Princess Arete (2001) : « Vous allez finir par vous haïr à force d’écouter ces hommes »
19 juin 2013 | Posté par L.D. sous Films d'animation, Tous les articles |
« Enfin une princesse féministe ! » voilà ce qu’on a pu lire à la sortie de Rebelle… Mais c’était sans compter la déception ou du moins, l’enthousiasme en demi-teinte suscité par ce film. « Enfin »… Eh bien non, ce ne sera pas pour cette fois la princesse féministe, du moins si l’on se focalise sur le géant Disney/Pixar, car il existe d’autres dessin-animés moins médiatisés qui mettent en scène des héroïnes hors du commun. L’une d’entre elle existe depuis 2001 et demeure incroyablement méconnue en Occident bien qu’il ne s’agisse de l’adaptation d’un roman anglais. Véritable détournement des contes de fée, Princess Arete dispense un message féministe et humaniste sans jamais donner l’impression de faire la leçon.
Le réalisateur Sunao Katabuchi, a en effet décidé d’élargir les thèmes féministes de l’auteur du roman (The Clever Princess) car il ne se sentait pas à l’aise à l’idée de traiter cette thématique, étant un homme donc mal placé pour dire aux femmes comment s’émanciper[1]. Une humilité louable à l’opposé du mansplaining et qui ne dessert absolument pas la cause féministe du film connu au Japon comme un des films d’animation féministes les plus réussis. Je ne peux que vous inciter à vous pencher sur ce film avant de lire l’analyse qui va suivre car elle contiendra quelques spoilers. Qui plus est, le film a bien d’autres qualités que celles qui seront relevées ici ; il en vaut la peine (visuellement c’est un chef-d’oeuvre et même si le rythme lent peut en rebuter certains, ça demeure une histoire intéressante bien racontée servie par une musique magistrale, notamment la chanson d’Origa connue pour avoir collaboré avec Yoko Kanno sur l’OST de Ghost in the Shell).
Un patriarcat omniprésent
Dès le début du film, les inégalités genrées sont prises en compte. La princesse qui quitte régulièrement sa tour pour visiter la ville (sans jamais s’attirer d’ennuis au contraire d’une certaine princesse Disney) se fait renvoyer chez elle par le chef d’une guilde de tisserand qui n’emploie que des jeunes garçons. Dans l’environnement médiéval représenté par le film, les hommes peuvent effectivement s’adonner aux travaux d’aiguille mais dans la sphère publique : il s’agit d’un travail, alors que la princesse est, elle, renvoyée à la sphère privée pour coudre : « Rentre coudre chez-toi ! On ne peut pas laisser une fille comme toi entrer dans la guilde ! ». La critique du patriarcat n’est pas explicitée ici (la princesse est peut-être renvoyée chez elle car elle admet ne pas avoir besoin d’argent mais juste vouloir travailler) mais le fait que ladite guilde ne semble composée que de garçons et la critique du patriarcat qu’on verra par la suite peuvent amener à cette interprétation.
Dans la sphère publique, la couture est une affaire d’hommes
On voit ensuite la princesse retourner dans la tour où elle est enfermée. Au début du film, on nous explique qu’elle est ainsi séquestrée pour sa « protection », pour préserver son « noble esprit » et son « noble corps ». On voit ici mise en scène une excuse longtemps utilisée par le patriarcat : « c’est pour préserver les femmes ; ces êtres vulnérables et précieux, qu’on les enferme » (il s’agissait surtout de s’assurer que la femme ne porte pas les enfants d’un autre et garantisse ainsi une succession sans tâche).
On voit d’ailleurs que bien peu de gens se soucient de la princesse en tant qu’être humain car elle est objectifiée au plus haut point : par ceux qui l’enferment et par ceux qui la convoitent.
Son père, représentant ultime de l’autorité (et qui pourtant parle très peu et ne semble pas non plus très attaché à son enfant) laisse ses conseillers utiliser la princesse pour remplir les caisses de l’Etat. En effet, il a été déclaré que ceux qui veulent obtenir la main de la princesse doivent pour cela ramener des trésors magiques. Trésors qui vont directement dans les caisses royal mais font « très plaisir » à la princesse. Ainsi, elle est utilisée comme prétexte pour envoyer des chevaliers au casse-pipe afin de revitaliser l’économie du royaume.
Mais les prétendants à la main d’Arete ne valent pas mieux et ne voient en elle qu’un moyen d’accéder au pouvoir. On assiste donc à une véritable parodie de scènes d’amour courtois où les clichés s’enchaînent : ce ne sont pas un mais deux chevaliers qui prennent successivement d’assaut la tour dans laquelle vit la princesse et s’introduisent dans ses appartements sans lui demander son avis. Leur différence d’âge, ici mise en évidence, fait d’ailleurs écho à des réalités pas si lointaines (et d’ailleurs toujours en usage au cinéma) où la fiancée avait nécessairement vingt ans de moins que son vieux promis.
Ceci dit, contrairement aux prétendants de Mérida, l’héroïne de Rebelle, qui étaient si ridicules qu’il était évident qu’il ne feraient pas de bons époux pour la princesse, les chevaliers qui viennent conquérir Arete sont physiquement beaux et bien faits. A première vue, ils sembleraient tout à fait acceptables si l’on excepte la différence d’âge.
Mais dès que la princesse discute avec eux, on réalise leur vanité. Daraboa, le premier chevalier à entrer dans les appartements d’Arete, lui raconte ses exploits sans écouter ce qu’elle lui dit. Elle n’est pas la seule créature dont il ignore le ressenti : il déclare d’ailleurs que les nombreux chevaux qu’il a tué dans sa quête étaient « heureux de mourir pour la princesse ». Le chevalier raconte également comme il a pris la vie d’une créature magique avec des ailes sur le côté de la tête et un serpent au milieu : créature supposément dangereuse qui s’avère être un éléphant inoffensif dont la mort attriste manifestement Arete. (Cependant, un flash-back laisse à penser que cet exploit n’est que vantardise et que Daraboa a simplement fui devant le danger, ce qui, hélas, ridiculise peut être plus que nécessaire ce chevalier qui ne serait pas un vrai « héros » et fait même perdre un peu de force au propos : ce n’est plus le système qui est dangereux mais un individu qui ne serait pas un « vrai héros »).
Là encore, Daraboa va mal interpréter la réaction d’Arete et croire que sa peine (provoquée par sa chasse à l’éléphant) n’est dû qu’à sa crainte des dangers qu’il évoque. Il lui promet ensuite de la protéger : « Je vous protégerai, nous vivrons entre les murs du château. » Il lui offre donc une seconde vie cloîtrée et soumise pour remplacer la première en s’attendant à ce qu’Arete en soit très heureuse.
Le deuxième chevalier ignore également les désirs d’Arete qui lui ferme la fenêtre au nez deux fois avant qu’il ne comprenne qu’il n’est pas le bienvenu dans sa tour. Il enchaîne aussi les phrases toutes faites et compare les cheveux noirs d’Arete à de l’or, incapable de les qualifier autrement car il ne s’adresse pas ici à un individu (Arete) mais à une « princesse » aux cheveux d’or et grâce à laquelle il accèdera au trône.
La sorcière qui visite ensuite Arete lui dit ce que la princesse semble déjà savoir : les hommes regardent le monde à travers des verres colorés et refusent de voir la vérité, on se hait soi-même à force de les écouter. Il est explicité ici que les hommes se voilent la face sur le ressenti de leurs victimes sans jamais se soucier de leur état et des conséquences de leurs actes, comme il a été prouvé durant toute la scène qui précède, et que les écouter et se conformer à leur désir signifie s’annihiler soi-même. C’est très simplement dit et très juste, bien entendu. Mais évidemment, le film ne s’arrête pas là.
On va encore plus loin le lendemain avec l’apparition du sorcier Boax, deuxième grand représentant du patriarcat dans le film. En effet, il déclare que la princesse est ensorcelée et n’a plus toute sa raison. Pour appuyer son témoignage, il demande à ce qu’on interroge les deux chevaliers qui se sont introduits chez Arete durant la nuit et qui se sont fait traiter (à juste titre) de voleur et de menteur. Ce détail crédibilise la thèse de Boax : que les chevaliers soient réellement les voleurs et menteurs qu’Arete les accusent d’être est totalement inenvisageable. Non, c’est la princesse qui est folle !
Belle démonstration de l’aveuglement masculin.
Qui plus est, la princesse, qui s’est enfuie durant la nuit, est retrouvée et déclare vouloir être autre chose qu’une princesse, ce pourquoi elle s’est évadée. Aussitôt, la foule d’hommes s’exclame : « c’est une malédiction ! » Là encore : ils se rassurent, refusent de voir la vérité et imaginent qu’Arete est victime d’un sort dont ils ne sont pas responsables alors qu’elle a simplement des désirs qui diffèrent de ceux qu’on lui impose.
D’autant plus que la princesse ne correspond pas à l’idée qu’on s’en fait. Peu de gens l’ont réellement vue et la foule est incapable de la reconnaître. Elle n’est qu’une fille banale, elle n’a pas l’apparence d’une princesse. Lorsque le sorcier la « libère », il lui donne l’apparence d’une jeune femme et la rend totalement soumise. A ce moment, l’un des conseillers déclare : « Maintenant c’est une vraie princesse ». On ne saurait être plus clair.
La « libération » d’Arete, c’est donc sa soumission mais aussi sa sexualisation précoce puisqu’elle passe directement du corps d’une enfant à celui d’une femme.
Après sa « libération » on donne tout naturellement Arete en mariage au sorcier.
Laquelle est la vraie princesse ? Indice : elle baisse les yeux
Si Arete a une nouvelle apparence plus féminine, c’est une illustration de sa soumission et ça n’a absolument pas été provoqué par les désirs du sorcier Boax. Il l’épouse, en effet, mais il n’est pas amoureux d’elle : il l’a capturée car une prophétie annonce qu’Arete mettra fin à sa vie, ce pourquoi il l’a soumise et l’enferme dans le donjon souterrain (la princesse passe du plus haut de sa tour aux sous-sols). Ainsi, ensorcelée comme elle l’est, Arete n’essaiera pas de s’enfuir. Il suffit au sorcier Boax de lui dire que la porte ne s’ouvrira pas pour qu’elle renonce à l’idée de tenter quoi que ce soit pour l’ouvrir. Elle semble avoir complètement intériorisé sa soumission, un état contre-nature puisqu’il s’agit d’un sortilège.
Qui plus est, le sorcier déclare à Grovel, son sous-fifre : « Elle (la princesse Arete) devrait m’être reconnaissante de ne pas l’avoir tuée, je suis tout de même civilisé. » On voit toute l’ironie de la situation : abuser quelqu’un et lui faire perdre tout libre arbitre, ce n’est rien tant qu’on ne la tue pas. C’est une excuse que se donnent d’ailleurs beaucoup de bourreaux psychologiques pour se dédouaner.
Pendant l’enfermement de la princesse Arete, on voit également Boax et Grovel se moquer de ladite princesse qu’ils cantonnent à certaines activités (ou à une inactivité globale) puisqu’elle est enfermée, mais dont les passe-temps : décoration et broderie, ne suscitent que leur mépris. On voit ici un mécanisme classique qui consiste à cantonner les femmes à certains domaines et à les mépriser lorsqu’elles s’y complaisent mais également lorsqu’elles s’essaient à autre chose. Aucune solution possible pour gagner le respect au pays du patriarcat : soumise on est une moins que rien, insoumise on est ensorcelée. Il n’est jamais question de libre arbitre bien entendu.
Les paroles de la sorcière sonnent toujours aussi juste : « Vous allez finir par vous haïr à force d’écouter ces hommes. »
Arete : « autre chose qu’une princesse »
Merida est loin d’être la première et unique princesse à avoir refusé son statut et l’enfermement qui va avec. En plus d’Arete, on peut citer le personnage de Chamsous-Sabah dans Azur et Asmar (qui déclare à un homme qui lui reproche de s’être échappée au péril de sa vie : « Vous ne pouvez pas comprendre, vous n’avez jamais été princesse ») ou dame Amalthea dans La Dernière Licorne (elle refuse les règles courtoises qui poussent l’homme qui la séduit à lui ramener des créatures mortes alors qu’elle n’a rien demandé : on revoit une fausse interprétation masculine des désirs féminins selon les principes courtois).
Merida, Chamsous-Sabah, Amalthea : pas si simple la vie de princesse
Néanmoins, Arete est probablement celle qui va le plus loin dans les revendications féministes. On peut d’abord remarquer que si, par opposition au sorcier Boax grand et anguleux et qui crie au lieu de parler, elle est toute en courbes avec ses boucles et son visage rond et parle d’une voix douce, elle n’en demeure pas moins un personnage très peu sexué (on pourrait à peine la distinguer d’un petit garçon s’il n’y avait pas le costume). Même sous sa forme ensorcelée (adulte) elle porte une robe très ample et son visage épuré est à peine féminisé par un léger maquillage des lèvres. Aucune complaisance dans son design, elle n’est pas là pour qu’on se rince l’oeil. La princesse Arete a des petits yeux bruns sous d’épais sourcils noirs qui lui donnent du caractère, un visage rond et des cheveux bouclés et cotonneux absolument pas érotisé et qui bougent à peine lors de ses déplacements.
La « vraie princesse » fait tapisserie, et Arete au premier plan
Elle porte une robe très ample qui laisse peu voir son corps mais ne la gêne absolument pas dans ses mouvements lorsqu’elle est enfant et qu’on la voit grimper, escalader, sauter, courir. La scène de son ascension sportive de la tour est d’ailleurs montée en parallèle des exploits du chevalier qui s’élance à l’assaut de la tour mettant princesse captive et héros conquérant au même niveau.
Arete et le chevalier Daraboa (dont on voit la silhouette à droite) à l’assaut de la tour
En plus d’accomplir des exploits sportifs (oui, exploits, allez donc escalader une tour !), Arete a d’autres activités plus intellectuelles que la broderie ou le tissage traditionnellement associés aux femmes au Moyen-Âge (on trouve un rouet dans sa chambre mais il semble inutilisé), elle lit des livres (qui ne sont pas des romans « féminins » mais des traités), joue aux échecs (elle y bat aisément son prétendant) et semble intéressée par à peu près tous les domaines. Elle s’y connaît en zoologie ; elle explique à Daraboa que la créature qu’il a tuée (un éléphant) ne mangeait que de l’herbe, en botanique ; elle corrige le second chevalier qui lui offre une rose en prétendant qu’elle vient d’Afrique alors qu’il s’agit d’une Splendiflora des jardins du château. D’entrée de jeu, Arete est présentée comme intrépide et sportive mais également très érudite.
J’te donne une fleur même si t’as rien demandé!
Son érudition est hélas partiellement liée à son enfermement. Comme elle l’explique au chevalier, les livres sont sa seule fenêtre sur le monde. Mais Arete est surtout très curieuse et intéressée. Elle passe son temps à observer les gens de sa fenêtre mais cette observation n’est absolument pas passive. Elle n’est pas présentée comme une rêveuse qui s’enferme dans son monde comme une princesse classique telle que Cendrillon ou Raiponce, non, elle réagit à son environnement et semble actrice de son observation.
Les princesses : les yeux dans le vague tournés vers le ciel, Arete en réaction à ce que vivent ses semblables en bas
Du moins quand elle n’est pas ensorcelée, car à partir du moment où elle est sous l’emprise de Boax, son attitude se transforme. Son regard est moins éveillé et dirigé vers le bas, elle bouge très peu et très doucement et, même si elle est physiquement plus grande, elle paraît s’approprier moins d’espace. « C’est une vraie princesse » comme l’a déclaré un des conseillers.
C’est sur le regard que la différence reste la pire ceci dit. Il y a un double aveuglement puisqu’elle est aveuglée par les hommes qui s’aveuglent eux-mêmes. Elle regarde ce qu’ils lui laissent regarder et comme le champ de vision des acteurs du patriarcat est déjà très limité, le sien l’est d’autant plus. Arete ensorcelée n’est même plus capable de regarder à travers une vraie fenêtre, elle se contente d’observer un tableau de paysage en trompe-l’œil.
Mais elle ne le demeure heureusement pas éternellement dans cet état et dépasse ce statut. Après s’être libérée de son enchantement, elle redevient active et cherche aussitôt à se libérer en renversant son lit pour grimper dessus et atteindre la fenêtre ou en rampant dans des canalisations avant de ruser en ayant recours au déguisement pour faire croire qu’elle est toujours ensorcelée. A ce moment-là, elle n’est plus une princesse.
En effet, lorsque le sorcier Boax l’envoie en quête afin de s’en débarrasser indirectement, il lui fait prêter un serment sur son anneau : serment qui obligerait la princesse à accomplir son exploit ou mourir mais comme le sorcier s’adresse à une « noble princesse » et non spécifiquement à Arete, il est invalide puisqu’Arete n’est plus une « noble princesse ».
La manière dont Arete se libère est véritablement exemplaire. Durant tout son enfermement, elle possède un artefact magique très puissant : un anneau qui octroie trois vœux à son porteur, remis par une adjuvante sorcière plus tôt dans le film, mais comme elle est ensorcelée, elle ne s’en sert que pour se conformer aux activités des contes de fées auxquels elle se raccroche : décorer et broder. Elle a les moyens de se libérer dès le début mais ne peut pas car elle est mentalement anéantie. Cela montre à quel point la libération féminine doit être profonde. Il ne s’agit pas seulement de donner des outils aux femmes mais de procéder à un déracinement de mécanismes culturels malsains qui poussent à une passivité soumise. Qui plus est, cela prouve également qu’une femme qui ne se révolte pas n’est pas nécessairement heureuse de sa condition. Il n’y a pas de lien entre passivité et bonheur.
C’est une autre adjuvante ; Ample, une servante de Boax qui permet à Arete de se sauver elle-même en lui suggérant de se raconter son propre conte de fée dans sa tête. Elle insiste d’ailleurs sur le fait qu’il doive s’agir d’un conte personnel, de « son » histoire et que ça ne fonctionnerait pas si elle se contentait de l’écouter passivement.
Arete, en désespoir de cause après avoir usé tout son fil à broder, commence à imaginer son conte de fée qui, comme son histoire personnelle, commence à la manière d’un récit classique et s’achève par une puissante réaffirmation de soi.
La leçon est claire, une femme ne peut pas attendre qu’on la sauve, d’autres femmes peuvent l’aider dans une certaine mesure (solidarité féminine/début de féminisme) mais sa liberté d’esprit dépend d’elle. Après cela, comme dit Ample, même si on peut tout lui interdire, même si son univers demeurera cloisonné, elle sera au moins libre de penser.
L’évolution de la princesse ne s’arrête pas à sa seule libération. Elle a encore d’autres rêves à accomplir et on la voit commencer à les entreprendre.
Une de ses obsessions durant tout le film, la chose qu’elle admire le plus dans l’humanité (que ce soit l’humanité des sorciers ou son humanité), c’est le don d’imaginer et de fabriquer des choses. Elle rêverait elle-même de créer, ce pourquoi elle cherche à se faire embaucher dans la guilde des tisserands au tout début du film ou essaie de s’enfuir avec des forains, mais son statut et sa situation l’empêchent d’accomplir ses projets.
Cependant, une fois libérée de l’emprise de Boax, elle commence déjà à faire preuve d’inventivité en utilisant les ustensiles que lui avait octroyé son anneau magique pour se déguiser en princesse, puis en transformant son lit en échelle pour quitter la tour.
Peu après, on la voit hésiter à utiliser le dernier vœu magique de l’anneau et finalement, elle ne s’en sert pas : peut-être parce qu’elle pense pouvoir aider Ample et le village à se débarrasser du sorcier grâce à lui et/ou qu’elle a pleinement confiance en ses capacités et n’a pas besoin de se reposer sur un artefact (contrairement au sorcier Boax qui, comme on le verra, ne fait que ça).
Le dernier vœu de l’anneau est ensuite employé sur ordre du sorcier Boax pour faire prêter serment à une « noble princesse » inexistante et il semble devenir superflu mais Arete trouve quand même un moyen de l’utiliser en s’en servant de conducteur pour réparer le vaisseau « magique » que Boax utilisait et qu’il était, lui, incapable de réparer.
Grâce au vaisseau et surtout à son astuce, la princesse finit par sauver tout un village en créant un gigantesque lac.
Là où le sorcier Boax ne fait que détruire ou se servir d’artefacts créés par d’autres sans les comprendre (pour réparer son bâton cassé, il se contente de taper dessus) Arete crée et comprend lesdits artefacts qu’elle est à même de réparer. Elle refuse de s’aveugler et voit donc plus loin que le bout de son nez et ce dans beaucoup de domaines.
Arete saura sûrement le réparer
Sinon, Arete se caractérise également par son intérêt sincère pour l’humanité. Elle n’est pas montrée comme une personne bondissante et pleine d’entrain qui chantonne d’une personne à l’autre comme la Raiponce de Disney, non, c’est une petite fille d’aspect timide et calme mais son enthousiasme et son altruisme sont démontrés plus subtilement. Lorsqu’elle est enfermée dans sa tour, elle observe ses semblables avec passion et intérêt, elle pose également une foule de questions à la sorcière et l’aide sans doute sans y faire attention mais on développera ce point plus tard, une fois libérée de son envoûtement, elle revient sur le territoire de Boax alors qu’elle serait libre de partir définitivement et d’accomplir ses rêves, non pas par esprit de vengeance, mais pour aider Ample et les autres habitants du village à se libérer du sorcier, enfin, alors que Boax s’est imposé comme l’opposant principal tout au long du film, elle l’attrape par le bras pour l’éloigner de la gigantesque statue à son effigie qui menace de l’écraser. Elle cherche également à le comprendre : « Pourquoi t’attaques-tu toi-même ? » et à la fin, lors de leur ultime confrontation, elle lui explique qu’une autre vie est possible sans lui faire la morale ni lui imposer son point de vue.
Là où la gentillesse est souvent présentée comme une preuve de naïveté et d’innocence (Blanche Neige laisse entrer la vieille sorcière) l’altruisme d’Arete est complètement positif et n’est absolument pas lié à un quelconque aveuglement. Elle est clairvoyante et sait qui est Boax mais elle ne s’autorise pas à le maltraiter pour autant.
La fille sauve le méchant… Belle inversion des schémas
Pour Arete, le film s’achève sur le début d’une série de voyages à travers le monde. Loin de craindre l’humanité, elle y plonge (« je veux vivre parmi les humains » déclare-t-elle) et y fait son chemin toute seule sans aucune motivation romantique (Raiponce, Jasmine et Ariel qui rêvent de voir le vaste monde restent finalement au palais avec leur prince).
Par opposition aux chevaliers qui rêvent de conquête, elle a des pensées bien différentes des leurs lorsqu’elle accomplit l’exploit que Boax lui avait initialement demandé et qui consiste à gravir une montagne pour récupérer un trésor magique. Au lieu de convoiter l’œil rubis du prodigieux automate en forme d’aigle qui vole dans la montagne, elle s’interroge sur ce à quoi pensaient les constructeurs de cet objet au moment de sa création. Arete ne recherche pas la richesse ou la gloire mais des trésors spirituels bien plus utiles que tous les colifichets et artefacts qu’on pourrait lui remettre.
Elle s’admet également incapable de répondre à sa propre question sur ce que pensaient les sorciers qui ont conçu l’aigle et reconnaît que les pensées des autres sont complexes mais qu’il y a de la grandeur en elles. Contrairement aux chevaliers et autres acteurs du patriarcat présenté durant le film, elle ne pense pas à la place des autres et ne leur invente pas des désirs. Elle reconnaît avec humilité leur différence et même, les apprécie pour cela.
Ample et la sorcière : adjuvantEs et solidarité féminine
Parlons à présent des deux adjuvantes d’Arete : la sorcière qui lui remet son anneau et Ample, la servante de Boax. Les deux personnages ne sont pas physiquement sexualisés mais très touchants et attachants. La sorcière a la voix d’une vieille femme mais le corps d’une jeune enfant et Ample est une femme adulte, pas nécessairement vieille mais usée et trapue.
La sorcière commence par s’introduire chez Arete en la suivant dans les souterrains. Son apparition est assez étrange, on se demande ce qu’elle vient faire ici. Après avoir conseillé à Arete de ne pas écouter les chevaliers qui la tourmentent, elle explique qu’ayant entendu dire que des objets magiques se trouvaient au château, elle est venue y chercher son cristal de vie éternelle et que si elle ne le retrouve pas, sa vie sera limitée comme celle des autres humains. Arete, qui aime profondément l’humanité et donc, ses limites, ne comprend pas et lui dit : « Votre vie n’est pas finie, vous pouvez encore accomplir des choses. » ce à quoi la sorcière répond : « Tu crois encore que la vie a un sens ! » et Arete : « N’est-ce pas naturel ? »
Leur échange s’arrête là, mais on peut penser qu’il a eu une certaine influence sur la sorcière et la suite confirme cette hypothèse. La sorcière apparaît ensuite pendant le mariage d’Arete et lui remet un anneau magique : « sers t’en pour te sauver ». Elle quitte ensuite la princesse et rejoint la ville car elle a abandonné la recherche de son cristal et décidé d’accepter de vivre sa vie « limitée » parmi les humains.
La sorcière apporterait ainsi son aide à Arete en remerciement pour ce qu’elle lui a dit qui l’a probablement amenée à accepter de vivre parmi les humains. On aurait ici une solidarité dans les deux sens puisqu’Arete s’est soucié d’elle et que la sorcière se soucie d’elle en retour et cherche à l’aider.
Ample, elle, veut spontanément aider la princesse à se libérer et s’attaque aux barreaux de sa fenêtre (la seule chose solide dans le château de Boax) avant d’essayer d’ouvrir sa porte. Ample se soucie énormément des autres ; d’Arete, mais également de son village et aux enfants qu’elle compte avoir et auxquels elle désire offrir une autre existence que de servir le sorcier Boax. Elle essaie d’amener l’eau au village par ses propres moyens et creuse un puits (ce qui lui attire les moqueries de Grovel qui trouve ses efforts insignifiants et voués à l’échec). Ensuite, à l’image d’Arete qui a aidé la sorcière simplement en échangeant avec elle, Ample donne à la princesse les clés de sa liberté en lui proposant d’inventer un conte de fée dans sa tête ce qui mènera Arete à se libérer.
Ample est, après Arete, le personnage le plus positif du film. C’est une femme forte, courageuse et altruiste et dont le physique l’éloigne des clichés habituels.
On remarquera que les deux adjuvantes ne sauvent pas Arete mais lui donnent toutes deux des moyens de se libérer et surtout, échangent réellement avec elle au cours d’une véritable discussion. Qui plus est, on voit instaurée ici une véritable chaîne de solidarité féminine : Arete aide la sorcière qui l’aide (et lui donne l’anneau qui lui permettra d’aider Ample ensuite) Ample aide Arete qui l’aide à son tour.
Les acteurs moribonds du patriarcat
La chanson d’Origa qui est jouée deux fois durant le film ainsi qu’une évocation de la magicienne peuvent aider à placer ce patriarcat déficient dans un contexte précis : il vient après une grande période de guerres. Au lieu de s’adapter à une nouvelle manière de vivre et d’abandonner une éducation guerrière à présent superflue, on invente d’autres distractions pour occuper les chevaliers : des quêtes pour conquérir la princesse qu’on peut mettre en parallèle avec les joutes et croisades inventées dans des contextes et situations similaires.
Ainsi, ils refusent de s’adapter et de changer de fonction et se trouvent une nouvelle « utilité », mais leur système est moribond et leurs excès caricaturaux. Comme décrit plus haut, les chevaliers sont coincés dans leurs rapports codifiés à l’autre sexe et s’aveuglent sur la situation. On leur demande de ramener des trésors mais ils ne sont en majorité que des « jouets », des automates que l’on confond avec de la magie. Le seul objet qui a un véritable lien avec la magie : un livre, est méprisé par les conseillers mais également par le sorcier lui-même que l’on voit manger dessus plus tard. Seule Arete sait en reconnaître la valeur.
Dans ce système en déliquescence, les hommes s’agrippent à des symboles dérisoires qui les rattachent au passé comme le cristal de vie éternelle de Boax auquel le sorcier s’accrochera jusqu’au dernier moment. Ils s’avèrent également incapables d’apprécier la véritable valeur des choses.
Voilà ce qui arrive quand on amène son livre à table
Le film Princess Arete est divisé en deux parties : celle de son premier enfermement dans la tour au royaume de son père durant laquelle elle dispose au moins de sa liberté d’esprit, et celle de son emprisonnement dans le donjon de son époux le sorcier Boax où un sortilège la soumet complètement. Durant la première partie, le principal porteur de l’autorité semble être son père mais il est d’une incroyable mollesse et placidité. On ne le voit jamais ouvrir la bouche ; même s’il parle parfois, sa bouche est invisible sous sa barbe. Il ne bouge jamais et ses conseillers s’expriment à sa place. Il n’est d’ailleurs même pas là pour transmettre la main de sa fille à son époux et ce sont ses conseillers qui le font réellement. Ses restes de pouvoir ne sont que des traces de rituels et d’étiquette comme la façon caricaturalement respectueuse de parler que les gens adoptent pour s’adresser à lui.
Arete semble aussi ne rien éprouver pour celui qui est pourtant son père même si elle le qualifie plus tard de grand monarque lorsqu’elle se raconte son conte de fée, idéalisant probablement son passé. Le roi n’a aucun contact avec ses proches au cours du film. Il est si enfermé dans un patriarcat malade qu’il semble être réduit au simple symbole qu’il représente. Il n’est pas, il symbolise simplement et en cela, il est aussi victime (dans une moindre mesure il est vrai) du patriarcat.
Un indice est donné sur ce qui pourrait expliquer son apathie : sa femme, la reine (caractérisée par sa beauté dans le conte que raconte Arete, respectant là la tradition des contes de fées qui valorisent avant tout le physique des femmes) est en effet morte à la naissance d’Arete. Les références aux contes de fées étant multiples, on peut rapprocher cette situation de celle de Peau d’Âne où (dans certaines versions et adaptations : notamment le film de Demy) le père ignore sa fille pendant des années après la mort de sa femme, très affecté par son deuil. Néanmoins, nous ne sommes jamais encouragés à sympathiser avec ce personnage dont l’importance et l’influence demeurent très limitées malgré sa position.
Où est passé Papa alors qu’on marie la princesse ?
Il est probablement encore sur le trône qu’il ne quitte jamais.
Le deuxième porteur du pouvoir, lui, est beaucoup plus développé et permet de l’empathie. Le film a en effet l’intelligence de nous donner également le point de vue de l’homme : le sorcier Boax, et, sans excuser ni justifier la domination qu’il exerce, il nous permet de le comprendre et de réaliser que, non content de provoquer le malheur des autres, il est également acteur de son propre malheur. C’est d’ailleurs sa décision d’emprisonner la princesse Arete pour se protéger de la malédiction qui provoque sa « fin ».
Boax l’inactif
Comme le roi, Boax passe la majeure partie du temps dans la même position : allongé devant la fenêtre. Il contrôle les choses à distance grâce à son cristal magique très « informatique » qui peut se programmer ou enclencher un mode « vision » comme des caméras de surveillance. Il ne fait rien de ses journées et est même nourri par le village car incapable de subvenir à ses propres besoins. De même, le château dans lequel s’est établi le sorcier Boax est un taudis et il semble lui-même assez négligé.
Lorsqu’on voit à quel point le fait de se nourrir et d’entretenir son intérieur devient l’apanage des femmes dans la répartition genrée des rôles masculins et féminins, il est intéressant de montrer que cette répartition provoque également un manque pour les hommes : en refusant des tâches ingrates dont ils ne connaissent rien, ils finissent dans un état de dépendance, incapable de s’occuper d’eux-mêmes.
Le sorcier oisif se fait servir
Mais malgré la position de faiblesse de Boax, ce dernier les domine en se faisant passer pour indispensable, persuadant les villageois dont il dépend que sans lui ils n’auraient pas d’eau. En réalité, la présence où l’absence de Boax importe peu puisque l’eau ne vient pas de lui mais d’un artefact magique. Et même, le sorcier a tout intérêt à laisser l’eau s’il veut que les villageois aient de quoi le nourrir mais il se fait passer pour plus puissant qu’il n’est et, ce faisant, pervertit complètement son rapport aux autres qui se fige alors dans le schéma : dominant/dominé alors que s’il créait de véritable liens avec les villageois, peut-être lui découvriraient-ils d’autres intérêts que « l’eau ».
Isolé par sa supposée supériorité, Boax considère les villageois comme une espèce inférieure tout en étant terrifié par eux (il évite les contacts). Il méprise les femmes avant tout (Arete et Ample sont sujettes aux moqueries) mais n’a aucun véritable lien avec les hommes et fantasme sur les siens : « les sorciers » sans jamais les avoir vus.
Les siens ont en effet quitté la terre alors qu’il n’était qu’un enfant pas éduqué. Il s’accroche donc à des reliques sans les comprendre : il utilise des artefacts magiques construits par d’autres bien avant lui : le cristal (qu’il tape bêtement lorsqu’il croit qu’il y a un disfonctionnement), le vaisseau volant (qu’il abandonne lorsqu’il réalise qu’il est cassé alors qu’Arete saura le réparer)…
Un homme qui se déteste
Comme le roi, Boax porte la barbe : un attribut masculin. Il n’est pas particulièrement repoussant mais se qualifie lui-même de « laid » déclarant que sa laideur ne compte pas par opposition à la princesse dont la beauté est importante aux yeux des autres (la laideur est une tare pour les femmes mais pas un problème pour les hommes).
Comme le roi, on découvre également (après coup) que Boax n’était même pas véritablement présent à son propre mariage puisqu’il y a envoyé Grovel à sa place. Cela rejoint son inactivité du paragraphe précédent.
Grovel semble ne pas être un véritable personnage par ailleurs mais une extension du magicien qui crée des choses inutiles avec sa magie : les grenouilles, et a ensuite métamorphosé l’une d’entre elles en un serviteur qu’il peut martyriser à sa guise. A la fin du film, il retransforme simplement Grovel en grenouille et sa fin n’est pas présenté comme quelque chose d’émouvant ou de triste ou même une punition alors que Grovel a montré à plusieurs reprises qu’il avait peur d’être changé en grenouille. Ce traitement me conforte donc dans l’hypothèse que ce crapaud n’est pas une entité mais le magicien lui-même qui se dédouble et se martyrise lui-même.
Même en ne prenant pas Grovel comme un alter-ego de Boax, il est intéressant de voir que les seuls rapports entre hommes décrits dans le film sont hiérarchisés (dominant/dominé) et violents alors que les rapports entre femmes sont bien plus harmonieux.
Le pouvoir de Boax ne consisterait donc qu’en deux choses : destruction et extension de sa personne via les centaines de crapauds inutiles, seule chose qu’il peut faire apparaître. A la fin du film, Boax, après avoir avoué à Arete qu’il ne sait rien et ne fait qu’utiliser des outils magiques crées par d’autres, décide de changer son château en « la chose la plus inutile qui soit » avant d’ordonner à celui-ci de tout détruire. Le château se transforme alors en gigantesque sculpture à son image. La chose la plus inutile, c’est lui-même et il le sait. Par paresse ou par orgueil, il s’accroche à des artefacts pour se faire passer pour un dominant et soumettre ceux qui l’entourent mais il est parfaitement conscient de sa duperie et se déteste pour cela même s’il est incapable d’évoluer par lui-même.
La chose la plus inutile qui soit
Un damoiseau en détresse
Là où le film frappe fort, c’est en mettant finalement le sorcier Boax dans la même situation qu’Arete. Il veut aussi être sauvé malgré sa position de dominant et se révèle un « monarque » incapable de diriger et qui s’en remet lui-même à de plus grandes instances. En effet, Boax n’attend qu’une chose : le retour de son peuple sur terre.
Comme la princesse Arete, il passe son temps devant une fenêtre à attendre et espérer. Et sa confrontation avec Arete lui fait prendre conscience de sa propre situation passive : insoutenable pour lui. On le voit à plusieurs reprises dans le film : il ne regarde jamais vraiment Arete et refuse même qu’elle paraisse à ses yeux lors de leur échange. Tout au long du film, il la dirige à distance : en programmant Grovel et le cristal pour la lui ramener, puis, en lui parlant de loin lorsqu’il la guide à travers le château. Même lorsqu’il envisage de s’en débarrasser, c’est d’une manière indirecte en l’envoyant se faire tuer dans une quête impossible.
On peut interpréter son attitude de deux façons qui se rejoignent :
-L’aveuglement des hommes décrit par la sorcière, un aveuglement qui interdit l’empathie et donc la promiscuité avec sa victime. Le sorcier est clairement plus intelligent que les chevaliers et il craint de comprendre Arete et le mal qu’il lui fait en se rapprochant d’elle.
– Le refus de se reconnaître en elle car, finalement, la situation d’attente et d’emprisonnement d’Arete fait terriblement écho à sa propre situation de sorcier abandonné par les siens et exilé dans un pays où il se sent étranger et s’interdit tout contact. La seule différence étant qu’il est acteur de son propre “malheur” (malheur étant relatif puisqu’il domine les gens et profite tout de même de cette situation) et pourrait y changer quelque chose, ce qu’il refuse de faire.
Les deux situations témoignent d’un refus d’empathie, de compréhension (qualité trop féminine pour les hommes aveugles dont les connaissances se limitent à leur propre univers comme on l’a vu avec le chevalier qui prenait un éléphant pour une créature magique) et surtout, d’une terrible crainte à l’idée de se remettre en question et d’évoluer. Boax choisira d’ailleurs la solution de facilité en décidant de tuer indirectement Arete en l’envoyant dans une quête impossible. Ce revirement (alors qu’il comptait la garder en vie puisqu’il était « civilisé ») est dû à un évènement bien précis :
Boax assiste à une chute de météorites qui sont en réalité des satellites artificiels installés par son peuple et qui finissent par s’user et retomber sur terre. Boax réalise donc que s’il n’y a personne pour entretenir les satellites, c’est probablement que son peuple n’est plus là. Sa foi se réduit alors et il vient questionner Arete dont les croyances ne vacillent pas.
« Et si personne ne venait te chercher ! lui dit-il.
– Si personne ne venait me chercher, répond-elle, je suppose que je devrai rester ici pour toujours. »
Arete le dit simplement et accepte la situation, passive qu’elle est. Mais pour Boax, cette situation est intolérable ! Il ne peut imaginer rester ici pour toujours et le fait qu’Arete, elle, l’accepte, lui montre qu’elle est, d’une certaine façon, plus forte que lui. « Je pensais avoir réduit la volonté de cette fille à néant avec ma magie ! S’écrie-t-il. »
Même lorsqu’Arete n’est plus elle-même, le sorcier la craint.
A ce moment, il décide de la tuer, incapable de supporter ce miroir qui lui renvoie l’image de sa propre condition misérable quand il est bien plus simple de continuer à s’aveugler.
Lorsqu’il imagine le plan pour tuer la princesse à distance, il est très ironique de constater que Grovel le complimente sur sa compréhension de la psychologie d’Arete alors que, comme les chevaliers présomptueux décrits plus haut, il ne fait que lui imaginer des réactions en accord avec les schémas préétablis.
Le sorcier se rengorge d’ailleurs de la supposée dépendance d’Arete sachant qu’il est lui-même loin d’être indépendant et de la supposée peur qu’Arete aurait de mourir alors que c’est de la propre peur du sorcier qu’il s’agit.
En effet, n’est-ce pas parce qu’on a prédit qu’Arete arrêterait la vie du sorcier que ce dernier l’a capturée ? C’est le sorcier lui-même qui a peur de mourir, de changer car il a plus de choses à perdre dans ce processus qu’Arete qui, lorsqu’elle n’est pas ensorcelée, cherche sans cesse à conquérir sa liberté.
Boax, lui, n’aurait rien à conquérir car il est déjà libre mais s’invente lui-même une prison et refuse de prendre son indépendance vis à vis des villageois : instaurant un rapport permanent de domination.
Un autre parallèle est établi entre Arete et Boax. Lorsqu’Ample, une villageoise qui vient chaque jour nourrir le sorcier, raconte à Arete qu’il a dessiné un gigantesque symbole sur une falaise, symbole qui signifie : « je suis ici », ces paroles trouvent immédiatement un échos chez la princesse apathique et enclenchent le début de sa renaissance. Mais si pour Arete : « Je suis ici » est une affirmation de soi, pour le sorcier, il s’agit d’un appel au secours car le symbole a de toute évidence été tracé pour que les siens : les sorciers, le repèrent du ciel.
Pas besoin de fresque monumentale pour dire : « Je suis ici »
Arete parvient à se sauver toute seule avec l’aide d’adjuvantes féminines, quand Boax, lui, attend qu’on vienne à son secours. Il faudra une totale destruction de son environnement et la perte de sa magie (son château est anéanti et il perd son cristal de vie éternelle) pour qu’il accepte finalement l’aide d’Arete et finisse, peut-être (la fin est ouverte) par se tourner vers l’humanité.
L’enjeu final du film se révèle donc ne pas être l’émancipation d’Arete qui se libère au moins quinze ou vingt minutes avant la fin du film, mais celle du sorcier. Une émancipation plus dure puisque le seul coupable, le seul responsable de son malheur, c’est lui-même. Il n’a personne d’autre à accuser.
Par ailleurs, le film évite le masculinisme à mon sens, puisqu’il ne dédouane jamais Boax de ses mésactions mais nous montre les conséquences qu’elles ont également sur sa propre personne. Finalement, même s’il refuse jusqu’à la fin de changer et préfère conserver sa position de dominant patriarcal et les avantages qu’il en retire, ce système ne le rend pas heureux non plus.
Il y a de l’espoir
Une scène annonçait déjà l’évolution finale de Boax ; lorsqu’Arete se raconte son propre conte de fée dans sa tête, elle se souvient d’une scène à laquelle elle a assisté du haut de sa tour dans le royaume de son père. De sa fenêtre, elle avait observé un groupe de jeunes garçons brutalisant deux petites filles. L’un d’entre eux, plus calme que les autres, avait été poussé à bout par ses camarades tant et si bien qu’il avait fini par brandir son bâton et menacer les deux filles. Les garçons s’étaient ensuite sauvés mais ce dernier s’était retourné vers les filles et les avait regardées. Il avait alors constaté leur détresse, lâché son bâton et était revenu s’excuser.
Poussé par ses amis, il agresse les filles.
Après avoir vu le mal qu’il a fait, il revient s’excuser.
Durant cette scène presque anodine (Arete ensorcelée déclare ensuite que cette histoire n’est pas intéressante puisqu’il n’y a ni sorcière ni voleurs, prisonnière qu’elle est des schémas de contes de fée) on peut pourtant voir une démonstration parfaite du pouvoir de l’empathie. A partir du moment où le garçon regarde les filles et se met à leur place, il reconnaît sa faute et le mal qu’il a causé. Cette empathie, que refuse si violemment Boax, est la seule chose qui puisse le sauver. C’est après avoir écouté Arete qui, elle, a fait l’effort de le comprendre malgré le mal qu’il lui a fait, que le sorcier parvient à envisager autre chose que de passer sa vie à chercher son cristal et le film s’achève sur un plan de Boax, contemplant ses mains et le pouvoir « humain » qu’elles renferment peut-être.
Individualité vs Individualisme
Graphiquement : dans beaucoup de films d’animation : les figurants et personnages secondaires s’avèrent peu travaillés par rapport aux héros. Dans Princess Arete, au contraire, le même degré de soin est apporté à tous les personnages. Certes, leurs traits sont assez épurés, mais un véritable effort a été fait pour distinguer et donner une véritable identité visuelle à des figurants qui ne parlent même pas.
Les costumes sont identiques mais les visages varient
La notion d’individualité, de différence entre les êtres est donc visuellement mise en évidence. Des discours sont également tenus par Arete et Ample selon lesquels, même dominés par le roi ou le sorcier Boax, les gens ont tous leurs propres pensées, leurs propres identités. Ici, on n’est pas ce que les gens veulent que nous soyons : un uniforme ou des costumes similaires n’altèrent jamais une identité ce qui rend d’autant plus terrible la situation d’Arete ensorcelée qui perd et son corps et son esprit ce que, même le plus humble des paysans possède. La situation de Grovel, autre créature métamorphosé par Boax et qui n’est pas maître de son corps que le sorcier le martyrise, pourrait d’ailleurs y faire échos mais Grovel semble n’être, comme dit plus haut, qu’une extension de Boax qui se martyrise lui-même.
Grovel et Arete ensorcelée sont les seuls êtres véritablement « inférieurs » de l’histoire puisque les femmes, même moquées et méprisées comme Ample, conservent néanmoins leur identité. Même les deux humanités mises en scène celle des sorciers qui a disparu et l’humanité qui l’a remplacée, ne sont pas placée hiérarchiquement. Boax et la sorcière pensent au début que les sorciers étaient supérieurs aux humains mais la libération d’Arete, qui annihile un sortilège sorcier grâce à son imagination humaine, prouve bien que les deux se valent. D’ailleurs, quand Arete parle des sorciers, elle parle « d’humains » et les qualifie ainsi à plusieurs reprises.
Le traitement visuel des artefacts sorciers avec un courant électrique qui fait fonctionner le vaisseau laisse d’ailleurs à penser qu’il s’agirait d’une technologie avancée plus que de véritable sorcellerie. Qui plus est, Boax le sorcier, supposé avoir un patrimoine héréditaire, un sang qui lui permet d’utiliser la magie, est incapable de réparer son vaisseau magique alors qu’Arete, en comprenant comment il fonctionne, y parvient aisément. Les sorciers valent bien l’humanité qui a suivi.
Le spectateur est invité à travers le personnage d’Arete a admirer l’humanité pour ses capacités de création et d’imagination et donc, d’empathie. Elle voit le peuple comme un ensemble d’individus et ne s’aveugle donc pas là-dessus à l’exemple du chevalier Daraboa qu’elle interroge sur ce qu’il voit par sa fenêtre. Daraboa y voit le pays qu’il gouvernera, il observe la ville avec avidité et considère le peuple qu’il dirigera comme un ensemble. Arete, elle, s’y refuse. Pour elle, ce qui compte, c’est « chacune de leurs pensées » et les prendre toutes en compte lui semble accablant. Elle se montre ici plus clairvoyante que Daraboa le chevalier et a une perception bien plus fine de ce qu’implique le pouvoir fantasmé par ce dernier.
Arete ne remet pas seulement en question le patriarcat, elle paraît ici refuser toute forme de domination, de supériorité d’un être sur un autre. Elle déclare qu’il faudrait penser les uns aux autres et semble espérer un système anarchique où l’humanité serait arrivé à un stade assez avancé pour que chacun se sente responsable de son prochain, que chacun ait l’intelligence de prendre l’autre en compte sans que tout le pouvoir ne soit mis entre les mains d’un homme. Vue l’égoïsme du chevalier qui lui fait face et d’autres protagonistes de l’histoire, on semble aussi loin de cette utopie dans son univers mais son questionnement demeure intelligent et subtil.
… Peut-être trop d’ailleurs, il semble aisé de ne voir dans Arete qu’un « conte de fée ». Mais la force de ce film réside également dans cette subtilité et ce refus de faire bêtement la morale. Il n’en demeure pas moins extraordinairement consistant et cohérent. Voilà un film qui ne choisit pas le chemin de la facilité en enchaînant les explosions et prouesses visuelles (dont il serait pourtant capable vue la qualité de l’animation et le soin apporté aux décors), voilà un film qui ne nous aveugle pas et surtout, un film avec une héroïne digne de ce nom !
L.D.
[1] Cf. http://en.wikipedia.org/wiki/Princess_Arete : “The plot of the film is changed substantially from the original, mostly because director Sunao Katabuchi, when he came on board the project, felt uncomfortable telling a feminist story from a male point of view, and thus focused on more general themes such as individualism, respect, diversity. The storyline itself remains that of a princess living in a tower pursued by suitors, and a wicked magician who takes her away.”
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Ca fait plaisir de voir des dessins-animés qui nous montrent une princesse indépendante et qui a un certain mépris pour une belle vie avec un preux chevalier, coincé dans un château. Elle me fait un peu penser à la princesse de la « Dernière Licorne » qui se contente de regarder le prince avec son air mi-blasé mi-neuneu quand il lui amène la peau du dragon qu’il vient de tuer.
Je trouve ce dessin-animé (la dernière licorne que vous mentionnez) assez magnifique, surtout à la fin où, malgré sa belle histoire d’amour, elle préfère retourner à l’état de poney magique ^^
Cool ! Je me disais justement, c’est sympa de nous dire ce qu’il ne faut pas regarder comme dessins animés (en l’occurrence Disney, je pense que le message est passé 😉 ), mais maintenant ça serait sympa aussi de nous proposer des trucs en accords avec vos convictions ! C’est de nouveau chose faite.
Je vais tenter de me procurer ce film d’animation rapidement et le faire découvrir à mes amis !
Merci et à bientôt ! Vous êtes au top !
c’est trop sensationnel votre article. merciiii je vais chercher le film.
Intéressant film.
Notons au passage qu’on dirais un « faux conte de fée », vu qu’il semblerait, en fin de compte, que le film tire plus vers la science fiction. La « magie » semble être en fait une science peu, ou pas, comprise laissé par une civilisation qui est partie.
Très belle article ^^ à la suite de ta vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=7IW88GGa8PI
(pour ceux qui ne l’ont pas vu foncez !)
J’ai vu le film est il m’a enchanté ! C’était un vrai moment de plaisir, divertissant et faisant réfléchir ^-^ ça m’a fait beaucoup de bien; merci de me l’avoir fait découvrir.
Je suis du même avis. Le visionnage du film en lui-même était plaisant mais votre article y a ajouté de la profondeur et explicité mon ressenti durant le film. Merci pour ce passionnant moment de lecture !