Libre et assoupi (2014) : Le travail, c’est la vie
4 novembre 2014 | Posté par Paul Rigouste sous Cinéma, Tous les articles |
Libre et assoupi raconte l’histoire de Sébastien, un jeune homme de 29 ans qui n’a aucune envie de travailler et préfère toucher le RSA plutôt que chercher un boulot comme tout le monde. Partageant une colocation avec ses ami-e-s Anna et Bruno dans un grand appartement parisien, il coule des jours heureux… jusqu’au jour où il se rend compte qu’il est en train de passer à côté de sa vie, parce que, c’est bien connu, le travail c’est la vie ! Voilà en quelques mots le propos de ce film profondément conservateur (voire, à certains moments, franchement réactionnaire), que je vais maintenant analyser un peu plus en détails.
Un homme qui ne veut pas travailler ne peut pas s’épanouir
La plus grosse mystification opérée par le film consiste à nous faire croire qu’il n’existe aucune activité épanouissante en dehors du travail. Que fait Sébastien quand il ne travaille pas ? Absolument rien. Pour le film, une vie sans travail est un pur néant[1], et ce néant est d’un ennui sans nom. Comme l’explique Sébastien lui-même au début du film, le lieu le plus important de sa vie est son lit, dans lequel il pratique la grasse matinée en moyenne jusqu’à 4 heures de l’après-midi. Le reste de son temps est occupé principalement à végéter sur son canapé devant la télé (seul, ou avec Bruno, qu’il convertit pendant un moment à son mode de vie). Pour bien expliciter à quel point la vie de Sébastien est le sommet de la passivité, le film le compare à une plante (et plus précisément à un avocat que Sébastien fait pousser dans un verre d’eau).
Selon le film, la vie de Sébastien n’égale même pas celle de la plante, car comme lui dit Bruno : « on est comme ton avocat, sauf que lui il pousse ». Sous-entendu, la plante évolue, elle, alors que Sébastien fait du sur place.
Le film réalise ici une triple opération. Premièrement, il occulte toutes les activités collectives ou individuelles qui ne rentrent pas dans le cadre du « travail » tel que défini par notre société. Sébastien ne s’investit par exemple jamais dans une association ou dans une activité créative quelle qu’elle soit. Il n’a strictement aucun projet et ne noue aucune relation. Les deux seules rencontres qu’il fait dans tout le film ont lieu au sein de l’univers professionnel : Richard tout d’abord, son conseiller RSA qu’il n’aurait jamais connu si la loi ne l’avait pas obligé à aller à ses rendez-vous pour toucher un revenu, et Valentine ensuite, sa future femme qu’il rencontre sur son lieu de travail (parce que Sébastien finit par travailler tellement la vie devient insoutenable sans ses 35 heures d’exploitation par semaine…).
Deuxièmement, le film refuse de prendre au sérieux les quelques activités que pratique Sébastien. En effet, ce dernier lit, regarde des films, danse et se promène dans Paris. On apprend également au début du film qu’il a suivi de longues et nombreuses études dans à peu près toutes les filières de l’université de lettres (philosophie, sociologie, psychologie, lettres modernes, lettres classiques, histoire de l’art, anglais, chinois), dont il a à chaque fois passé les diplômes. On pourrait donc s’attendre à ce que Sébastien ait un intérêt pour les choses intellectuelles, et que cet intérêt soit pris au sérieux par le film. Mais non. A partir du moment où il sort de l’université, Sébastien tombe progressivement et inévitablement dans une sorte d’atonie intellectuelle. On ne le voit jamais discuter de ce qu’il a appris ou lu avec d’autres. Et petit à petit, il perd le goût de la lecture. Comme si pratiquer ce genre d’activités (intellectuelles, artistiques, contemplatives, etc.) ne pouvaient mener à l’épanouissement, et que pour s’épanouir, il fallait bien plutôt passer sa vie à bosser comme un esclave pour un patron.
Il me semble que le film plaque ici sur Sébastien, celui qui fait le choix de ne pas travailler, le mal-être des gens qui travaillent. Qui s’ennuie lors de son temps libre et perd le goût pour toute activité épanouissante (qu’elle soit collective ou individuelle) ? La personne qui a fait des études pour le plaisir et qui dispose de son temps, ou la personne dont la curiosité a été progressivement étouffée par des années d’études uniquement tournées vers l’acquisition d’un emploi et qui use tout son temps et toute son énergie au travail ? La personne qui peut vivre sa vie, ou celle qui perd sa vie à la gagner ?
Troisièmement, la possibilité que l’on puisse vouloir ne rien faire du tout est elle aussi inenvisageable pour le film. Au début, Sébastien déclarait pourtant à son conseiller RSA : « J’aime ne rien faire. J’adore m’ennuyer. J’aime le temps perdu. J’aime les parenthèses, les choses suspendues. J’adore attendre aussi ». Le film semblait ainsi s’orienter potentiellement vers une remise en question radicale du culte de la productivité et de la rentabilité qui contamine aussi bien nos activités professionnelles que nos activités extra-professionnelles. En effet, si quelqu’un-e qui ne travaille pas est souvent stigmatisé-e dans notre société, quelqu’un-e qui ne travaille pas et ne fait rien du tout de son temps libre l’est encore plus. Or si beaucoup de gens sont ainsi incapables de ne rien faire (et de tolérer les gens qui revendiquent le « droit à la paresse »), c’est peut-être en grande partie parce que nous avons profondément intériorisé une idéologie du travail et de la productivité qui nous a été inculquée dès le plus jeune âge (à l’école notamment), au point que nous ne sommes même plus capable de jouir du simple fait d’exister (ce que certain-e-s nomment « la paresse », un mot qui en dit long sur notre incapacité à penser notre existence indépendamment du travail). Au début, le film semble donc assumer une position politique radicale en valorisant un individu qui revendique le droit de ne rien faire et y prend plaisir. Mais finalement, Sébastien ne peut supporter son inactivité, et déclare à son conseiller RSA : « Je m’ennuie Richard ». Et quand celui-ci s’étonne (« Ben je croyais que vous aimiez ça l’ennui ? »), il ajoute : « Là je m’ennuie et ça m’ennuie ».
Le profond ennui de celui qui dispose de son temps…
…et son épanouissement quand il se trouve un travail (vendre des lits pour Conforama[2])
De surcroît, le film évacue tous les facteurs extérieurs qui, dans la réalité, incitent les gens à travailler. Sébastien ne subit en effet aucune pression sociale ou économique. Son conseiller RSA est un type formidable qui ne l’oblige pas du tout à chercher un emploi. Si ses parents lui mettent un peu la pression au début pour qu’il trouve un emploi, illes acceptent très rapidement ses choix. Enfin, la pression sociale des gens qui travaillent autour de lui n’est jamais pour lui une source de culpabilité. Soit Sébastien n’en a rien à faire (comme lorsque ses anciens camarades d’université lui expliquent que les gens comme lui sont « le cancer de la société »), soit ces discours qui l’enjoignent à travailler ont sur lui un effet libérateur. C’est en effet après s’être fait interpelé dans le parc que Sébastien tentera de travailler pour la première fois, et c’est dans le cadre de ce travail qu’il sera exposé au discours télévisuel de Valentine enjoignant les jeunes d’aujourd’hui à se battre pour trouver un emploi, discours qu’il vivra comme une révélation.
Le film évacue donc la violence des injonctions au travail par lesquelles la société culpabilise celleux qui ne veulent pas bousiller leur vie en travaillant pour le capitalisme. Il évacue également les pressions économiques que la société fait peser sur ces mêmes personnes, en se concentrant sur un bourgeois parisien n’ayant strictement aucun problème financier. Et il évacue le rôle que joue une organisation sociale dans laquelle tout est ordonné autour du travail, et qui rend donc difficile pour qui veut s’en sortir de créer des lieux et des moments d’échanges et de création collective (puisque quasiment tout le monde a la quasi-totalité de son temps bouffé par son travail, que ce soit le temps de travail à proprement parler, ou le temps occupé à se préparer pour son travail ou à récupérer/décompresser après son travail, afin d’être bien reposé pour repartir à nouveau au travail…).
Au final, si Sébastien ressent le besoin de travailler, ce n’est donc pas à cause de la société dans laquelle il vit, mais en vertu d’un besoin profond et « essentiel ». En évacuant la question des pressions sociales et de l’éducation (pour ne pas dire conditionnement) au travail que nous subissons depuis le plus jeune âge, le film laisse croire que le besoin de travailler est « naturel ». De la même manière qu’il est naturel pour la plante de pousser, il est naturel pour Sébastien de travailler (et pas juste au sens de pratiquer des activités, mais au sens d’ avoir un emploi rémunéré… dans une entreprise privée de préférence, puisqu’on ne voit que ça dans ce film). Les gens qui ne veulent pas travailler se condamnent donc selon le film à un malheur inéluctable. Ces pauvres fous ne se rendent pas compte que leur vie sera d’un ennui sans nom, et qu’ils ne pourront jamais s’y épanouir, même si on leur en donne la possibilité économique et qu’on les laisse tranquilles…
A l’heure où l’idée d’un « revenu de base » s’impose entre autres comme une solution à l’extrême pauvreté (dans nos pays) particulièrement facile à mettre en place d’un point de vue économique[3], Libre et Assoupi nous prévient contre les dangers d’une telle idée. Car Sébastien évoque à un moment l’idée d’un tel revenu universel, individuel et inconditionnel (« Vous vous rendez compte que même pour rien faire il faut de l’argent. Moi je pense que toute personne devrait avoir un minimum d’argent chaque mois, comme un salaire d’être humain »). Dans le zèle avec lequel le film s’évertue à donner tort à Sébastien transparaît le caractère profondément subversif de cette idée d’un « revenu de base ». Car en donnant à chacun-e un tel revenu, on fait un premier pas vers une société qui donnerait aux gens le choix de ne pas travailler, ainsi que la possibilité de choisir un travail dans lequel illes s’épanouiraient (ce qui, cela va sans dire, impliquerait une transformation radicale du travail tel qu’il existe dans notre société capitaliste et ultra-libérale). En réaffirmant la valeur du travail en soi (et donc la valeur du travail tel qu’il existe aujourd’hui), le film empêche de penser une autre société fondée sur d’autres principes que « le travail pour le travail », et consolide ainsi les fondements idéologique de l’exploitation capitaliste qui mine notre société (et qui est, rappelons-le, une source de souffrance pour l’immense majorité de la population).
Un homme qui ne veut pas travailler est quelqu’un qui a peur d’affronter la réalité
Si Sébastien ne veut pas travailler, nous dit le film, c’est avant tout parce qu’il a peur d’affronter la réalité. Dès la première scène où le héros (qui est aussi le narrateur du film) nous explique sa passion pour la masturbation, les fondements de cette idée sont posés : « J’aime pas la réalité. C’est triste, c’est ennuyeux la réalité », déclare-t-il. Au début, cette posture est regardée avec bienveillance (qui se transformera progressivement en condescendance) : Sébastien apparaît comme un rêveur, un poète, un original. Le film ne nous explique pas encore qu’il se trouve dans l’erreur, il le montre juste comme quelqu’un d’un peu à part qui se distingue du « français moyen » (incarné par Richard, son conseiller RSA).
Mais progressivement, ce tempérament rêveur va être thématisé comme le symptôme d’un problème. Si Sébastien se réfugie ainsi dans le fantasme et l’inactivité, c’est qu’il a peur de la réalité. Anna lui expliquera de manière très directe lors d’un monologue auquel il ne trouve rien à répondre, signe qu’elle a touché juste :
« Tu te dis que ta vie tu préfères la rêver que la vivre mais tu te trompes. T’es pas heureux Sébastien, t’as peur. Tout ton truc sur le rêve, la vie, avoir besoin de peu, prendre son temps, c’est un mensonge. T’as peur. Tu t’es construit un mensonge que t’as réussi à croire mais la vérité c’est que tu fais rien parce que tu t’es certainement dit que le meilleur moyen de pas échouer c’est de rien faire. Tu t’es dit que le meilleur moyen de ne pas mourir, c’est de ne pas vivre. Mais c’est faux. Tu mourras comme tout le monde Sébastien, sauf que toi tu mourras malheureux, sans même avoir essayé d’être heureux. C’est triste. Avant je t’enviais, maintenant je te plains. »
La « réalité » que Sébastien a peur d’affronter selon le film, c’est bien évidemment la réalité du monde professionnel tel que l’a modelée le capitalisme. De la même manière que les économistes néolibéraux posent « le marché » et « ses lois » comme « la réalité » sur laquelle toute action politique doit nécessairement se caler, le film présente l’organisation sociale du travail sous le capitalisme comme une « réalité » qu’il est inenvisageable de remettre en question.
La seule attitude légitime à adopter dans ce contexte, ce n’est donc pas de vouloir changer cette « réalité », mais c’est de s’y adapter. Ce n’est pas la société qui doit changer pour que les individus puissent s’y épanouir, mais c’est aux individus de faire en sorte de s’épanouir à l’intérieur de cette société. Cette idée profondément conservatrice est explicitée lors d’une discussion entre Sébastien et Bruno :
Bruno : Encore une fois tu te démerdes pour esquiver la réalité.
Sébastien : Et alors, tu l’aimes toi la réalité ? Regarde ce qu’elle fait pour toi la réalité : t’as un boulot de merde, tu manges des trucs que t’aimes pas et tu bois ton café en chiant.
Bruno : Hé ho, j’adore boire mon café aux toilettes, d’accord. Et c’est pas à la réalité de faire quelque chose pour toi, c’est à toi de faire en sorte que ta réalité soit bien.
Sébastien : Pouah, j’aime pas quand tu te mets à être intelligent.
Le film va même plus loin, en condamnant explicitement la perspective révolutionnaire qui se donnerait pour but de renverser le capitalisme et son organisation du travail. La scène où est exprimée cette idée a un parfum doucement réactionnaire, puisque « les rêves pour lesquels nos parents se sont battus en 68 » y sont désignés comme devant être dépassés, car inadaptés à la « réalité » d’aujourd’hui. Ce passage est absolument crucial, puisque c’est à ce moment que Sébastien réalise qu’il a vécu dans l’erreur et que son salut est dans le travail. La porte-parole de ce discours réactionnaire est une étudiante militant contre le CPE lors des mouvements de 2006 (et que Sébastien rencontre pour la première fois sur un enregistrement d’un journal télé de l’époque).
La révélation au journal télé d’M6
En mettant ce discours dans la bouche d’une militante, le film parvient ainsi à faire passer ses positions politiques réactionnaires pour la crème du « militantisme réaliste » d’aujourd’hui :
« Il faut que les jeunes descendent dans la rue, il faut que tous les jeunes descendent dans la rue. L’avenir c’est aujourd’hui. En 68, c’est pour leurs rêves que nos parents se sont battus, mais justement, aujourd’hui nous n’avons plus ce loisir, c’est pour avoir du travail qu’on se bat, pour nos retraites. Attention, je ne condamne pas, comme le font certains, l’héritage de Mai 68. Je dis juste que les prérogatives des jeunes ont changé. C’est moins glamour mais c’est la réalité. Et moi, je préfère avoir une belle vie plutôt que de beaux rêves. »
Un homme qui ne veut pas travailler est profondément immature
Si Sébastien ne veut pas travailler, c’est parce qu’il a peur, et cette peur est un signe de sa profonde immaturité selon le film. Cette idée est explicitée très subtilement dans une scène où Sébastien reste pensif devant un enfant en vélo qui a peur d’enlever ses petites roues. Juste après, on voit notre héros demander à sa mère « Maman, si je devais tomber, tu me rattraperais ? ». Sa mère lui raconte ensuite qu’elle a arrêté de travailler pendant 4 ans pour s’occuper de lui lorsqu’il était petit. « Ben dis donc c’est beaucoup », remarque Sébastien. Si celui-ci n’arrive pas à « se lancer dans la vie », c’est donc sûrement parce qu’il a trop été couvé par maman. Ce genre de sous-entendus évoque les discours de droite qui assimilent celleux qui touchent le RSA a des « assisté-e-s »[4], d’éternels enfants qui ne sont pas capable d’être autonomes et qui attendent que la société s’occupe d’elleux et pourvoit à leurs besoins.
« Ne serais-je pas moi aussi un petit enfant apeuré qui a peur de se passer des petites roues de l’assistanat ? »
Au début, le film semble porter un regard critique sur ces discours de droite en les mettant dans la bouche de personnages antipathiques : le premier conseiller RSA de Sébastien (« Je suis un assistant social. Vous savez ce que ça fait de vous ? Un assisté social »), et ses anciens camarades d’université méprisants (« Tu vis aux crochets de la société » / « Tu demandes aux gens qui sont dans la vie active, dans la vraie vie, de sponsoriser tes vacances » / « Les gens comme toi sont le cancer de la société »). Sauf que le film finit par épouser lui-même cette position réactionnaire en présentant Sébastien comme quelqu’un d’immature, qui finit par trouver le bonheur en s’insérant dans la vie active et en cessant ainsi d’être un poids pour la société.
Son immaturité est signifiée de plusieurs autres manières. Il y a tout d’abord l’humour par lequel Sébastien évite de se confronter jusqu’au bout aux opinions des autres. En effet, le film le place souvent face à des personnes qui ne partagent pas son avis et remettent en question son choix de vie, mais il ne le montre jamais avoir le dessus dans ces conversations (et donc avoir raison). Soit Sébastien se tait très rapidement, soit il s’en sort par une blague. Une de ses premières discussions avec Anna (personnage que le film nous rend très sympathique) en est un bon exemple, surtout qu’il s’agit de la discussion où Sébastien explicite le plus « longuement » sa position :
Sébastien : Je me suis inscrit au RSA aujourd’hui.
Anna : Ah, très bien. Mais bon, faut pas que tu te contentes de ça non plus.
Sébastien : Ben non, mais c’est déjà bien, non ?
Anna : Quoi, ton but dans la vie c’est de toucher le RSA ?
Sébastien : Non… Mais tu sais que le mot « travail » ça vient du latin « tripalium » qui veut dire torturer ? Quand on sait ça, ça donne moins envie de travailler, hein ?
Anna : Ben je suis pas sûr que baser sa vie sur une langue morte soit la meilleure façon d’être heureux.
Sébastien : Ben moi je me contente de peu tu sais.
Anna : Oui mais c’est pas une bonne chose de se contenter. Se contenter c’est accepter son sort. Faut toujours en vouloir plus. Regarde, moi, tu crois que je vais me contenter longtemps de faire la bonniche pour mon patron ? Ben non. Je vois plus loin, j’ai envie de réussir ma vie, j’ai envie d’avoir un boulot qui me plait, je veux être heureuse.
Sébastien : Moi aussi je veux être heureux, mais ça passe pas forcément par le boulot. Jamais personne a dit sur son lit de mort : « Ben dis donc, je suis bien content, j’ai bien travaillé, j’ai bien cotisé, je peux mourir tranquille ».
Anna : Oui mais jamais personne a dit non plus : « Ah, c’est bon, j’ai rien foutu de ma vie, je peux mourir tranquille ».
Sébastien : Épicure a dit : « Celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien ».
Anna : Bon. D’une, les gens qui parlent que par citations c’est naze, tu vaux mieux que ça. De deux, Épicure est chiant. Et de trois, elle peut être dangereuse cette philosophie, parce que c’est le genre de trucs qu’on dit aux pauvres pour les empêcher de se sortir de leur misère. Genre le touriste occidental qui arrive dans un village pourri d’Afrique et qui dit : « Ah ben ils ont rien, mais finalement c’est eux qui ont raison, c’est ça le vrai bonheur, on va faire comme eux ».
Sébastien : Non mais… je parle pas non plus de la lutte des classes.
Anna : Ben oui mais la vie c’est une lutte, sinon on serait encore des amibes et on n’aurait pas évolué.
Sébastien : Oui, mais comme les amibes de mes amibes sont mes amibes, donc tout va bien.
A force de ne jamais s’imposer dans les discussions, ses idées finissent par sembler quelque peu inconséquentes, et l’on est ainsi tenté-e-s de se dire que ses choix ne tiennent pas vraiment la route. Surtout que le film montre de plus en plus Sébastien reconnaître lui-même qu’il est dans l’erreur lorsque les autres personnages lui disent ses quatre vérités. Alors que le film restait pendant un certain temps assez ambivalent pour laisser certain-e-s spectateurs/trices donner raison à Sébastien, il étouffe finalement cette possibilité.
La comparaison avec la plante est un autre moyen de signifier l’immaturité du héros. Comme lui dit Bruno : « on est comme ton avocat, sauf que lui il pousse ». Sous-entendu : il faut grandir, murir, évoluer, devenir un adulte. Le film construit ainsi Sébastien comme quelqu’un qui est resté bloqué à un « stade infantile ». Les soirées qu’il passe à jouer à la Playstation avec Bruno sont clairement montrées comme « régressives » et contrastent avec la vie plus « normale » menée par Anna. Comme dit Bruno à propos de cette dernière dans un moment de révélation : « Elle avance, ça m’a sauté aux yeux hier soir quand elle est rentrée avec son mec. Elle a un boulot, un mec, un appart. Elle avance. Et nous qu’est-ce qu’on fait ? Des glissades. C’est le seul mouvement qu’on fait depuis des mois ».
Enfin, l’immaturité de Sébastien est signifiée par sa passion pour la masturbation. Le film établit un parallèle son « semblant de vie » et son « semblant de sexualité », en considérant ainsi implicitement la masturbation comme une sexualité incomplète et immature. Comme on le verra, cette « fausse sexualité » est opposée à la « vraie sexualité » où « l’homme prend la femme ». Non seulement le film véhicule-t-il une conception de la sexualité profondément hétéro-patriarcale (puisque le sexe c’est un homme actif + une femme passive), mais il renvoie de surcroît tou-te-s celleux qui pratiquent exclusivement la masturbation et/ou sont asexuel-le-s du côté de la pathologie (ce n’est « pas normal », c’est « régressif », « immature », etc.). Bien évidemment, la comparaison a pour but de sous-entendre très subtilement que Sébastien est un « branleur », malgré les dénégations de celui-ci à ce sujet.
Un homme qui ne veut pas travailler ne fait pas rêver les femmes
Comme le laisse pressentir le discours du film sur la peur et l’immaturité, un enjeu central est la conquête par le héros de sa virilité. A deux reprises, Bruno se fait remballer par une femme qui lui reproche de ne pas avoir de travail/d’argent/d’ambition. La première fois, c’est au supermarché, lorsqu’il explique à Sébastien comment économiser de l’argent en achetant des produits remboursés. Alors qu’il tente de draguer la caissière, celle-ci lui répond : « Vous croyez vraiment que je vais sortir avec quelqu’un qui n’achète que des produits remboursés ? Vous croyez que ça fait rêver une femme ? ». La seconde fois, c’est quand Anna vient leur demander ce qu’ils vont faire de leur soirée, et que Bruno, affalé dans le canapé à regarder la télé, lui répond : « Rosé, chips, cacahuète. Le triptyque du kif. La trilogie magique ». Et Anna de commenter : « Ouah, tu sais vraiment faire rêver une femme toi… ».
Mais c’est surtout dans son discours sur la sexualité que le film désigne le plus clairement l’inactivité (assimilé à l’absence de travail) comme un manque de virilité. Comme on l’a vu, la masturbation est présentée comme l’expression, dans le domaine de la sexualité, d’une passivité profondément immature. Cela transparaît par exemple dans une des répliques de Bruno, quand celui-ci tente de convaincre Sébastien de « concrétiser » avec Valentine au lieu de se contenter de fantasmer sur elle : « T’es tellement nul. T’as pas envie de vivre des vrais trucs ? T’as pas envie de baiser ? Moi j’en peux plus, mec. Ça fait un an et demi que j’ai pas baisé. J’en ai marre de me branler. J’en ai marre qu’Anna me regarde pas. J’en ai marre de faire des boulots pourris ». Pour le film un homme, un vrai, c’est un homme qui a un « vrai boulot » et qui baise des femmes. Ça a au moins le mérite d’être clair…
Le split screen de la masculinité : soit t’es un mec accompli qui passe une soirée avec sa meuf en lui « mecspliquant[5] » des trucs avant de la « baiser », soit t’es un raté qui s’emmerde tout seul dans sa chambre le soir et qui ne fait que se masturber
On apprend d’ailleurs que Sébastien est depuis toujours un homme passif au lit. Il raconte ainsi à Bruno que son premier rapport sexuel était purement accidentel (la jeune femme l’avait pris pour un autre), et qu’il fut pendant plusieurs années le « jouet sexuel » de cette même femme, qui venait parfois la nuit dans sa chambre pour « le baiser ».
L’apogée de ce propos viriliste est atteint lorsqu’Anna confie à la fin du film qu’elle l’avait invité à partager une colocation avec elle parce qu’elle était secrètement amoureuse de lui, mais qu’elle a été profondément déçu par sa passivité :
« Je t’aimais beaucoup tu sais. Quand on s’est rencontré tu m’as plu immédiatement. Je te trouvais beau, t’étais libre. Tu faisais les choses naturellement, je t’enviais, je trouvais ta nonchalance charmante. Je t’ai demandé de venir vivre avec moi à Paris parce que d’une certaine façon j’avais envie de vivre avec toi. Quand t’es venu ici j’étais tellement heureuse, je me disais qu’on allait pouvoir vivre une belle histoire d’amour mais… pas que dans le sens romantique de la chose. Plusieurs fois le soir quand j’allais me coucher j’espérais que t’allais venir me rejoindre pour me baiser. Excuse-moi de le dire comme ça mais c’est comme ça que je voyais les choses. Je rêvais que toi, l’homme qui ne voulait rien faire, que tu me fasses l’amour. Que tu prennes, que tu donnes, que tu mettes, que tu touches, mais… t’as rien fait. »
« La nuit, j’attendais dans mon lit que tu viennes me baiser, mais t’as rien fait »
Merde, elle a raison, j’suis qu’une fiotte en fait…
Au début, quand Anna expliquait à Bruno : « Sébastien m’a jamais dragué, même pour rire. Jamais de blague relou, jamais d’allusion », on pouvait avoir l’impression que le film valorisait ce comportement. Mais en fait, comme on nous le révèle plus loin, cette indifférence a finalement fait souffrir Anna. Car les femmes veulent « des mecs relou qui les draguent » puis qui « les baisent ». Parce que c’est ça les hommes, les vrais[6].
A la fin du film, Sébastien parviendra enfin à devenir un vrai homme, entreprenant dans le rapport de séduction[7]. Et comme par hasard, cette acquisition d’une masculinité virile est conditionnée par l’acquisition d’un travail. C’est sur son lieu de travail que Sébastien rencontre et séduit Valentine Caillou, et c’est grâce à son uniforme de vendeur de chez Conforama qu’il trouve le courage de la draguer (« Je ne sais pas ce qui m’a pris. Je crois que c’est à cause de l’uniforme du magasin, le fait d’avoir enfilé un costume comme un super-héros. Je suis devenu quelqu’un d’autre »). Et il est tellement « rentre-dedans » le Sébastien, que Valentine lui dit, mi-intriguée mi-émoustillée : « Ben dites-donc, vous êtes vraiment direct comme garçon ». Parce que les femmes elles aiment ça que des mecs qu’elles connaissent pas les draguent de manière insistante quand elles vont s’acheter un lit chez Conforama.
Le bonheur
A partir de là, tout va mieux pour Sébastien. Valentine devient sa compagne, avec qu’il a même un enfant, preuve de la vigueur de ses spermatozoïdes et de son passage à une sexualité adulte. Il « réussit » également dans sa vie professionnelle, en devenant gérant d’un magasin spécialisé dans la literie haute-gamme (parce que les vendeurs c’est quand même des loosers, et Conforama c’est un magasin de pauvres…). Sébastien est enfin devenu un homme accompli, avec son appartement, sa femme, son boulot prestigieux. La réussite quoi.
Le film se conclut cependant par une sorte de pseudo-pirouette, puisque Sébastien confie avoir trouvé récemment sa vraie ambition : « devenir homme au foyer ». J’imagine que le film essaie par là de faire oublier l’apologie du travail et du capitalisme qu’il vient de nous infliger, en se faisant en plus passer pour « feminist friendly ». Sauf que ce n’est pas avec une pirouette que l’on contrebalance 1h30 de matraquage viriliste et sexiste. Et, de surcroît, cette nouvelle « ambition » de Sébastien n’est pas en elle-même féministe. En effet, mettre sur le même plan la condition de « femme au foyer » et celle « d’homme au foyer » (comme le fait le film en calquant la seconde expression sur la première) relève de la mystification, puisque les deux n’ont rien à voir. L’assignation des femmes au foyer s’inscrit dans le cadre d’une domination patriarcale qui explique depuis des siècles aux femmes que là est leur place (et ce dès leur plus jeune âge) dans le but de les exploiter gratuitement. Les hommes ne subissent pas de telles injonctions. Ils jouissent donc à ce niveau d’une liberté de choix que n’ont jamais eu les femmes, et ce privilège se ressent d’ailleurs également au niveau de la répartition des tâches domestiques (qui n’est absolument pas symétrique chez les mères au foyer et chez les pères au foyer)[8]. C’est ainsi que le film sous-entend par la bouche de Sébastien que s’occuper de la maison et des gosses revient à rester tranquille à la maison à rien foutre de sa journée :
Cool, je vais enfin pouvoir me la couler douce comme les femmes le font depuis des siècles !
La manière par laquelle le film présente la condition de « père au foyer » comme des vacances perpétuelles ne laissent donc rien présager de bon pour Valentine. Comme beaucoup de femmes réelles dans sa situation, celle-ci risque non seulement de bosser pour trois, mais en plus de se taper une bonne partie des tâches domestiques (en particulier les plus ingrates) lorsqu’elle rentrera à la maison (double journée imposée par l’homme soi-disant « pro-féministe » au motif que le travail domestique est un vrai travail…[9]).
Après nous avoir montré Sébastien entrer dans le rang en se trouvant un travail, le film a le culot de se conclure sur un plan aux connotations révolutionnaires. En effet, l’anticonformisme de Sébastien était signifié depuis le début par des plans qui le montraient en train de marcher à contre-courant de la foule des travailleurs parisiens. Ce genre de plan construisait le héros comme une sorte d’original (voire comme un rebelle) qui avait à lutter contre l’inertie d’une société capitaliste mortifère. Et effectivement, au début du film, Sébastien est bel et bien un rebelle[10]. Sauf qu’à la fin, ce même genre de plan est repris, mais au lieu de montrer Sébastien affronter encore une fois le flot des gens affairés, il nous montre ces derniers changer brutalement de direction pour aller dans le sens du héros et de sa compagne. En totale contradiction avec son propos conservateur, le film sous-entend ici que Sébastien n’est pas entré dans le moule de la société capitaliste-travailliste, mais qu’il l’a révolutionné ! Si cette pirouette n’est pas l’arnaque de l’année, qu’est-ce que c’est ?…
… qui a révolutionné la société !
Paul Rigouste
Quelques idées de films et de textes plus critiques sur la question du travail :
– Attention Danger Travail, un documentaire de Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe : https://www.youtube.com/watch?v=P-yPQEQghMs
– L’an 01, un film de Jacques Doillon, Gébé, Alain Resnais et Jean Rouch : https://www.youtube.com/watch?v=_lgJbU3J7hw
– Les brochures disponibles en ligne sur le site « infokiosques ». Par exemple, « La culture du travail », « L’abolition du travail », « Manifeste contre le travail », ou le chapitre 11 de La société contre l’État, de Pierre Clastres
Notes :
[1] Une blague consiste à faire tenir en une phrase le récit de sa journée (« je me suis levé à 16h et j’ai mangé des chocapics »)
[2] Si le film présente parfois les boulots qu’accomplissent les personnages sous un jour peu glamour, il désamorce par le rire tout embryon de critique un peu plus poussée. Je pense par exemple aux scènes où Sébastien est employé par un patron horrible… mais pour regarder la télé toute la journée. Ou au discours de Anna et Bruno sur la « génération stagiaire », qui évacue toute approche politique du problème par une blague. Au final, les boulots de merde sont présentés comme des trucs un peu chiants par lesquels il faut nécessairement passer quand on est jeune (c’est « la réalité d’aujourd’hui », comme l’explique le film), mais qu’on peut regarder ensuite avec un recul presque attendri et en rigolant quand on a enfin « réussi » (ce qui est la destinée de tout un chacun dans cette merveilleuse société libérale, car dans Libre et Assoupi, quand on cherche un travail, on en trouve toujours un épanouissant au final : « Je ne sais pas si c’est le hasard, la magie ou tout simplement la vie, mais un mois après avoir décidé qu’il voulait changer de vie, Bruno a trouvé un travail qui lui plaisait et un petit studio. Il bossait pour le site internet de l’équipe, il commentait les matchs en direct ». C’est pas beau le libéralisme ?).
[3] Voir par exemple toutes les vidéos disponibles sur la chaîne YouTube du Mouvement Français pour un Revenu de base : https://www.youtube.com/channel/UCBrqCGSd_Jh0GrWDeL1OaXw. Ou encore cet article d’Agnès Maillard sur son excellent blog : http://blog.monolecte.fr/post/2014/08/12/de-labsolue-necessite-dun-revenu-universel
[4] Voir par exemple le grand Laurent Wauquiez, de l’UMP : http://www.metronews.fr/info/wauquiez-rsa-assistanat-et-cancer-de-la-societe-francaise/mkei!pupTkM7vBiOo/
http://www.liberation.fr/societe/2011/05/12/ces-assistes-qui-se-sentent-insultes_735175
[5] Transposition en français du mot « mansplaining » (http://en.wikipedia.org/wiki/Mansplaining)
[6] Un running gag archi- glauque consiste à montrer Bruno chercher constamment à séduire Anna. Or, au lieu de le renvoyer bouler, Anna est amusée par ce harcèlement quotidien, et adopte des stratégies pour vivre avec plutôt que de s’insurger contre ce comportement (comme s’il était inévitable, ancrée dans la « nature masculine » de Bruno).
[7] Lui qui déclarait au début du film à Bruno : « être amoureux et séduire une fille, c’est trop engageant pour moi, c’est trop de travail »
[8] Voir par exemple http://gps.hypotheses.org/440, ou encore http://systemececilia.wordpress.com/2013/10/20/les-peres-au-foyer-sont-ils-lavenir-du-feminisme/ et https://www.academia.edu/8920399/Le_p%C3%A8re_au_foyer_est-il_lavenir_du_f%C3%A9minisme_
[10] Même s’il n’est pas un révolutionnaire, puisque le film prend bien soin de dépolitiser son discours. Voir les déclarations du réalisateur : « il n’est pas politisé ou volontairement subversif, c’est juste le regard des autres de la société qui le politise. » (http://www.marieclaire.fr/,film-libre-et-assoupi-moati-lecaplain-alpe-d-huez,709145.asp)
Autres articles en lien :
- La vie rêvée de Walter Mitty (2013) : Ben Stiller reprend du poil de la bête
- Monstres Academy (2013) : vive le capitalisme patriarcal !
- Sous les jupes des filles (2014) : des clichés pour les femmes et par des femmes
Zut, moi qui croyais que c’était un film qui critiquait vraiment la valeur du travail. (Je ne l’ai pas vu mais je me le gardais sous le coude pour un soir où j’aurais envie de voir un film progressiste…je vais éviter du coup !)
Et c’est super chouette comme message, les femmes qui attendent qu’on s’introduise dans leur chambre la nuit pour les baiser, ça fait du bien de voir des films qui rompent avec la culture du viol…
Sinon, merci pour ce super article 🙂 j’ai envie de regarder les liens en bas de l’article (et des dizaines d’autres liens ailleurs sur le site), et là où c’est ironique, c’est que je ne peux pas tout de suite, parce que je dois…bosser ^^.
Très intéressent ! En effet je n’avais pas vraiment vu le film sous cette angle, même si je trouvais ça con qu’il se termine ainsi (boulot, femme, gamin) alors que le film aurait pu proposer quelque chose de plus intéressent et moins capitaliste.
Votre critique du personnage d’Anna, je n’y avais pas du tout pensé alors que c’est gros comme un camion. Comme quoi votre site devrait être d’utilité publique ! 🙂
Merci. On vit décidément une époque formidable.
Un souci quand même, cette histoire de « revenu de base », ça fait l’impasse sur le conflit au nom d’un discours que l’on veut « raisonnable » et qui serait en mesure de convaincre tout le monde au nom de l »‘intérêt commun ». Comment y croire au moment même où l’analyse d’un tel film montre à quelle variétés de machines de guerre nous sommes confrontés ? Comment y croire lorsque Wauquiez, Rebsamen et tout ce qui dirige s’active à « valoriser le travail », c’est à dire à exploiter/contrôler la main d’oeuvre ? Comment y croire au lendemain de l’assassinat par la police de Rémi Fraisse ?
L’état social n’est rien d’autre que le butin d’une guerre civile Aussi nécessaire soient-elles, aucune intervention « culturelle » (contre l’idéologie du travail) ne suffira à détruire l’hégémonie de l’économie qui est la politique du capital, non ?
Un souci quand même, cette histoire de « revenu de base », ça fait l’impasse sur le conflit au nom d’un discours que l’on veut « raisonnable » et qui serait en mesure de convaincre tout le monde au nom de l »‘intérêt commun ». Comment y croire au moment même où l’analyse d’un tel film montre à quelle variétés de machines de guerre nous sommes confrontés ? Comment y croire lorsque Wauquiez, Rebsamen et tout ce qui dirige s’active à « valoriser le travail », c’est à dire à exploiter/contrôler la main d’oeuvre ? Comment y croire au lendemain de l’assassinat par la police de Rémi Fraisse ?
Tout à fait, ma formulation était maladroite. Je ne voulais pas sous-entendre que cette idée d’un revenu de base allait s’imposer toute seule parce qu’allant dans le sens de « l’intérêt commun » (je suis bien conscient que l’« intérêt commun », ça n’existe pas dans une société inégalitaire telle que la nôtre) . Je voulais juste dire que cette idée commençait à rencontrer de plus en plus d’écho, à rassembler de plus en plus de gens à gauche (du moins j’ai l’impression), et que du coup, il y avait peut-être une sorte de réaction (de droite), visant à réaffirmer la valeur du travail en soi, et dont le film « Libre et Assoupi » est une incarnation. Après ce n’est qu’une supposition, je ne suis pas assez l’actualité médiatique au jour le jour pour me rendre compte où est-ce qu’on en est exactement en ce moment au niveau des discours sur le travail. Mais j’avais juste l’impression, en voyant ce film, d’assister à une réaction contre une idée telle que le revenu de base (dont il est explicitement fait mention par la bouche du « héros »).
Et vous avez parfaitement raison de faire le lien avec l’assassinat de Rémi Fraisse par la police, puisque le capitalisme et l’Etat (armé de ses appareils idéologiques et répressifs) marchent main dans la main. Quelqu’un-e a dit (je ne sais plus qui, je crois que c’est Nietzsche mais peut-être que je me trompe ou que je vais déformer son propos) que « le travail est la meilleure des polices ». Non seulement les gens qui travaillent œuvrent pour le capitalisme, mais illes sont en plus gardés sous contrôle (quelqu’un qui passe son temps à travailler n’a pas le temps de penser et d’œuvrer à autre chose, donc a fortiori au renversement de l’ordre existant, sans compter que le travail use et abrutit les gens dans l’immense majorité des cas dans le mode de production actuel…)
L’état social n’est rien d’autre que le butin d’une guerre civile Aussi nécessaire soient-elles, aucune intervention « culturelle » (contre l’idéologie du travail) ne suffira à détruire l’hégémonie de l’économie qui est la politique du capital, non ?
Tout à fait d’accord. Mais je pense tout de même qu’elle peut être utile, dans la mesure où il me semble difficile de renverser l’ordre social existant si on n’arrive pas à imaginer que c’est possible de créer autre chose et de vivre autrement. Et les médias (au sens large) contribuent à mon avis à la reproduction de l’ordre capitaliste-libéral-« travailliste » en bouchant nos imaginaires, en nous faisant croire que rien d’autre n’est viable et qu’au fond nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Donc, bien sûr que le combat idéologique n’est pas du tout suffisant (surtout pour lutter contre le capitalisme), mais il me semble pouvoir avoir une utilité, non ?
(désolé si je n’arrive pas à être clair, c’est que je suis complètement crevé-malade 🙁 )
De l’inventivité « culturelle » d’une lutte contre l’idéologie dominante, je disais comme vous qu’elle était nécessaire (et il y aurait effectivement à y insister pratiquement), mais pas suffisante… D’autant que la droite et la la gauche de droite ne se distingue guère quant à l’idéologie du travail (comme le souligne certains post qui suivent, à leur façon).
Peut-être que « l’idée » du revenu de base progresse. La question qui reste posée est celle des forces matérielles aptes non pas à imposer une telle idée mais à défaire le rapport de forces actuel (comme dit Warren Buffet milliardaire U.S : « il y a bine une lutte de classes et nous sommes en train de la gagner »)… Et c’est une question qui n’est posée chez les tenants du R.B qu’en terme d’influence, de conviction. Or pour repasser (sorry, pour ma part j’ai une maladie de l’époque qui me fait répondre trop vite : le « manque de temps »…) par la case assassinat d’un opposant, une petite citation : « La police fait sa sale besogne, protéger un ordre absurde, suréquipée et disposant pour l’occasion de véritables armes de guerres. Il fallait que le pire arrive et l’étonnant c’est qu’il ne soit pas arrivé plus tôt. L’un d’entre nous, Rémi Fraisse, est mort pour avoir donné corps à une manière de percevoir le monde, pour s’être opposé en acte à l’avancée du désert quand il aurait été confortable de rester chez soi. Que la pensée soit autre chose qu’une affaire privée et sans conséquence, qu’elle appelle des gestes et qu’elle s’incarne dans une manière de vivre [et, donc de lutter, note ccc], voilà ce que ne pourra jamais entendre la bêtise d’un petit notable socialiste pour qui il est « un petit peu bête et absurde de mourir pour ses idées ». »
extrait d’un article publié là
http://paris-luttes.info/pour-remi-fraisse-et-les-autres
Face à un état Bouygues-FNSEA-HEC-flash ball, quoi ?
Oui, on est d’accord, je n’ai jamais dit que le combat « idéologique » (ou « culturel » comme vous dites) était suffisant 🙂 . Si je vous comprends bien, j’ai l’impression que la question que vous posez est plus une question qui relève de l’action politique (je veux dire de l’action politique « concrète/matérielle », et pas juste discursive/idéologique), c’est bien ça ?
Après il y a un truc que je n’arrive pas bien à comprendre dans votre critique des partisan-e-s du revenu de base. Vous semblez leur reprocher de seulement chercher à « influencer » et « convaincre ». Et vous opposez ça au fait de « défaire le rapport de force actuel ». Mais comment voulez-vous « défaire le rapport de force » si vous êtes tout seul (ou très peu) ? Est-ce qu’établir un rapport de force ne passe pas en très grande partie par une action idéologique (diffuser ses idées, tenter de convaincre/rallier d’autres gens à sa cause pour créer une opposition significative) ? En ce sens, je n’ai pas l’impression que celleux qui cherchent à « convaincre » d’autres gens à propos du revenu de base ne sont pas en train d’œuvrer au renversement du rapport de force, non? (ou alors je ne comprends pas à quoi vous faites allusion quand vous parler de « créer les forces matérielles aptes à défaire le rapport de force actuel)
De toute façon, personne n’aime vraiment travailler. Les deux seules choses qui font que les gens aiment travaillé, c’est la fièreté d’être utile à la société et l’argent. On est fière de faire quelque chose pour les autres pour avoir l’impression d’être un petit héro qui aide le monde, car le courage et l’effort est valorisé, même dans les dessins animé comme pokémon, mais d’une façon néfaste, car ils font sous entendre que ce n’est pas bien de servir à rien. Pour ce qui est de l’argent, personne ne voudrais travailler sans gagner de l’argent parce que c’est dur de travailler si on a pas d’argent pour s’amuser durant nos temps libre. Pour qu’on ait la télé, des jeux vidéo, de belle maison, des parc d’atteaction, bref tous ce qui intéresse les occidentaux d’aujourd’hui, il faut que des gens «travaille» pour ceéer ces merveilles. Pour inciter les gens à travailler, il faux de l’argent. Si tu travaille pas t’as peux d,argent, tout comme un enfant est privé de télé et doit se contenter de jouer dehors s’il ne fait pas de tâche ménagère de temps en temps ou ne fait pas d’effort à l’école. Je ne vois pas comment on pourrait faire un monde à la star trek où l’argent n’existe pue. En passant j’ai 23 ans.
Excellent article, merci beaucoup ! 🙂
Ce genre de discours me semble (entre autre) être aussi symptomatique d’une certaine gauche, qui se bat pour la sauvegarde d’emplois nocifs et aliénants (typiquement, chez les constructeurs automobiles, ou dans l’industrie lourde) et « l’insertion sociale » des plus défavorisés, forcément par le travail, donc. Il est entendu que ces travailleurs ont besoin d’une source de revenus, d’autant plus avec le démantèlement progressif de l’état providence. Le problème, c’est que ces luttes occultent, chez une bonne partie de la gauche militante, le caractère profondément malsain de la valeur travail et de la sacro-sainte « croissance ».
Il est désespérant, sous un gouvernement de droite qui se prétend de gauche, de voir tant de responsables (la structure pyramidale de ces mouvements étant elle-même très problématique) politiques, syndicaux ou associatifs sincèrement positionnés à gauche, appeler de leurs vœux la sauvegarde d’une structure socio-économique forgée par leurs adversaires.
Quand à cette occultation presque systématique des emplois dans la fonction publique, ça me rappelle une principale de collège qui parlait de « stages en entreprise » au lieu de stages en milieu professionnel…
Mention spéciale aussi pour la référence à Mai 68 : dans l’esprit des réactionnaires, c’est vraiment la panacée du gauchisme, et donc le diable incarné !
Enfin, j’aime beaucoup également cette référence, dans la bouche d’Anna, à l’évolution, assimilée à une lutte (selon l’idée fausse que seul le plus fort survit) et dont la vie professionnelle s’inscrirait dans la continuité. Un vrai manifeste libéral !
Ah, j’oubliais, sur le même sujet, il y a « Alexandre le Bienheureux », aussi. Pour ce que j’ai pu en voir, le traitement de la « paresse » y est beaucoup plus intéressant, mais je n’ai pas vue la fin, donc je n’exclus par un potentiel retournement final moralisateur…
Le retournement final n’est pas du tout moralisateur, mais bel et bien machiste: ce sont les femmes qui font bosser les hommes, et le mieux qu’ils aient à faire est de leur échapper. Ceci dit, une fois « évacué » ce (GROS) problème, l’éloge de la paresse version Alexandre est tellement jouissif que même une femme, (féministe de surcroît) peut y prendre plaisir.
Ah, ben j’avais raison de me méfier, merci pour l’explication ! ^^
M’enfin, j’ai jamais réussi à me sortir de la tête cette réplique lancinante du héros : « Il faut prendre le temps de prendre son temps… »
Et puis le personnage de la femme d’Alexandre est légèrement misogyne, aussi.
Merci beaucoup pour la référence, je n’avais jamais entendu parler de ce film. Je vais le regarder.
Et pour la misogynie, j’ai l’impression que c’est un schéma relativement récurrent, cette manière de faire de l’épouse une sorte d’équivalent, au sein du foyer, de l’oppression qu’incarne le patron au sein de l’entreprise. Je pense notamment à deux épisodes de la série The Twilight Zone, qui critiquent le culte du travail et ses conséquences («A stop at Willoughby » et « Time Enough At Last », dont je parlais ici : http://www.lecinemaestpolitique.fr/forums/topic/les-meilleurs-episodes-de-the-twilight-zone-1959-1964/)
Et pour revenir à Alexandre le bienheureux, ça me fait d’autant plus peur que c’est un film réalisé par Yves Robert, auteur quelques années plus tard des tristement fameux « Un éléphant ça trompe énormément » et « Nous irons tous au paradis », deux grand « chefs d’œuvre » masculinistes si je me souviens bien…
Bonjour Paul,
je pense que vous vous trompez sur le caractère « masculiniste » du dyptique d’Yves Robert. Bien sûr, il y est question de complicité masculine mais les films (en particulier le second)n’apparaît pas selon moi comme une apologie des valeurs virilistes. Il les égratigne même, certes gentiment et de manière inoffensive (le personnage de Brasseur est homosexuel du reste)mais je ne crois pas qu’on puisse parler ici de « chef d’œuvre masculiniste ».
Il me faudrait, cela-étant, revoir ces films.
Bien à vous
jacques
Oui c’est tout à fait possible. Comme je le disais, ça fait longtemps que je les ai vu. Dans mon souvenir, c’était une ambiance très « compagnonnage masculin loin des épouses chiantes ». Un peu comme on peut le retrouver aujourd’hui dans les Infidèles, le film de Dujardin et Lellouche, où ils finissent d’ailleurs tous les deux dans une relation homosexuelle, preuve que le masculinisme n’est pas incompatible avec la représentation de l’homosexualité masculine (tous les moyens sont bons pour fuir la domination des femmes…). Mais encore une fois, je ne me souviens pas assez des deux films d’Yves Robert pour me prononcer dessus.
Je n’ai pas vu le film, mais l’histoire me fait penser à celle de La belle et le clochard de Walt Disney.
Le clochard qui vante les mérites de la vie libre, sans maîtres. Il fait ce qu’il veut quand il veut avec ses copains…
Puis dans la scène finale, au coin de la cheminée, il se retrouve avec une femme (Lady, la belle), des enfants, et un petit collier autour du coup dans lequel est indiqué l’adresse de son maître. Le happy end en somme 🙂
À ceci près que Clochard a une femme qu’il aime, des enfants tout mignons, et objectivement, une maison assez cool où il peut glander autant qu’il veut, et même sortir quand ça lui dit. Franchement, je comprends Clochard d’avoir choisit la maison (parce que dans le film ça revient à choisir la famille aimante à la solitude affective). Il aurait sûrement hésité plus si il avait dû devenir vendeur chez confo. 😛
Dans le temps, il se disait que « le sujet se pose en s’opposant »… A propos de refus du travail
– Le refus du travail – L’orda d’or
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=7112
– Marcel Duchamp et le refus du travail
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=7151
Pas à propos de « revenu de base » mais de la signification politique des luttes sur le salaire
– Deux textes sur le salaire, Nanni Ballestrini, Paolo Virno
http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5301
On a guère vu les partisans du revenu de base dans les luttes concrètes sur les « droits de chômeurs » et autres assistés, là où il est question d’assumer le conflit, réel et pas simplement idéel, avec ce monde sur la question de la richesse…
Idem, qu’entendez-vous par « assumer le conflit réel » ? Manifester ? Faire grève ? Affronter les forces de l’ordre ? (je ne cherche pas du tout à critiquer ce que vous pensez, juste à savoir de quoi vous voulez parler concrètement)
Pour la critique de la valeur travail, regardez un film très drôle qui s’appelle Alexandre le bienheureux d’Yves Robert. Un film du début des années 70 pétris de culture soixante-huitarde. Et Philippe Noiret est absolument formidable en fainéant magnifique qui scandalise tout son village mais finit par l’entrainer dans son rêve.
Petite pub gratuite, si vous voulez vous prendre une bonne tranche de fainéantise décomplexée, Alexandre le bienheureux passe ce soir sur HD1
Je vois que beaucoup de gens sont prêt à lyncher le film et à pondre des commentaires gros comme des romans sans même l’avoir vu.
Pas du tout, mais alors pas du tout d’accord avec ce qui est dit dans cet article. J’ai vu le film il y a six mois en salle et je n’y ai pas vu de film conservateur, non mais faut pas pousser. D’abord, le cinéma est certes politique, mais il est libre de ne pas l’être et de ne pas répondre à des visions ou des questions purement politiques ou dogmatiques. Il y a aussi la poésie et l’imagination qui fait mener le message du film parfois sur d’autres chemins. Il s’agit ici d’une fable sur la paresse, qui n’a pas de prétention de faire dans le réalisme social, tout comme ‘Alexandre le bienheureux’ Et ce qui m’énerve dans cet article c’est justement le côté utilitariste du temps libre : ‘Quand on ne travaille pas ON DOIT faire de l’associatif’. Je trouve du coup que le film réussit sa mission de provoc’ jusqu’au bout en posant la question ‘A-t-on le droit à la paresse?’
Vous avez mal compris (ou mal lu) l’article, puisque je critique aussi ce que vous appelez « le côté utilitariste du temps libre ». Voir ce paragraphe :
Donc, pour moi, le film ne réussit pas du tout « sa mission de provoc jusqu’au bout » comme vous dites, précisément parce qu’il s’assume pas jusqu’au bout cette position. Le héros n’a pas « droit à la paresse », car au bout d’un moment il s’ennuie à mourir et se rend compte qu’il ne pourra pas s’épanouir dans la paresse, mais seulement en trouvant un boulot. Le film ne l’autorise pas à être paresseux, il doit forcément passer par la case travail (et la pirouette finale est à mon avis assez hypocrite et maladroite, car en contradiction totale car le propos que le film tient par ailleurs). Vous voyez ce que je veux dire? Après vous pouvez décider de juste prendre en compte le début du film (qui est effectivement intéressant), mais cela revient à faire abstraction de la moitié du film (vous avez le droit bien sûr, mais ça me semble par contre difficile de soutenir que le propos du film consiste à défendre le droit à la paresse).
Cet article est GENIAL, non seulement bien écrit mais fou d’intelligence ! Je vais regarder le film pour le plaisir de relire par la suite votre critique et mieux la mettre en exergue. Bravo
Salut Paul et les ami(e)s,
Séduit par la bande-annonce, je m’étais dit qu’il faudrait que je regarde ce film. Ce que j’ai finalement fait aujourd’hui… Alors au début, je me suis dit : « Ah ouais, ce film va être énorme ! » et c’était plutôt drôle.
Puis au fur et à mesure, la déception s’est installée.
Et même plus que de la déception : un certain malaise que je n’ai pas tout à fait compris sur le coup (bon, il est vrai que je suis moi-même un peu assoupi aujourd’hui).
Un peu de surf sur le net, et à la lecture de ton article, les choses s’éclairent : comme le dit Farah, bien écrit et très bonne analyse.
J’y reconnais tous les aspects du film qui m’avaient choqués ou posés question, ouvertement ou implicitement, et d’autres auxquels je n’avais pas forcément pensé.
Quelle grosse arnaque ce film !
Ecœurant !!!
Comme le dit Pascal un peu plus haut, finalement, pour une vraie critique de la valeur travail, rien ne vaut un bon « Alexandre le bienheureux » !
Bonjour
J’ai vu le film et lu votre critique énergique.
En ce qui me concerne, j’ai plutôt vu un film mal montré sur quelqu’un qui est dépourvu d’agressivité et de passion (donc dépourvu d’une quelconque énergie conquérante) et chez qui l’humour (et jamais la dérision et l’ironie qui sont toujours des traits agressifs) s’est développé généreusement (Contrairement au personnage d’Alexandre le bienheureux, qui met en scène un individu qui marne depuis toujours et décide énergiquement de planter les freins) et qui, né et ayant grandi dans la facilité envisage juste de continuer.
Une mauvaise photo d’un sujet qui n’a peut être pas grand intérêt en somme, car il concerne peu de monde, mais qui sur le fond, fait peut être dramatiquement envie ?
Etre choyé, bienheureux, dépourvu d’animosité et de regrets, et vouloir continuer, se projeter vers la fixité d’ un présent qui n’en fini pas d’être juste dans un juste équilibre, une homéostasie quasi zen avec tout le confort bourgeois, au nom d’un bien être individuel que l’extérieur ne dérange pas.
Merci beaucoup pour ce long papier sur un film qui mérite d’être vu, ne serait-ce que pour savoir si vous avez raison.
Alors, je vais tout de suite tuer tout suspens ; vous avez raison, contrairement à Télérama et les Inrocks, qui n’ont pas compris que ce n’était pas un film sur la paresse, mais sur le travail.
Aussi, ils sont déçus, nos phares de la pensée comme-il-faut, parce qu’ils pensaient voir un nouvel Alexandre le bienheureux, en mode khâgneux, puisqu’on y citait le neveu de Marx et qu’on y lisait Garcia Marquez.
Las ! vous visez dans le mille, le film, sans cesser d’être léger, se conclut comme Candide : « il faut cultiver notre jardin ».
Reste tous les thèmes balayés ; l’assassinat du père, le passage à l’acte ou l’acte manqué, l’oisiveté et la poésie du temps qui passe, l’importance de la culture, de la lecture, la relation à l’autre (immense Podalydès), le jeu de l’amour à l’ère de la colloc, le jeu du hasard à l’époque des stages, le bien faible intérêt du travail que ce soit dans la société ‘d’avant’ (irrésistibles scènes aux Assedic) ou dans une société hyperspécialisée, où plus personne ne comprend ce que font les copains (scène de retrouvailles des potes de promo).
Rien n’est approfondi, tout est survolé. Cela peut paraitre frustrant, c’est pourtant ce qui permet de retrouver à la fin l’onirisme du départ (la scène de l’ours).
Bah oui, si on peut passer sa vie à se gratter les couilles, y’a quand même plein de bonnes raisons de faire des gamins et de cultiver son jardin. Voici quelques pistes, par antithèse.
La vie permettra à chacun de les approfondir, à sa façon.
Je participe très tard alors que le sujet me concerne plutôt, et vais me contenter de suggérer 3 documentaires intéressants sur l’emploi (terme que nous devrions activement préférer à celui de « travail » quand il s’agit de travail salarié)
-Volem rien foutre al pais de l’excellent Pierre Carles encore, à voir comme un binôme à Attention Danger Travail.
-Pôle Emploi ne quittez pas, de Nora Philippe : docu immersif sans voix off ni parti pris sur l’échec flagrant du système de retour à l’emploi et du rapprochement ANPE-ASSEDIC (que j’ai personnellement vécu en tant que demandeur d’emploi à cette époque)
-Entrée du personnel, de Manuela Fresil : Témoignages et tranches de vies sur cette merveilleuse opportunité professionnelle qu’est le travail en abattoirs.
Ils auraient pu aller encore plus loin en faisant interpréter le personnage de Sébastien par un noir ou un arabe.
Article excellent qui remet bien les choses à leur place. Si vous avez des exemples de bons films qui critiquent le travail et le productivisme (à part Alexandre le Bienheureux), je suis preneuse !
Il y a « 35 heures, c’est déjà trop (Office Space) », un film américain, qui est très bon dans ce domaine