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Coup de gueule contre Coup de tête (1979)

TW : agression sexuelle, viol

Comme beaucoup de gens et à tort ou à raison, j’ai de la sympathie pour Patrick Dewaere en tant que personne et de l’admiration pour lui en tant qu’acteur, et quand d’autres l’ont su, illes m’ont demandé si j’avais vu Coup de tête, de Jean-Jacques Annaud, l’un de ses meilleurs films, comédie « grinçante » et excellente, dit-on.

Dans ce film, sur qui portent les coups ?

 

Le pitch : un « loser » dans une petite ville française est joueur de football amateur. Accusé d’un viol qu’il n’a pas commis, il est jeté en prison, ce qui lui vaut le mépris de ses pairs, qui par ailleurs ne l’estimaient pas énormément.

Or, un joueur étant blessé, on a besoin de lui pour un match : il a une permission exceptionnelle, participe à la rencontre, marque le but de la victoire. Résultat : il est porté aux nues par la ville entière. Ecœuré par cette injustice et ce retournement opportuniste, il décide de se venger.

Il s’agit donc de l’histoire d’un personnage sans cesse renvoyé à son infériorité, socialement parlant, par son entourage, qui va finir par être perçu comme le pourfendeur de la fausseté villageoise et par acquérir une supériorité morale sur tous ceux qui lui ont nui par le passé. Il est malheureusement édifiant de constater que cette progression repose en partie sur des violences exercées contre des femmes, ou qu’en tout cas, ces dernières ne viennent en rien entacher l’enthousiasme du regard porté, à la fois par l’équipe créatrice et par le public, sur l’accomplissement personnel dont le film retrace les étapes.

L’un des éléments scénaristiques principaux du film est : la tentative de viol d’une jeune femme. Qu’il s’agisse simplement du déclencheur des « emmerdes » ou de la énième contrariété pour un type un peu paumé et rigolo serait déjà relativement gênant dans la mesure où les souffrances de la victime et la gravité du geste ne sont en rien mises au premier plan. Il me semble au mieux maladroit, au pire indécent, d’utiliser comme simple ingrédient dans une comédie un acte d’une telle gravité. La portée symbolique de ce geste cinématographique a de quoi interroger. Mais cela ne s’arrête pas là : ces thèmes sont intégrés dans une comédie et semblent noyés à l’intérieur comme des petites histoires secondaires, ce qui permet à tout à chacun de s’en distancier en les reléguant au rang de détails et de prétextes, et en s’empressant de s’extasier devant la dénonciation manifeste de l’hypocrisie des foules et de leurs leaders. Ils semblent noyés, mais en vérité ils en forment le courant principal, et reviennent tout au long de l’œuvre, traités avec une légèreté absolument surréaliste qui nous dit qu’au fond, ces éléments n’ont pas d’intérêt propre. Si ce n’est, peut-être, de fonder la masculinité et la légitimité, d’abord malmenées puis établies, du personnage principal. Lequel bénéficie finalement de la prétendue injustice qui lui est faite.

Ce qui m’a donc choquée dans ce film, à travers notamment sa mise en scène des rapports entre les hommes et les femmes, c’est : le profond mépris qu’il exprime envers les victimes d’agression sexuelle, et la minimisation de ces violences sexistes, de leurs conséquences sur le plan individuel et sur le plan collectif. Tout cela fait du film une œuvre qui s’inscrit parfaitement dans la culture du viol en vigueur, dans ses normes et dans ses invisibilisations.
Mais je vous laisse juger par vous-même en établissant un petit rappel des faits : je me centrerai notamment sur les personnages féminins et le traitement qui leur est réservé.

 

SPOILER ALERT

 

Marie : l’épouse qu’on frappe et l’amante dont on abuse

Au début du film, on apprend que François Perrin est l’amant secret d’une certaine Marie qui vit à Trincamp, le lieu fictif où se déroule toute l’action. Lui a pour habitude de roucouler sous sa fenêtre ; lorsque son conjoint n’est pas là, elle le reçoit chez elle. C’est mignon.

Lorsque le film commence, François Perrin heurte le joueur-vedette du club de foot pendant l’entraînement et se retrouve donc banni par tout le monde, viré de l’équipe et de son entreprise – d’ailleurs, cela n’aurait-il pas été un motif de vengeance suffisant pour faire avancer l’intrigue ? Bref. Dépité, il se rend au bar du coin et téléphone à Marie, mais il n’entend que peu de choses en raison du bruit environnant. Or, elle essaye de le prévenir qu’elle n’est pas seule ce soir, et qu’il ne doit donc pas venir. En effet, son conjoint est là et comprend rapidement ce qui se trame. Il s’empare du combiné et tombe sur les clients du bar qui le traitent en chœur de « cocu ». Il frappe alors Marie au visage. Cette femme est donc dans une situation dangereuse pour elle et vient de subir une agression physique. Il est important de se souvenir de cet élément pour bien mesurer le mépris dont le film fera preuve vis-à-vis d’elle. On peut par ailleurs noter que cette scène de violence n’est pas traitée sur le mode comique (encore heureux, certes, mais cela ne sera pas le cas par la suite et c’est bien le problème) : le personnage du mari est un méchant, un vrai, contrairement au personnage principal qui apparaît, par effet de contraste, comme un brave garçon, même lorsqu’il agressera par la suite.

On se moque un peu des machos…

Bien sûr, François Perrin, par ailleurs franchement éméché, n’a rien entendu et il décide donc d’aller la rejoindre comme à son habitude, en bas de chez elle. Elle ne répond pas : elle est dans le lit avec son compagnon-agresseur. Il grimpe sur un échafaudage et ne cesse de l’appeler, presque au niveau de sa fenêtre. C’est probablement censé être drôle pour le spectateur, qui se demande « François Perrin va-t-il se faire casser la gueule ? ». Mais ainsi tournée, la scène nous fait totalement oublier que c’est Marie qui a été violentée, et que la remettre ainsi en danger n’est pas franchement amusant.

Et les victimes ? On s’en moque complètement !

Marie arrive pour le raisonner et lui dire de partir, et Perrin, maladroitement, la fait tomber sur l’échafaudage. Probablement ne le fait-il pas exprès : de toute manière, le personnage est largement dépeint comme balourd, dénué de mauvaises intentions mais malchanceux dans ses rencontres et ses interactions, ce qui permet de souligner une innocence prétendument intrinsèque, là encore. Toujours est-il que Marie se retrouve avec lui sur l’échafaudage alors qu’elle cherchait à ce qu’il s’en aille et se taise. De là, il la colle, lui met une main aux fesses, lui fait des avances sexuelles en l’entourant de ses bras, et semble parvenir à s’introduire en elle, alors qu’elle lui dit clairement d’arrêter, « non ». Bref, elle refuse catégoriquement d’entrer dans ce type de rapports car elle n’y est pas disposée. Cela devrait suffire à l’arrêter, en soi. Il convient par ailleurs de rappeler la situation de Marie à ce moment-là : son mari est à deux pas et vient de la frapper en apprenant l’adultère. Cette scène est, contrairement à la précédente, largement traitée sur le mode du comique de situation. Pourtant, l’insistance de Perrin pour avoir un rapport sexuel malgré le refus de son amante et les risques que cette dernière encourt à ce que tous deux soient entendus constituent une double violence faite à cette femme, et que le film passe complètement sous silence. Ce qui minimise du même coup la gravité de la violence qu’elle vient de subir au sein de son mariage.

Sur l’échafaudage

L’ébriété de Perrin n’est pas anodine : elle sert non seulement à souligner son besoin de noyer le chagrin que lui causent ses ennuis, mais elle a aussi pour fonction de le déresponsabiliser… activant à la fois notre empathie quant à ses difficultés, et agissant comme rappel de son innocuité totale. La question de l’alcool, par ailleurs, est souvent révélatrice des croyances communément partagées par chacun quant aux cas d’agressions sexuelles, et in fine quant au corps des femmes et à leur contrôle : une femme qui boit et qui est agressée sexuellement se serait mise en danger, alors qu’un homme qui boit et qui agresse sexuellement ne serait pas responsable de ses actes.

L’épisode prend fin avec le réveil du mari. Inquiet, François Perrin s’enfuit… Laissant au passage son amante se débrouiller seule… D’ailleurs, on ne saura rien de ce qui arrive à Marie par la suite. Après tout, quelle importance ?

On nous invite donc tout au long du film à avoir de la sympathie pour un homme, certes accusé à tort d’une agression qu’il n’a pas commise, mais qui vient de brutaliser sexuellement une autre femme pour laquelle aucun intérêt n’est plus jamais manifesté. Le pire étant que lui-même fait référence à cet épisode dans des termes éloquents : lorsque les inspecteurs l’interrogent, il croit qu’on lui parle de Marie. Il dit alors sur le ton de la plaisanterie qu’il « la viole tous les jours », « parfois même deux fois par jours », pour parler des rapports consentis (du moins, on l’espère !) qu’il a avec elle en tant que son amant. Quand Stéphanie, la victime d’un viol commis par un autre homme dans la même soirée, désigne à tort Perrin comme son agresseur au commissariat, il s’exclame « Mais ce n’est pas elle que j’ai violée ! ».

L’utilisation du terme de « viol » à tout va et avec une grande légèreté pour parler à la fois de viols véritables (dont la gravité est occultée au point où l’on se demande s’ils sont reconnus comme des viols) et, grosso-modo, de séduction et de rapports amoureux, est un problème dans la mesure où elle banalise les agressions sexuelles et rend difficile leur reconnaissance. Par ailleurs, si Perrin ne se comportait jamais comme un agresseur sexuel et qu’il employait le terme par ironie face aux accusations dont il est l’objet, on pourrait y voir une défense et un trait d’humour. Ici, on rit d’agressions sexuelles avec ce qu’il convient d’appeler : un agresseur sexuel.

 

Stéphanie : une victime, boarf !, mais surtout le crush parfait

En effet, une (autre !) tentative de viol est commise la même nuit dans une ruelle, par, on l’apprendra plus tard si l’on ne s’en doute pas déjà, le footballeur-vedette, qui a la même coupe de cheveux et moustache que François Perrin. Notre héros est inculpé suite à deux faux témoignages de notables de la ville, et à l’erreur de la victime, qui, pressée par les inspecteurs, bouleversée par cette agression qu’elle a subie dans le noir de la part d’un homme qui ressemble à celui qu’on lui présente, « reconnaît » François Perrin.

Au moment de reconnaître Perrin

Après son inculpation, François Perrin obtient une permission exceptionnelle afin de se rendre au match de foot pour lequel on a besoin de lui. Il en profite pour s’enfuir et être pris comme auto-stoppeur. Il dit alors à son chauffeur qu’il va « voir une fille », et ajoute avec une malice de circonstance : « puis je vais la violer ». Le chauffeur est un peu surpris et mal à l’aise mais le dépose quand même là où François Perrin l’exige. Cette absence de réaction est symptomatique de l’indifférence générale des hommes dans le film vis-à-vis des comportements de « prédation » de la part de leurs pairs. Personne ne s’émeut jamais de la violence des actes commentés, évoqués ou perpétrés.

C’est là qu’on atteint le paroxysme de l’indécence : le personnage campé par Patrick Dewaere s’introduit dans la chambre de Stéphanie, qui, on le rappelle, a été victime d’une tentative de viol par un homme qu’elle croit être celui qui entre chez elle par effraction. Elle est en robe de chambre à moitié nue, elle crie de terreur, et lui, dans son bon droit, explique que, puisqu’il est en prison pour l’avoir violée alors qu’il ne l’a pas fait, il va se faire justice : c’est-à-dire, la violer pour de bon. Il l’allonge alors sur le lit, et lui monte dessus alors qu’elle se débat.

Une première rencontre des plus romantiques et une belle leçon de consentement

Je dois avouer avoir quitté la pièce à ce moment-là tellement j’étais en colère. Mais pourquoi ? J’exagère ! Rien de grave ne se produit ! Comme c’est un brave gars, il n’ « arrive pas » à passer à l’acte, il ne la viole pas, et Wikipédia indique simplement dans le résumé du film qu’ils « font plus ample connaissance ». C’est quand même adorable de sa part de n’avoir fait que s’allonger sur elle en la menaçant. Soulignons qu’il est peut-être encore plus adorable de la part de Stéphanie d’écouter ce qu’un homme qui-a-tenté-de-la-violer-parce-que-c’est-un-autre-homme-que-lui-qui-a-tenté-de-la-violer-avant a à lui dire. Elle l’emmène même en voiture pour qu’il aille au match et pour revenir sur sa plainte. De là, il a la délicatesse de lui demander, à propos de l’agression qu’elle a subie quelques jours plus tôt : « Ce soir-là, il y a eu viol ? ». Elle répond qu’il n’y a eu « que » tentative. Et lui, romantique, ajoute : « Dans ce cas-là, c’était peut-être moi… ». Réaction de Stéphanie : elle sourit timidement, visiblement charmée par l’humour ravageur de ce « gentleman ».

Une tentative de viol, c’est apparemment toujours mieux quand on prend un café après

Le personnage principal insistera d’ailleurs à nouveau puisque lorsque la police le récupère sur la route, il dit à Stéphanie qu’il reviendra pour la violer. Là encore, c’est, semble-t-il, drôle et irrésistible.

« Je reviendrai pour vous violer ! »… et de rire, et de s’aimer

S’il ne convient pas de dicter à une victime le bon comportement à suivre après une agression, il me semble tout à fait déplacé d’imaginer qu’une personne qui a été traitée de la sorte puisse accepter d’être draguée aussi lourdement par un individu qui vient de la remettre dix minutes plus tôt dans une situation traumatique. Ce type de scène minimise encore une fois la gravité des agressions sexuelles, suggérant que, dix minutes plus tard, c’est oublié pour toujours.

Que Stéphanie prenne le parti de Perrin afin de retrouver son véritable agresseur, c’est une chose ; qu’elle succombe vaguement à ses avances alors qu’il avait pour projet initial de la violer, c’en est une autre.

En fait, comme le dit Perrin, le viol, « c’est pas son truc ». Il vient là signifier, quelque part, qu’il y a d’un côté les violeurs, les monstres en somme, minoritaires, et de l’autre ceux qui n’en arrivent pas là parce qu’ils sont des hommes bien. Pourtant, on se rappelle que François Perrin a bel et bien tenté de violer son amante quelques minutes plus tôt dans le film. Il est communément admis, à tort, que l’on ne peut caractériser un viol que lors d’une intrusion forcée d’un extérieur vers un intérieur, avec violence physique. C’est clairement ce que fait Perrin lorsqu’il entre chez Stéphanie : or, c’est à ce moment-là qu’il renonce. La réplique « Avec les filles qui veulent bien des fois j’ai du mal, alors en prison pour viol, moi ? » achève d’inscrire le héros dans une forme de masculinité fragilisée, inoffensive, qui n’est pour l’instant pas prise au sérieux parce qu’elle ne va pas au bout de la domination telle qu’on se la représente. En fait, Perrin est doublement exclu du groupe des « prédateurs sexuels ». A la fois le film représente la domination sexuelle comme l’accomplissement de la masculinité et donc ceux qui ne sont pas des mâles alpha comme des hommes incapables de violence, et en même temps il conforte des stéréotypes statistiquement invalides autour de ce qu’est un « vrai » viol : commis par un inconnu, la nuit ou avec effraction du domicile, avec menace ou violence physique (pour lui, il n’a donc aucunement violé Marie). François Perrin ne peut pas coucher avec qui il veut quand il veut et est parfois même rejeté, et lorsqu’il insiste, il va à l’échec ou s’inscrit dans le cadre conjugal. Il semble impensable qu’un homme comme lui puisse violer, alors il peut blaguer là-dessus : le viol et lui, ça fait deux, et c’est charmant.

Candeur et impuissance : cet homme ne ferait pas de mal à une mouche !.. Et à une femme ?

L’invraisemblable étant de mise, inutile de l’abandonner si tôt dans l’intrigue : à la toute fin du film, Perrin tente à nouveau de s’introduire dans la chambre de Stéphanie, mais cette fois, elle est là pour l’accueillir avec une échelle. Elle fait ainsi indirectement référence à leur première rencontre, où Perrin s’est introduit chez elle pour l’agresser. L’image remobilise la symbolique du viol dans cette idée d’intrusion dans le domicile : Stéphanie ne l’empêche pas de passer par la fenêtre, Perrin n’est pas invité à sonner à la porte, à attendre qu’on lui ouvre. Elle en rit avec lui : elle l’a pardonné, ce n’était donc pas si grave ! Qu’il recommence, s’il le souhaite. Comme si, une fois que l’on s’était passé du consentement, la question de sa nécessité se posait d’autant moins.

Ils se sourient, complices, et la musique du générique peut retentir, joyeuse devant cette belle histoire d’amour qui commence. Au moins, on ne peut pas reprocher au film de pousser à attendre un parfait « prince charmant ». Ou alors, il suggère subtilement que le prince charmant, ce peut-être un agresseur, mais tellement drôle avec ses blagues sur le viol et si injustement maltraité qu’il n’en est que plus désirable.

Le portrait qui est fait de cette femme a le mérite de ne pas l’accabler comme une menteuse, une manipulatrice, alors que c’est bien souvent le cas dans des films où un homme est accusé de viol (Gone Girl, La fille du RER…). Mais la bonne image que l’on a de Stéphanie ne sert pas le personnage dans son autonomie : elle lui confère le statut de faire-valoir. Elle permet de sous-entendre que l’attitude de Perrin est irréprochable : si elle le comprend, c’est qu’il est légitime de sa part de la terroriser, puis de tenter de la séduire, et d’y arriver.

Et surtout, cela nous dit qu’au fond : rien de tout cela n’est bien grave.

 

La femme du patron : une « mal-baisée » qu’on ne baisera pas

François Perrin, après être devenu l’idole de toute la ville, décide de profiter de sa nouvelle position pour se venger et promettre, à chaque personne qui l’a successivement mis plus bas que terre puis sur un piédestal, une mésaventure digne de celle qu’on lui a fait subir.

Alors qu’il est en voiture avec le patron Sivardière et sa femme, il dit à celui-ci : « J’ai appris que dans cette ville, on pouvait violer une fille ou une femme de notable. Eh bien moi, j’ai choisi la vôtre ! » (à noter que cette phrase est arborée fièrement sur les impressions qui ornent l’intérieur de la boîte du DVD…).

S’ensuit un enchaînement « hilarant » où le patron du club et de l’entreprise appelle la police pour dire avec une colère qui s’approche bien davantage de la vexation que de l’inquiétude : « il est en train de violer ma femme ».  Perrin a en effet embarqué Madame Sivardière en voiture. Surprise : elle n’a pas peur, elle est même émoustillée et ravie de sa situation. C’est bien connu, elle est comme toutes les femmes et n’attend rien de moins : cette bourgeoise frigide ne rêve que d’une chose, se faire prendre par le « prolo » qu’elle feint de mépriser. Peu importe que l’on soit en train de l’enlever et de la considérer comme un objet.

Quand Perrin se plaint à sa façon de son renvoi au début du film, Madame Sivardière est en effet troublée

En l’abandonnant sur la route, il lui lance alors qu’il lui a réservé « quelque chose de pire que le viol pour elle » : 15 kilomètres à parcourir à pieds.

Encore une fois, il ne viole personne et tant mieux. Il est par ailleurs suggéré que Madame Sivardière serait tout à fait disposée à entretenir une relation sexuelle avec François Perrin, ce qui renforce au passage l’idée reçue que les femmes, au fond, fantasment d’être violées, surtout par des hommes virils incarnés ici par la figure du prolétaire. Si le viol ne semble donc pas une « vraie » menace pour Madame Sivardière, ce que le héros lui fait subir n’est cependant pas non plus anodin. Le viol est remplacé par une marche à pied : il l’humilie sur le plan de leur rapport de classe, en lui imposant un effort qu’elle ne serait pas habituée à effectuer en tant que bourgeoise, en état de marcher mais régulièrement servie et conduite.
Le retournement de situation comporte un ressort comique qui, s’il peut être intéressant concernant le rapport de classe, a aussi pour effet d’invisibiliser la violence sur le plan du rapport de genre. Perrin exerce sa domination en tant qu’homme en usant de contraintes physiques, sur une femme qui n’a pas participé à grand-chose dans les difficultés rencontrées par celui-ci depuis le début du film. Elle est ici purement et simplement utilisée comme un instrument pour atteindre le patron.

Une femme-objet donc, comme toutes celles du film qui ne sont là que pour affecter l’impression que l’on a des personnages masculins.

Une femme consent à des rapports sexuels avec Perrin ? Mieux vaut l’humilier

La figure de la pauvre-vieille-en-mal-de-sensations est par ailleurs reprise dans une autre scène.

On voit Perrin faire mine de s’attaquer à un des commerçants de la ville qui a contribué à sa chute. Au dernier moment, il se détourne de son but car il ne cherchait en vérité qu’à faire peur. L’épouse de ce dernier s’exclame de manière comique, avec un regret dans la voix « Pourquoi il est pas venu ? ». Cette réplique souligne ce que le film met en avant, c’est-à-dire la capacité inattendue de Perrin à ne pas se venger de la manière spectaculaire qu’on attend, et à se situer en ce sens plus haut que ses ennemis sur le plan moral. Mais le fait que ce soit la femme qui exprime, en le déplorant, ce décalage, traduit encore une fois une idée de soumission à laquelle aspirent finalement les femmes qui n’ont pas l’honneur de vivre avec un homme viril pour les malmener.

Du foot ? Et c’est tout ?

La liberté, l’insouciance, la sexualité heureuse associées aux années 1970 sont peut-être le genre de préjugés qui servent de défense au film et explique l’absence de critique politique de son contenu.

Préjugés qui manquent de pertinence dans la mesure où les années 1970 se situent en plein dans la seconde vague du féminisme, ce qui permet au contraire de voir Coup de tête non pas comme un symbole de liberté de ton, mais comme une réaction masculiniste à une émancipation des femmes qui passe notamment par la dénonciation du viol.

Coup de tête est un film qui date de 1979, ce qui tendrait à expliquer que l’on se soit permis d’aborder des questions aussi sensibles avec, précisément, si peu de sensibilité. Mais est-ce bien différent actuellement ? Et que dire de l’aura qui continue d’entourer ce film aujourd’hui ? Que penser de la glorification de son interprète principal, dans la mesure où ce dernier est connu pour avoir joué dans de nombreux films dont le contenu politique repose sur des thèmes semblables (Beau-Père, Les Valseuses) ? Que personne n’y ait vu quoi que ce soit à redire, tout du moins parmi les critiques, scénaristes et producteurs, majoritairement composés d’hommes, est symptomatique des impensés qui entourent encore les violences sexuelles et leur représentation à l’écran.

Ce film n’est pas un film sur le viol, tout du moins n’a-t-il pas la prétention d’en être un, ou plutôt : tout du moins, prétend-il ne pas en être un ! Mais le caractère politique d’un film ne se mesure pas à ce qui est revendiqué comme tel. Si Coup de tête ne se présente pas et n’est généralement pas perçu comme un film qui traite de la question du viol, c’est tout simplement parce qu’il ne le dénonce pas, et ne relève pas du film engagé au sens où on l’entend habituellement.

Mais les représentations qui sont à l’œuvre dans ce film n’en ont pas moins de sens, peut-être même au contraire : elles légitiment, banalisent, minimisent le viol. Sa présence au long du film, et celle de plusieurs agressions sexuelles qui concernent trois personnages féminins, est loin d’être anecdotique, et leur habillage en anecdote est en soi politique et contestable. La place que prennent ces crimes dans l’évolution des personnages et notamment du personnage principal interdit de n’y voir que des éléments secondaires.

Dans un contexte où, en France, plusieurs centaines de femmes sont victimes de viol chaque jour, où très peu ont recours à la justice et où encore moins voient ce qu’elles ont subi qualifié comme tel au terme des procédures engagées, on peut considérer que ce que montre ce film est à la fois cohérent avec la réalité du poids des violences sexistes et sexuelles et de leur qualité structurelle (traversant en effet les époques, dans les années 1970 comme de nos jours), et également douteux en ce qu’il encourage cette réalité à se perpétuer en la normalisant.

L. Dontoined

 

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9 réponses à Coup de gueule contre Coup de tête (1979)

  1. Merci pour l’évocation des Valseuses, il est temps de démonter ces catastrophes sexistes françaises dont si peu de gens remettent en question le statut de « films cultes », « libres » etc.
    PS : Est-il prévu un article sur « Le brio » ?

    • Pour Le Brio, l’article est en cours de rédaction !

    • Merci à vous pour votre commentaire !

      Pour ma part j’ai décidé de m’épargner le visionnage des Valseuses pour l’instant… les extraits que j’en ai vus m’ayant indiqué qu’il me serait difficile. Mais je l’avais bien en tête, et dès que j’évoque Coup de tête, on m’en parle, et l’équipe du Cinéma est politique a fait le lien semble-t-il avec pertinence !

      Bonne journée

  2. Même si pour moi il s’agit d’un film culte, je dois hélas admettre que vous avez raison.

    Histoire d’enfoncer le clou vous oubliez une réflexion dégueulasse de la part du héros alors que Stéphanie va le voir pendant son petit dej pour lui parler de son envie de vengeance/justice du fait de la tentative de viol.

    Le héros afin de placer sa propre envie de justice/vengeance au-dessus de la sienne lui dit qu’elle a bavé pendant cinq minutes alors que lui ça fait X années. La comparaison est tout de même douteuse.

    Afin de redorer un peu Patrick Deware je signale le film « la meilleure façon de marcher » où on voit un gros c… un homme ultra-viril qui en méprise un autre étant son exact opposé. Et le gros c… finit par se remettre en question et comprendre.

    P.S : Arroway j’admire votre courage de vous taper Le Brio. Moi rien que la bande annonce….

    • Merci pour votre remarque !

      On n’en a jamais fini avec ce film, apparemment… Cet épisode du petit déjeûner me paraît très cohérent avec le reste.

      J’ai vu La meilleure façon de marcher. C’est un film qui m’avait beaucoup touchée à l’époque, en effet, et dont les représentations m’ont semblé beaucoup plus justes, d’un ton bien différent !

      L’objet de cet article n’étant pas, me concernant, de faire le procès de Patrick Dewaere ou de celles et ceux qui l’apprécient (parmi lesquel-les je tends à m’inclure), mais de constater en l’évoquant « personnellement » que son image d’acteur mythique repose prioritairement sur des rôles dont les ressorts sont politiquement contestables, sans que cela ne pose problème à qui que ce soit, généralement.

      A vrai dire, il m’a semblé en en discutant que beaucoup de spectatrices et de spectateurs associaient le malaise que provoquent chez eux les personnages de Patrick Dewaere à son côté « écorché vif », qui se mêle à ce qu’il a vraisemblablement été dans la vie et qui a probablement fait le sens de son art.

      C’est compréhensible, mais je crois que cette compassion qu’il provoque retentit aussi sur ses rôles, et que les gens de fait individualisent le propos en parlant de malheur, de misère, d’ambiguïté, comme cela arrive souvent dans la vie lorsque des violences sexistes ou sexuelles s’exercent.

      Je ne sais pas si cette impression est partagée mais c’est ce que j’ai entendu dans beaucoup de remarques ! Et après tout ce n’est pas surprenant.

      Bonne journée !

  3. Je suis d’accord avec votre analyse. Le film est ce qu’il est et s’il dénonce certaines choses comme la beaufitude, le clientélisme via le foot, les rapports entre les notables et le prolétariat, il est victime des moeurs de son temps.

    J’ai vu un documentaire sur Belmondo récemment où ce dernier parle des claques que l’on mettait aux femmes dans les films de l’époque comme, je cite  » c’était l’usage ».

    Et effectivement, mettre une trempe à une maîtresse, sa femmes, une prostituée était sinon la règle du moins courant et totalement décomplexé. Quant au viol… circulez y’a rien à voir. Si on a tant de difficulté à envisager le viol que comme une agression brutale avec armes, pleurs et cris aujourd’hui c’est que notre imaginaire sur la question a été formaté, notamment par le cinéma de cette époque-là.

    C’est donc un film qui aujourd’hui apparaît comme incomplet puisqu’il ne touche qu’à une certaine partie de la lutte et n’inclue pas les femmes comme les premières victimes de la lutte des classes.

    Les valseuses est un film qui m’a toujours déplu parce que le cinéma de Blier est un cinéma misogyne déguisant son propos en pamphlet libertaire. Tout le cinéma de Blier fait des femmes des victimes.

  4. Même si la problématique en filigrane de ce film est le consentement et la place des femmes dans la société, ça n’en demeure pas moins que seul un esprit faible pourrait avoir l’idée de reproduire des scènes de violence de ce film en le regardant.

    Il ne s’agit pas de prendre pour argent comptant tout ce qu’on voit dans ce film qui est une satyre mais de faire la part des choses en s’amusant de la vanité du genre humain..

    Faut-il laisser le féminisme construire un monde normalisé selon ce qui est bien ou mal parce qu’il y a des abrutis dans le lot capable de passer à l’acte ?

    Tout cela renvoie à notre champ de représentation mental construit depuis l’enfance mais de là à suggérer qu’un film pourrait être responsable de viols, c’est grossier tant la perversion est complexe et se nourrit de divers expériences..

    J’aime ce film comme les valseuses car il y a de la folie dans cet acteur sombre (Il s’est suicidé)que je partage
    sans trop comprendre pourquoi et pourtant je n’ai envie de tuer ou violer personne en regardant n’importe quel film..

    Un peu comme la pornographie qui est la sexualité des pauvres chez les exclus sociaux, doit-on leur enlever pour autant
    des images qui font briller leurs yeux sous prétexte que ces scènes de sexe représentent de la maltraitance voir des agressions qui touchent et blessent des femmes ou dérangent des féministes dans la vraie vie ?

    S’il n’y a plus de vrais hommes grâce à cela, on peut dire qu’il y a des vraies femmes masculinités dont la brutalité psychologique est plus violence qu’une agression physique dans les rapports de séductions si on ne représente pas la norme du « Mec bien » c’est à dire salarié, riche, beau, sportif, blanc,
    caucasien, ressemblant à Papa, et performant
    au lit en demandant le consentement éclairé à chaque rapport sexuel..

    • Bonjour à vous,

      J’entends bien vos réserves si vous avez interprété cet article comme une condamnation en bloc du film, telle qu’il s’agirait d’en faire une incitation au viol et une influence néfaste sur tout homme qui prendrait plaisir à le regarder. Et sans doute qu’en l’occurrence la formulation éminemment critique de cet article, qui a vocation à « ne pas faire dans la dentelle » si je puis dire, de manière à relever des éléments problématiques au plan des rapports de genre qui y sont décrits, peut porter à cette confusion (et je m’en excuse a posteriori – deux ans plus tard ! – si tout malentendu de ce type s’en dégage).

      Le propos n’en était néanmoins pas de raccourcir grossièrement les effets que peuvent avoir ce type de représentations comme : directement et intégralement responsables des violences faites aux femmes. J’estime cependant qu’à plein d’égards, Coup de tête minimise très fortement la violence qu’il dépeint, et que sa portée satyrique s’axe davantage sur une forme de misogynie (voire, sur un mépris de classe assez insidieux) que sur un tout autre registre.

      Il est évident qu’un « mec bien salarié riche beau sportif blanc et caucasien ressemblant à Papa performant au lit et demandant le consentement éclairé à chaque rapport sexuel » ne représente en rien un archétype souhaitable de personnage masculin, non seulement parce qu’il n’y a pas lieu de généraliser un modèle de personnage « préconçu » qui conviendrait aux « revendications » desquelles je me réclame par ailleurs par l’écriture de cet article et la consultation de ce site, mais aussi parce qu’il serait hautement problématique en lui-même. Il s’agit plutôt de suggérer que les arts et notamment le cinéma proposent une diversité et un jeu inventif sur ce que sont les rapports entre hommes et femmes (entre riches et pauvres, entre blancs et noirs, pour parler vite, et pour parler bref mais plus précisément : entre toutes les catégories d’appartenance dont répondent les personnages représenté-es, et qui, eux-mêmes, gagnent à être pensés dans leur singularité au-delà de ces mêmes catégories, ce qui n’est pas toujours fait ni par les artistes qui les conçoivent – lorsque ce sont des artistes -, ni par le public).

      Il me semble simplement, comme je le déplie un peu vertement certes au sein de cet écrit que vous commentez (et dans lequel je rends par ailleurs justice, par exemple, à la sympathie que peut m’inspirer le personnage incarné par Dewaere et plus encore Dewaere en lui-même), qu’à cet égard, il y a des « ratés » nombreux dans Coup de tête (si toutefois on lui applique la grille de lecture qui a ici été la mienne, et à laquelle il invite, puisque le film tourne autour de ces enjeux de genre et de classe). Ce qui n’empêche pas d’en apprécier la construction scénaristique ou l’interprétation (je dois reconnaître que ce ne fut pas mon cas, mais disons que c’est un hasard des goûts). Le spectateur et la spectatrice sont tout à fait libres d’avoir la leur, qui leur est propre. Ce que proposait cet article modestement, et ce site plus généralement et avec une ambition qui a le mérite de questionner notre relation aux images et récits dont nous sommes abreuvé-es, c’est d’en dénoncer certains implicites tout à fait révélateurs de la domination qui par ailleurs n’appartient pas plus à ses producteurs et à ses réalisateurs qu’à ses comédiens, mais à une société où il reste un long chemin à faire à tous les égards susmentionnés.

      Je vous prie de m’excuser de la rapidité un peu généralisante avec laquelle je vous répond, mes arguments mériteraient de s’étayer davantage sur vos différentes remarques, sur l’article en lui-même voire sur le film et que je m’y replonge (temps que je n’ai pas le loisir de prendre), mais je préférais prendre ce temps court que de laisser sans réponse votre objection que je peux entendre mais à laquelle je ne souscris pas au vu de la démarche qui était la mienne et, plus globalement, qui est celle des auteurs et autrices actifs sur ce site.

      Je laisse le sujet hautement complexe de la pornographie de côté, puisque c’est un cinéma premièrement que je connais mal et secondement qui répond d’une fonction bien particulière et qu’il convient de ne pas caricaturer, ce que je risquerais de faire si je m’y attelais (et la pornographie en tant que genre cinématographique à part entière, dont parle assez finement Virginie Despentes par exemple, est à différencier me semble-t-il de l’usage qu’il en est fait, de l’image que l’on s’en donne mais surtout des conditions dans lesquelles se développe cet industrie).

      Je ne crois pas à une représentation de la violence et de la domination qui soit individuellement le catalyseur de violences et de dominations individuelles ; j’ai même dans l’idée que ces représentations peuvent avoir bien des effets bénéfiques, selon la traduction qu’en fait le spectateur pour lui-même. En revanche, la massivité et l’absence d’hétérogénéité des regards, dans le monde dans lequel nous vivons (et dans celui des années 1970 en l’occurrence), en disent long sur lui et ne fournissent pas toujours de quoi s’en distancier collectivement.

      Pardon pour la longueur de ce message et son possible manque de clarté.

      Bien à vous !

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