Interview du réalisateur bruce (2/2) : “je pense que ce thème de la transgression marche sur plein de gens.”
25 février 2016 | Posté par Arroway sous Cinéma, Tous les articles |
Something must break
Voici la suite et fin de l’interview-fleuve avec bruce. La deuxième partie de l’entretien a été l’occasion de parler d’un certain nombre de films et séries mettant en scène des trans, et de discuter de leur représentations positives – ou problématiques.
***
Arroway : Tu parlais de thèmes traités dans plusieurs films. Au moment du mariage pour tous, de la “théorie du genre”, etc, il y a deux films en particulier qui sont sortis : il y a eu “Tom Boy” et “Une Nouvelle Amie”. Est-ce que tu les as-vu ?
bruce : J’ai vu “Tom Boy”, ouais.
Et qu’est-ce que tu en as pensé?
Ben un peu comme “Bande de filles”, je me suis fait chier en tant que spectateur. Alors que j’avais adoré “Naissance des pieuvres”, vraiment c’est un film qui m’avait mis une grosse claque. Je faisais un ciné-débat avant à Nanterre et on avait invité Céline Sciamma. J’aimais vraiment beaucoup ce film. Et “Tom Boy” je ne me suis pas mal ennuyé, j’ai trouvé que les scènes étaient posées les unes après les autres. J’ai trouvé qu’il n’y avait pas vraiment de chemin dans le film, telle scène veut dire tel truc, et attention telle autre scène veut dire tel autre truc. Et que vraiment c’était une espèce de petit abécédaire sur la question du genre. Mais ça peut être intéressant de faire ça, et personnellement cette question m’intéresse beaucoup. C’est juste que j’ai trouvé le film trop didactique pour une fiction en fait. Et, évidemment, en tant que personne trans, j’ai été assez choqué par la fin. C’est marrant ça, parce que y a d’autres trans qui ont vu ce film et qui n’ont pas du tout été gêné-e-s par la fin. En plus la question, des enfants trans c’est encore un cap, parce qu’il y a la question “ton corps t’appartient” à la fois en tant que mineur-e/majeur-e et est-ce que ton corps t’appartient… En fait c’est un peu hors-champ dans le film, mais pour les trans cela va être le médecin, le juge, etc, et toi. Et du coup c’est quand même hors-champ dans le film parce que ce n’est pas la question en fait. Après je respecte, elle dit en gros c’est son histoire, c’est l’histoire d’une gouine. Bon pourquoi pas, mais cela me gêne vraiment parce que ce n’est pas ce qui est montré dans le film. J’ai l’impression que le film montre un garçon trans, qui est très jeune et qui du coup se confronte au monde qui l’entoure, c’est-à-dire ses parents, ses copaines, sa soeur… Et du coup, c’est des problématiques trans adaptées à cet âge-là, mais c’est quand même des problématiques trans et dans le film j’ai l’impression que le personnage se définit comme ça. Pour moi, la toute fin du film est un peu transphobe et va à l’encontre du personnage. Et cela m’a vraiment gêné.
Tom Boy
“Une nouvelle amie”, je l’ai pas vu, parce que j’avais pas envie de le voir (sourit). Parce que Romain Duris en “travelo »– j’ai même pas compris si c’était une trav ou une trans… Mais y a des gens qui m’en ont dit du bien, mais j’étais dans un moment où c’était too much pour moi. Il y avait eu le film de Xavier Dolan, “Laurence Anyways” juste avant, et c’était trop là. Après Melvil Poupaud, Romain Duris… Mais ça fait partie des films, comme “La Vie d’Adèle”, que je sais qu’il faudra que je vois un jour pour m’y confronter (rire).
Ouais, ben tu vas pas être déçu. Du coup, je ne te propose pas de réagir sur le film, mais comme Ozon et Duris ont fait plein d’interviews pour la promo du film, je me suis que ça pourrait être intéressant que je te passe un extrait d’interview et que tu réagisses dessus.
Transcription :
Journaliste : Est-ce que ça pourrait être possible d’imaginer le même film mais en inversant les rôles des personnages
Ozon : Alors je réfléchis… Je crois que l’un des derniers tabous ce sont les hommes qui se… il y a beaucoup de femmes masculines, il y a plein de filles qui ne se maquillent pas, qui s’habillent en jeans et on leur dit rien. C’est quelque chose qui est accepté. Alors qu’un garçon qui tout d’un coup porte du rouge à ongle ou qui porte des talons, c’est plus compliqué. Donc je crois que l’histoire aurait été très, très différente. Il y a une phrase très importante dans le film, à un moment Virgina [le personnage joué par Romain Duris] dit : “j’ai envie de vivre une vie de femme pour faire tout ce qu’on m’interdit de faire en tant qu’homme”. Quand vous discutez avec les hommes qui font ça, c’est vraiment l’une de leur premières raisons. Ils se sentent enfermés dans leur condition masculine, et on envie d’aller ailleurs.
Alors la question que j’ai : est-ce que c’est un film sur une personne qui se travestit ou sur une personne trans ? Parce que j’ai jamais compris, personne n’a pu me dire clairement.
Une nouvelle amie
La perception que j’ai du film, je te raconte comme ça tu te fais ton propre avis [raconte le synopsis du film]. A un moment dans le film, les deux héroïnes Claire et Virginia vont pour coucher ensemble, mais Claire s’arrête et dit qu’elle ne peut pas parce que Virginia est un homme. Elle se casse, et lui/elle sort dans la rue, lui envoie un texto “Non, je suis une femme” et se fait renverser par une voiture. Il/elle tombe dans le coma – enfin je dis il/elle, dans le film c’est pas clair mais pour moi c’est elle – et tout le monde essaye de la réveiller du coma. Mais elle ne se réveille du coma que lorsque Claire vient l’habiller en femme et l’appelle par son nom Virginia. Et là c’est le nouveau réveil sous sa nouvelle identité. Le film se poursuit, Claire quitte son mari et Claire et Virginia sont montrées toutes les deux à l’écran allant chercher leurs enfants. Et Virginia en Viriginia. Avec le petit détail : pendant tout le film, elle était toujours habillée en robe, alors qu’à la fin du film elle se permet d’être en pantalon pour l’unique fois du film. Donc pour moi, ce sont des éléments dans le film qui montrent qu’il s’agit d’une femme trans parce qu’elle le dit elle-même : “je suis une femme”. Mais effectivement, dans le reste des interviews et des critiques, on parle toujours de travesti-e-s.
Ben je sais pas quoi dire, parce que leur discours il a pas l’air d’être très classe. Mais ça m’étonne pas tellement en fait. Après, c’est un peu bizarre de réagir dessus, parce que j’ai pas vu le film… Il faudrait que tu voies “Laurence Anyways”, parce que c’est un peu la même chose j’ai l’impression : c’est des pédés qui fantasment sur la transidentité comme la dernière transgression qui pourraient leur arriver à eux, à l’identité pédée, et du coup à l’identité masculine. Vu les réalisateurs que c’est – alors ils ont pas du tout la même envergure, ils ne travaillent pas non plus depuis le même nombre d’années – mais François Ozon c’est quand même un mec qui a toujours bossé sur ce genre de projet et j’ai l’impression que c’est “oulala, on va parler des trans, ça va être fou”. C’est comme “oulala, Gaspar Noé il va faire un film en 3D avec du porno”, ça va être waahou ! Ca les fait frissonner quoi. Après, on peut aussi juste décortiquer bêtement ce qu’il dit, et j’ai l’impression qu’il a juste rien compris à la question trans. Il dit “c’est des hommes”, et en même temps “c’est des femmes”. Il dit “il”, mais c’est pas clair du tout, et pour lui je pense que ça l’est pas. Tout comme pour Xavier Dolan, cela ne l’est pas je pense. Et c’est des mecs qui doivent juste tout mélanger, et comme pour beaucoup de gens, travelos et trans c’est la même chose. Encore une fois je n’ai pas vu le film, mais vu ce que tu me racontes et ce petit passage d’interview, ça me fait penser que les gens sont encore dans cette confusion-là et qu’être trans pour eux cela reste un “déguisement”. Et puis ce truc de “une personne de tel genre enfermée dans le corps d’une personne d’un autre genre”, c’est un peu éculé. Il y a quelques personnes trans qui le disent encore, mais c’est tellement essentialisant que cela n’amène nulle part. Et même si tu peux le penser ou pas, c’est pas forcément le meilleur moyen de le dire pour obtenir des droits, ou autre.
Est-ce que tu peux développer un peu dessus ? Ca me fait penser à un article wikipedia qui répertorie les films (états-uniens pour la plupart) avec des personnages trans et qui, déjà, recense onze personnages d’hommes trans pour une cinquantaine de femmes trans, mais aussi qui catégorise les personnages en deux genres binaires homme/femme.
J’ai l’impression que ce que l’on voit dans les médias, et je mets le cinéma dedans, c’est toujours ça : une personne qui va dire « je suis un garçon enfermé dans un corps de fille » ou l’inverse, le plus souvent l’inverse d’ailleurs. Et en fait, ça va être quelque chose de vrai pour plein de gens de vouloir faire une transition « complète » d’un genre vers un autre et de s’identifier vraiment à un genre. Mais cela veut dire qu’il y a une définition de ce genre, qui serait une définition universelle : « la femme », « l’homme ». Donc ça c’est déjà problématique. Mais c’est aussi problématique parce qu’il y a aussi plein de gens qui sont soit dans un entre-deux, soit qui ne veulent pas de se définir, soit qu’iels veulent qu’on les définissent effectivement soit dans un genre féminin soit dans un genre masculin sans pour autant avoir, apparemment, les « attributs » qui vont avec. Il y a autant d’identités trans qu’il y a de trans. On parlait tout à l’heure de personnes non-trans qui jouent des personnages trans, mais clairement quand ce sont des personnes non-trans qui font des films sur des personnages trans…ben c’est ça, c’est « sur » les trans, donc c’est un peu surplombant et ils comprennent pas forcément grand’chose. Enfin voilà, je n’ai pas forcément énormément à dire, à part que cela ne me donne pas hyper envie de voir le film !
En général, ce genre de films, j’ai du mal à les voir à leur sortie, car effectivement je pense que ce thème de la « transgression » marche sur plein de gens. Ils n’y comprennent rien, et ils trouvent ça génial. Cela doit avoir un petit côté sulfureux pour eux. C’est une stratégie marketing qui marche, je pense. Et les gens soit vont voir ces films, soit les critiques en parlent et effectivement, je pense que cela fonctionne vraiment. Parce qu’en même temps, il y a vraiment des interrogations là-dessus, il y a eu le mariage pour touTEs et compagnie et il y a eu des questionnements qui ont été soulevés, et les gens se posent des questions. Mais du coup, c’est toujours un peu énervant quand ce sont des gens qui sont loin de ces problématiques qui ont la parole. C’est toujours intéressant de voir ces films, mais j’ai du mal à les voir à leur sortie parce qu’il y a un tel battage médiatique qui est assez horripilant quand tu connais le sujet que j’ai du mal. Genre “Laurence Anyways”, j’ai gagné une place sinon je n’y serais pas allé… et du coup j’ai descendu le film à la sortie ! (rire)
Je n’ai pas vu de fictions avec des personnes trans non-binaires. Est-ce que tu en connais ?
Des films mainstream que tout le monde va avoir vu, je crois pas. Et sinon, cela va être des films diffusés en festivals LGBT. C’est intéressant aussi… je ne pense à aucun film précisément, mais il doit y en avoir. Peut-être que dans ces festivals les gens y sont un peu plus au courant et plus à même d’accueillir ce genre de films… Ce genre de personnage serait vraiment intéressant dans une série par exemple. Je suis en train de jouer à un jeu qui s’appelle Assassin’s Creed. Et je joue à celui avec les pirates, “Black Flag”. Et il y a un personnage de jeune pirate un peu ambigu. Je joue avec quelqu’un, on se passe la manette et on se demande : « mais cette personne, c’est chelou, est-ce que c’est un petit garçon pirate? est-ce que c’est un garçon trans? ». Il est présenté comme un mec, mais quand tu as un petit peu le truc, comme le gaydar ou le transdar si ça existe, ça te fait tilter. Et au bout d’un moment, il y a une péripétie du scénario qui fait que en fait… on ne sait pas trop si c’est une personne trans, ou une personne qui se travestit. Mais clairement il y a un truc avec son genre. Et ce n’est pas vraiment résolu. C’est une personne qui se présente en tant que pirate et en tant que mec pour faire ses trucs de pirate, mais il y a un moment où cette personne va revêtir des vêtements féminins pour aller draguer les gardes pour faire une diversion. Et le héros lui fait « mais en fait, tu ne t’appelle pas Jim » et elle, elle rigole et elle se casse habillée en meuf. Sauf qu’après quand on le revoit, c’est à nouveau un jeune garçon. Du coup, je n’ai pas d’exemple dans des films grands publics, alors qu’ici c’est dans un jeu vidéo grand public. Mais j’ai pas fini le jeu, peut-être qu’il va se passer des choses… peut-être qu’ils vont tomber amoureux… ce serait affreux !
James Kidd dans Assassin’s Creed
C’est intéressant, parce qu’en ce moment il y a un documentaire qui est en train d’être réalisé qui s’appelle Trans & Geek où leur but c’est d’analyser comment peuvent se vivre les identités trans dans une culture geek. Et ça pose les questions sur le cosplay, les fan fictions, les jeux vidéos, et dans certaines interviews qui sont déjà sorties où les interviewées disent grosso modo, qu’être sur Internet, derrière des écrans, cela nous permet d’aborder, de développer des thématiques qui nous concernent, à notre manière. D’ailleurs l’un des réalisateurs répondait dans une interview à la question : pourquoi faire ce film maintenant ? et qui disait qu’en ce moment, il y a avait un pic autour de la question. Entre les séries comme “Orange Is the New Black” avec Laverne Cox, le personnage de femme trans hackeuse lesbienne dans “Sense8”…
A ce propos, c’est dommage ce qu’il se passe avec Laverne Cox dans “Orange is the New Black”. J’en suis au début de la saison 3, et ce n’est pas tellement problématisé. De toute façon, cette saison est chiante, il se passe rien. Comme pour plein de choses dans cette série, il y avait des espoirs, et finalement, au niveau de ce personnage en tout cas – j’en suis à l’épisode 5 là – on la laisse dans son salon quoi. Après, il y a eu un moment où se passait un truc avec son fils, mais ce n’était pas très intéressant. Je verrai la fin de la saison, mais je suis un peu déçu.
Laverne Cox dans Orange is the New Black
Sur le même sujet, je ne sais pas si tu as entendu parler du nouveau film sur Stonewall qui sort fin septembre. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas mis les meufs trans racisées dedans. Je peux te montrer le trailer. En gros il y a un moment emblématique où des personnes envoient les premiers parpaings et cocktails molotov pour lutter contre la police. En vrai, c’était des femmes trans racisées, et dans le film c’est un mec blanc cis gay.
Et c’est un film qui vient de gros studios ?
Ouais, il me semble. Amandine Gay a fait un article sur blog intitulé La réappropriation de la narration, dernier recours des afrodescendant-e-s LGBTQIA+, en reprenant d’autres articles en anglais et des interviews de personnes qui étaient sur place à l’époque, qui disaient qu’il y avaient quand même des actrices trans racisées qui auraient pu jouer le rôle.
Oh, c’est réalisé par Roland Emmerich, c’est lui qui a fait “Godzilla” ! Il va faire un truc genre un Stonewall film catastrophe, c’est un peu son dada quand même.
Est-ce que tu as vu le film “Better than Chocolate” ?
J’aimais bien ce film, mais je l’ai pas vu depuis 8 ans, un truc comme ça. Je l’aimais vraiment bien ce film.
Pourquoi ?
Je trouvais ça fun parce qu’il ya avait pas mal de personnages qui représentaient une petite typologie LGBT enfin c’était une petite communauté assez sympa parce que dans cette librairie, il y avait pas mal de personnages différents et ça me paraissait pas forcément exhaustif, parce que forcément y a des tas de personnes différentes, mais je trouvais que pour une fois il y avait une galerie de personnages. En plus tu pouvais t’accrocher à plusieurs personnages, tu n’étais pas obligé-e de t’accrocher à l’héroïne, au niveau du processus d’identification j’avais l’impression que c’était assez libre. Je m’en rappelle plus précisément, mais j’aimais vraiment bien ce film, c’était assez rigolo, assez juste.
Aujourd’hui, si tu recommandais des films ou des séries pour le traitement du genre ou des personnages trans, tu recommanderais quoi ?
– La première saison d’”Orange is the New Black” (OITNB) quand même, il y a pas mal de trucs. Et pas que sur la question du genre, il y a pas mal de questions qui sont abordées mais qui malheureusement après ne sont pas trop traitées. En plus, c’est un peu tout rose bonbon… Ne serait-ce qu’une série comme “Oz”, cela a quand même l’air un peu plus réaliste sur les conditions de vie en prison. Parce que dans OINTB, dans la troisième saison, elles passent leur vie à se rouler des pelles, à faire des trucs fun. Quand elle dit “ah je viens de passer 4 heures à épandre du purin”, ouais mais on t’a jamais vu faire ça en fait ! T’es toujours en train de faire des bisous à ta meuf… C’est pareil le fait qu’il y a des clans dans les prisons, visuellement ça se voit, mais ce n’est jamais problématisé, il n’y a jamais de guerre des clans, tout le monde vit bien ensemble.
– Transparent : j’ai maté la saison 1 du coup et j’ai trouvé ça pas mal du tout. Pour une fois, on parle pas du coming out trans à ses parents mais l’inverse. Et puis même si c’est l’histoire d’un coming out, c’est pas un coming out pour le public (à part peut-être sur la structure du premier épisode). Le point de vue est vachement intéressant parce que finalement les bêtes curieuses dans la série c’est plutôt ces enfants un peu zarb et compliquéEs. Et aussi il y a pas mal d’autres thèmes qui sont abordés de façon transversale, liés plus ou moins à la transidentité du personnage. Bref, j’ai trouvé que ça fonctionnait bien, sans prendre les gens pour des conNEs et que l’héroïne est attachante.
– Transamerica : bon, il faudra peut-être dire quelque chose sur les titres à un moment haha! Avec tous ces jeux de mots (dont certains sont des recyclages, genre Transparent), on se croirait à un concours pour trouver le nom d’une nouvelle compagnie de transport routier!
Alors, celui-ci je l’ai trouvé intéressant un peu pour les mêmes raisons que Transparent (perso principale avec laquelle on est en empathie, la question du coming out est à la fois centrale et décalée, d’autres thématiques sont abordées, on est pas pris pour des abrutiEs…). Le truc le plus important étant évidemment que l’héroïne est jouée par une meuf (cis) ce qui est rare (inexistant?) dans les films de cette envergure. Il y a juste un truc qui m’a gêné: quand un acteur ou une actrice cis joue le rôle d’une personne trans (enfin, plutôt d’une meuf trans, c’est moins vrai dans l’autre sens), il y a toujours quelque chose qui est « contrefait »: l’acteur/actrice joue une personne qui jouerait un genre. Alors, oui, le genre, la performance blablabla. Mais là c’est surjoué et en particulier, au niveau de la voix dans ce film: on a l’envers du côté voix de fausset du mec cis qui joue une meuf trans car Felicity Huffman force sa voix dans les graves. J’ai l’impression que malgré les qualités de ce film, il reste quelque chose d’une idée que les cis se font des trans, comme un reste, quelque chose qui, soit trahit, soit laisse une trace d’un avant, bref, l’idée qu’une femme trans n’est pas et ne sera jamais une femme normale.
– La vie en rose : je sais pas si je conseillerais ce film d’un point de vue cinématographique parce que c’est quand même hyper daté et pas folichon folichon en termes de direction d’acteurices, de mise en scène etc. A part les moments d’évasion méga kitsch c’est pas ouf. Mais par contre, je trouve le film intéressant (surtout pour l’époque) sur la question des enfants trans. C’est un peu poussif et maladroit mais contrairement à Tomboy j’ai l’impression que la résolution du film ne va pas contre son personnage. Il y a aussi quelque chose d’intéressant, c’est que la transidentité du personnage n’est jamais mentionnée en tant que telle, on est plus sur le vécu (par exemple, l’importance d’avoir les cheveux longs, de mettre une robe…). C’est assez chouette peut-être pour des personnes qui n’y connaissent pas grand chose de démarrer par un film comme ça, je sais pas…
– Beautiful boxer : j’ai pas mal aimé celui-ci, ça parle aussi de sport. J’ai vraiment bien aimé l’ambiance, l’histoire, le perso… C’est d’après une histoire vraie et ça aborde quelque chose qui m’intéresse pas mal en ce moment: le côté genré du sport. En l’occurrence, l’héroïne fait face au dilemme « classique » pour pas mal de sportifVEs de haut niveau qui transitionnent: compétition vs transition.
Beautiful Boxer
– Satree lek, the iron ladies : un autre film thaï que j’ai pas revu récemment mais que j’ai vu plusieurs fois et qui dans mon souvenir est une comédie assez réussie autour encore une fois du sport et des genres. Pour une fois qu’on ne rit pas des travs et des trans, mais avec, ça me semble assez intéressant de le souligner. Ces deux films sont aussi intéressant parce que ces questions de « troisième genre » sont perçues différemment en Thaïlande. Je suis pas du tout spécialiste mais il y a une forme d’acceptation de ces identités qui est différente dans la culture thaï et qui est je trouve intéressante. L’absence des identités ft* de ces représentations est aussi intéressante en soi…
– Be like others : j’ai trouvé ce film assez fou car en Iran la question des transidentités est vraiment paradoxale. Il y a quand même des moments assez dingue dans le film où des personnes te disent clairement qu’elles ont été forcées de se faire opérer, voire de transitionner. J’ai aussi vu Facing mirrors pas longtemps avant et voir les deux en regard ça permet quand même de voir les différentes oppressions spécifiques que subissent les filles et les garçons trans car au final, ça a beau être très différent du contexte que je connais, le contexte français, il y a quand même pas mal de choses qui se recoupent.
Après il y a des films plus confidentiels que j’avais vus il y a longtemps mais qui sont bien dans mon souvenir mais que je n’ai pas revus, genre Southern Comfort, Diagnosing difference… Et puis le classique français L’Ordre des mots que j’ai vu assez récemment et que j’ai trouvé à la fois assez daté et en même temps hyper puissant (faut dire que les personnes qui s’expriment dans le film le sont). C’est bien parce que c’est un film très politique finalement, il n’y en a pas tant que ça des films ouvertement politiques sur le sujet qui soient réussis je trouve.
Sinon il faut voir Laverne Cox, des interviews de Laverne Cox. J’attends son documentaire “Free Ce Ce” qu’elle produit. Pour moi, la dernière “sensation trans”, c’est elle, parce qu’elle a vraiment la classe, elle est vraiment sur le devant de la scène et elle dit des choses vraiment intelligentes sans lâcher des trucs. Tu sais, on dit souvent que quand on a des revendications politiques fortes, il faut éviter la radicalisation, il faut faire des compromis, etc. J’ai l’impression qu’elle, elle n’en fait pas et ça passe quand même, ça passe très bien parce qu’elle a une personnalité charismatique. Comme quoi c’est possible.
C’est pas une actrice d’Hollywood mais de série. Elle est out, son personnage est trans. Il y a plein de facteurs qui font que c’est possible pour elle de le dire et de le dire comme ça. Après, encore une fois, elle a une personnalité forte, du courage mais j’ai l’impression aussi qu’il y a des contextes dans lesquels c’est moins “facile”. Après quand on voit Ellen Page faire son coming out d’une manière assez classe, on se dit qu’il y a quand même des choses qui avancent du côté d’Hollywood.
Sinon, il faudrait que je réfléchisse… parce que là on est encore sur une meuf trans. Le dernier mec trans que j’ai trouvé qui était médiatisé, c’était Aydan Dowling pour Men’s Health. C’est un mec qui concourt pour être parmi les dix mecs de l’année, son histoire a fait le tour des réseaux sociaux. Alors c’est un mec blanc ultra gaulé, super bodybuildé avec plein de tattoos, mais en même temps je pense qu’il y a plein de gens qui ont pris conscience de l’existence des garçons trans avec sa candidature. Après pour le coup, je ne suis pas sûr que lui ait autre chose à dire que “je suis trans, et les garçons trans existent.” C’est mieux que rien bien sûr mais je n’ai pas le sentiment qu’il pousse son discours beaucoup plus loin que ça.
Après il y a eu Caitlynn Jenner, que je n’ai pas du tout suivi parce que je crois que ça ne m’intéresse pas tant que ça. J’ai vu passer les articles, j’ai vu de quoi ça parlait, que plein de gens critiquaient, apparemment elle a sorti un truc un peu abusé dans une série ou une émission de télé-réalité etc. C’est quand même un évènement. D’ailleurs, Laverne Cox critique pas mal la façon dont Caitlynn Jenner se met en scène et parle.
Après je ne regarde pas tant de séries, mais je pense qu’il y a des choses intéressantes.
On a oublié de parler “du” film français : “Chouchou” !
Je l’ai vu il y a longtemps, je pense qu’il y a des trucs intéressants dans ce film, mais il faudrait que je le revoie.
Il faut passer la surcouche, le vernis de clichés sur la “folle”. Parce qu’il y avait quand même un côté attachant dans le personnage.
Oui, et puis ils finissent ensemble à la fin, c’est quand même un “happy end” avec une personne trans. Enfin on ne sait pas trop dans le film si c’est une personne trans ou un travesti, mais j’avais l’impression que c’était un peu entre les deux.
Après, dans les films ou dans la réception, on parle très peu de trans, on entend surtout parler de travesti-e-s. Alors est-ce que parce qu’il y a 10-15 ans, ce mot était moins connu du grand public ?
En fait, en France, les gens ne parlent pas de “trans”, ils parlent de “transexuel-les” et le mot “transgenre” commence à arriver doucement. Mais le mot “transexuel-le” n’est plus tellement employé dans les communauté trans.
Je n’ai pas l’impression que les films assez récents, à part les gros films comme “Laurence Anyways” qui sont pour moi problématiques (pas dans le bon sens du terme) traitent du sujet. Mais j’ai la sensation qu’il y a des choses intéressantes parmi des vieux films, années 80, qui ne traitent pas forcément du sujet mais qui contiennent des personnages intéressants.
Par contre en films français, je ne vois pas.
Je me rappelle d’un court-métrage qui est passé sur arte, je ne me rappelle plus des détails mais j’ai le souvenir que c’était traité de manière intéressante.
J’ai des potes qui ont fait un film il n’y a pas très longtemps parce que c’était un partenariat La Fémis-Arte. Il est passé il y a deux ans, c’est une bande de potes dans un bar, et tu comprends petit à petit que l’un d’eux est trans et ils lui font des blagues un peu transphobes, cela le fait plus ou moins rire mais au bout d’un moment il dit quand même stop. Et en même temps il drague une serveuse.
Cela s’appelle “Fais pas genre” et c’est avec Tom Nanty, l’acteur qui joue dans mon film de prévention. Au début la meuf qui a réalisé voulait faire le film avec une femme trans, et c’est une pote avec qui je monte des films qui lui a dit : “mais fais avec un mec trans, ça nous changera un peu !”. Du coup, je lui ai filé le contact de Tom et elle a fait ce court-métrage. Ce qui est assez marrant, c’est que j’avais peur qu’on ne comprenne pas qu’il s’agit d’une personne trans dans le film si tu n’as pas clés mais en fait ça passe bien. Ce qui est bien, c’est qu’à la fois c’est un sujet et en même temps c’est une évidence, le personnage est trans et alors? J’aime bien quand cela ne pose pas de problème. Ok il y a des problèmes dans ta vie qui ne sont pas forcément liés au fait d’être trans, ou peut-être, mais ta transidentité n’est pas mise en question. Parce qu’il y a aussi ça avec plein de films LGBT en général – c’est un peu le cas maintenant avec les trans, mais c’est le cas depuis un certain nombre d’années avec les autres films dans les festivals LGBT – où être gay, lesbienne et maintenant trans, c’est le sujet principal du film. Du coup c’est généralement assez chiant, mal traité, et c’est rare que ce soit un enjeu qui tienne pendant tout un film. Du coup on se fait chier. Et maintenant il y a plein de films comme ça dans les festivals trans où c’est ça le sujet : “putain mon dieu je suis trans”, et souvent c’est traité du point de vue du personnage trans. Et tu es là et tu te dis “ouais ok, mais est-ce que tu peux me donner un peu plus à manger? parce que là c’est pas très intéressant.” Et il y a plein de films comme ça, où un mec trans qui va filmer son quotidien – en plus à l’arrache, c’est mal foutu – c’est genre “je suis trans”. Ok. Ca n’a aucun intérêt. C’est un peu la question de la représentation, mais dans un autre sens. Cette fois-ci c’est du point de vue des personnes trans, mais on a l’impression que c’est tout ce que les personnes ont à dire. Oui la transidentité c’est un sujet intéressant, mais en général cela permet aussi de creuser autre chose. Et c’est un peu chiant en ce moment, avec ces films dans les festivals – je ne parle pas des films mainstream mais plutôt des petits films indépendants – on en est à cette étape-là. Alors que je trouve que sur les sujets gays et lesbiens, on a avec beaucoup de films – même s’il reste beaucoup de films qui traitent juste de ces sujets-là – des caps qui sont passés. Il y a d’autres sujet qui arrivent à émerger autour de cette question-là.
Le film “La Belle Saison”, c’est marrant parce que c’est un peu un film comme ça : c’est “oh mon dieu, on est gouines”. Heureusement il y a un contexte des années 70 qui est un peu fun, il y a des trucs féministes qui sont abordés vite fait, mais le sujet central reste le même. Ceci dit je l’ai trouvé intéressant ce film.
Est-ce que tu as vu “Boys Don’t Cry” ? Tu trouves qu’il se situe comment par rapport à ce que tu viens de dire ?
C’est un vieux film, et justement je trouve que cela fait partie des films à voir. Je l’ai vu quand il est sorti, je n’étais pas conscient de ma transidentité et ça m’a fait un truc de ouf. Et évidemment, c’est atroce. Du coup, il faut aussi parler de la réception de ce film qui a été problématique. La plupart des gens ont dit que c’était une gouine alors qu’on parle d’un garçon trans.
Boys don’t cry
Alors que c’est quand même assez évident dans le film.
Oui, tout à fait. Moi j’ai bien aimé ce film parce que c’est un film fondateur et un peu vieux, et je pense que si on le voyait maintenant il serait un peu daté mais il est nécessaire. En terme de discours, dans les milieux militants, on essaye de pas trop se victimiser et là pour le coup, tu en prends plein la gueule. Mais en même temps, je trouve quand même que c’est le genre de trucs qu’il faut dire.
Du coup cela me fait penser à d’autres films : j’avais bien aimé “Wild Side” de Lifshitz. C’est un film français. Je ne sais pas comment il a été reçu. Il y a Stéphanie Michelini, une actrice trans qui joue une meuf trans, c’est la seule meuf trans du cinéma français pour ainsi dire, et qui n’a d’ailleurs pas beaucoup tourné.
Il y a peu d’acteurices trans en France. On m’a contacté pas mal ces derniers temps pour trouver des acteurs ou actrices trans, et pour poser des questions sur des sujets trans. C’est un peu bizarre quand même. J’ai vu plusieurs personnes qui préparent des assez gros films et qui me demandent comment trouver des gens…
T’es un peu l’expert technique, quoi…
Ouais (rire), et ça me fait un peur ! Donc ce film, “Wild Side”, c’est encore un film d’un pédé, mais pour le coup c’est intéressant. C’est un film de Lifshitz, j’avais vraiment bien aimé. Il avait fait un film, “Presque rien”, sur des pédés, un espèce d’amour de vacances qui finit en grosse dépression. “Wild Side” c’est une espèce d’histoire d’amour à trois avec une meuf trans dedans, et dans mon souvenir – il faudrait que je le revoie parce que je l’ai vu il y a quelques années -, la transidentité du personnage n’est pas du tout un problème même si ça peut être parfois un sujet. Et je trouve que c’est traité de manière intelligente. Il y a ensuite la question de comment représenter un corps trans. Lui il prend un parti pris, je crois que c’est le premier plan du film : il y a une espèce de pano sur les jambes, puis sur sa bite parce que c’est une femme non-opérée, et sa tête. Elle prend un bain je crois. Il me semble que c’est le premier plan du film, et c’est le genre de truc qui peut être super casse-gueule, parce que forcément il y a le côté “femme à bite” et c’est fait par un mec cis. Et c’est toujours problématique de dire “trans = femme à bite” dans le contexte actuel, parce que oui il y a des femmes trans qui ne sont pas opérées, soit parce qu’elles ne veulent pas, soit parce qu’elles ne le peuvent pas, soit parce qu’elles ne l’ont pas encore fait. Mais en même temps comme ça tu sais que c’est une personne trans, et du coup tu peux parler du personnage et d’autre chose que de sa transidentité, ce qui je trouve est intéressant. Cela fait partie des questions que je me pose dans mon travail. Là typiquement, j’ai écrit un scénario de science-fiction avec un personnage de garçon trans. Et à un moment, je lui fait prendre une douche et c’est très tôt dans le film comme ça on en parle plus…
Wild Side
Ça pose la question est-ce que je montre, est-ce que je ne montre pas les corps trans…
En plus montrer, cela ne veut pas dire grand’chose. Parce que si une personne n’est pas opérée comme c’est le cas dans le film – elle est hormonée mais pas opérée – du coup c’est hyper évident. Là on parle d’une femme trans : pour tout le monde, même s’ils ne vont pas mettre les bons mots, on sait de quoi on parle. Après on peut aussi parler d’une femme trans et d’un homme trans qui sont opéréEs de « partout » et qui sont hormoné-e-s. Du coup, et bien il faut dire les choses à un moment donné. La question du corps est très importante pour moi. A la fois il y a des clichés qui circulent du type “qu’est-ce que tu as entre les jambes?” et c’est problématique parce que cela ne se résume pas à ça, et en même temps il y a aussi le fait que tout le monde n’a pas le même corps. C’est la question de la représentation du corps en général, et tu vois dans la saison 3 d’Orange is the New Black qu’il y a des trucs assez cool là-dessus. Dans l’épisode 3 je crois, il y a des punaises de lit et du coup elles se baladent en soutifs/culottes pendant tout un épisode. Et on voit qu’elles n’ont pas du tout le même corps : tu vois des grosses butchs, des meufs minces, etc. Et c’est assez kiffant. Pareil pour “La Belle Saison” que j’ai trouvé assez cool pour ça : tu vois des meufs, avec des poils, tu vois leur chatte, etc. Et Izïa Higelin, elle n’est pas mince comme un mannequin, donc c’est cool.
Un très grand merci à bruce pour sa disponibilité et nous avoir consacré autant de temps pour cette interview !
Interview : Arroway
Questions : Arroway & Hushpuppy
Transcription : Arroway & Sigob
Relecture : bruce & Juliette
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C’était plutôt intéressant, en particulier les passages sur Xavier Dolan et Laverne Cox. Il y a une chose sur laquelle je voulais revenir, qui me semble être une forme de sur-intellectualisation (?).
Cela est à propos des discussions sur Tomboy et plus tard sur le jeu Black Flag. Beaucoup d’ami-e-s ont comme ici analysé les personnages dans une problématisation trans, alors que justement, je pense qu’il s’agit pas du tout de cela. Dans les deux cas, la protagoniste de Tomboy et dans Black Flag, on a une fille/femme qui se rend compte que les activités qui l’attirent, celles qui génèrent de la renommée sociale, sont réservées et accaparées par les garçons/hommes et donc, pour pouvoir y participer, elles se griment et se travestissent. C’est plus un travestissement »utilitaire » qu’une fin en soi. Dans les cas de travestissements »historiques » (durant l’époque moderne), je trouve qu’on cherche trop souvent à les analyser à la lumière des transidentités entendues dans un sens contemporain (et donc souvent anachronique), alors que dans l’écrasante majorité des cas de femmes se travestissant en hommes, ce ne sont pas des trans, mais bien plus simplement des femmes qui se travestissent pour pouvoir accéder librement aux activités masculines. C’est d’ailleurs amusant de lire ensuite une légitime diatribe sur le mélange entre travestissement et transidentités alors que selon moi, c’est exactement ce qui est présent dans les passages sur Tomboy et Black Flag. Pour ce dernier, c’est sans doute aussi marqué par le manque de reconnaissances des références. Le personnage de Mary (Read) est une femme historique plutôt connue, dont les exercices de travestissement sont fameux. Ce qui est aussi éclairant c’est que l’identité assumée est totalement extravagante (Mary se fait passer pour le fils d’un des plus grands pirates de l’époque, c’est vraiment hyper-gros – pas toujours besoin du gay/transdar quand on a le historidar j’imagine), jamais ça ne pourrait abuser les autres personnages, ni les personnes connaissant un peu le cadre historique.
Dans cette vision là, la fin de Tomboy ne me semble pas être une rupture avec le reste. Contrairement à ce qui est dit, je pense au contraire qu’on peut tout à fait voir le film (c’est ainsi que moi et certaines de mes amies l’ont vu), comme eh bien justement une histoire de gouine, ou de personne qui se questionne sur son orientation sexuelle, qui se travestit de manière utilitariste et pas du tout de trans.
Bonjour,
Dans les deux cas, la protagoniste de Tomboy et dans Black Flag, on a une fille/femme qui se rend compte que les activités qui l’attirent, celles qui génèrent de la renommée sociale, sont réservées et accaparées par les garçons/hommes et donc, pour pouvoir y participer, elles se griment et se travestissent.
Pas exactement, dans Tomboy, si je me souviens correctement : le personnage principal est d’abord pris pour un garçon en rencontrant pour la première fois l’une des filles voisines. Pourquoi n’a-t-ille pas, à ce moment, corrigé s’il y avait lieu d’être ? La suite du film est l’enchaînement logique de ce moment, mais on ne sait jamais pourquoi ille souhaite être un garçon. Si le film avait commencé par une scène où le personnage se fait dire “non, t’es une fille, tu ne peux pas jouer au foot”, le discours aurait pu être différent (et encore, cela n’exclut pas une lecture trans, mais il faut voir dans les détails, à ce moment-là).
“Dans les cas de travestissements »historiques » (durant l’époque moderne), je trouve qu’on cherche trop souvent à les analyser à la lumière des transidentités entendues dans un sens contemporain (et donc souvent anachronique), alors que dans l’écrasante majorité des cas de femmes se travestissant en hommes, ce ne sont pas des trans, mais bien plus simplement des femmes qui se travestissent pour pouvoir accéder librement aux activités masculines.”
En fait, j’aimerais vous retourner la question : comment savez-vous qu’il ne s’agit que d’une fonction “utilitariste” du travestissement dans chacun de ces cas, justement ? Accéder aux activités masculines, certes, mais qui dit que ces personnes ne se considéraient pas comme des hommes, ou un autre genre que celui de femme en tout cas ? Finalement, que savons-nous de la relation au genre de ces personnes ? Il y a un excellent bouquin par Halberstam, intitulé “Female Masculinity” qui étudie justement les connexions entre genre, sexualité (lesbienne en l’occurence) et transidentité, et qui analyse quelques textes de lesbiennes butchs qui se présentaient socialement comme des hommes (pour se marier avec une femme, accéder à certaines fonctions, etc) et d’hommes trans. Les différences ne se font pas tant au niveau de l’activité de ces personnes, mais de comment elles se sentaient et se décrivaient. Il y a, à mon avis, une invisibilisation des personnes trans sous prétexte que la notion est anachronique alors que c’est plutôt une question de vocabulaire employé qui est différent, et de témoignages qui ne nous sont parvenus que rarement.
Tomboy, j’avoue cela fait un bail que je l’ai vu, mes souvenirs sont plus en rapport à une ambiance, un sentiment général plutôt qu’une vision précise des scènes.
Pour le cas de Mary Read, les biographies de l’époque (dont celle de Woodes Rogers, un autre personnage du jeu d’ailleurs) suggère que c’est d’abord sa mère qui l’enregistra et l’habilla comme garçon pour pouvoir la mettre au travail et qu’elle a continué ainsi sa carrière. Mary Read utilisa, en parallèle du travestissement pour circuler dans la société misogyne maritime, la grossesse pour se sortir de ses problèmes judiciaires. Ce qui émaille sa vie c’est bien que son utilisation des représentations et fonctions sociales genrées semble utilitaire, plus qu’un reflet de son expression identitaire.
Pour faire de la tautologie, on voit ce que l’on désire voir, il faut garder à l’esprit que les gens de l’époque moderne sont (très) différents de nous. Je trouve ça juste croquant, comme je l’ai dit dans mon premier commentaire, qu’on suggère la possible transidentité d’une personne qui n’est que présentée comme travestie, alors qu’en parallèle on se plaint justement de la simple représentation en travesti-e-s des personnes présentées comme trans. De ce que je connais de la société du XVII-XVIIIe siècle, il est bien plus prudent de parler de travestie que de personne trans, mais je suis d’accord qu’il est malaisé d’être définitif à ce sujet (comme toujours en histoire de toute manière). Dans tous les cas de soldates/marines qui se sont travesties pour guerroyer et voyager que je connais, elles ont fini par renoncer à leur présentation masculine après leurs campagnes et exploits (si tant est qu’elles n’aient été tuées) pour finir leurs vies connues en tant que femmes. J’analyse cela comme une vision utilitaire de la présentation genrée et je perçois dans cette volonté de voir des personnes trans avant la fin XVIIIe et XIXe siècles, une tentative de mettre sur une pratique pas si rare que ça (le travestissement militaire), une politisation transidentitaire qui me paraît anachronique pour les mentalités de l’époque. On pourrait toujours, comme vous le faites à raison, se relancer la question à l’envie, tout ce qu’on donne c’est une interprétation. J’ai juste je crois, du mal à voir analyser avec la sémantique identitaire actuelle, la position de personnes d’avant la période contemporaine, dont on a en fait du mal à comprendre l’état d’esprit.
Dans tous les cas de soldates/marines qui se sont travesties pour guerroyer et voyager que je connais, elles ont fini par renoncer à leur présentation masculine après leurs campagnes et exploits (si tant est qu’elles n’aient été tuées) pour finir leurs vies connues en tant que femmes.
Ah oui, vraiment ? Et vous en êtes sûr-e parce que… ? ^^
Parce que l’on a des biographies contemporaines d’elles ? Pour Mary Read, on a trois biographies datant de la première moitié du XVIIIe siècle, dont de deux personnes l’ayant connue. De nombreuses femmes anglaises et espagnoles ayant participé à des expéditions militaires et/ou coloniales ont eu leurs vies racontées comme biographies de curiosités.
Maintenant vous remarquerez que j’ai dit « que je connais », cela n’a aucune vocation à l’exhaustivité et aucune prétention autre qu’interprétative.
Après si vous avez des sources historiques décrivant directement ou par des tiers, des personnes trans et pas seulement travesties aux XVI et XVIIe siècles, je serais ravi de les lire (sans aucune ironie).
Oui, ce que je voulais dire, c’est que ce n’est pas parce qu’on ne connait que les personnes travesties qui sont revenues à leur présentation genrée « initiale » qu’il n’y en a pas eu qui sont restées des hommes parce quils étaient trans. Y a des textes, mais je n’ai pas les références ici. Il y a eu aussi des cas assez connus avec des intersexes (qu’on appelait pas comme ça avant, et ce n’est pas pour autant qu’iels n’existaient pas, d’ailleurs).
Cette suppression des trans comme s’iels étaient une invention du XXe siècle est assez violente en fait. Comme si les ressentis des trans n’étaient que des produits d’un contexte de société ou je ne sais quoi.