Accueil » Tous les articles » Cinéma, Tous les articles » La Planète des singes (2001) : Soumettre femmes et barbares

La Planète des singes (2001) : Soumettre femmes et barbares

600px-POTA2001_014

Comme l’a bien montré Eric Greene à propos des cinq premiers volets de la saga (Planet of the Apes, 1968 ; Beneath the Planet of the Apes, 1970 ; Escape from the Planet of the Apes, 1971 ; Conquest of the Planet of the Apes, 1972 ; Battle for the Planet of the Apes, 1973)[1], la problématique du rapport humain/animal peut fonctionner dans ces films comme la métaphore d’une autre forme de domination dont les mécanismes sont comparables : le racisme. En effet, si ces films parlent explicitement de spécisme et qu’il est donc parfaitement légitime de les interpréter selon ce prisme, il n’en reste pas moins que la majorité des spectateurs de l’époque (1968-1973) ne les a pas reçus comme des films antispécistes, mais bien comme des films antiracistes. En effet, alors que le mouvement Black Power (1966-1975) radicalisait la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, les conditions socio-politiques de production et de réception de ces films les rendaient donc plus beaucoup susceptibles d’une lecture en termes de race qu’en termes d’espèce. Il importe donc de bien garder en tête le fait que ces films sont (comme tous les autres) susceptibles de différentes interprétations suivant leur contexte socio-historique de réception. Le public noir de l’époque les recevait essentiellement comme des films traitant de la question raciale[2], mais un public sensibilisé à la question du spécisme peut aussi très bien les interpréter comme des films antispécistes. Aucune lecture n’est en soi plus vraie qu’une autre, car les films n’existent que dans des « interactions entre un texte et un contexte de production et de réception : ce sont les spectateurs qui donnent in fine sens au film. Le sens ne préexiste pas aux pratiques sociales qui font exister les films. Les publics eux-mêmes se construisent selon des logiques de genre, mais aussi de classe, d’ethnicité, de génération, etc. »[3].

En ce qui concerne le film de Tim Burton, une même double lecture est possible. Comme dans les premiers volets, c’est le rapport entre humains et animaux qui est explicitement mis en scène, mais là encore, ce n’est probablement pas au prisme de cette problématique que le film a été lu (et continue de l’être aujourd’hui) par la majorité de son public. En effet, comme on va le voir, les singes tels qu’ils sont dépeints par le film peuvent facilement fonctionner comme les représentants d’une barbarie menaçant la civilisation occidentale (incarnée quant à elle par le héros blanc civilisé Leo Davidson). Le rapport humain/animal est donc encore surdéterminé dans ce film par un conflit racial (même si celui-ci est totalement différent de celui qui agitait la société états-unienne des années 60-70). Enfin, notons que si les cinq premiers volets, malgré quelques contradictions, tendaient plutôt à véhiculer un message antiraciste et à travailler donc la question raciale dans un sens progressiste, le film de 2001 est de ce point de vue profondément réactionnaire.

Examinons donc le sens de ce film en essayant de montrer ce que celui-ci nous dit à la fois du rapport humains/animaux (spécisme) et du rapport blancs/non-blancs (racisme).

La menace barbare

Que nous dit le film de 1968 des rapports humains/animaux (en gardant en tête que ce rapport de domination fonctionnait essentiellement à l’époque de sa sortie comme une métaphore du rapport de domination raciste) ? Toutes les scènes où le héros découvre les mœurs des habitants de la planète où il a échoué visent le même but : bousculer l’anthropocentrisme spontané des spectateurs/trices en les mettant dans la position du dominé, celle-là même occupée par les animaux dans nos sociétés. La scène de chasse est en ce sens une des plus grandes réussites du film : des singes surgissent brutalement de nulle part et massacrent un groupe d’humains qui n’avaient rien demandé. En nous forçant à adopter le point de vue des victimes, le film nous oblige à éprouver pendant quelques minutes ce que peut vivre un animal lorsqu’il est ainsi traqué. Et de la même manière, tout ce que subit ensuite le héros (être attaché, enfermé, battu, ou encore servir de cobaye pour des expériences scientifiques) amène les spectateurs/trices à prendre conscience de ce qui est infligé en permanence aux animaux dans notre société spéciste. En renversant le rapport de domination humain/animal tel que nous le connaissons, le film accuse donc indirectement (mais très clairement) l’humanité d’être la responsable d’une exploitation intolérable des autres espèces animales. Or, en partant du même portrait en miroir de notre société spéciste, le film de Tim Burton parvient non seulement à en neutraliser le potentiel critique, mais en arrive même à soutenir la position inverse, à savoir que ce ne sont pas les humains qui constituent une menace pour les animaux, mais bien le contraire ! Examinons comment s’opère ce renversement idéologique invraisemblable.

En apparence, le dispositif de départ est le même : un humain échoue sur une planète dominée par des singes, où ceux-ci font subir aux membres de son espèce le même genre de violences que nous faisons subir aux animaux dans nos sociétés : ils sont chassés, mis en cages, marqués au fer rouge, domestiqués, méprisés, etc. Sauf qu’un détail important empêche l’analogie d’être poussée jusqu’au bout. En effet, les singes dépeints dans le film ont ceci de différent de nous qu’ils sont beaucoup plus bestiaux et primitifs. Ils grimpent aux arbres, poussent des cris, se tapent le torse, etc. ; en bref, ils ont un comportement plus simien qu’humain (contrairement aux singes du film de 1968). On est ainsi poussé à se dire que si les singes se comportent de manière aussi barbare avec les humains, c’est avant tout parce qu’ils sont des primitifs, plus proches de l’animalité que de l’humanité. Alors que le premier épisode de la saga, en donnant aux singes toutes les apparences de l’humanité civilisée, semblait montrer que la barbarie la plus horrible est peut-être celle qui se donne des airs civilisés et justifie à coup de grandes théories ses entreprises de dominations, le film de Tim Burton en revient à la bonne vieille dichotomie entre les méchants barbares primitifs d’un côté, et les bons civilisés de l’autre. Le propos est d’autant plus réactionnaire qu’il se redouble d’un racisme et d’un ethnocentrisme de bon aloi. En effet, les décors et costumes des singes brassent les références aux cultures « non-civilisées » dans un patchwork dont seul Hollywood a le secret. Sur fond de musique orientalisante défilent devant nos yeux une série de représentations dont on a bien de la peine à comprendre l’unité, tout simplement parce qu’elles ont pour seule fonction de nous rappeler en permanence que l’on se trouve ici chez « les autres », dans cet ailleurs mystérieux et inquiétant où la civilisation n’a pas encore mis les pieds[4].

Cithare et narguilé

Femme voilée

Tenture indienne

Ambiance cour des miracles. Mais où sommes-nous ?

Parce qu’il représente les singes comme des êtres bestiaux et primitifs, le film empêche donc l’analogie avec notre société de fonctionner. Ce que les spectateurs/trices voient, ce n’est pas l’image en miroir de notre comportement spéciste envers les animaux, mais juste des humains qui se font violenter par un peuple de barbares. D’ailleurs, le film affirmera très clairement par la bouche du héros que notre société n’est aucunement spéciste. Par exemple, dresser des singes pour les envoyer dans des capsules spatiales à la place des humains lorsque l’entreprise est trop risquée ne relève absolument pas pour le film de l’exploitation d’une espèce par une autre. Le Capitaine Leo Davidson (Mark Wahlberg) décrira le rapport que les humains entretenaient avec les singes dans son vaisseau comme une « collaboration égalitaire »[5]. Et lorsque Ari (Helena Bohnam Carter) lui fera remarquer que mettre les animaux en cages et s’en servir pour se divertir ou comme cobayes pour des expériences scientifiques sont des choses « horribles », il lui répondra que « l’on fait pire aux membres de notre propre espèce ». Les vraies victimes, ce ne sont pas les animaux (qu’il faut arrêter de plaindre), mais bel et bien les humains. Le film ira d’ailleurs très loin dans cet esprit en réécrivant totalement l’histoire des origines de la planète. En effet, dans les premiers films, les singes avaient pris le pouvoir sur les humains lors d’une révolution visant à mettre fin à leur exploitation systématique (Conquest of the Planet of the Apes, 1972). Les humains ne faisaient donc que récolter le spécisme qu’ils avaient semé. Or ici, les singes ne prennent pas du tout le pouvoir pour renverser une quelconque domination (puisque comme on l’a vu, humains et animaux vivent dans une « collaboration égalitaire »…), mais ils prennent le pouvoir sans raison, sous l’impulsion de l’un d’entre eux devenu fou. Il n’est donc aucunement question de révolution ici. Ou plus exactement, il y aura bien une révolution, mais ce sera celle des humains remettant en cause l’ordre injuste instauré par les singes ! Et au final, tout rentrera dans l’ordre lorsque le héros aura symboliquement remis le singe dans la cage d’où il n’aurait jamais dû sortir.

Le récit qui nous est conté est donc celui de la réinstauration par l’humain blanc civilisé de l’ordre juste menacé par la barbarie. Comme on l’a vu, le visage que prend cet ennemi à soumettre est à la fois celui de l’animalité, de la bestialité (spécisme), et celui de l’obscurantisme des civilisations primitives (racisme et ethnocentrisme). Une réplique synthétise parfaitement l’idéologie réactionnaire du film sur ce point : alors que l’affrontement entre les humains révoltés et leurs oppresseurs simiens fait rage, la capsule spatiale du chimpanzé Périclès atterrit au beau milieu du champ de bataille. Les singes interrompent alors immédiatement leur offensive pour accueillir, subjugués, celui qu’ils pensent être leur dieu Sémos, le fondateur de leur communauté. Leo Davidson prend alors Périclès par la main et lui dit : « Viens, allons expliquer l’évolution à ces macaques ». Il se pose ainsi comme l’homme éclairé face aux primitifs enfermés dans leur obscurantisme religieux. Mais le sens de cette réplique ne se limite pas à l’affirmation de la supériorité de celui qui possède le savoir scientifique, la Vérité. En effet, ce qu’il faut que ces ignares comprennent, ce n’est pas seulement qu’ils sont ignares, mais aussi qu’ils se situent à un stade profondément archaïque de l’évolution des espèces, dont l’aboutissement est l’humanité civilisée incarnée par Leo Davidson. La théorie de l’évolution n’est donc pas utilisée pour montrer qu’aucune espèce n’est supérieure à une autre puisque toutes ont été également sélectionnées pour survivre et descendent d’ancêtres communs. Au contraire, l’usage déformant qui en est fait dans cette réplique sert essentiellement à laisser entendre qu’il y aurait une hiérarchie entre les espèces (les espèces supérieures étant naturellement vouée à dominer les espèces inférieures). Et vu l’ethnocentrisme manifeste du film, il est à craindre que soit en même temps véhiculée l’idée d’une hiérarchie entre les cultures. En effet, après avoir prononcé cette phrase, le représentant de l’espèce et de la culture supérieures qu’est Leo Davidson réinstaurera l’ordre juste en enfermant dans sa cage le représentant de l’espèce et de la culture inférieure qu’est le Général Thades.

Mais reste une dimension du film que je n’ai pas encore mentionnée alors qu’elle est inextricablement liée aux autres : Leo Davidson n’est pas seulement un humain blanc civilisé, c’est aussi et avant tout un homme…

Soumettre les femmes pour soumettre les barbares

On pourrait résumer le film en disant qu’il est avant tout l’histoire de la reconquête par le héros de sa virilité. Lorsque l’on fait sa connaissance à bord de l’Oberon, le capitaine Leo Davidson apparaît comme un homme frustré, condamné à dresser des chimpanzés pour que ceux-ci fassent le boulot à sa place. Sa collègue ne se prive d’ailleurs pas de faire allusion à cette réduction à l’impuissance du héros. Elle s’adresse ainsi à Périclès le chimpanzé lorsqu’il le ramène ce dernier de son entraînement de pilotage : « Qu’est-ce qu’il y a ? Est-ce que l’homo sapiens t’a encore fait des misères ? Nous savons tous que c’est parce qu’il n’a pas ta grosse fusée (we all know it’s just rocket envy) ». Cette pique a directement pour but de titiller la virilité brimée de notre héros, et elle fait visiblement mouche, puisque celui-ci rétorque : « Toujours pas de petit ami ? », à quoi elle répond : « Je ne suis pas maso. Je préfère les chimpanzés aux hommes ». Un dernier échange achèvera le tableau : lorsqu’elle lui apprend que Périclès va être papa, Davidson plaisante : « Il avait effectivement l’air content de lui », elle lui répond : « C’est la femelle qui a eu l’initiative ». Femmes fortes, hommes dominés ou impuissants, ambiance tendue entre les sexes : il ne fait pas bon vivre pour notre héros sur l’Oberon.

Lorsque, à l’approche d’un nuage électromagnétique, l’un de ses supérieurs hiérarchiques décide d’envoyer Périclès en reconnaissance alors que Davidson ne cesse de rétorquer qu’il faut pour cette mission « quelqu’un qui pense », ce dernier prend l’initiative de désobéir aux ordres pour partir à la recherche de son chimpanzé disparu dans le nuage. Cet acte par lequel le héros réaffirme sa virilité en reprenant le pouvoir est le premier d’une longue série qui se conclura à la fin du film par l’affrontement avec le Général Thades.

En attendant, Davidson a tout à prouver lorsqu’il atterrit sur la planète des singes. La mise en scène de ce moment clé du film insiste sur sa dimension symbolique de nouvelle naissance. Comme le souligne Tim Burton[6], le vaisseau ressemble à un œuf, et juste après avoir émergé de l’eau, le héros change de peau en ôtant sa combinaison spatiale, qui laisse ainsi apparaître un treillis moulant et déchiré. Cette nouvelle naissance est ainsi à comprendre comme une sorte de retour à l’état de nature, grâce auquel Leo Davidson va pouvoir renouer avec son être profond (sa virilité). L’homme blanc va ainsi pouvoir réécrire l’histoire qui lui avait échappé en reprenant le contrôle des femmes et des barbares qui ont mené l’humanité à sa perte.

Iconographie du western : l’homme blanc représentant de la civilisation, sur son cheval, face à la nature sauvage et ses peuples menaçants.

Or cette reconquête par Leo de sa virilité ne se fait pas beaucoup attendre : elle passe d’abord par la séduction immédiate des deux personnages féminins principaux (dont la dépendance affective envers le héros contraste avec l’indépendance de la collègue du vaisseau). Puis, très rapidement, Davidson va prendre le commandement des opérations en dirigeant l’évasion d’un petit groupe d’humain-e-s. A partir de ce moment, il sera indéboulonnable dans sa position de leader naturel qui donne les ordres et a réponse à tout. Un moment essentiel est celui où il parvient à remettre la main sur son pistolet. Lorsque Ari (Helena Bonham Carter), la chimpanzé qui les accompagne, a le malheur de vouloir toucher l’arme avant lui, il l’en empêche immédiatement. Et il a bien raison, car les armes sont dans le film symboles du pouvoir à la fois masculin (des hommes sur les femmes) et technologique (des civilisés sur les barbares). La scène entre Thades et son père (incarné par Charlton Heston) est on ne peut plus claire à ce sujet. Sur son lit de mort, Zaius révèle à son fils le secret conservé par les chefs des singes de génération en génération : « Au commencement, nous étions les esclaves et les humains était les maîtres ». Les singes ne sont donc que les usurpateurs d’un pouvoir qui appartient en fait par nature aux humains. Zaius le dit explicitement lorsqu’il montre à son fils le pistolet symbole du pouvoir des humains : « Ce que tu tiens entre tes mains est la preuve de leur pouvoir. Leur pouvoir d’invention. Le pouvoir de leur technologie ». Et à la fin, c’est effectivement l’arme nucléaire (« faite pour durer », selon les mots de Leo Davidson), qui permettra à ce dernier de découvrir l’origine de la planète et de déclencher l’explosion qui empêchera le massacre des humains par les singes. Loin d’être l’agent de la destruction de l’humanité par elle-même comme c’était le cas dans le deuxième volet de la série (Beneath the Planet of the Apes, 1970), l’arme nucléaire est ici ce qui permet de stopper la barbarie et d’établir la paix.

La reconquête par l’homme blanc du pouvoir qu’il avait perdu passe donc à la fois par la soumission des femmes et des barbares. Mais le rapport à ces deux « autres » n’est pas posé par le film comme strictement équivalent : l’opposition homme/femme est en effet présentée comme étant plus fondamentale que l’opposition civilisé/barbare (ou humain/animal). Lorsque Ari et Daena, toutes deux amoureuses du héros, se chamaillent par jalousie devant lui, ce dernier s’énerve et leur crie : « Silence ! Et ça vaut pour les deux espèces ». Quelque chose d’essentiel relie donc ces deux personnages par delà leur différence spécifique (au sens d’appartenance à deux espèces différentes) : ce sont des femmes, et elles doivent en conséquence apprendre à se taire (« sois belle et tais-toi »). Ainsi, le film dépeint non seulement des personnages féminins totalement inconsistants, dont les seuls traits de caractère consistent à être amoureuses du héros et jalouses l’une de l’autre[7], mais il leur intime en plus l’ordre (par l’intermédiaire du personnage masculin) de ne pas exprimer ce peu de personnalité que l’on a daigné leur céder…

Cette misogynie qui parcourt le récit apparaît à la fin comme structurante d’un point de vue scénaristique. En effet, la révélation finale est que les singes qui dominent la planète sont ceux dont s’occupait Leo Davidson et ses collègues à bord de l’Oberon. Un enregistrement retrouvé dans l’épave du vaisseau nous l’apprend par la bouche de la collègue avec laquelle Leo échangeait des remarques cinglantes au début du film. Celle-ci explique que l’un des singes qu’elle était chargée de dresser, Semos, s’est mis à dominer les autres singes et à organiser avec eux une rébellion. Le fait que ce soit elle qui était responsable de ce singe a son importance. Ce détail est à mettre en rapport avec cet épisode au début du film, où Leo joue un tour à l’un des singes en lui faisant croire qu’il a de la nourriture pour lui dans l’une de ses mains alors que ce n’est pas le cas. Sa collègue le regarde d’un air désapprobateur. S’ensuit ce dialogue :

Lui (tentant de se justifier) : Je lui apprends (I’m teaching him) 

Elle : Non, tu te moques de lui (You’re teasing him)

Lui : Avec ses chromosomes transgéniques, il est équipé pour encaisser

Elle : Quand on les brime, ils sont déstabilisés, voire violents 

Ici, sa position à elle semble plus raisonnable et plus louable que sa position à lui (elle semble mieux connaître les singes et savoir ce qui est bon pour eux, alors que lui s’amuse des petites humiliations qui leur fait subir). Mais la fin du film remet totalement en question cette valorisation de l’attitude féminine envers les animaux. En effet, à être trop gentille et attentionnée à leur égard, la collègue de Leo a fini par rendre possible la prise de pouvoir des singes sur les humains. Dans le message enregistré retrouvé par Leo sur l’épave, elle se désigne clairement elle-même comme la responsable de cette insurrection : « J’ai peut-être compris la vérité quand ils étaient jeunes, mais je n’ai pas voulu l’admettre ». Il faut mettre cette déclaration en rapport avec le dialogue cité ci-dessus : la collègue de Leo Davidson est responsable de la rébellion parce qu’elle a mal élevé le singe qui est devenu leur leader. Elle l’a mal élevé parce qu’elle ne l’a pas assez maté, parce qu’elle ne lui a pas assez signifié son infériorité par rapport aux humains. Le bon comportement à avoir avec les singes était donc celui de Leo Davidson et non celui de sa collègue. Ce retournement final s’inscrit donc pleinement dans la logique du film, qui ne cesse de mettre en scène la manière par laquelle l’homme doit reprendre le pouvoir le pouvoir sur les femmes (Ari et Daena) afin de soumettre les barbares (les singes).

Si l’on en est arrivé à ce monde à l’envers où les barbares/animaux ont pris le pouvoir et dominent les civilisés/humains, c’est donc en dernier lieu parce que trop de pouvoir a été laissé aux femmes, et que les hommes ont ainsi perdu le contrôle (du vaisseau, des animaux, des femmes). Il est donc logique que le Sauveur mettant fin à la barbarie soit un homme blanc civilisé, et que l’ensemble du film prenne la forme d’une reconquête par celui-ci de son pouvoir sur les femmes. A la fin, tout est rentré dans l’ordre : il est celui qui a mis fin à la barbarie, celui qui a enfermé le singe dans sa cage, celui que les femmes pleurent et que les jeunes garçons prennent pour modèle.

Soumettre les femmes pour se donner les moyens de soumettre les barbares, voilà donc en résumé le mot d’ordre de ce film. Resterait à s’interroger sur les causes socio-politiques qui ont pu donner lieu à un tel discours où misogynie et racisme sont si intimement liés.

 Paul Rigouste


[1] Eric Greene, Planet of the Apes as American Myth. Race and Politics in the Films and Television Series (McFarland, 1996, reéd. 2006)

[2] Comme en témoigne par exemple l’anecdote relatée par Eric Greene dans son livre sur la saga : « Après la première, début 1968, de La Planète des singes, Mort Abrahams [le producteur associé des deux premiers volets] et le producteur Arthur P. Jacobs (dont l’« APJAC productions » a assuré le financement des 5 films de la saga)  se heurtèrent à l’artiste Sammy Davis Jr. Ce dernier embrassa Jacobs et proclama que La Planète des singes était le meilleur film sur les relations noirs/blancs qu’il avait jamais vu. Ni Abrahams ni Jacobs ne savaient de quoi Davis parlait ».

[3] Noël Burch & Geneviève Sellier, Le cinéma au prisme des rapports de sexe (Vrin, 2009), p. 10

[4] La scène où des enfants jouent au basket ainsi que le plan montrant des ados singes en blousons de cuir sont peut-être à interpréter dans le même esprit malgré leur tonalité comique.

[5] C’est d’ailleurs au passage sûrement comme cela que les artisans du film devaient penser leur rapport avec les singes figurant dans le film : dressé et soumis à leur ordres selon un principe de « collaboration égalitaire »…

[6] Dans son commentaire audio disponible dans les bonus du DVD

[7] On pourrait à la rigueur relativiser cette affirmation en ce qui concerne Ari, qui est aussi caractérisée par son opposition politique aux gouvernants de la planète. Mais à partir du moment où elle rencontre le héros, cette dimension passe progressivement au second plan pour s’effacer devant l’amour qu’elle éprouve pour Leo.

Autres articles en lien :

Une réponse à La Planète des singes (2001) : Soumettre femmes et barbares

  1. Wow.

    Mais il est super cet article !

    Je cherchais une analyse plus poussé du film et je ne trouvais rien. Je suis étonné de découvrir ça sur un site web que je n’avais jamais vu du coup je reviendrais.

    Beau boulot.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.