Renverser les tropes serait-il pertinent ?
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- Ce sujet contient 4 réponses, 2 ps. et a été mis à jour pour la dernière fois par Paul Rigouste, le Il y a 10 années, 7 mois.
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SkratschInvité
Bonjour, je ne sais pas vraiment si j’ai choisi la bonne question pour ce sujet, mais cet endroit m’avait l’air approprié.
J’essaie actuellement d’écrire des nouvelles dans lesquelles j’adapte des contes de fée dans des versions plus « réalistes » (pas dans le sens où le surnaturel est absent, mais plutôt en rendant vraisemblables les aspects psychologiques et sociaux), et dépouillées de leurs morales viriarco-patriarcales et assimilées, pour aborder des thèmes qui me tiennent un peu plus à cœur. Bref, désolé d’étaler tout ça au risque de paraître un peu prétentieux, je me suis juste dit que c’était une introduction nécessaire pour arriver au sujet que je voulais soulever.
Je me suis demandé si il serait pertinent dans mes nouvelles de renverser les tropes misogynes les plus communs, et j’ai la désagréable impression que même lorsque la situation est inversée, c’est toujours l’image de la femme qui semble en pâtir. Je me suis basé sur la liste de tropes présentés par Anita Sarkeesian sur sa chaîne feministfrequency, et ça donne ça :
– la demoiselle en détresse : Une femme qui n’a pour seule motivation pour partir à l’aventure que ses sentiments pour un homme, je pense ne pas avoir besoin de développer.
– the manic pixie dream girl : Une femme dépressive ou introvertie, qui a besoin d’un homme pour lui apprendre à apprécier la vie. Pas besoin non plus d’expliciter.
– women in refrigerators : Comme dans la version classique, ce n’est qu’une extension de la demoiselle en détresse.
– the smurfette principle : Une communauté entièrement féminine avec un seul homme, on pourrait en conclure que les femmes ont toujours besoin d’un homme quelle que soit la situation.
– the evil demon seductress : Un homme séduisant trompe les femmes, on risque d’en conclure qu’elles sont faibles et manipulables.
– the straw feminist : On se retrouve avec un masculinisme classique, le problème étant qu’aussi stupide que soit son discours, il risque d’en séduire certains.
– Ms. male character : Aucun intérêt, si le but reste de jouer sur des stéréotypes.The mystical pregnancy est un peu à part, vu que même si on parvenait à justifier qu’un homme tombe magiquement enceinte, la grossesse restera un sujet touchant au féminin.
Bref, je ne sais pas si je réfléchis juste trop, donc est-il possible selon vous d’inverser un trope sans que ce soit toujours sur le même groupe que des stéréotypes négatifs se trouvent véhiculés ?
ArrowayInvitéPourquoi cherches-tu à « inverser » un trope, au lieu d’en sortir et donner de la place à des personnages et des aventures plus diversifiées ?
Un trope reste un stéréotype, et les stéréotypes c’est ultra limité en terme de créativité…– la demoiselle en détresse : Une femme qui n’a pour seule motivation pour partir à l’aventure que ses sentiments pour un homme, je pense ne pas avoir besoin de développer.
Et pourquoi pas une femme qui part à l’aventure (on sort du trope de la demoiselle en détresse) pour aller sauver un homme pour qui elle ne ressent rien, ou alors une femme, ou soyons fous… un-e trans ou un-e intersexe ou un-e martien-ne :p
– the manic pixie dream girl : Une femme dépressive ou introvertie, qui a besoin d’un homme pour lui apprendre à apprécier la vie. Pas besoin non plus d’expliciter.
Une femme dépressive ou introvertie qui retrouve le goût de la vie grâce à d’autres femmes…
– the smurfette principle : Une communauté entièrement féminine avec un seul homme, on pourrait en conclure que les femmes ont toujours besoin d’un homme quelle que soit la situation.
C’est ce que j’ai eu tendance à penser dans les comics Y The Last Man, pourtant excellente BD (l’histoire : tous les mammifères mâles meurent subitement, il ne reste que les femelles, et un homme avec un singe). Après, pourquoi serait-t-on forcé d’avoir des communautés aussi inégalitaire en terme de répartition homme/femme ?
Cela dit, tout dépend comment le sujet est traité : si par exemple l’histoire amène le personnage masculin immergé dans une communauté féminine à comprendre/s’identifier/respecter les femmes, cela peut avoir un message positif.Etc, etc pour les autres tropes.
SkratschInvitéPourquoi cherches-tu à « inverser » un trope, au lieu d’en sortir et donner de la place à des personnages et des aventures plus diversifiées ?
Un trope reste un stéréotype, et les stéréotypes c’est ultra limité en terme de créativité…Le but en l’occurrence est de faire prendre conscience de l’existence de ces tropes, mais je me dis que si on le fait de travers, ça peut être mal interprété. Il y a sans doute d’autres manières de les détourner de manière intelligente. Remplacer le couple hétéronormatif par un couple homo (ou du moins deux personnes du même sexe) comme vous semblez le suggérer est peut être plus adéquat qu’essayer de forcer une inversion des rôles.
A titre d’exemple, l’idée de la femme qui va secourir une demoiselle en détresse était assez présente dans le dernier jeu Tomb Raider, et je ne saurais toujours pas dire si c’était une bonne ou une mauvaise idée.C’est ce que j’ai eu tendance à penser dans les comics Y The Last Man, pourtant excellente BD (l’histoire : tous les mammifères mâles meurent subitement, il ne reste que les femelles, et un homme avec un singe).
Je ne connais pas vraiment ce comic, j’ai juste vaguement feuilleté un tome qui ne m’a pas trop emballé.
Après, pourquoi serait-t-on forcé d’avoir des communautés aussi inégalitaire en terme de répartition homme/femme ?
J’ai juste cité cet exemple parce qu’il fait partie des tropes dénoncés sur feministfrequency, au demeurant c’est un de ceux qui m’intéressent le moins à détourner parce que je n’ai pas trop envie de mettre en scène des communautés fermées de ce genre, justement.
NîmeInvitéJe pense aussi que ça dépend de la façon dont tu présentes ça. Si tu regardes un trope classique de demoiselle en détresse par exemple, souvent l’accent n’est pas tant mis sur la femme que la position de supériorité de l’homme. (Le premier exemple qui me vient à l’esprit spontanément est http://www.youtube.com/watch?v=NN3eBvZvUXk : l’aspect poseur est accentué mais on a l’homme viril et la femme éperdue de reconnaissance) Avec le smurfette principle aussi on a une question de pouvoir : la femme est objectifiée, pas sujet. Si l’homme de la communauté n’est défini par rien d’autre que le fait d’être un homme et que toutes les femmes peuvent avoir l’ascendant sur lui (il a besoin d’une femme white knight pour le protéger par exemple), ça me semble sortir de ce que tu crains. Et si tu fais une transposition avec un homme séducteur qui joue avec le coeur des femmes, je pense que rien qu’en présentant une solidarité féminine par ailleurs l’empathie est mise sur elles, donc on les voit davantage maîtresses de ce qu’elles font.
Dans le manic pixie dream girl, pour moi le souci est que la femme est totalement vide et sans profondeur parce qu’on ne la décrit que pour l’homme, elle n’a pas d’existence propre. Dans certains cas aussi, l’homme s’aigrit parce qu’il a tout bien fait et elle le quitte, ça me semble transposable.J’ai l’impression que le patriarcat cherche à tout s’approprier, en sexualisant/shamant les femmes fortes dans la culture par exemple. Mais je ne pense pas pour autant qu’il soit impossible de penser en-dehors.
Paul RigousteParticipantJ’ai l’impression que les problèmes possibles de ce « renversement des tropes » recoupent pas mal toutes les critiques qui ont été faites à propos de l’inversion des rapports de domination : http://www.lecinemaestpolitique.fr/forums/topic/linversion-de-roles-est-elle-pertinantes/
Renverser un trope misogyne, c’est peut-être prendre le risque de flatter les masculinistes. Si le but c’est de faire prendre conscience de l’existence de ces tropes (et, j’imagine, de leurs conséquences néfastes), peut-être qu’une solution possible c’est de montrer les femmes en souffrir, prendre conscience de l’oppression qui leur est infligée par les hommes, et s’en émanciper.
Comme dit Arroway, remplacer un stéréotype par un autre n’est peut-être pas très pertinent politiquement si le but c’est d’en finir avec les stéréotypes …
Et y a un truc que je me disais aussi à ce sujet en pensant aux (rares) albums de jeunesse qui renversent comme ça les tropes (en mettant en scène une fille qui va sauver un garçon enfermée dans une tour gardée par un dragon par exemple), c’est que peut-être qu’il y a un effet pervers possible dans le fait que c’est un peu drôle parce que ça inverse les stéréotypes de genre. Car du coup, c’est marrant parce que c’est une exception, mais qui en tant exception fait allusion à la règle, et continue par là de l’entériner en quelque sorte. Alors que si on propose autre chose que le trope, ou alors si on le mobilise juste pour le critiquer « de l’intérieur », il ne continue pas à rester la règle implicite (j’arrive pas à être clair je crois, et puis je suis pas sûr de la pertinence de ce que je dis…)
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