Lorsqu’a eu lieu le phénomène de société « Twilight » (livres et films), nombreux l’ont violemment critiqué. Cependant, les critiques négatives ont été globalement orientées sur trois axes : la nullité (des livres, des films, des acteurs, etc.), la défense de la chasteté promue par le roman (Bella et Edward n’ont de relations sexuelles qu’à partir de leur mariage) et la redéfinition (trahison selon certains) du mythe du vampire. Si ces axes de critiques sont relativement pertinents (encore que la nullité est une notion subjective), la saga Twilight propage d’autres idées et modèles, autrement plus dangereux que la virginité avant le mariage.
Nota Bene : Le site étant basé sur l’analyse de productions audiovisuelles, l’analyse sera effectuée sur les 5 films de la saga, bien que des comparaisons avec la série de romans soient occasionnellement faites.
La relation entre Bella et Edward
Twilight, ou une énième relecture de Cendrillon
Bella est une jeune fille relativement banale, certes plutôt jolie mais sans talent ni éclat particulier (on apprendra plus tard qu’elle a le pouvoir de résister aux pouvoirs des vampires). Edward, de son côté, est exceptionnellement beau, passionné de musique, jouant du piano et doté de pouvoirs liés à sa condition de vampire (force, vitesse, agilité, lecture dans les pensées…). Jacob quant à lui a également des qualités humaines (passion pour la mécanique, capacité à réparer des véhicules) et des qualités liées à sa condition de loup-garou (force, agilité, transformation en loup).
Twilight joue sur le fantasme de Cendrillon : une jeune fille qui, malgré sa condition, parvient à séduire un prince. Bella, malgré son absence totale de relief, parvient à rendre fous amoureux, presque malgré elle, deux hommes « extraordinaires » (ainsi qu’à devenir la star de son lycée et à séduire un garçon humain auquel elle n’accorde aucune importance). De plus Bella n’est pas particulièrement heureuse avant l’arrivée d’Edward dans sa vie. Au contraire, sa vie est plutôt morne et terne.
Cette idée est particulière bien montrée dans la séquence ou Edward prend Bella sur son dos et l’emmène dans les arbres. On est ici dans le cas typique de l’homme qui émerveille la femme pour gagner son cœur.
Ce rêveeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee bleu…
On notera qu’à plusieurs reprises dans le film Edward fait étalage de sa richesse, ou plus exactement de la richesse de sa famille, tandis que Bella, en bon ersatz de Cendrillon, mène un train de vie relativement modeste. Certes ce n’est pas la base de leur relation mais Bella se montre quand même souvent impressionnée par les moyens financiers de la famille Cullen.
Le fantasme de Cendrillon est complètement pernicieux parce qu’il implique que le seul moyen pour la femme de s’élever socialement, de se sortir d’une situation douloureuse ou même de trouver un intérêt à la vie, est une relation avec un homme. Les femmes ne sont donc pas encouragées à s’épanouir ou à construire seules leur propre bonheur puisque celui-ci consiste à trouver le prince charmant.
Bella, éternelle damoiselle en détresse
En plus de jouer sur le fantasme de « la fille ordinaire aimée par un homme extraordinaire », Twilight joue sur le fantasme de l’homme protecteur qui veille sur sa femme.
En effet, tout au long des quatre premiers films Bella passe son temps à être secourue par des hommes, principalement par ses deux soupirants Edward et Jacob, mais aussi occasionnellement par d’autres (notamment Sam, le chef de la meute de loups garous et Carlisle, le patriarche de la famille Cullen).
De plus, Edward exprime à plusieurs reprises qu’il est de son DEVOIR de protéger Bella, laquelle se retrouve très souvent en position de danger.
Ce genre de modèle donne une vision complètement biaisée des rapports homme/femme, la femme est passive n’a qu’à exister pour satisfaire son homme, tandis que l’homme subit une pression monstrueuse puisqu’il doit non seulement protéger mais également émerveiller sa compagne.
De la même façon, on retrouve cette idée de protecteur/protégée dans la relation entre Bella et Jacob, puis à la fin du dernier film entre Jacob et Renesmée.
Sérieusement, comment peut-on vivre sans un loup géant qui veille sur nous, faibles et fragiles créatures ?
Quid d’une relation égalitaire où faire plaisir et prendre soin de son/sa partenaire serait partagé par les deux membres du couple ?
Le film diffuse l’idée toxique que la femme est par définition faible et a absolument besoin homme pour la protéger. Pourtant les statistiques montrent qu’un homme a plus de chance de se faire agresser qu’une femme à l’extérieur. Et surtout que pour la majorité des femmes qui sont victimes des violences sexuelles et/ou physiques, l’agresseur fait partie de leur entourage proche (amis, parents, relations de travail, et surtout partenaires amoureux).
Bella, devenue vampire
Lorsqu’elle devient vampire, Bella sort enfin de son éternelle posture de victime pour devenir enfin forte et puissante. Edward lui-même reconnait qu’il a sous-estimé Bella. Il est assez jouissif de voir le personnage être enfin capable de tenir tête aux hommes. Un clin d’œil est d’ailleurs fait à l’intro du premier film puisque le premier animal que chasse Bella est un puma qui s’apprêtait à attaquer une biche. Cependant cette puissance est loin complète, puisque la force extrême de Bella est due au fait qu’elle soit nouveau-né (elle est donc temporaire) et que Bella a besoin d’un mentor pour expliquer comment gérer son nouvel état de vampire, rôle qui est bien entendu tenu par Edward.
D’ailleurs, cette réaffirmation de la relation supérieur/inférieure est assez bien symbolisée lorsque Bella découvre ses nouveaux pouvoirs et court dans la forêt : elle commence par dépasser Edward qui finit par la rattraper et la dépasser, comme s’il était inacceptable qu’une femme soit meilleure que son mari.
Justification de la violence conjugale et plus généralement de la violence envers les femmes
On retrouve justement dans Twilight une dangereuse justification de la violence conjugale, non seulement physique mais surtout morale.
Dans la toute première séquence du premier film, on voit une biche (animal symbolisant traditionnellement la douceur, la féminité, la vulnérabilité et la passivité) traquée et attaquée par un homme que l’on devine aisément être Edward. On retrouve dans ce prologue toute la symbolique du film : la femme est une douce victime et l’homme une bête sauvage.
Ce sont d’ailleurs quasiment systématiquement des hommes qui veulent « dévorer » Bella : Edward qui lutte car elle est irrésistible, Jasper qui se jette sur elle lors de la soirée d’anniversaire, James qui la traque, Laurent qui veut la dévorer…
Il a du mal à contrôler ses pulsions, normal, c’est un homme…
L’ennemi principal des deuxième et troisième films, Victoria, veut détruire Bella mais par vengeance personnelle, et non pas par désir irrésistible de la dévorer.
Dans un registre plus ouvertement sexuel, Bella est agressée sexuellement par Jacob qui l’embrasse de force. Elle tente de le frapper mais se casse la main, ce qui rappelle l’impuissance et la vulnérabilité de Bella face à une agression quelle qu’elle soit. De plus, l’agression de Jacob est « justifiée », dans le film comme dans le livre, par son amour pour Bella.
L’instinct de « dévorer » et la difficulté à se contrôler semblent dans les films principalement des problèmes de vampires « masculins ». Certes, on voit à quelques occasions les vampires féminines avoir du mal à se contrôler mais c’est beaucoup plus léger et plus rare que pour leurs homologues masculins. Bella, elle-même, lorsqu’elle devient un vampire nouveau-né, et donc en théorie avide de sang, est parfaitement capable de se contrôler face au humains.
Les films semblent aller dans le sens d’une idéologie qui prétend que l’homme est naturellement violent et a naturellement des difficultés à se contrôler, notamment sexuellement. L’idée que l’homme est naturellement poussé à la violence et a des difficultés à se contrôler est doublement toxique : déjà il est insultant pour les hommes de suggérer qu’ils sont contrôlés par leurs « instincts » ou leurs « pulsions », et plus dangereux encore, cela pousse à la tolérance de la violence, notamment conjugale et sexuelle. « C’est un homme, ce n’est pas de sa faute s’il a du mal à se contrôler… »
Cette idéologie est particulièrement pernicieuse car elle est souvent utilisée comme justification des viols (ce n’est pas de sa faute, il n’a pas pu se contrôler…) et tend à rejeter le blâme sur la victime (elle a excité le violeur, c’est donc de sa faute si elle a été agressée).
En quoi le fait qu’il ait du mal à se contrôler est de sa faute à ELLE ?
On remarquera que cette idéologie, en plus de justifier la violence, nie les désirs des femmes et notamment les désirs sexuels, prétendant que comme ils sont moins fort (et donc moins importants ?) que ceux des hommes, c’est moins grave s’ils sont frustrés.
L’un des pires aspects des films est que ce sont les femmes elles-mêmes qui excusent leur homme quand celui-ci se sent coupable d’avoir été violent.
On le voit notamment avec le couple formé par Sam le chef de la meute et la douce Emily (qui agit comme une mère avec la meute (normal, la maternité c’est son destin de femme)). Emily a été défigurée par Sam alors qu’il s’est transformé sous l’emprise d’une crise de colère. Le fait de vivre sous une menace permanente avec un homme qui a failli la tuer ne semble pas troubler autre mesure Emily. L’amour est plus fort que tout, il excuse même les pires violences.
Elle est défigurée à cause de lui, mais ce n’est pas grave, ils sont heureux et amoureux…C’est un risque à prendre quand on aime quelqu’un…
On retrouve cette même idée lorsque qu’Edward constate les bleus de Bella après leur nuit d’amour. Il est désolé et veut s’arrêter tout de suite, mais Bella insiste et en redemande ! Si Bella est blessée durant le sexe, c’est un signe d’amour et de passion…
Être blessée durant le sexe, un signe de folle passion sexuelle…
Mais la violence physique n’est pas la pire violence conjugale exposée et justifiée dans Twilight, car sous prétexte de la protéger, Edward exerce un contrôle quasi-total sur Bella.
Dès le début de leur relation, Edward se comporte d’une façon qui ferait frémir n’importe quelle femme un tant soit peu sensée : il espionne ses conversations, il s’introduit dans sa chambre pour la regarder dormir…
Dites-moi, c’est une romance ou un film d’horreur ?
Pire encore Edward ne semble s’adresser à Bella qu’à l’impératif, débarque sans prévenir et lui fait peur, se permet de lui donner des ordres et de prendre des décisions à sa place, il l’oblige même à aller à son bal de promo alors qu’elle n’en a pas envie.
On remarquera qu’Edward ne lui conseille pas de manger quelque chose, il ne lui ordonne même pas de manger quelque chose, il prend tout bonnement la décision pour elle sans la consulter.
Pareil lors de leur toute première scène d’amour, ou c’est Edward qui prend l’initiative et arrête tout quand « ça va trop loin ». Bella a-t-elle seulement son mot à dire dans l’histoire ?
Plus leur histoire avance, plus Edward prend la quasi-totalité des décisions et donne des ordres à Bella. Dans le deuxième film, il arrive, malgré son absence à donner des ordres à Bella ! Dans le troisième film, il la manipule à plusieurs reprises et tente de lui interdire de voir ses amis (les loups garous). Dans le quatrième film, il tente de la faire avorter sans lui demander son avis. Même dans le dernier film où Bella n’est plus fragile et perpétuellement en danger, il trouve le moyen de prendre les décisions sans la consulter.
La relation entre Bella et Jacob est basée sur les mêmes principes que la relation entre Bella et Edward : il l’émerveille, la protège… et tente de prendre les décisions qui la concernent à sa place. La principale différence est que Bella se rebelle contre les décisions de Jacob, principalement parce qu’elles l’empêchent d’être avec Edward.
Le film suggère non seulement que les femmes sont perpétuellement en danger et absolument incapables de se défendre seules, mais qu’en plus elles sont incapables de prendre les décisions qui concernent leur vie et de prendre soin d’elle-même. Les seules décisions que prend Bella sans consulter Edward sont par rapport à son enfant. Le fameux instinct maternel ! Il est amusant de voir qu’une femme est incapable de prendre soin d’elle-même mais capable de prendre soin de son enfant…
Le plus dangereux est que la violence qu’Edward fait subir à Bella est présentée comme une preuve d’amour et un volonté naturelle de protéger sa dulcinée.
La violence psychologique est un des aspects les plus importants et les plus sous-estimés de la violence conjugale. L’un des aspects les plus graves de la relation d’abus est que la victime perd toute confiance en elle-même, n’a plus aucun amour-propre et devient complètement dépendante de son partenaire. Tout au long de la saga et plus particulièrement dans les livres, Bella ne cesse de se dévaloriser elle-même. Cette dévalorisation peut être attribuée à « l’effet Cendrillon » puisqu’il s’agit d’une femme « sans intérêt » qui séduit un homme « extraordinaire », mais peut également être l’effet du contrôle qu’exerce Edward sur Bella, puisque si elle a besoin d’être contrôlée cela sous-entend qu’elle est incapable de s’occuper d’elle-même.
Des modèles patriarcaux et genrés
La glorification du système patriarcal et de la virilité
Tous les systèmes présentés dans les films sont des systèmes patriarcaux dominés par des hommes.
La famille Cullen, présentée dans les films comme un système juste permettant le bonheur de chacun de ses membres est un système entièrement patriarcal. En effet c’est Carlisle Cullen, le « chef de famille » qui prend quasiment toutes les décisions relatives à la famille. C’est également lui qui a fondé la famille soit en transformant des humains, soit en adoptant des vampires. Dans le livre il va jusqu’à former les couples de ses enfants. Ses enfants se plient quasiment toujours à ses ordres et sa femme reste perpétuellement en retrait. C’est également le seul de la famille à exercer un métier, celui de médecin (un métier de prestige et d’autorité).
Il est étrange de montrer que même pour des individus « hors-norme », en l’occurrence des vampires, on cherche à rester dans un environnement « normé », celui de la famille. Les « enfants » de la famille Cullen ayant pour la plupart plus d’une centaine d’année, ont-ils vraiment besoin d’un père pour prendre les décisions à leur place ?
L’idée que des individus isolés se retrouvent pour former un clan ou même une famille est compréhensible et pas néfaste en elle-même, mais pourquoi tiennent-ils donc absolument à perpétuer des valeurs hiérarchiques et patriarcales ?
On remarquera que lors de son mariage Bella « quitte » sa propre famille pour entrer dans la famille d’Edward, comme cela se faisait auparavant ou se fait encore dans certains pays. Elle est prête à simuler sa propre mort et à faire souffrir sa famille (notamment son père), pour être avec Edward.
Le film va jusqu’à prétendre que le système patriarcal de la famille est le seul valable, puisque l’autre système présenté, celui du clan ou tous les individus sont égaux et où il n’y a pas de chef, est celui des méchants. Cela est légèrement nuancé dans le dernier film ou d’autres clans « amis » sont présentés. Cependant, on note que les autres clans sont le plus souvent liés par des liens familiaux (le plus souvent frères et sœurs), comme si le modèle familial était le seul possible.
Le système des Volturi basé sur la monarchie absolue est lui aussi patriarcal puisque tous les chefs sont des hommes.
Celui des loups garous est calqué de façon assez prévisible sur la structure sociale d’une meute de loups, ou plus exactement se prétend basé sur la structure sociale d’une meute de loup. La meute de loup est donc dirigée par un mâle alpha qui est le fils ou le petit fils d’un chef. On se retrouve donc avec un fonctionnement patriarcal fondé sur la transmission héréditaire du pouvoir par le sang[1].
Le plus amusant est que dans la nature une meute de loup est dirigée par un COUPLE de loup, soit un mâle et une femelle alpha. Et que la meute est principalement composée des rejetons dudit couple. Encore un exemple (parmi tant d’autres) d’une déformation volontaire au cinéma des structures de fonctionnement animales pour justifier une hiérarchie ou une structure hiérarchique humaine (et dans ce cas-ci phallocratique).
Des personnages définis par des stéréotypes genrés
On remarquera que la quasi-totalité des personnages de Twilight correspondent à des stéréotypes sexistes et genrés.
Carlisle Cullen et Billy Black sont des patriarches : le premier est un traditionnel « chef de famille » tandis que le second correspond au « vieux sage de la tribu »[2]. Sam, lui, est un jeune meneur dynamique et agressif, chef de la meute de loups garous. Emmett Cullen est également un exemple de virilité « agressive » et guerrière.
Esmée Cullen et Emily sont des personnages qui correspondent au stéréotype de la mère : elles prennent soin de leur « famille » (les Cullen pour Esmée, la meute pour Emily) et s’effacent tous naturellement derrière leur homme.
Rosalie correspond au cliché de la femme parfaite et inaccessible, lorsqu’elle sort enfin de ce cliché réducteur, c’est pour correspondre à d’autres clichés : celui du « rape and revenge »[3] : elle est violée et assassinée, avant d’être laissée pour morte par son fiancé, et une fois devenue vampire, elle se venge. Ce qui est dérangeant dans cette trajectoire, c’est que non seulement on tente d’approfondir un personnage féminin cliché en lui rajoutant d’autres clichés, mais également le principe du « rape and revenge » en lui-même. L’idée d’une femme qui se venge d’un viol en utilisant les armes de ses agresseurs peut sembler séduisante, mais ce genre de construction narrative suggère que la violence est la seule réponse à un viol ou une agression, en oubliant la reconstruction psychologique après un viol qui est lente et difficile (en effet les « rape and revenge movies » ne s’attardent sur la souffrance de la victime que pour justifier la violence de leur vengeance). Elles sont également culpabilisantes pour les victimes de viol en leur renvoyant l’idée que les femmes devraient se défendre plus violemment et adopter une réaction typiquement « masculine ». Dans le cas précis de Rosalie, le film est suffisamment subtil pour exprimer qu’obtenir sa vengeance ne suffit pas à se reconstruire et à se remettre, mais par contre trouver son âme sœur le permet ! Le film zappe complètement la reconstruction psychologique du personnage en suggérant que trouver l’amour lui suffit à surmonter son traumatisme.
Le personnage de Rosalie est également dans la frustration de ne pouvoir être mère. Il n’est pas dérangeant d’avoir un personnage dans cette frustration et cette envie, qui est tout à fait compréhensible. Ce qui est dérangeant c’est que pratiquement toutes les femmes du film vivent dans le désir de maternité, ce qui ramène à l’idée que les femmes cherchent toutes à satisfaire leur destin biologique de maternité. Aucun des hommes du film n’est dans la frustration de ne pouvoir être père.
Le personnage d’Alice, elle, est une variation de la « manic pixie dream girl »[4], c’est-à-dire un personnage toujours joyeux et optimiste, répandant de la joie autour d’elle et n’existant que pour les autres. Le personnage d’Alice n’a pas de problématiques propres, son seul but étant de s’occuper des autres, en particulier Bella et Jasper. Cependant, Alice est peut-être le personnage féminin le plus « féministe » (ou le moins sexiste) de la saga. En effet, elle est un des rares personnages féminins à prendre des initiatives et s’avère être un élément capitale de résolution de l’intrigue dans les deuxième et cinquième films. C’est également le seul personnage que l’on voit prendre le dessus sur un homme en combat.
Les amies de Bella, elles, sont des clichés d’adolescentes, ne se préoccupant que de mode et de garçons. Jessica est de plus complètement insensible à la détresse de Bella et ne rate jamais une occasion de la critiquer, notamment lors de son mariage. On retrouve cette idée sexiste que les femmes sont perpétuellement en compétition entre elles, notamment pour les hommes, et sont incapables de solidarité entre elles.
On retrouve un autre stéréotype sexiste, qu’on pourrait appeler « la femme démoniaque et manipulatrice ». Dans le troisième film, deux relations sont mises en parallèle : celle de Jasper et Maria dans un flashback et celle de Victoria et Riley dans le présent. Dans les deux histoires les deux hommes sont transformés en vampires par leurs compagnes puis fous amoureux, ils sont manipulés afin qu’elles puissent parvenir à leur fins. On retrouve l’idée qu’une femme qui a du pouvoir (et qui plus est du pouvoir sur un homme) est forcément une folle dangereuse avec des projets démoniaques.
Les stéréotypes genrés, du type « les femmes sont naturellement plus douces que les hommes » ou « les hommes sont forts », sont généralement présentés comme des composantes naturelles voire génétiques de l’être humain alors qu’il s’agit en fait de normes imposées par la société. Ils sont problématiques pour plusieurs raisons. Déjà parce qu’ils ont tendance à stigmatiser les gens qui ne se reconnaissent pas dans ces stéréotypes et surtout parce qu’ils entretiennent la domination patriarcale. Par exemple, le stéréotype du « patriarche sage » (Carlisle) ou le stéréotype de « la femme comme une chose fragile et incapable de se défendre seule » (Bella) permettent évidemment de perpétuer et de justifier la domination des hommes sur les femmes.
Une vision de l’amour complètement biaisée
Le film présente une vision de l’amour dans la lignée des grandes passions amoureuses idéales et inaccessibles : l’amour de Bella et d’Edward est éternel, comme celui de tous les autres personnages vampires (Edward sous-entend que le divorce n’existe pas chez les vampires, en effet le divorce quelle horreur !).
Le film perpétue le mythe du « grand amour », unique et éternel. Que ce soit parmi les vampires ou parmi les loups garous, les couples sont présentés comme la seule possibilité de relation, ils sont formés par une force surnaturelle. C’est particulièrement évident pour les loups garous ou les membres de la meute subissent « l’imprégnation », c’est-à-dire qu’ils découvrent leur « âme sœur » et que rien ne peut les séparer. Mais on retrouve cette idée également pour les vampires chez qui Edward exprime par exemple souvent l’idée qu’il « attendait » Bella.
A noter que dans Twilight, le grand amour est hétérosexuel. Les films présentent une multitude de couples (vampires, loups garous, humains, inter-espèces) mais absolument aucun couple ou personnage homosexuel n’est présent dans le film, ne serait-ce parmi les personnages secondaires. De plus, l’homosexualité n’est jamais ne serait-ce que mentionnée dans les dialogues. L’homosexualité est tout simplement niée.
Aucun des couples « mystiques », qu’ils soient vampires ou loups garous, ne semble traverser les problèmes « classiques » d’une vie de couple, comme la jalousie, la difficulté à vivre ensemble, la monotonie … Bella et Edward affrontent toujours des problèmes extérieurs (différence de nature, ennemis) mais très rarement de problèmes intérieurs comme la jalousie, la lassitude dans le couple (celle-ci ne semble exister dans aucun des couples de vampires qui sont pourtant ensemble depuis plusieurs centaines d’années), la difficulté à vivre ensemble.
Le triangle amoureux au centre de la saga pourrait venir contredire cette idée du grand amour, puisque Bella est partagée entre deux hommes : Edward et Jacob. Cependant l’amour que Bella porte à Jacob n’est jamais assez fort pour véritablement menacer sa relation avec Edward. En effet, si l’on apprend dans l’épisode 3 que Bella éprouve de l’amour pour Jacob, cet amour n’est jamais assez fort pour mettre en péril « le couple mystique » de Bella et Edward, la preuve étant que ce dernier n’est même pas jaloux lorsque sa fiancée embrasse Jacob.
Dans l’épisode 4, Jacob fini par expérimenter enfin sa propre expérience de « couple mystique », en s’imprégnant de la propre fille de Bella, Renesmée qui n’est âgée que de quelques jours… (Qui a osé dire bizarre ?!). Certes, il n’est pas (encore !) question de sexe entre Jacob et Renesmée, (encore heureux). Lors de son imprégnation, il se contente de dire qu’il sera ce dont elle a besoin (un ami, un frère, un protecteur… toujours cette chouette idée que les femmes ont besoin de protection…) mais tout cela finira comme il se doit en histoire d’amour hétérosexuelle… Quand Jacob trouve son « grand amour » ou « amour mystique » avec Renesmée, l’ordre des choses est rétabli : il n’y a plus de triangle amoureux ou d’amour à sens unique.
Au final, Twilight présente une vision de l’amour très mystique, proche du conte de fée (où le prince tombe éternellement amoureux de la princesse rien qu’en la voyant…). Cela parait certes très romantique, mais en plus de véhiculer des fantasmes inaccessibles, cela revient à également à fonder l’attirance entre individus sur un principe « aphrodiste » : si le prince tombe amoureux de la princesse, c’est d’abord parce qu’elle est belle, pas à cause de son éclatante personnalité… De la même façon Bella et Edward sont attirés l’un vers l’autre par le désir et la fascination. Dans les films (et encore plus dans les livres), on insiste sur la beauté fascinante des vampires qui attirent irrésistiblement Bella. De la même façon, quand Bella commence à être attirée par Jacob, ses premiers mots sont « you’re kind of beautiful ».
Bella et Edward ne peuvent également pas vivre l’un sans l’autre. Lorsqu’ils sont séparés, ils tombent chacun de leur côté en sévère dépression. Et lorsque qu’Edward apprend la mort de Bella, sa réaction est de se suicider. Le film a d’ailleurs été beaucoup critiqué sur cet aspect, au motif que la dépression de Bella après le départ d’Edward est une forme de sexisme puisque la femme ne peut pas vivre sans son homme. Cependant, étant donné que la réciproque est vraie (Edward ne pas vivre sans Bella non plus…), je ne pense pas que le film soit sexiste sur ce point précis.
Une façon mature de gérer la fin d’une relation, se laisser mourir au fond de la forêt…
Par contre, il y quelque chose d’oppressant dans cette impossibilité à vivre et à se construire en dehors du couple hétérosexuel. Lorsqu’Edward quitte Bella et qu’elle tombe dans une grave dépression, la seule chose qui lui permet de sortir de son marasme, c’est une autre relation amoureuse hétérosexuelle, construite sur exactement le même modèle que la relation précédente (au moins Jacob a-t-il l’élégance de prévenir avant de s’introduire dans sa chambre sans lui demander son avis). Même si Jacob et Bella ne sont officiellement qu’amis, une logique de couple se met très vite en place, validée par le troisième film.
De la même façon, Rosalie et Jasper expriment chacuns à différents moments de la saga combien ils étaient perdus sans leur conjoint et comment l’amour les a sauvés.
Certes, l’amour d’un conjoint peut aider quelqu’un à se sortir d’une situation difficile ou douloureuse, mais il est également possible de s’en sortir seul ou avec l’aide de proches comme la famille ou les amis… Cette piste n’est jamais explorée par la série où Bella a pourtant un père, une mère et des ami-e-s qui peuvent l’aider.
Twilight, ainsi que de nombreux films, impose l’amour et la relation de couple hétérosexuelle comme une norme obligatoire, hors de laquelle toute tentative de bonheur est impossible.
La grossesse de Bella et ce qu’elle implique comme idéologie
La « grossesse mystique », une forme de violence envers les femmes
Anita Sarkeesian, blogueuse féministe définit le cliché de la « grossesse mystique » comme l’une des pires formes de violence envers les femmes, puisqu’elle s’en prend au corps même des femmes et à leurs fonctions reproductrices. Une grossesse mystique est tout simplement lorsqu’une femme humaine est fécondée par un organisme non-humain, il peut s’agir d’un organisme d’origine extra-terrestre ou comme ici d’un vampire. Ce cliché est utilisé dans pratiquement toutes les séries de science-fiction ainsi que dans de nombreux films.
http://www.youtube.com/watch?v=0rhH_QGXtgQ&feature=BFa&list=PLBBDFEC9F5893C4AF)
Bella vit une grossesse absolument traumatisante : elle est très amaigrie, obligée de boire du sang humain, et manque de mourir lors de l’accouchement qui est une vraie boucherie. La grossesse de Bella dans Twilight est paradoxale puisque, s’il s’agit bien d’une grossesse mystique (une femme humaine enceinte d’une créature non-humaine), cette grossesse est désirée par Bella qui se bat contre tous ceux qui veulent la faire avorter pour sa propre santé et sécurité, dont son mari Edward qui encore une fois n’hésite pas à prendre une décision à sa place. C’est d’ailleurs la première fois dans la saga que Bella s’oppose fermement à Edward et prend sa propre décision (on remarquera d’ailleurs qu’il le vit très mal et reproche carrément à Bella d’avoir pris sa décision seule alors qu’il a pris la quasi-totalité des décisions auparavant). La phrase ou Bella affirme que sa grossesse est son choix à elle et que personne n’a à prendre la décision à sa place est une belle affirmation du choix féminin, malheureusement cette affirmation du choix est mise au service d’une idéologie bien précise, « pro-vie ».
Il est néfaste de montrer systématiquement la grossesse dans les films sous un jour idyllique, c’est même le meilleur moyen de culpabiliser toutes les femmes qui peuvent ressentir des difficultés, mais il est également pernicieux de montrer une grossesse atrocement traumatisante. Certes, il peut sembler subversif de prendre le mythe de la grossesse rayonnante à rebours, mais reste que le corps des femmes est torturé et même possédé. Lors d’une grossesse mystique (comme lors d’un viol), le corps des femmes ne leur appartient plus, il appartient à l’organisme qui l’occupe. Comme dit dans la vidéo, le cliché de la « grossesse mystique » attaque les femmes au niveau biologique. Il s’agit basiquement d’une forme de torture sexiste puisqu’entièrement réservée aux femmes, l’originalité du film étant que Bella subit cette torture de son plein gré.
La grossesse rayonnante de Bella……n’est rien comparée à son merveilleux accouchement.
De plus, le cinquième film suggère que Bella est « récompensée » pour la torture et le sacrifice qu’elle a subi par la naissance de sa petite fille : elle a enfin accompli son destin biologique, son destin « de mère ».
Un film anti-avortement
Si la phrase ou Bella affirme que sa grossesse relève de son choix et de personne d’autre peut être vue comme l’affirmation de la liberté de choix des femmes, le contexte semble nous dire tout-à-fait autre chose.
Le fait que Bella choisisse de garder son enfant malgré le danger de mort et les souffrances causées conforte l’idée qu’une femme doit absolument garder son enfant quelles que soient les conditions de sa grossesse. Faire défendre l’idée inverse par certains de ses proches (et donc des personnages positifs) qui la poussent à avorter (Edward, Alice, Jacob), loin de nuancer le propos ne font que le renforcer, d’une part parce qu’il place Bella en position de martyre incomprise, d’autre part parce que tous les personnages finiront à un moment ou à un autre par se ranger à l’avis de Bella.
Le film réussit également à caler quelques jolies petites phrases complètement anti-avortement, comme lorsque Rosalie dit sèchement à Alice d’utiliser le mot « bébé » et non pas le mot « fœtus ».
En fait, techniquement, entre le troisième mois et l’accouchement on appelle ça un fœtus…
Mais le plus beau moment anti-avortement reste celui ou Edward entend les pensées du fœtus, pardon du « bébé » dans le ventre de sa mère, et déclare à Bella que celui-ci l’aime déjà.
Femmes, vous seriez des monstres de ne serait-ce que songer à avorter alors que le foet… bébé dans votre ventre vous aime déjà… Comment ça non-sens biologique absolu ?
Ce n’est peut-être pas un hasard si le film est sorti à un moment où l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur propre corps est dangereusement remis en question aux Etats-Unis.
La défense de la virginité jusqu’au mariage me semble un moindre mal, comparé aux autres idées défendues par la saga Twilight. Le plus dangereux est que les livres ont été écrits par une femme (Stephenie Meyer), les films ont été écrits par une femme (Melissa Rosenberg) et le premier film de la saga a été réalisé par une femme (Catherine Hardwick)… et que les nombreux fans du livre et des films sont majoritairement des femmes et des jeunes filles. Twilight a également inspiré une fan-fiction basée sur les mêmes ressorts relationnels, c’est-à-dire ou l’homme et la femme sont dans une relation abusive : 50 shades of Grey, également écrit par une femme. Il est important de se rappeler que les structures sexistes ne sont pas seulement perpétuées par les hommes mais également par les femmes.
Parce que le film est conçu par des femmes et pour les femmes, le sexisme de Twilight est relativement subtil et beaucoup moins évident voir que celui d’autres films ou les femmes sont perpétuellement en tenue sexy ou n’ont absolument pas de texte. Twilight joue sur des modèles et des valeurs qui sont matraqués aux femmes dès l’enfance : l’homme protecteur, l’homme qui a du mal à contrôler ses pulsions… et surtout la notion de l’amour absolu et éternel. Il parait donc assez logique que Twilight ait plu a des nombreuses femmes et adolescentes.
Twilight est de plus nocif car les idées qu’il défend sont justifiées par l’histoire : si Edward prend le contrôle sur Bella c’est parce qu’elle est effectivement en danger. De la même façon, si Bella refuse catégoriquement d’avorter, c’est parce qu’elle sait qu’une fois devenue vampire, elle ne pourra plus avoir d’enfants.
Le fait qu’il y ait eu relativement peu de critiques vis-à-vis de la violence conjugale dans les livres et les films est à mon avis symptomatique de la tolérance de la société envers les violences envers les femmes et notamment les violences conjugales.
Julie G.
[1] On notera qu’en plus d’être sexiste et patriarcal, le système des loups garous est également raciste. En effet, les loups garous sont tous issus de la même tribu amérindienne (les Quileutes) et la représentation des natifs est caricaturale : les Quileutes se baladent presque nus dans la forêt, ils sont proches de la nature, utilisent des grigris… Rien que le fait que leur système se prétende basé sur le fonctionnement d’une meute de loup tend à les animaliser.
[2] On notera au passage le stéréotype sur les amérindiens qui sont représentés comme un peuple sympathique se réunissant au coin du feu pour se raconter des légendes. Si ce stéréotype semble sympathique, il a tendance à faire apparaître les amérindiens (comme tous les peuples indigènes) comme un peuple primitif et sujet aux superstitions. De plus le fait que les stéréotypes soient les mêmes pour tous les peuples natifs représentés par le cinéma américain tend à nier les spécificités des peuples en les uniformisant.
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