fletcher. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir montré des musiciens noirs du groupe parler entre eux ? Ou filmé de la solidarité entre les musicien-nes qui se font humilier par Fletcher ? Ou filmer des musiciens qui s’éclatent à improviser dans un bar jazz « populaire » ?
Ce qui me gêne, c’est que la fin du film vient justement montrer le triomphe de Fletcher : donc on a un musicien qui sait qu’il a raison, qui souffre de ne pas y réussir, mais qui finalement à force de persévérance, atteint son but. Donc finalement, le film donne raison à Fletcher. Et je crois que c’est tout à fait ce que pense le réal, lorsqu’il dit : « Ce que moi je sais, c’est que parfois la souffrance, la maltraitance, dans la compétition de haut niveau, parfois ça marche. La question de fond étant : est-ce que ça vaut le coup ? Je suis quelqu’un d’humaniste et la souffrance pour l’art, je trouve ça bête. Mais en même temps je ne crois pas que les solos de Charlie Parker ou les symphonies de Beethoven ont été créées dans le bonheur. »
En gros, cela revient à dire : exercer des violences contre des personnes pour atteindre des résultats, c’est efficace *parfois*. La question : est-ce que c’est acceptable par rapport à ce que l’on obtient, sachant que cela peut s’obtenir par d’autres moyens ?
(Je réponds dans le désordre, désolé)
3) Je ne serai pas aussi catégorique que vous sur la fin.
Ce que la fin du film montre, c’est qu’Andrew résussit. Est-ce grâce à Fletcher ? Ou en dépit de Flectcher ?
S’il n’avait pas rencontré Fletcher dans le bar, Andrew n’aurait peut-être pas repris la batterie. La méthode Fletcher, pour lui, ça a été de le décourager.
Il n’y a pas eu de répétition avant cet ultime concert, et ce qu’y accomplit Andrew, c’est toujours en opposition à Fletcher : il ne suit plus ses directions, mais au contraire, lui en donne (« I will cue you »).
FLetcher a peut-être l’impression de reprendre le contrôle à la fin, parce qu’Andrew lui laisse quelques miette, mais s’attribuer le succès d’Andrew, c’est inique de sa part.
Avant la rencontre avec Fletcher, Andrew s’entraîne déjà tout seul, sur tout son temps libre y compris tard la nuit, pour devenir le meilleur : c’est la scène d’ouverture du film. Rien ne prouve que l’effet Fletcher ne l’a pas ralenti dans sa progression, au lieu de réellement le pousser.
D’ailleurs, Fletcher n’enseigne rien. Jamais. Il dirige, et il juge : c’est tout. On le voit bien à la première répétition, lorsqu’il attaque les trombonistes : aucun d’entre eux n’est capable de percevoir la nuance que lui entend, au point que l’un qui joue faux ne le sait pas, et qu’un autre qui joue juste en vient à croire qu’il joue faux. Fletcher n’explique rien, ne donne aucun moyen à ses élèves de le rejoindre à son niveau – sinon par eux-mêmes.
Idem lorsqu’il met les trois batteurs en compétition, pendant plusieurs heures d’affilée, jusqu’à ce que l’un d’eux satisfasse son degré d’exigence.
2) Un film, comme une photographie, est un cliché : il n’a pas la prétention (et ce serait d’un orgueil fou, car en réalité il n’en a pas les moyens) de représenter la totalité du cosmos, il est condamner à un (parfois plusieurs, mais en nombre limité) angle de vue.
Ce film n’est pas un documentaire sur le milieu du jazz New Yorkais : c’est une fiction sur la relation entre un professeur abusif et un élève abusé. D’ailleurs, au théâtre par exemple, on aurait très bien pu développer exactement la même histoire avec seulement deux comédiens.
Les personnages secondaires ici n’existent qu’en tant qu’ils donnent la réplique à ces deux protagonistes, et les figurants font partie du décor. On ne suit pas les reste de ce que vit le père d’Andrew, ou l’avocate, ou Nicole : on ne voit d’eux que ce qu’Andrew voit d’eux, c’est-à-dire, dans son égocentrisme, pas grand chose.
D’ailleurs, en roman, on aurait pu raconter l’histoire du point de vue strict d’Andrew, à la première personne ; même si le film semble plus extérieur, d’un point de vue dramaturgique, C’EST un film en point de vue interne.
1) et P. Rigouste : dans ce milieu, il y a des hommes blancs qui réussissent, des hommes de couleur qui réussissent (on ne connaît pas le parcours des autres membres du Studio Band après le renvoi de Fletcher, mais après avoir remporté concours sur concours, on suppose que leur carrière ne sera probablement pas la pire qui soit), et des hommes quin échouent. Pourquoi que le parcours de l’un aurait plus d’intérêt à être raconté qu’un autre ?
Je crois déjà savoir ce que vous allez me répondre, parce qu’on a déjà eu une discussion similaire : parce que dans la masse de la production hollywoodienne, on a déjà bien suffisemment de parcours de Blancs qui réussissent, et pas assez de parcours de Noirs (soit qui réussissent, pour faire role model, soit qui échouent, pour dénoncer la discrimination dont ils sont victimes). Mais ça, c’est un problème COLLECTIF, c’est injuste de la réitérer encore et encore, individuellement, à chaque film qui sort et qui ne présente pas de personnage noir ! Whiplash n’a pas a porter seul la responsabilité du fait qu’il n’y ait pas, ou en tous cas pas assez, d’autres films, d’autres histoires, mettant en scène des personnages de couleur !
Qu’il n’y ait quasiment pas de films mettant en valeur des protagonistes de couleur, c’est un problème, c’est raciste. Mais qu’un film en particulier, individuellement et considéré en lui-même, soit accusé de racisme parce que ses héros sont blancs, là, c’est immérité.
D’autant qu’il y a aussi des « choix » qui sont, sinon imposé, du moins fortement orientés par la structure-même de l’industrie.
Dans certains films, le héros réussit parce qu’il est blanc. Mais dans beaucoup de ses films, la couleur du protagoniste n’a absolument pas d’importance, pas d’enjeu dramaturgique. Pourquoi alors n’y a-t-il pas plus de personnes de couleur ? Parce qu’il existe (proportionnellement) bien moins d’acteurs de couleur parmi la totalité des acteurs, que de personnes de couleur parmi la population globale. Le système fait que lorsqu’on organise un casting, la plupart des candidats sont blancs. Parce qu’un Blanc a plus de facilité à s’imaginer réussir comme acteur, sans doute. C’est un cercle vicieux !
Je suis d’accord qu’on doit pas, qu’on ne peut pas s’en satisfaire : mais je ne crois pas que ce soit du point de vue des scénarios, et du choix des histoires racontées, que part le problème : car, je le redis, beaucoup de scénarios pourraient être racontés à l’identique avec des comédiens de couleur (y compris Whiplash : rien dans le film ne dit que Fletcher est le plus grand chef d’orchestre « parce que » il est blanc, idem pour Andrew doit on ne connaît d’ailleurs pas le parcours de vie antérieur à son entrée à l’Académie, et à peine le milieu social : il n’est jamais question d’argent par exemple. Et personne n’irait prétendre que les meilleurs jazzmen de l’histoire étaient « les » Blancs).
Je rebondis rapidement sur quelques points :
3)
Mais c’est précisément la méthode de Fletcher d’être en opposition, d’affronter les élèves, d’être dégueulasse avec eux pour les décourager et les rendre plus forts lorsque ceux-ci se relèvent. Donc tout cela est cohérent avec les idées du réal et de Fletcher.
2)
C’est un choix de choisir un ou plusieurs points de vue bien particulier. Un film comme Collision, par exemple, réussit le fait de montrer plein de points de vue en même temps. C’est pareil dans les romans-choral, par exemple. Donc techniquement, rien ne limite un film à se borner à un point de vue en particulier (au hasard: celui d’un homme blanc hétéro violent avec ses élèves).
1)
Ma critique est plus subtile que cela : il ne s’agit pas de simplement reprocher l’absence de héros/héroïnes « de couleur » (même si cela est aussi vrai), mais de pointer du doigt le fait que le film est complice d’un double processus d’invisibilisation des noir-e-s d’un domaine culturel – le jazz – dont illes ont été et sont des acteurs et des actrices important-e-s, et de gentrification de la musique.
Pour renchérir sur ce que dit Arroway à propos du point 1) :
Pour moi, un équivalent de votre argument dans la réalité consisterait à dire « Il ne sert à rien de répéter, à chaque cas de violence raciste, que cette violence est raciste, car c’est un problème collectif ». Mais ce n’est pas parce que le racisme est un système que les cas individuels ne sont pas condamnables. Les phénomènes globaux sont constitués d’une somme de phénomènes individuels, non ?
Comment on doit faire alors pour critiquer le racisme ? Se contenter de parler d’un point de vue statistique sans jamais parler des violences concrètes au cas par cas ? Pour moi, c’est un moyen bien commode pour les dominant-e-s de ne pas avoir à s’interroger sur leur responsabilité individuelle dans la reproduction des systèmes de domination (ici les gens qui ont fait le film, et les gens qui le consomment et l’apprécient sans se rendre compte de la violence symbolique qu’il véhicule, la plupart du temps parce qu’illes y ont intérêt en tant que blanc-he-s). Et c’est aussi un moyen aussi de déréaliser la domination concrète et quotidienne subie par les dominé-e-s.
De plus, la critique d’Arroway ne concerne pas seulement la présence/absences de banch-e-s/noir-e-s et d’hommes/femmes, elle analyse également le propos tenu par ce film, les valeurs qu’il véhicule d’un point de vue ethnique et genré. Ce n’est pas juste un film où l’on voit des hommes blancs faire du jazz, mais un film où l’on voit « des hommes blancs dans une position d’affrontement et de violence : pour garder sa place de dominant dans le cas de Fletcher, pour apprendre à dominer dans le cas d’Andrew, et cela dans l’exclusion des femmes et des musicien-nes non-blanc-hes. ». Donc on a affaire à une représentation d’hommes blancs qui les valorise (malgré toute l’ambiguïté dont s’enrobe le film) dans l’exercice d’une violence de dominant dans l’optique d’un apprentissage de la domination. Tout ça pour dire qu’il ne faut pas se contenter d’analyser les représentations en termes de représentativité, mais il faut aussi regarder comment les identités de sexe et de race sont construites par le film, et quels rapports de domination sont ainsi valorisés (ici la domination des hommes blancs, aux dépends des femmes et des noir-e-s).
Réponse à P. Rigouste
Un acte de violence raciste isolé n’a pas besoin du contexte, du système, pour être raciste.
Un film n’ayant pas dans son casting un personnage Noir valorisé ne participe (involontairement et peut-être même inconsciemment) à un état de fait raciste QUE parce que les autres films, autour de lui, font de même – même parler de « complicité » serait exagéré (car il faudrait prouver l’intention de nuire).
Comment pouvez-vous faire cette « comparaison » ? C’est comme si vous me dîtes que si demain quelqu’un a des envies de chanter et s’inscrit dans la chorale muncipale (démarche inviduelle), et que cette chorale se révèle ne compter que des Blancs, alors on peut l’accuser de racisme !
Quant à dire que le film véhicule la domination comme une valeur, désolé, mais non. Au pire, on peut le taxer d’ambiguité, puisqu’effectivement, à la fin, Andrew se révèle le génie que Fletcher attendait de ses voeux ; mais le film ne cache pas la violence subie, ne minimise pas la responsabilité de Fletcher dans le suicide de son autre élève, etc.
Autant on ne peut nier le caractère sexiste, autant le film ne montre pas spécifiquement de rapport de discrimination envers les Noirs, outre un certain degré d’invisibilisation : Andrew, pour le poste de batteur, n’est en compétition qu’avec des Blancs, celui dont il prend la place n’est pas Noir ; le personnage qui subit le plus de violence symbolique, hors Andrew, est celui que Fletcher appelle « Bouboule », et il est Blanc…
Le professeur Noir paraît en effet avoir de succès auprès des élèves que Fletcher, mais il faut relativiser : il est tout de même professeur dans une des plus prestigieuses écoles de musique de New York (une de celles qui fournissent les stars de Broadway…). Et le jury des concours qu’on voit le Studio Band, ceux donc qui jugent Fletcher, ne sont pas des brochettes de Blancs.
Pour le dernier point auquel Arroway a répondu : le film montre une gentrification d’une certaine pratique du jazz. Est-ce qu’il la dénonce ? Non. Est-ce qu’il en fait un modèle ? Non plus.
Parce qu’il ne prétend à aucun moment que ce qu’il nous donne à voir, c’est « le » jazz.
Il nous expose un microcosme qui joue un jazz extrêmement écrit (on ne sait même pas si les quelques solos, mis à part celui d’Andrew à la fin, sont des improvisations, ou des réitérations de solos célèbres trancrits sur partition comme on trouve dans les librairies musicales), qui ne laisse pas la place au plaisir ni de jouer ni d’écouter (Fletcher ne profite pas des fruits de sa sévérité, puisque ce n’est jamais assez bien pour lui). Quant à la hiérarchisation instituée des musiciens (1er trompette, 2ème trompette, etc.), digne d’un orchestre symphonique, elle n’a rien du modèle égalitaire d’un orchestre de jazz traditionnel, où le contrebassiste à autant de reconnaissance et autant de droit à faire un solo que le pianiste, le chanteur ou n’importe quel autre membre de la formation. C’est d’autant plus ironique que sauf erreur de ma part, l’anecdote sur Charlie Parker qui inspire toute sa « pédagogie » à Fletcher se réfère en fait à une « jam session », c’est-à-dire une pratique du jazz qui permet à n’importe qui, y compris un débutant, de tenter sa chance – chose impensable dans l’orchestre guindé et obsédé par la justesse que dirige Fletcher.
De même que certains classent un compositeur comme G. Gershwin parmi les compositeurs de musique classique (mais pour qui le jazz aurait eu une influence du même type que la musique traditionnelle hongroise pour Brahms), je ne crois pas que tous les amateurs de jazz soient prêts à accepter l’orchestre résident du Lincoln Center, qui ne joue quasiment des réochestrations de « grands classiques » du jazz, dans la famille du « jazz », musique dont l’esprit embrasse plutôt, dans l’imaginaire collectif, l’improvisation et l’amusement…
Enfin, pour le point numéroté 2 : Collision est justement réputé comme un exercice de style… Et même si il fait se croiser plusieurs parcours, il est loin d’offrir une description panoptique de la société dans son ensemble.
Mes mots ont peut trop simplifié ma pensée en disant qu’une oeuvre de fiction est « condamnée » à un ou quelques uns angles de vue.
Mais il demeure que même s’il est possible d’avoir une apporche surplombante, un point de vue omniscient, je ne vois pas en quoi cette approche serait supérieure, politiquement (et encore moins moralement), au choix de narrer un récit d’un point de vue interne, donc forcément partial (et qui a la partialité des personnages, pas nécessairement celle du ou des auteurs). Il faut faire confiance à l’intelligence du lecteur/spectateur pour prendre, ou non, la distance qu’il lui semble bonne vis-à-vis de ce point de vue présenté.
Dirait-on que American Psycho glorifie les valeurs de son protagoniste, Bateman ? Ou que Funny Games agrée aux valeurs de ses anti-héros ? Non. Pourquoi le faire alors lorsque les personnages sont moins explicitement « méchants » ou « monstrueux », plus ambigus ? Voire même quand ils sont plutôt « positifs » mais imparfaits, avec un certain nombre de défauts et de failles que rien n’oblige le spectateur à pardonner (dans Drive par exemple, qui n’est pas l’apologie de la violence que certains veulent prétendent, mais montre plutôt en quoi une certaine conception de la virilité piège dans un schéma de violences sans fin…)
@ DarkPara
Ben pour moi si. Prenez par exemple l’insulte « nègre ». Pour que ce mot deviennent une insulte raciste, il faut qu’il soit prononcé dans une société où la couleur de peau est considéré comme un critère de différence entre des groupes d’individus, et que la couleur de peau noire soit considérée comme un signe d’infériorité. Un martien qui débarquerait dans une société raciste sans avoir connaissance du système de valeur hiérarchique qui la constitue ne verrait pas cette violence comme une violence, et encore moins comme une violence raciste. Vous voyez ce que je veux dire ?
En ce sens, je ne vois pas en quoi ma comparaison ne serait pas pertinente. Peut-être que si vous avez des réticences à considérer le fait de faire un énième film de blanc comme quelque chose de raciste, c’est parce que vous ne percevez pas la violence qu’il y a derrière cet acte. En effet, si on reste du point de vue du blanc qui a fait le film (de notre point de vue de blanc donc), on ne voit pas trop la violence (on se dit « ben il a fait un choix, mais ça aurait pu être un autre choix »). Peut-être qu’on la voit déjà un peu mieux, cette violence, quand on décrit ce geste en termes d’ « invisibilisation », de « mépris », d’ « exclusion », ou de « réappropriation » (ici réappropriation par des blancs d’une culture noire, qui s’accompagne inévitablement de l’invisibilisation de toute cette culture).
Oui, mais on ne peut précisément pas faire abstraction du contexte raciste dans lequel on fait ces choix. Le faire reviendrait à faire comme si le racisme n’existe pas, donc à contribuer à sa perpétuation. Il n’y a pas besoin de parler d’ « intention » ici (même si personnellement je serais pour utiliser ce mot), mais juste d’ « intérêt ». Les blancs ont intérêt à perpétuer leur domination (illes en tirent des bénéfices quotidiens), donc illes ont aussi intérêt à continuer de véhiculer toujours les mêmes représentations qui consolident cette domination, illes ont intérêts à invisibiliser les noir-e-s, à ne jamais écouter et prendre en compte leur point de vue, etc. Donc oui, faire un film comme celui-là est un acte raciste, qui participe au racisme systémique au même titre que n’importe quel autre film raciste.
Ce n’est pas parce que le film montre les violences subies et les souffrances qui les accompagnent qu’il ne valorise pas la domination. Une très grande partie des films qui font l’apologie de la domination (de l’homme blanc cis hétéro le plus souvent) montrent les souffrances qu’il faut endurer et les violences qu’il faut perpétrer pour parvenir au statut de dominant. Cela n’a rien de contradictoire, au contraire : par définition, devenir un dominant ne peut se faire qu’à l’intérieur d’un rapport de domination (et donc s’accompagner de souffrance et de violence).
Pour ne prendre qu’un exemple parmi tant d’autres, Le Roi Lion de Disney ne montre pas Simba devenir le chef sans rien faire en mode Hakuna Matata. Au contraire, ce n’est qu’en affrontant Scar et les hyènes et en en bavant qu’il peut devenir un dominant. Et ce n’est pas parce que certains films (comme Whisplash si je comprends bien) insistent plus sur le « prix à payer » pour devenir un dominant qu’ils critiquent le rapport de domination en tant que tel, au contraire (car plus on en bave, plus on mérite sa place de dominant…).
Oui, mais l’on peut dire exactement la même chose des anti-héros de la trilogie Le Parrain, par exemple. Ils ont même des qualités souvent tenues pour fondamentalement morales : ils basent leur vie sur un sens de l’honneur, ils ne s’érigent comme dominants que pour proteger leur famille, etc.
Et pourtant, dans la culture collective, on classera plus facilement Simba dans les « héros » (aux côtés de Batman, que je ne cite pas au hasard), mais plus facilement Don Vito parmi les « Méchants » (aux côtés aussi de Dark Vador, qui lui non plus n’est pas si loin)…
Comme quoi, il manque quelque chose à votre analyse : montrer un dominant conquérir puis garder sa place de dominant, dans un monde de conflit et de concurrence permanente, et en en payant le prix, ne valorise justement ce prix à payer et sa réussite « méritée » que si le système de domination en lui-même est par ailleurs valorisé.
Or ici, l’antipathie véhiculée autant par le personnage de Fletcher que par celui d’Andrew n’encourage pas spécialement le spectateur à considérer le suicide de Sean Casey comme un simple « dommage collatéral » qui soit justifiable…
Fletcher n’est pas Gregory House !
[Et pour revenir sur le début de votre commentaire : le mot « nègre » n’est pas (ou peut-être n’est plus, même si le cas est litigieux) un simple synonyme de « noir ». Le mot porte en lui-même, déjà, le concept d’un sous-homme, qui est insultant en soi. On peut tout à fait traiter un non-noir de « nègre », l’insulte n’en sera pas moins forte (on peut même peut-être considérer qu’elle sera doublée, puisqu’elle insultera d’un même coup l’ensemble des personnes de couleur, ainsi que la cible effective, en les mettant dans un même sac de « sous-hommes ».)
Et j’en pense que votre martien, au contraire, serait d’autant plus choqué de voir un individu rabaissé et méprisé sans que lui-même (le martien) puisse y voir de raison (puisque le mot « nègre » pour lui ne ferait pas sens, au contraire par exemple d’un mot comme par exemple « menteur » ou « égoïste »).]
Je n’ai jamais dit le contraire. Je répondais juste à votre argument selon lequel, parce qu’un film montrerait la violence des rapports de domination, il critiquerait cette même domination. Je répondais juste qu’un film peut très bien valoriser des rapports de dominations tout en montrant les violences et les souffrances qu’ils impliquent.
Après je n’ai pas vu Whiplash, donc je suis mal placé pour juger s’il critique ou non les rapports de domination qu’il montre. Mais vu ce qu’en disent Arroway et le réal lui-même, j’ai l’impression que le film maintient une grande ambiguïté, de par sa conclusion et le personnage sur lequel il se focalise. Et, comme je le disais plus haut, un film qui reste ambivalent dans le portrait qu’il fait d’une domination entérine le statu quo, puisque tout le monde est content : les gens qui trouvent que cette domination craint peuvent se dire « ouais ce film il montre quand même que c’est dur », les gens qui trouvent ça très bien peuvent se dire « ouais y a de la violence mais au final ça vaut le coup parce qu’il devient un grand musicien », et les intellos qui adorent l’ambiguïté (parce que c’est-si-profond-l’ambiguïté…) sont content-e-s par ce que « le-film-ne-prend-pas-position-et-laisse-le-public-se-faire-sa-propre-idée ». Sauf qu’en faisant mine de ne pas prendre position, ce genre de film prend position : quand on ne remet pas en question les rapports de domination existants, quand on montre qu’« ils peuvent avoir du bon même s’ils ont des mauvais côtés », et bien on fait partie de celleux qui contribue à leur perpétuation.
[Et sur la question de l’insulte raciste, vous ne seriez pas en train de chipoter sur des points de détails pour éviter de répondre à la question de fond ? ;-). Ce que je veux juste dire à propos de l’insulte, c’est qu’un acte ou une représentation pris-e individuellement en dehors de toute société n’est ni raciste ni non-raciste en soi. Pour d’un acte individuel soit raciste, il faut qu’il s’inscrive dans une culture raciste. Dans une société où la couleur de peau ne serait pas perçue comme un critère de différenciation et de hiérarchie, la violence d’un-e blanch-e à l’égard d’un-e noir-e ne serait pas raciste, ce serait juste une violence. Est-ce que vous êtes au moins d’accord avec ça ?]
Non je n’évite pas la question de fond. Vous semblez suggérer (du moins moi c’est comme ça que je comrpend ce que vous écrivez) qu’un acte ne peut être raciste que dans un contexte donné, comme si la qualité raciste de l’acte était quelque chose qui venait se coller à lui de l’extérieur.
« Dans une société où la couleur de peau ne serait pas perçue comme un critère de différenciation et de hiérarchie, la violence d’un-e blanch-e à l’égard d’un-e noir-e ne serait pas raciste, ce serait juste une violence. »
Certes.
Mais ce qui fait qu’un acte est raciste ou non, ce n’est pas seulement le contexte social, c’est aussi la motivation (affirmée ou imputée) de l’acte.
Même dans une société raciste, si un Blanc tabasse un Noir pour lui voler son portable, ce n’est pas en soi une violence raciste. Ça peut l’e^tre s’iol vise spécifiquement les Noirs par exemple, mais ça, ce n’est qu’une possibilité parmi d’autres.
Et à l’inverse, si dans une société ou le racisme n’existe pas, il vient un jour à l’idée d’un seul individu, aigri après une énième dispute de voisinage, que peut-être la cause de l’intolérance qu’il prête à son voisin pour son mode de vie n’est pas étranger au fait qu’ils aient des peaux de couleur différentes – et s’il en vient à théoriser une sorte de classification des caractères en fonction de la couleur de peau et poste cette théorie sur son blog – et qu’il sort ensuite tabasser vraiment son voisin, non plus seulement au titre de leurs querelles a répétition, mais parce que de toute façon « il n’y a rien à attendre d’un individu auant une telle couleur de peau », et bien, il s’agira peut-être d’une première dans cette société idéale, et peut-être même que personne même ne le suivra dans sa logique et que ça restera un événement unique isolé, mais ça n’en sera pas moins une agression raciste !
Maintenant, sur la question de prendre position ou ne pas prendre position…
Je ne sais pas. Ce qui me dérange de manière réccurrente sur ce site, c’est cette attitude « tout le monde est coupable » qui, en fait, dilue la responsabilité et ne permet pas de distinguer réellement les porteurs, au sens presque de propagande, d’idéologie sexiste ou raciste (ou autre), comme Taken par exemple, ou Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu – de films qui ne prennent pas vraiment de position idéologique forte et qui se retrouvent amalgamés au premier justement pour ne pas avoir vu l’intérêt de se mêler de cette problématique, ou eu le courage de choisir explicitement un camp…
Si un passant voit un Noir se faire agresser dans la rue et passe son chemin, alors qu’il aurait pu intervenir, ce passant a bien entendu quelque chose à se reprocher, mais qui : d’une part n’est pas, en tant que tel, forcément du racisme (il a pu penser « il l’a bien mérité ce sale Noir », dans ce cas oui il se rend complice de l’agression, mais il a pu tout aussi bien penser « je vais y passer aussi si je disparais pas très vite », et dans ce cas c’est de lacheté pure, et ce n’est pas le même problème) ; et d’autre part, reste absolument sans commune mesure en terme de responsabilité avec celle de l’agresseur.
Pour reprendre l’exemple de notre société exempte de racisme dans le début de ce post, et bien, dans cette société, un artiste aurait tout à fait pu tourner un film comme Whiplash. Pas un film comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu.
En ne réfléchissant qu’à partir de l’intention raciste ou non d’un acte, on oublie que pour beaucoup de personnes, et en tout premier lieu les personnes ne souffrant pas des discriminations et dominations – ne sont même pas conscientes des biais racistes qu’elles peuvent avoir. C’est toute la subtilité de l’assimilation des normes depuis notre plus jeune âge lorsque l’on vit dans une société raciste.
Pour reprendre votre exemple : admettons qu’un blanc ne tabasse un noir pour lui voler un tél, pas parce qu’il est noir, mais juste parce qu’il se trouve que ça tombe sur lui, et que donc cet acte ne soit pas raciste.
Mais supposons que dans la société, 70% des agressions seraient commises par des blancs, dont les victimes seraient noires. Et que par ailleurs, cette société serait baignée de normes et d’une histoire racontant la supériorité des blancs sur les personnes non-blanches. Qu’est-ce que cela vous inspirerait ?
D’une part, lorsque je précise « la motivation affirmée ou imputée », je ne me contente pas de la motivation revendiquée par l’auteur, je parle bien aussi de la motivation imputée par la victime à son agresseur. Et je n’exclue pas non plus des motivations inconscientes, d’ailleurs.
C’est pour cela que j’ai soigneusement évité le terme « d’intention », justement, qui lui suppose une conscience de l’auteur, et de lui seul, sur son acte, mais que j’ai préféré celui de « motivation », qui évoque mieux la causalité mécanique – j’aurai pu carrément écrire « motif », ça aurait été encore plus clair.
D’autre part, soit un acte est raciste, soit il ne l’est pas.
Pour répondre donc à votre dernière question, dans un tel contexte, et bien cela m’inspirerait que l’acte non-raciste qu’on est en train de juger est très certainement rare, car dans la majorité des cas, il semble que les agresseurs choisissent leur(s) victime(s).
(Et encore : tout ce dont je dispose est un pourcentage, or il faut toujours se méfier de l’interprétation d’un pourcentage…
Caricaturons à dessein : imaginons un village perdu au milieu du Congo à l’époque coloniale, généralement sans histoire, dans lequel vivent deux Blancs. Si l’un des deux est un tueur en série, qu’il assassine au cours de l’année quatre victime dont l’autre Blanc, on aura un pourcentage pire que celui que vous donnez : 75 % des agressions de l’année auraient été commises par des Blancs, et dont les victimes seraient Noires. Difficile de dire qu’il aurait choisis ses victimes sur un critère racial…)
Mais admettons que ce ne soit pas le cas, que la proportion de Noirs et de Blancs dans la population ne puisse pas expliquer un tel déséquilibre, et qu’il y a donc effectivement, à l’évidence, un choix des victimes de la part des agresseurs.
Vu le contexte normatif, je pourrai même aller jusqu’à émettre l’hypothèse que la cause de cette discrimination dans le choix des victimes est d’ordre racialiste.
Mais, là encore, avec prudence, car ne sachant rien de la structure socio-économique de cette société, elle pourrait tout aussi bien être d’ordre économique, par exemple…
Et quand bien même, ça n’en rendrait pas pour autant l’acte en cours d’examen raciste par contamination…
Les agresseurs choisissent leurs victimes en identifiant les personnes vis-à-vis desquelles ils se sentent supérieurs (en force, intelligence, etc) et invulnérables.
Ce sentiment de supériorité, d’invulnérabilité peut avoir été construit et intégré de manière consciente ou inconsciente. Cela n’exclue donc pas les crimes commis pour des raisons racistes.
S’il est admis dans une société que des blancs n’ont rien à craindre du système de justice lorsqu’ils attaquent des noirs (ce qui est le cas de notre société, avec les victimes tuées par des policiers, ou l’expropriation de population), et que le nombre de crimes où les noirs sont victimes de blancs est majoritaire, alors la société confère des privilèges aux blancs et ceux-ci en profitent.
Il s’agit donc de crimes qui reproduisent et profitent du racisme de la société, et ont donc un caractère raciste, même inconscient.
On peut faire le même parallèle avec les agressions sexuelles commises par des hommes vis-à-vis des femmes, des agressions et meurtres des trans*, etc.
Les discriminations raciales peuvent expliquet les inégalités sociales, elles n’y sont pas forcément orthogonales : http://lmsi.net/Fergusson-et-comment-ne-pas-en
Pour une approche sociologique de la place des femmes dans le jazz :
Marie Buscatto, » Femmes du jazz : Musicalités, féminités, marginalités »
Ci dessous le lien vers un compte rendu de lecture :
http://lectures.revues.org/573
See U
Super, merci beaucoup pour ce lien. Ça me donne envie de lire ce bouquin qui a l’air passionnant.
J’ai l’impression que le cas français est déjà pas mal spécifique, et surtout assez académique. Du coup, je suis pas sûre que cela soit le meilleure moyen pour comprendre la genèse de la tendance
J’ai trouvé une thèse assz intéressante, sur le jazz aux Etats-Unis (j’ai pas de lien direct, cherchez avec les mots-clés : « Thesis females jazz – Ariel Alexander »).
Quelques extrait de l’intro :
« Throughout much of the twentieth century, the skills of jazz were often taught and learned in jazz clubs as opposed to the academic world. The “funky and often dangerous playing atmospheres, nightclubs infested with vice and run by gangsters” made it impractical and unsafe for females to attend late night jam sessions and participate in the jazz community (Dahl, 2004, p.x). During the early and mid twentieth century, many jazz musicians made their living by touring with big bands. These bands rarely included female instrumentalists. Gourse (2000) states that men “didn’t want women on the bandstands or in the tour buses. Women could provoke romantic rivalries between band members, invite problems with men in audiences, and require their own sleeping accommodations” »
« In an interview on National Public Radio, Beverly Monson and Sally Placksin explained that in early jazz, it was only acceptable for females to play piano or sing. Monson notes that “Nice young ladies of the nineteenth century played parlor piano… and singing in Western culture has always been coded as a female activity” »
« In addition to the sexual stereotypes associated with jazz musicians, many studies have proven that we also associate certain musical instruments with male or female characteristics. Dahl (2004) notes that “the notion that certain musical… instruments are “unfeminine” appears to be as old as music itself” (Dahl, 2004, p.39). Ables and Porter conducted the landmark study on the sexual stereotyping of instruments in 1978. The researchers studied adult and child musicians and non-musicians. They found that the drums, trombone and trumpet were seen as masculine instruments, while the flute and the violin were perceived as feminine (Ables & Porter, 1978). »
Etc.
Un entretien justement avec la chercheuse française déjà mentionnée :
http://www.humanite.fr/ou-sont-les-jazzwomen-la-chercheuse-marie-buscatto-enquete-541514
Jacques
C’est très intéressant, merci pour lien.
Merci pour ces extraits et pour cette interview.
Sinon je réfléchissais à des films qui se focaliseraient sur une (ou des) jazzwoman (autre que chanteuse), et le seul film qui m’est venu à l’esprit est « Certains l’aiment chaud » de Billy Wilder, dans lequel il y a un orchestre de jazz 100% féminin… mais où l’on suit en fait les aventures de deux jazzmen travestis en femmes, en adoptant uniquement leur point de vue (de mecs qui sont trop excités de pénétrer incognito dans l’intimité des femmes…). Après y a des trucs cools dans ce film (voir par exemple ce qui en est dit ici http://lmsi.net/Billy-Wilder-et-le-trouble-dans-le), mais au niveau de la représentation des jazzwomen, c’est pas vraiment ça…
Toujours aussi capillotractées vos analyses, la mauvaise foi dans toute sa splendeur…
Des blancs qui font du jazz : c’est raciste
Des hommes qui jouent de la musique : c’est sexiste
C’est marrant, mais à en croire le réal, qui s’inspire de sa propre vie, les hommes blancs qui jouent du jazz de manière très compétitive ça doit bien exister quelque part, donc qu’on ne vienne pas dire que le réal invente ça pour déposséder les afro-américains de leur culture et les femmes de leur place dans le monde de la musique…
et puis que ce soient des hommes ou des femmes, des blancs, des noirs, des asiatiques, etc… qu’est-ce que ça change au final, est-ce que vous en êtes réduits à juger un film en termes de quotas ?… est-ce que vous appréciez plus un film selon la couleur de peau de ses personnages ?…
Au final, en caractérisant tous les personnages par leur sexe et leur couleur de peau, vous semblez bien plus racistes que n’importe lequel de ces films que vous attaquez…
Voici quelques planches de BD qui répondent à ton « argument » du sexisme/racisme inversé sur le projet crocodile.
http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/108245129893/pour-aller-plus-loin-des-femmes
Bonne lecture
Un résumé aussi caricatural que faux de cet article.
Pour un article aussi caricatural ça me semblait approprié…
Pour mieux résumer votre article :
– un résumé du film
– un paragraphe comparant le film à un film de sport, ce qui est parfaitement juste, puis comparant cela à un quête de masculinité, ce qui est complètement farfelu…
– un paragraphe qui déplore le manque de rôles féminins dans la film, ce qui est idiot puisque le film se veut une analyse de ses deux protagonistes et de leur relation, il est normal que les autres personnages soient moins importants…
– un paragraphe sur le fait que le jazz était à la base (il y a un siècle) une musique noire, et qu’il aurait du y avoir des personnages noirs, là encore c’est idiot, déjà parce qu’aujourd’hui (et même depuis longtemps) on trouve des jazzmen de toutes les origines, et en plus parce que le film se focalise surtout sur ses deux protagonistes, là encore il y a très peu d’autres personnages qui importent réellement.
Il reste que vous pourriez vouloir critiquer le choix de deux protagonistes blancs masculins… et que là encore ce serait absurde, déjà parce que le réal s’inspire de son expérience, et qu’il voulait probablement choisir des acteurs qui ressemblent à la situation qu’il a connue, ensuite parce que les acteurs sont excellents et élèvent le film grâce à leurs performances, vouloir les changer serait donc assez aberrant, et enfin parce que je vois déjà vos articles si un ou les deux protagonistes avaient été noirs ou des femmes :
-si Andrew avait été noir : un film honteux dans lequel un homme blanc s’approprie une musique noire et tyrannise un jeune musicien noir, celui-ci étant forcé de s’identifier à lui pour le dépasser, une métaphore de l’homme noir qui doit devenir blanc pour avoir sa place dans le monde !
-si Fletcher avait été noir : un film qui montre un pauvre blanc tyrannisé par un noir, une caricature des noirs qui fait fi de la réalité historique et de la situation des noirs en amérique pour tenter de faire passer l’homme de couleur pour un monstre, que l’homme blanc finit par vaincre…
-s’ils étaient tous les deux noirs : un film qui renvoie l’image déformée d’une communauté noire hostile, agressive. Une vision du monde de la musique noire par un réalisateur forcément blanc !
-Andrew est une femme : une femme dominée par un homme, qui n’a d’autre choix que de « devenir » un homme pour prendre le dessus, le message est que les femmes doivent faire comme les hommes !
-Fletcher est une femme : un film qui véhicule l’image des femmes comme étant tyranniques, voulant dominer les hommes à tout prix, à la fin l’homme parvient à reprendre sa place de dominant !
-deux femmes : les femmes dans ce film sont toujours en conflit, incapables d’être unies, une vision d’un monde de femmes par un réalisateur évidemment masculin !
Bref, le choix du réalisateur est le plus sur face aux critiques emplies de mauvaise foi des gens de votre espèce…
J’adore les gens qui critiquent des trucs que tu n’as pas écrit mais que tu-aurais-écrit-à-coup-sûr. Parce qu’y a des gens comme ça, illes sont tellement puissant-e-s qu’illes savent ce que tu aurais écrit (dans ta critique qui n’existe pas sur un film qui n’existe pas non plus). Des gens qui te dominent tellement intellectuellement qu’illes peuvent prévoir tout ce que tu penseras de tout ce qui pourrait exister. Face à des gens comme ça tu peux rien faire, parce que ta pensée elle est déjà contenue dans la leur, et ce n’est même qu’une toute petite partie ridicule de ce que leur esprit génial peut englober. La seule chose à faire quand on croise un génie pareil, c’est se taire et se prosterner. Gloire à toi « The F-thing ».
C’est gentil, mais je me contente de m’inspirer d’autres articles du site, si tu penses que j’ai fait une erreur quelque part merci de la signaler, de toute façon le but de ce site c’est de critiquer tout ce qui a un semblant de succès de façon irrationnelle et avec autant de mauvaise foi que possible, donc je ne pense pas être très loin de la réalité.
Et je vous signale des petites coquilles: « illes » « puissant-e-s »
Justement, c’est pas des coquilles.
Tu as oublié plein de cas:
Si au moins l’un des deux persos principaux est, au choix ou en combinaison:
– une femme noire (si si, les deux en même temps c’est aussi possible),
– d’origine arabe, asiatique, hispanique, etc
– handicapé
– homo
– trans
– obèse
Mais bon, ça n’arrive presque jamais au cinéma, pourquoi s’en préoccuper.
The-F-thing : vous avez tout compris à l’intégralité de ce site, chapeau ! 😉
Au final le raciste c’est celui qui va rechercher du racisme partout :s. Si tu trouves que les « noir-e-s » ne sont pas représentés, alors nous n’avons pas vu le même film.
C’est-à-dire ?
« Au final le raciste c’est celui qui va rechercher du racisme partout :s »
Cette remarque est collector X’D
Je dois vraiment expliquer en quoi elle est vraiment stupide et employée très souvent par les racistes pour se justifier (souvent en combo avec « Moi, je ne vois pas les couleurs de peaux »)
Bonjour j’ai découvert votre site au travers d’une série de trois articles intéressants sur les geeks à l’écran que j’ai d’ailleurs relayés sur framasphère.
Au sujet de Wiplash je ne vais pas me lancer dans de grandes débats sur ce qui est raciste ou pas. Je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce que vous dites mais peu importe.
Je voulais juste préciser une chose dont vous ne parlez pas, ce qui est logique puisque ce n’est pas l’angle de votre billet, donc ne le prenez pas comme une critique mais juste comme un complément.
Passé les précautions oratoires donc : pour un amateur de batterie ce film est musicalement un vrai bonheur. Notamment la caisse claire sur le générique du film.
Par contre j’ai beaucoup de mal avec les films sur l’art pour l’art, Black Swan m’a ennuyé et Wiplash hélas me donne la même impression. De la bonne musique mais un film assez convenu finalement.
Concernant la batterie, le jazz et la couleur de peau, mes deux batteurs de jazz « historiques » préférés sont Max Roach (noir) et Joe Morello (blanc) et quand j’entends leurs solos je me fiche de savoir lequel est noir ou blanc. Il faut dire que la musique je l’écoute je ne la regarde pas, c’est d’ailleurs peut être pour cela que j’ai du mal avec les films sur la musique sauf s’il s’agit de documentaires.
Je ne sais plus qui a dit que depuis l’invention de la batterie, la musique c’était de la batterie avec des notes autour.
Bonjour,
Musicalement et cinématographiquement, j’ai aussi beaucoup apprécié le film, l’acteur qui joue Andrew faisant assez bien l’illusion que c’est lui qui joue les parties batterie.
Après, Andrew a toujours l’air d’exploser et de souffrir pendant les 3/4 de son premier morceau, on le voit jamais décontracté : ça fait partie du discours que jouer de la musique est une performance physique qui génère de la souffrance. Et chose importante : pas pour la recherche du plaisir de jouer, mais juste pour gagner sur Fletcher et être le meilleur (quoi que cela puisse vouloir dire). Déjà, quand on voit un batteur comme Mike Portnoy après 2h45 de concert continuer à prendre son pied plutôt que grimacer de douleur, on se dit que y a un truc.
Perso, j’aime beaucoup cette video avec Weckl, Colaiuta et Gadd https://www.youtube.com/watch?v=VUF8aRodecM : même derrière leurs grimaces pendant les parties les plus difficiles, ce qu’on sent d’abord c’est leur plaisir à jouer ensemble, leur bonne humeur, leur humour. Dans Whiplash, j’ai plutôt l’impression que ce sont des batailles qu’Andrew livre.
On est presque dans le trip de The World’s fatest drummer : de la compétition pour savoir qui va le plus vite ou tape le plus fort, mais musicalement on ne parle jamais de l’essentiel. La performance technique fait partie de la musique, mais il suffit d’écouter des master classes et des grand-e-s musicien-nes insister et corriger sur l’interprétation des morceaux pour comprendre qu’il est réducteur de résumer la musique à sa technicité. Sinon, toutes les batteries du monde seraient remplacées par des boîtes à rythme !
Oui c’est bien la partie souffrance qui me gêne aussi, pour la même raison que Black Swan, les films sur la souffrance nécessaire pour atteindre un niveau artistique m’ennuient.
Une de mes amies a été danseuse professionnelle dans des compagnies réputées et exigeantes et oui elle a souffert physiquement pour atteindre le niveau requis, mais ce n’est pas ce qu’elle a choisi de retenir de ses années de danse.
Après pour Black Swan l’actrice m’insupporte donc sa souffrance m’indiffère, je sais ça à l’air dur dis comme ça mais ce n’est qu’un film et son actrice principale ne m’embarque pas dans l’histoire.
Ce qui m’emmène a un paradoxe, autant je n’apprécie pas le coté souffrance et art pour l’art dans ce film, autant j’ai pris plaisir a voir jouer JK Simmons jouer un tyran autant je me suis ennuyé avoir Nathalie Portman interpréter une victime. Ça n’a pas grand chose a voir avec leur rôles respectifs dans ces deux films, mais avec leur talents respectifs.
Sinon je ne suis pas persuadé en tant qu’auditeur que l’important soit qu’un musicien se fasse plaisir mais qu’il fasse plaisir aux auditeurs. Il y a parfois des musiciens qui se font plaisir et qui produisent quelque chose de plaisant pour eux et quelques initiés. A contrario certains musiciens paraissent imperturbables sur scène et donnent du plaisir, c’est pour cette raison que je citais Joe Morello. Quand on regarde son expression quand il joue il pourrait aussi bien lire l’annuaire et pourtant il donne du plaisir a ce lui qui l’écoute.
Je dis sans doute cela parce que je suis amateur de musique sans être musicien.
Je ne prononcerai pas sur le film que je n’ai pas vu, mais cela m’évoque un débat récurrent quand on parle d’enseignement et de pédagogie. Quand on émet l’idée qu’il faut donner aux enfants l’envie d’apprendre et éveiller leur enthousiasme (allumer des feux plutôt que de remplir des vases comme l’évoquaient déjà Montaigne et Rabelais), on s’entend répondre que l’apprentissage nécessite un effort comme si effort était forcément synonyme d’ennui et de souffrance. Or effort et plaisir ne sont pas antagonistes, comme le plaisir n’est pas synonyme de facilité. Mais ce type de film me semble accréditer cette idée.
j’ai entendu il y a quelques mois Laure Manaudou déclarer qu’elle n’avait jamais aimé nagé mais qu’elle aimait gagner. Plus que sur des artistes ambitieux prêts à se laisser malmener pour « être les meilleurs », je pense qu’il serait intéressant de se pencher sur l’histoire des enfants sportifs jetés dans la compétition sans réel désir et de montrer qu’au delà de la réussite sportive ou artistique, il y a souvent des enfances massacrées.
En regardant le film, j’ai vraiment eu l’impression qu’il reprenait les codes des films de sportif,et surtout de boxe, avec les mains qui saignent et la glace notamment, sans parler de la scène où Andrew arrive totalement en sang et salement amoché pour jouer de la batterie : comme un boxeur qui tente de rester sur le ring alors qu’il est déjà KO.
Du coup, le parallèle avec le sport est très juste, je trouve. D’ailleurs, la batterie est l’un des instruments les plus complets en terme d’utilisation des parties du corps (les pieds, les jambes, les mains, les bras, parfois le coude), du coup on retrouve une composante physique assez forte visuellement que l’on peut rapprocher d’une activité sportive visuellement « intense » (je précise bien « visuellement », parce que jouer un instrument à vent, par exemple, cela peut être aussi très éprouvant alors que les musiciens peuvent paraître statiques 🙂
Bonjour,
Et bien moi je suis absolument d’accord avec tout de que dit darkpara. Je trouve la fin ambiguë, les deux protagonistes antipathiques et le point de vue interne.
Il n’y a donc pas de rascisme/sexisme selon moi dans ce film. Ou s’il y en a, c’est parce que les personnages sont des connards égocentrés qui voient la musique par le petit bout de la lorgnette, et ça, ce n’est pas la faute du rélisateur !!
C’est un peu facile de déresponsabiliser le réalisateur je trouve… Si les personnages sont des connards etc c’est parce que le réalisateur à décider qu’il en soit ainsi. Il aurait pu faire les choses différemment.
Fletcher et Andrew ne sont pas des personnages qui ont une existence propre et on ne peut pas faire comme si c’était le cas.
Bonjour
j’ai été plutôt stimulé par ce film et par une certaine virtuosité dans les scènes musicales mais je garde quelques semaines après l’avoir vu un sentiment de malaise. Ce qui m’a le plus glacé est l’acceptation de tous les personnages de cette logique d’ultra-compétition et de rivalité excluant les notions de collectif, de partage, d’amitié (tout simplement). En gros, on est là pour exceller dans son instrument et pour écraser les autres. Il n’y a pas une seule scène où Andrew partage quelque chose avec ses congénères musiciens (un salut, une blague, une discussion): ils se regardent tous en chien de faïence. Le film semble entériner cette lutte de tous contre tous sans jamais la remettre en cause. J’ai du mal à croire que cela soit une vision objective des milieux de l’art, sans être angélique pour autant. A côté de la vision sexiste que vous ressortez, cette vision ultra-individualiste et darwinienne me paraît aussi très critiquable. Elle aurait été battue en brêche si Andrew s’était en fin de film rendu compte qu’il pouvait être heureux, épanoui en étant un honnête musicien prenant du plaisir à jouer avec des amis, ce qui est aussi la réalité des groupes de musique, qu’ils réussissent ou pas.
Il faudrait que je revoie le film en détail (je l’ai vu 2 fois), mais rien ne prouve que Fletcher soit réellement misogyne, raciste, grossophobe ou tout ce qu’on veut. Il est plutôt enclin à se servir de ces clichés tout à fait volontairement en estimant qu’ils sont de nature à être le plus vexatoire possible. Mais au fond, je pense qu’il s’en fout. Seul compte la musique. D’ailleurs il est fatalement admiratif de musiciens noirs, comme il pourrait être admiratif de grandes musiciennes, de musiciens gros ou de toute nature. Et en tant que musicien (pianiste) il joue avec des musiciens noirs.
Concernant le coté « blanc » de l’orchestre. Il faut connaitre un peu l’histoire du Jazz. C’est une musique qui a eu ses périodes plus ou moins colorées. Je pense à la période be-bop par exemple, ou les noirs ont inventé une nouvelle forme de jazz, plus énergique. Actuellement il y a pas mal de musiciens blancs. Mais concrètement, pour qui à l’oreille averti, on se fout pas mal de la couleur, du sexe ou de la forme des musiciens, seul le talent compte.
J’oubliais un point important :
Pour ma part, le film pêche un peu sur le coté artistique. La musique n’y est envisagé que sous l’angle de la performance, alors que les génies ont non seulement une excellente maîtrise technique, la virtuosité (pas forcément exacerbée) doublé d’une grande sensibilité. Dans une école, le prof va d’abord exercer la virtuosité des élèves, mais rien n’indique qu’ils deviendront de grands compositeurs ou de grands improvisateurs. Je prendrais comme exemple un musicien considéré comme excellent, le bassiste Marcus Miller, dont les albums solos sont affligeants de banalité, que je comparerais au moins connu Michel Alibo, dont le jeu d’accompagnement au sein de Sixun est stupéfiant et perpétuellement vivant.
rien ne prouve que Fletcher soit réellement misogyne, raciste, grossophobe ou tout ce qu’on veut.
Rien dans le film ne montre le contraire.
Concernant le coté « blanc » de l’orchestre. Il faut connaitre un peu l’histoire du Jazz. C’est une musique qui a eu ses périodes plus ou moins colorées.
Eh oui, comme les autres styles de musique comme le rap ou le rock’n roll aussi inventés par des musicien-nes racisées, un fois que le succès est là, c’est accaparé par les blancs. Rien de nouveau sous le soleil.
Mais concrètement, pour qui à l’oreille averti, on se fout pas mal de la couleur, du sexe ou de la forme des musiciens, seul le talent compte.
Allez dire ça aux musicien-nes discriminé-e-s dans leur carrière : le talent, il faut pouvoir le développer avec son travail, le faire connaître et reconnaître, et avoir la possibilité de vivre décemment. Il ne s’agit donc pas ici de discuter de ce que les gens sont capables ou non de faire, mais des opportunités de chacun-e qui sont inégales.
Salaud d’Ibrahim Maalouf qui s’est accaparé le jazz des noirs.
Du fait que de la musique a été développé par une population racisée ça empêche les autres d’en faire car sinon ils vont s’en « accaparé »? Etrange fonctionnement.
La musique est l’affaire de tous, noir, blanc, jaune, rouge, femme, homme, transgenre etc. N’oublions pas juste d’où elle vient et de quel contexte social elle s’est développé.
Alors Ibrahim Maalouf, jusqu’à preuve du contraire, est racisé, donc votre exemple n’invalide en rien mon propos.
Ensuite, la question en jeu n’est pas de savoir qui a le droit ou pas de jouer tel ou tel style de musique, mais de souligner l’appropriation culturelle par une population blanche dominante dans nos sociétés, à mettre en parallèle avec les autres discriminations subies par les populations racisées *au profit* des blanc-hes.
Donc quand on montre, dans un film, des blancs faire du jazz dans une école élististe avec des propos racistes et sans rien montrer d’autre, et qu’en plus la représentation de la musique est problématique, oui c’est un problème par rapport à l’histoire du jazz comme musique née dans une population noire opprimée, faite d’improvisation et nées des tripes, et très très mal vue à ses débuts par les bons blancs, justement (comme le rock, le rap, le reggae, etc).
Personnellement le procédé d’appropriation me fait penser un peu aux films d’art martiaux.
Bruce Lee a prit d’introduire ce genre.
Comme ça marchait la machinerie américaine s’y est mis mais pas avec bridés comme héros (faut pas déconner). Et on s’est retrouvé avec des Chuck Norris, des Van Damme, des Seagal, et des Dudikoff.
Et on retrouve la même chose avec les claquettes. A la base c’étaient des danseurs noirs. Et comme par hasard dès qu’on est passé aux têtes d’affiches, on a eu Fred Astair et Gene Kelly.