Harry, un ami qui vous veut du bien : SOS Vrai Mec, conseils d’amis pour retrouver sa virilité
24 mars 2014 | Posté par Sigob sous Cinéma, Tous les articles |
Sorti sur les grands écrans en 2000, Harry, un ami qui vous veut du bien est un thriller psychologique réalisé par Dominik Moll.
Le film narre l’intrusion envahissante d’Harold Balestoro (Harry), un jeune rentier hédoniste, dans la vie de Michel, ancien camarade de lycée rencontré par hasard sur une aire d’autoroute. Michel, sa compagne Claire et leurs trois petites filles sont alors en route vers leur maison de vacances, et devant l’enthousiasme de Harry, ils acceptent de l’accueillir pour la soirée.
Dès les premières scènes du film, l’obsession d’Harry à vouloir le bien de Michel se manifeste par des cadeaux, éloges et propositions disproportionnés, créant ainsi un malaise palpable. Mais Harry ne souhaite pas uniquement l’aisance matérielle de son ami, il veut son bonheur : pour ce faire, Harry s’immisce peu à peu dans la vie de Michel, remettant par la même profondément en question les valeurs de Michel ainsi que ses relations avec ses proches.
Harry, en train d’observer secrètement les progrès de Michel
Ce sont les points de vue et psychologies de Michel et de Harry qui sont développés tour à tour par le film. L’on assiste ainsi aux résistances et tentations de Michel face à un nouveau venu qui prétend tout connaître de ses aspirations profondes, et en parallèle aux déceptions et petites victoires d’un Harry manipulateur. Harry est ainsi présenté comme un individu désintéressé poursuivant sans relâche l’objectif d’aider Michel à reprendre sa vie en main, à s’imposer face à sa famille et à réaliser ses désirs.
Puissance, individualisme et hédonisme : ces trois valeurs résument le modèle de vie prôné par Harry, et son souhait le plus cher est de voir Michel les reprendre à son compte. Au lieu de tenter de concilier tant bien que mal ses aspirations avec celles de sa famille, quitte à faire quelques concessions, Michel doit selon Harry effectuer des choix tranchés et assumer des positions égoïstes. Ce n’est qu’une fois ce changement effectué que Michel pourra enfin pleinement s’épanouir, et devenir un créateur de génie (aux yeux de Harry, Michel, qui a écrit quelques temps dans le journal du lycée, est un génie qui s’ignore).
Les injonctions à l’individualisme portées par le personnage de Harry découlent directement de l’adhésion à des valeurs machistes. Sans prétendre épuiser par cette interprétation toutes les lectures possibles du film, c’est ce que je souhaite analyser à travers cet article.
Les trois ingrédients de l’accomplissement personnel, à savoir la puissance, l’individualisme et l’hédonisme sont en effet étroitement imbriqués et conditionnés par une situation de domination masculine. Le personnage de Harry laisse entendre que pour s’épanouir, l’homme doit laisser libre cours à sa puissance naturelle. L’indépendance de l’homme signifie avant tout soumission des femmes, et par là même soustraction de l’homme à l’influence castratrice des femmes de tête. Ainsi dominées, réduites à l’état d’objet sexuel, les femmes ne représentent plus un danger pour l’épanouissement masculin, et redeviennent des objets de plaisir.
Autrement dit, l’individualisme de Harry ne peut s’adresser qu’à des hommes. Il ne se réduit pas à l’autonomie des individus par rapport aux contraintes collectives (ici la famille), et par la consécration de l’égoïsme. Plus profondément, le modèle de vie prôné par Harry est un modèle de virilité triomphante. Le cœur de l’intrigue psychologique du film consiste ainsi en la mise à l’épreuve de Michel, personnage à la virilité déficiente, à l’aune de ce modèle viriliste.
Michel va t-il parvenir à devenir un vrai mec ?
Posons tout d’abord les personnages.
Harry : luxe, puissance et virilité
La devise de Harry, c’est que « tout problème a sa solution ». Dégagé de toute contraintes matérielles (il gère la fortune de son père), il ne se pose pas non plus de barrières symboliques ni morales. « On ne peut s’épanouir que dans la disproportion, il faut exagérer », explique-t-il à Michel.
Une assistance matérielle démesurée constitue ainsi le premier moyen pour Harry d’apporter de l’aide à Michel, comme le montre la scène du don forcé du 4*4. La vieille voiture de Claire et Michel étant tombée en panne, Harry offre spontanément à Michel un 4*4 flambant neuf, tout en feignant de ne pas comprendre les règles sociales du don qui imposent d’adapter la valeur du don aux capacités du receveur. Claire et Michel tenteront par diverses stratégies de refuser ce cadeau démesuré, pour finalement l’accepter implicitement.
Le 4*4 n’est pas ici uniquement un symbole de luxe et de richesse. Il s’agit également d’un symbole de puissance, de violence, et surtout de virilité.
Le couple de Harry et de Prune est caricatural dans la représentations des rôles masculins et féminins : Harry prend l’ensemble des décisions, a beaucoup d’assurance dans ses nombreuses prises de paroles, et traite Prune comme une enfant (il l’appelle d’ailleurs « bébé »). Prune est une femme hypersexualisée et totalement soumise à Harry. Entretenue par Harry, elle ne semble avoir aucune autre ambition que de le suivre dans ses voyages, de le materner tendrement lorsqu’il est frustré, et de le satisfaire sexuellement.
La virilité de Harry s’exprime concrètement par sa vigueur sexuelle, qu’il expose à Michel tout au long du film. Chaque nuit est ainsi rythmée par la dégustation par Harry d’un œuf cru, censé stimuler la virilité après l’orgasme.
L’homme
La Femme…
Michel : le nouveau père frustré
A l’opposé d’un Harry « libre comme l’air », Michel est investi dans des relations familiales qui le frustrent, voire l’aliènent, et qui sont particulièrement développées au début du film.
Michel est tout d’abord en couple avec Claire. Contrairement au couple Harry/Prune, clairement dominé par Harry, le couple de Claire et Michel est plutôt égalitaire, que ce soit en termes de répartition des tâches, de prise des décisions collectives et de répartition de la parole.
Le couple traverse cependant une période de crise : Claire explique que malgré les vacances, ils sont constamment débordés, entre l’éducation des trois enfants et la maison à retaper. Claire apparaît comme une femme intelligente, dynamique et au caractère affirmé. Elle n’hésite pas à manifester son mécontentement par rapport aux choix de Michel (« Tes parents, tu iras les voir sans moi et sans les petites ! ») et par rapport à la surcharge de tâches ménagères (« J’ai eu ma dose ! »). Michel est à plusieurs reprises présenté comme la victime placide des sautes d’humeurs de Claire : « Ne m’engueule pas, j’y suis pour rien », maugrée-t-il alors que Claire râle après la voiture en panne, la double otite de la petite dernière et les courses à faire.
Claire et Michel : le couple en crise
Michel est également le père de trois petites filles. C’est un « nouveau père », investi dans l’éducation de ses filles, y compris pour les tâches les plus ingrates : on le voit changer les couches de la petite dernière et se lever en pleine nuit pour lui refaire son biberon. Entre les caprices des deux aînés et les pleurnichements de la petite dernière, Michel essaie tant bien que mal de contenir sa frustration, mais on le verra à plusieurs reprises laisser libre court à son énervement.
Enfin, Michel est infantilisé par des parents collants à qui il a du mal à signifier qu’il est temps de couper le cordon. La salle de bain de la maison de Claire et Michel, refaite à neuf en leur absence par les parents de Michel « pour leur faire une surprise » est à la fois un symbole de cette infantilisation parentale et de dévirilisation : la salle de bain a entièrement été refaite en rose bonbon.
La salle de bain refaite à neuf par les parents de Michel pour lui faire une surprise
Le père de Michel, dentiste retraité, ne peut s’empêcher d’asséner à Michel conseil sur conseil. Il fait savoir sa désapprobation par rapport au 4*4 de son fils, qui est à ses yeux un véhicule de beaufs frimeurs. Comble de l’infantilisation, il insiste à chaque venue de Michel pour lui administrer des soins dentaires.
Quant à la mère de Michel, on ne prendra connaissance ni de son métier, ni de ses opinions politiques, mais simplement du fait qu’elle est « une vrai peau de vache ». La représentation du couple des parents de Michel est ainsi particulièrement misogyne : la mère de Michel est présentée comme une femme aigrie et jalouse qui casse sans cesse son mari en public et cherche à tout prix à modérer ses ardeurs. Elle l’empêche ainsi de conduire, émet des sarcasmes par rapport à son humour, et l’empêche de draguer Prune et Claire. Encore un pauvre mâle brimé et étouffé dans son accomplissement physique, son intellect et ses conquêtes amoureuses par une femme acariâtre !
Un pauvre mâle émasculé par sa femme aigrie : fais gaffe Michel, voilà à quoi tu ressemblera dans trente ans si tu ne reprend pas ton couple en main !
La reconquête de la virilité
Confronté aux frustrations de Michel, lesquelles sont largement exposées au cours du premier tiers du film, Harry tente à tout prix d’apporter son aide, y compris contre le gré de Michel. D’abord purement matérielle, ensuite psychologique, l’aide de Harry va à partir du milieu du film se radicaliser : Harry entreprend de supprimer tous les êtres qui feraient obstacles à l’épanouissement de Michel. Ces différentes formes d’aides illustrent les étapes successives d’interprétation par Harry des problèmes de Michel. Elles incarnent également des injonctions à l’affirmation de la virilité de Michel de plus en plus explicites et radicales.
Au début du film, Harry pense que les problèmes de Michel sont avant tout matériels. Lorsqu’il rencontre Michel, celui-ci est en effet éreinté par les hurlements de ses trois filles, assommées par la chaleur sévissant dans la petite voiture familiale. Harry proposera alors à Michel de transporter les petites dans sa voiture climatisée, puis offrira à Michel un 4*4, argumentant de la sorte : « Moi, je crois qu’à chaque problème, il y a une solution. Une voiture spacieuse, avec de la place, c’est une première solution ». Cette première solution vers « une ambiance plus détendue » est également un objet symbolique à plusieurs titres : le 4*4 est un symbole de la frime et du pouvoir associés à l’argent (comme l’indiqueront à plusieurs reprises Claire, Michel ainsi que le père de Michel), mais aussi un symbole de virilité.
Quizz : Ces deux solutions proposées par Harry et par Prune ont pour objectif de restaurer la tranquillité familiale en faisant cesser les pleurs des petites. Cependant, seule l’une d’entre elle va aider Michel à devenir un vrai mec. Sauras-tu deviner laquelle ?
Harry : « Une voiture spacieuse, c’est le premier pas vers une ambiance détendue »
Prune : « Vous voulez des bonbons les filles ? »
Par la suite, Harry considère que le principal obstacle à l’épanouissement de Michel est son manque de confiance en lui et sa nature conciliante. Harry se mue alors en mentor psychologique afin d’aider Michel à retrouver son élan créateur comme sa vigueur sexuelle, lesquels ont été délaissés par un Michel obnubilé par la gestion de la vie de famille.
Le premier repas partagé avec Harry se mue ainsi en véritable leçon de virilité à l’intention de Michel. Harry y étale ainsi son appétit sexuel et ses ébats avec Prune (celle-ci l’appelle d’ailleurs du diminutif « Dick », ce qui signifie « bite » en anglais). Il rappelle à Michel ses aventures adolescentes, en insistant sur le fait que ce dernier avait auparavant une vie sexuelle particulièrement trépidante : il ne tient qu’à Michel de retrouver sa virilité refoulée….
Le repas est aussi l’occasion d’un petit moment de convivialité masculine autour d’une blague misogyne concernant un ami ayant prénommé sa chienne d’après le nom de son ex copine : « Au moins, celle-là, quand on lui dit « couché ! », elle se couche ! ».
Harry reprend espoir : Michel le mâle refoulé arrive quand même à rigoler de blagounettes misogynes entre mecs!
Au cours de ce premier repas, Harry déconcerte Michel et Claire en leur récitant par cœur le poème rédigé par Michel quinze ans plus tôt pour le journal du lycée. Celui-ci n’a guère écrit qu’un poème et un début de roman n’ayant jusque là jamais été particulièrement remarqués par leur talent, mais Harry est là pour faire prendre conscience à Michel de son génie créateur. Il n’aura de cesse de faire les éloges du style de Michel, et de l’encourager à reprendre l’écriture. Pour Harry, Michel doit s’affirmer en tant qu’écrivain, et c’est la reprise de l’écriture qui lui permettra de retrouver sa virilité.
Le film nous amène à considérer les créations de Michel de façon ambivalente. D’un côté, il nous invite à tourner en dérision le poème de Michel, Le Grand Poignard en Peau de Nuit, qui est à peu près aussi novateur et poignant que la moyenne des poèmes écrit par des lycéens en pleins tourments adolescents. La sensibilité exagérée de Harry vis-à-vis de ce poème découle clairement de son obsession pour Michel. Harry se montre ainsi tellement susceptible vis-à-vis des critiques du talent de Michel qu’il assassine Eric, le frère de Michel quand celui-ci se moque ouvertement du poème de Michel.
D’un autre côté, le film développe toute une mystique du génie créateur, qu’on perçoit à travers le regard des deux protagonistes du film, Harry et Michel. Au début du film, Michel est interloqué face aux éloges de Harry, et minimise la qualité de ses écrits. Mais au fur et à mesure du film, Michel se remet à l’écriture, jusqu’à se trouver pris d’une fièvre créatrice et s’enfermer des nuits entières dans la salle de bain pour poursuivre son roman. Michel devient ainsi un véritable génie : il est habité par une mystérieuse pulsion créatrice, puissance inexplicable jaillissant du fond de son inconscient (comme l’illustrent ses cauchemars)
A travers la reprise progressive de l’écriture, Michel s’affirme et s’autonomise vis-à-vis de sa famille : il est valorisé en tant que créateur de talent, et non plus en tant que père, fils ou conjoint. Cette évolution du personnage de Michel conforte Harry dans sa thèse : Michel est un homme frustré car étouffé par ses relations familiales. Michel perd son énergie à s’occuper des enfants, il perd sa puissance en essayant de concilier ses intérêts avec ceux de sa femme et de ses parents. Harry entreprend donc de supprimer tour à tour les êtres qui entravent Michel dans son épanouissement.
L’écriture apparaît non seulement comme un moyen de canaliser les frustrations de Michel, mais aussi de devenir l’Homme Nouveau prophétisé par Harry, à savoir le Vrai Mec Viril. En effet, le Génie créateur qui habite Michel va lui servir de justification très utile dans son entreprise de revirilisation.
Grâce à cette pulsion de Création qui part des tripes, Michel s’émancipe le temps de l’écriture de la bassesse de la gestion des affaires familiales. En tant que génie, Michel est un être unique et incompris, en particulier de Claire qui peine à reconnaître la Supériorité Géniale de son conjoint. Ainsi, surpris par Claire alors qu’il est en train d’écrire, Michel la dégagera promptement de la salle de bain : « Comment veux-tu que j’écrive quoi que ce soit si t’arrêtes pas de couiner ? ».
La salle de bain dans laquelle Michel est contraint de se retrancher est le symbole de l’oppression de Michel par Claire : ce dernier est tellement étouffé de toutes parts par ses obligations familiales qu’il est contraint de se retrancher dans cette pièce ridiculement décorée et généralement dévolue aux femmes.
Est-ce qu’un génie ça change les couches et ça fait la vaisselle ? Personnellement je pense que Michel est quand même bien au dessus de tout ça !
La salle de bain au Génie, la cuisine à la fée du logis !
Le cheminement de Michel, symbolisé par la reprise de l’écriture, constitue clairement une reconquête de la virilité, comme le montre l’évolution parallèle des rapports de Michel envers les femmes.
Le Michel frustré est dans un rapport égalitaire avec Claire, sa conjointe. Au contraire de Prune, Claire n’est ni soumise sexuellement, ni intellectuellement. En ne le considérant pas comme un écrivain particulièrement talentueux, Claire ne reconnaît pas la supériorité de Michel en tant que Génie Créateur. A la lecture du poème de Michel, loin de fondre d’admiration devant tant de talent, cette dernière s’est en effet montrée curieuse et amusée. Claire est donc aux antipodes du rôle que l’on attend d’une femme face au Génie : être la muse qui inspire le génie, l’admiratrice qui rassure et encourage le créateur tout en lui laissant toute la liberté nécessaire à son expression. Aux yeux de Harry comme de Michel, Claire apparaît désormais comme un obstacle au génie de Michel, une influence castratrice qui l’empêche de s’épanouir.
Cette menace du féminin vis-à-vis de l’expression du génie masculin renvoie à une opposition patriarcale classique, entre d’un côté l’homme qui créé et produit des œuvres exposées dans la sphère publique, et de l’autre la femme qui procrée et reproduit dans l’espace domestique.
Le génie ne peut ainsi être qu’un attribut masculin, et la femme prend alors deux figures :
– La muse, figure positive de la femme qui aide le Créateur à s’élever tout en restant elle-même à sa place de subalterne. La muse prend en charge les tâches indignes du génie masculin et rassure le Créateur dans ses tourments existentiels. Elle a également une fonction d’inspiration du génie masculin, à travers son corps.
– et la femme castratrice qui, en refusant d’être un pur objet contemplatif, menace l’homme dans son talent.
Conseils d’ami entre mecs : « Claire t’empêche de t’épanouir. Elle veut que tu reste dans l’ombre. Claire et tes enfants te sucent la moelle. Tu dois trancher ».
Avec sa « forme d’intelligence animale qu’[Harry] apprécie beaucoup », Prune est sans aucun doute une bien meilleure Muse que Claire, la « femme de tête ».
Le Michel génial est lui dans un rapport de domination des femmes comme objets sexuels. Cette possession du corps des femmes est présentée comme un mode d’Inspiration pour le Créateur.
La créativité s’alimente de sexualité : Harry rappelle ainsi les exploits sexuels du Michel adolescent auteur du Poignard en Peau de Nuit. De même, c’est après avoir embrassé Prune de force, (sans doute dans un de ces élans mystiques que ne connaissent guère que les Génies), que Michel retrouve l’Inspiration et engage l’écriture de son second roman, Les Singes Volants.
Le génie masculin en pleine Inspiration
Prune est le personnage sur lequel le film exerce sa misogynie avec le plus de violence. Femme objet, à la fois pour Harry et Michel, Prune n’est à leurs yeux qu’une blondasse cruche aux gros seins, dont le rôle de potiche est apprécié, mais qui en tant qu’être humain a une valeur à peu près nulle.
Ainsi, après que Michel se soit moqué du fait que Prune ait « un pois chiche dans la tête » et l’ait embrassé de force, c’est tout naturellement que Harry assassine Prune, assisté en cela de Michel qui l’aide à se débarrasser du cadavre. Le propos du film est ici éloquent : idiote et superficielle, Prune a bien mérité sa soumission à Harry et Michel, puis son assassinat. Un pois chiche dans le cerveau, une plastique de poupée : voilà des indices tout à faits probants de l’infériorité naturelle des femmes !
Le dénouement : Retour à la norme patriarcale
A la fin du film, Harry propose à Michel de tuer Claire et ses enfants. Michel choisit alors de retourner l’arme contre Harry, puis se débarrasse du corps en le jetant dans le puisard.
L’assassinat de Harry marque un retour « à la normale » : le personnage perturbateur a été éliminé, Michel, Claire et les petites peuvent reprendre tranquillement le cours de leur vacances. On pourrait interpréter à première vue que l’assassinat de Harry par Michel marque le refus par ce dernier du modèle de virilité prôné par Harry. Michel aurait ainsi pris conscience de la folie de Harry, et dans un sursaut salutaire aurait fait le choix de la raison et du retour à la vie familiale. De même, le fait que Harry soit présenté comme un psychopathe semble indiquer de façon superficielle la dangerosité de cet idéal de virilité triomphante. La fin du film peut laisser un sentiment d’ambivalence, d’autant plus que les scènes suivant l’assassinat de Harry ne durent que quelques minutes à peine.
Néanmoins, la conclusion du film ne laisse à mon sens que peu d’ambiguïté. Les dernières séquences du film font ainsi écho au début du film, qui présentait un Michel à bout de nerfs sur la route des vacances. Sur le retour des vacances, Michel conduit le 4*4 offert par Harry, et regarde Claire dormir avec exactement la même délectation que présentait Harry lorsqu’il contemplait Prune… Il semble que les leçons prodiguées par feu son coach de virilité aient porté leurs fruits : Michel parait guéri, revirilisé au volant de son 4*4, et l’on devine qu’en contemplant Claire dormir, il songe à l’œuf cru dégusté la veille…
Maman dort, Papa conduit et les filles la ferment : Michel a enfin retrouvé sa place de patriarche
La fin du film marque ainsi le retour aux normes patriarcales : Michel a retrouvé sa virilité ainsi que sa place de patriarche au sein de la famille. Claire cesse d’être une menace pour Michel en l’admirant en tant qu’écrivain (elle encourage Michel à poursuivre l’écriture), et en le libérant de la charge de l’éducation des filles. Dans l’une des dernières scènes du film, Claire s’occupe en effet des petites et les enjoint à « laisser papa se reposer ».
Claire admire le talent d’écrivain de Michel « C’est vachement bien ce que tu écris, tu devrais continuer »
Maman s’occupe des enfants pendant que papa se repose
En mettant en scène la revirilisation de Michel, le film avalise donc totalement le discours de Harry. Le personnage de Harry est là pour aider Michel à retrouver ses instincts de mâle endormis par un trop long étouffement féminin. Ainsi, le personnage de Harry peut être interprété comme une personnification d’une « essence masculine » : il représente le symbole de la virilité refoulée de Michel, que celui-ci à été obligé de brimer dans sa vie de couple et de famille. Harry incarne donc un « retour du refoulé », tout droit sorti de l’inconscient de Michel. Cette virilité refoulée resurgit sous forme de pulsion, d’où l’impulsivité et la folie de Harry.
Grâce à Harry, les désirs inconscients de Michel de virilité et de domination masculine refont surface : ce dernier reprend de l’ascendant sur Claire et embrasse Prune de force. Cette pulsion de virilité commence cependant à devenir immaîtrisable (Harry entreprend d’assassiner tout l’entourage de Michel) : c’est alors que Michel choisit de la refouler à nouveau dans son inconscient, en tuant Harry.
Les multiples références à une imagerie psychanalytique contribuent à naturaliser la virilité, représentée comme une pulsion inhérente à l’inconscient masculin. Michel enterre par exemple Harry au fond du puisard, comme un névrosé enterre ses pulsions dans son inconscient. Cette interprétation psychanalytique est assumée par le réalisateur, je cite : « Le film peut se lire à un niveau psychanalytique, Harry étant un peu le « ça » de Michel. Ce qui m’est apparu pendant l’écriture, et qui n’était pas vraiment conscient au début, c’est la possibilité de voir Harry comme une projection de Michel. Comme si Harry était quelqu’un qu’il avait créé, parce qu’il en avait besoin à ce moment là, pour extérioriser ses pulsions et ces frustrations ».[1]
Le message du film est donc le suivant : l’homme est naturellement habité par une pulsion de virilité, que celui doit laisser s’exprimer. Si l’homme refoule constamment ses désirs naturels de virilité, il devient un homme frustré, castré par les femmes, à l’instar du Michel du début du film. Trop étouffée, la virilité refoulée peut alors resurgir au galop, et déborder sous une forme monstrueuse (à l’instar du Harry psychopathe). L’homme doit laisser sa virilité s’exprimer et s’épanouir, tout en refoulant ses éventuels débordements, sous peine de devenir fou.
Michel est ainsi totalement épanoui à la fin du film car il a réussi à être à nouveau à l’écoute de sa virilité : il a repris l’écriture, est puissant au volant de son 4*4 où règne enfin le silence, et s’est débarrassé des tâches ingrates de la paternité. Il a réussi à intégrer harmonieusement en son être la virilité jusque là refoulée, sans que celle-ci ne l’envahisse trop.
En cela, le film relaie à plein l’idéologie patriarcale, en s’appuyant sur ses deux piliers, à savoir l’essentialisme et le masculinisme.
Essentialisme, parce que le film présente la virilité comme une valeur essentielle pour l’épanouissement du mâle, comme une pulsion naturelle inscrite dans l’inconscient masculin. L’homme doit cultiver sa virilité, tout en la maîtrisant. Cette virilité s’exprime par une vigueur physique et sexuelle, et par la domination des femmes.
Masculinisme, puisque le film présente des hommes victimes (Michel et son père), dont la virilité a été brimée par un trop grand pouvoir accaparé par leur femme. Frustré, castré, Michel doit reconquérir sa virilité et reprendre son ascendant sur les femmes.
La totalité du film, y compris sa conclusion, entretient donc une fascination pour un Homme Viril, dont la Créativité, la Vigueur Sexuelle et la Puissance se nourrissent de la domination de femmes soumises à l’incontestable supériorité du Mâle.
Remettre les femmes à leur place, se débarrasser des occupations castratrices du foyer et considérer les femmes comme des objets sexuels à contrôler … masculinistes de tous bords, réjouissez vous : voilà un film qui vous veut du bien.
Sigob
Autres articles en lien :
- Moi, moche et méchant 2 : Papa a raison
- Nouveaux pères (III), du « Monde de Nemo » à « Chicken Little » : problèmes de virilité
- Louie, ou la souffrance de l’homme blanc hétérosexuel
Bonjour,
Point de vue intéressant.
J’avais bien aimé ce film, mais l’aspect caricatural des Parents et de la relation Michel / Claire m’avait un peu agacé
Je crois me rappeler que j’avais détesté Michel durant tout le film :
– au début, « sous l’emprise » de sa femme,
– au milieu sous l’emprise de Harry,
– à la fin, après de sa ‘reconversion’ en écrivain.
Il me paraissait respectivement dépourvu de caractère, un peu trop facilement influençable et complètement ‘lobotomisé’
Le seul moment où j’ai eu un peu d’estime pour lui est lorsqu’il se débarrasse de Harry.
Pourrait-on voir ce film comme un film anti-masculiniste ?
Une sorte de fable dystopique ?
Je m’explique : Harry en matérialisation du ‘ça’ de Michel nous permet de toucher ce qu’il y a de pire dans le patriarcat.
Harry est en quelque sorte une autre caricature repoussante du masculiniste.
Et que si dès le début on ne dit pas non (scène de l’acceptation du 4×4) on risque de se laisser manipuler et on se transformer en son pire cauchemar (rien ne nous dit qu’il soit sorti indemne de cette histoire, peut être est-il devenu fou).
Voilà, j’espère que ce n’est pas trop fouillis/capillo-tracté.
Comme vous le précisez au début de l’article, il-y-a peut être plusieurs grilles de lecture.
Merci
J’aime bien ce film mais j’avoue être un peu passé à coté de ce faux retour à la normale de fin, et le coté bobone s’occupe enfin de la maison tandis que papa bosse et se repose. Qui me saute aux yeux maintenant.
Et j’me suis toujours sentis frustré de voir Michel cacher le corps et la folie de Harry comme honteux et complice.
Et je suis d’accord que le jeu de Laurent Lucas est vachement passif tout au long du film. J’aime pourtant sa façon d’interpréter et ces choix parfois assez courageux (je pense à Calvaire, et à La Capture, dont une analyse par vos soins mettraient peut-être en lumière des messages politiques à coté desquels je suis passé)
Merci pour cette analyse : j’avais gardé un souvenir précis de ce film vu pourtant il y a longtemps, et un sentiment de malaise que je ne savais m’expliquer. Je me souviens m’en être sortie par une vanne : si on ne voit que la première et la dernière séquence, on croit à une pub pour une voiture climatisée… Votre analyse est très éclairante.
Moui, je suis pas super convaincu par l’analyse.
Il y a des tas de couples qui fonctionnent mal, en particulier dans la durée. Des fois c’est la faute d’un seul des deux conjoints, des fois c’est un peu la faute des deux. Dans tous les cas le premier pas pour améliorer les choses c’est de prendre conscience de ce qui est bon pour nous et pas de ce qu’un modèle extérieur veut que nous soyons.
Harry révèle à Michel qu’il a besoin de s’écouter d’avantage, et ce faisant Michel se rend compte qu’il lui faut aussi refuser de se conformer au modèle voulu par Harry. Je ne pense pas très pertinent d’aller chercher plus loin.
Pour la fin je ne le vois pas comme « Bobonne retourne dans la cuisine qu’elle n’aurait jamais dû quitter », simplement comme une réorganisation différente. Et de toute façon critiquer le mauvais partage des tâches ménagère c’est super facile, super pas original et ça marche toujours puisque presque personne ne prend la peine d’expliquer comment faire concrètement pour les partager équitablement 😉 (à l’exception notable de Gaëlle-Marie Zimmermann dans son article « comment j’ai réussi à gagner mon coin d’égalité », mais son site est malheureusement actuellement par terre…)
Globalement d’accord avec vous, même s’il me semble qu’Harry n’incarne en aucun cas la marche à suivre, et qu’il me semblait que le regard « apaisé » de Michel, à la toute fin, laissait plutôt entendre que Michel avait été contaminé par la folie et le besoin de contrôle de son cher « ami », et non pas qu’il se sentait enfin épanoui.
En gros, un type qu’on estimait frustré et conciliant (Michel) se révèle tout aussi puant qu’un macho décomplexé (Harry) qui ne dégage d’ailleurs pas un seul début de sympathie pour le spectateur, mais bien de l’effroi. Voilà la sensation qui m’avait envahie à la fin du film, et il me semblait que c’était voulu : de l’effroi.
Juste une chose concernant la virilité et la sexualité : je me souviens (pourtant, mon premier et dernier visionnage remonte à plus de dix ans) d’une petite moquerie de Claire sans doute pas si anodine que ça à propos de son poème, qu’elle lui glissera en privé : « son poignard en peau de bite » … Elle ne semble effectivement pas dupe de la teneur de ses ambitions littéraires. Je n’ai rien vu d’autre de Dominik Moll, mais peut-être ne l’était-il finalement pas non plus, et on peut envisager qu’il ne traite pas ce portrait masculiniste avec bienveillance, non ?
Bonjour
Merci pour vos précisions, avez vous le film enemy de denis villeneuve ? Les deux films sont similaires !
Bonjour,
Ce que Ena considère comme quelque chose de puant est en fait un film engagé pour la défense de la cause des hommes. Il ne faut pas oublier que le réalisateur a eu l’idée de créer ce film après la naissance de son premier enfant.
Le rôle papa-poule qu’on attribu aux hommes aujourd’hui est remis en question. Il mets en évidence son effet inhibant sur l’homme, l’empêchant de se réaliser, de créer, de construire.
Au fur et à mesure que Michel parvient a se défaire de ce carcan, on s’apperçoit qu’un nouvel équilibre réaparait au sein de sa famille.
Le plus intéressant est de voir l’évolution du regard que porte Claire sur son mari tout au long du film. Au début elle le méprise, tandis qu’à la fin elle le regarde à nouveau avec considération (dernière scène lorsque Michel est sur le lit).
Il est rare qu’un réalisateur est le courage d’aborder cette problématique, mais bien compréensible en voyant le mépris que porte notre société sur tout ce qui ressemble à de la virilité.
La virilité est haïssable et elle n’est pas synonyme de masculinité qui elle n’est pas haïssable. La virilité est synonyme de capacité à la domination des femmes, des personnes féminisés, des enfants et souvent aussi des animaux car la virilité s’accord bien avec le carnisme. La virilité c’est se prendre pour le nombril de l’univers et agir comme tel. C’est croire que seule les hommes ont le droit de se réalisé exactement comme tu le fait dans ton commentaire qui est un bel exemple de virilité en action.
Quant tu dit » le rôle de papa poule … Est inhibant pour les hommes bla-bla-bla » ca ne te viens pas a l’idée que pour « le rôle de maman-poule » c’est exactement la même chose et qu’il faut se partager le boulot histoire que les femmes aussi puissent être créatives, puissent se réalisés, se construire choses que les hommes leur ont interdit depuis de nombreux millénaires et essayent toujours d’interdire et y parviennent toujours très bien vu que la société est toujours sous la domination des hommes. La virilité c’est cette capacité à oublier que les personne non pourvues de testicules sont des personnes autonome avec leurs objectifs propres et pas des outils à votre service de mâle tout bouffi de suffisance.
Et le coup de « il est rare que des réalisateurs aient le courage d’aborder cette problématique » c’est le pompon. Il n’y a pratiquement que Ca au cinéma. Venir commenter un article qu’on a pas lû sur un site qu’on a pas visité et venir y dire exactement les mensonges qui sont combattus par l’article qu’on commente, on ne fait pas plus viril. Bravo Igorre tu peu te félicité tu es tres viril…
Bon je te laisse avec tes problème de sur-homme a qui on ose demander sa part de boulot dans l’élevage de sa progeniture, je te laisse avec tes problème de sur-représentation culturelle et avec tes soucis de salaire en plus et tes caprices de grand malade du nombril.