Taken (2008), un florilège des pires clichés du film d’action américain
1 octobre 2012 | Posté par Julie G. sous Cinéma, Tous les articles |
Gros succès de l’année 2008, ayant relancé la carrière de Liam Neeson comme héros de film d’action, Taken est un film propageant des idées profondément rétrogrades.
Le film raconte l’histoire de Bryan, ancien agent du gouvernement, qui doit secourir sa fille Kim, lorsque celle-ci est kidnappée par la mafia albanaise lors d’un voyage à Paris avec son amie Amanda.
Le monde, cet endroit effrayant
Au début du film, lorsque Kim demande à son père l’autorisation de partir à Paris avec son amie Amanda, celui est fortement réticent et commence par refuser catégoriquement sous prétexte que le monde est un endroit dangereux et qu’il ne serait pas raisonnable de la laisser voyager seule. Difficile pour une jeune femme de s’émanciper quand le monde ENTIER est redoutable. Alors restons chez nous, c’est quand même beaucoup plus sûr.
Je connais le monde, c’est un endroit dangereux… Pourquoi tu ne restes pas à la maison ?
Et on en rajoute une couche…
Laisser sa fille découvrir le monde et faire ses propres expériences ? Pas une bonne idée selon la suite du film…
Le film lui donnera raison puisque les deux jeunes filles seront piégées puis kidnappées par un réseau qui enlève de riches voyageuses pour les prostituer. Le film corrobore donc la thèse comme quoi le monde est un endroit dangereux pour les femmes (et donc qu’elles devraient rester sous la protection d’un homme).
Il est quand même très peu probable qu’un réseau de proxénétisme clandestin prenne le risque de s’en prendre à des voyageuses venant de pays riches qui risquent d’être recherchées par la police. Les femmes exploitées par les proxénètes sont le plus souvent dénuées de toute ressource, certainement pas de riches voyageuses. Sans compter que les probabilités d’être enlevé(e) en plein jour, au milieu du 16eme arrondissement, dans un appartement qui fait tout l’étage, sont très faibles voire absolument ridicules. Mais bon un film sur une jeune fille pauvre venant d’un pays pauvre ou même en développement exploitée par un réseau criminel, c’est tout de suite beaucoup moins vendeur qu’un film sur une gentille fille riche sauvée par son Papa.
L’étranger, un être malfaisant et bourré de clichés
Nous avons vu que Bryan insistait consciencieusement sur fait que le monde était un endroit dangereux et effrayant, et pour cause TOUS les personnages négatifs du film sont étrangers (par rapport au héros du film qui est américain) et pratiquement tous les personnages positifs sont américains. De plus, le film joue sur les clichés racistes et xénophobes au travers des antagonistes
Kim est kidnappée par la mafia albanaise installée en France comme l’explique Jean-Claude à Bryan (notons au passage le sympathique sous texte sur l’émigration !). Les albanais sont donc des brutes patibulaires avec de magnifiques faciès « typiques d’Europe de l’Est » ou plutôt « typique d’Europe de l’Est vu par les américains ».
Un cliché s’est glissé dans chacune de ces quatre images, sauras-tu le retrouver ?
Lorsqu’il débarque à Paris, Bryan contacte Jean-Claude, un ancien agent devenu bureaucrate, un petit personnage sournois, plus préoccupé par son confort personnel que par la justice et qui s’avèrera non seulement impliqué dans les trafics de proxénétisme et de drogues de la mafia albanaise (comme une bonne partie de la police française) mais trahira également son ancien ami à la première occasion. L’autre personnage français du film, Peter, travaille avec la mafia albanaise en séduisant des jeunes filles pour les piéger avant de transmettre leurs adresses aux kidnappeurs. On se retrouve donc avec le cliché du français séducteur jouant de son charme d’un côté et le cliché du français traître et sournois de l’autre.
L’un des principaux antagonistes du film, Patrice Saint-Clair est un homme d’affaires, suave, raffiné et sans pitié, typique du méchant français dans le cinéma américain, l’originalité du film étant qu’il est suisse.
Le summum du cliché est atteint lorsque Kim est vendue à un riche cheik de la péninsule arabique. Là encore on retrouve des méchants aux visages « typiquement arabes » selon les critères du cinéma d’action commercial américain. Depuis les années 2000 et le 11 septembre, le terroriste musulman a remplacé le communiste russe comme antagoniste principal du cinéma d’action hollywoodien. Ici, les personnages musulmans ne sont pas présentés comme des terroristes, cependant le film perpétue les clichés anti-islam par le personnage du cheik auquel on amène trois jeunes femmes, toutes vierges.
La femme, éternelle victime complètement dépendante de l’homme
L’un des motifs récurrent dans le film est celui de l’homme actif et de la femme passive. Tous les personnages féminins du film sans exception sont des victimes et celles qui réussissent à s’en sortir ne le peuvent qu’avec l’aide d’un homme.
Le premier motif de passivité féminine apparait lorsque Bryan est chargé de la protection de la pop-star Sheerah, celle-ci est agressée (elle est donc une victime) et est protégée par Bryan qui la sauve en se battant contre l’agresseur puis en l’entraînant en sécurité dans la voiture. Durant toute la séquence, Sheerah se contente de se laisser guider passivement par Bryan.
Lorsque Kim est enlevée, on retrouve cette même idée de l’homme actif et de la femme passive. Bryan prend directement des initiatives pour secourir sa fille. Même le nouveau mari, Stuart, a un rôle actif, puisqu’il utilise son argent pour mettre un jet à disposition de Bryan, et bien qu’il se contente d’exécuter les ordres de ce dernier, il a quand même une utilité, contrairement à la mère, Lenore, qui se contente de pleurer et de supplier l’homme tout puissant de lui rendre sa fille.
Le motif principal du film est d’ailleurs celui d’une femme secourue par un homme, notons quand même la radicale originalité du film puisque le héros ne sauve pas sa bien-aimée mais sa fille, laquelle fille étant particulièrement futée puisqu’elle et son amie tombent dans un piège grossier environ une minute après leur arrivée.
Notons quand même que bien qu’elles soient kidnappées ensembles, les deux amies ne subiront pas le même sort. Loin de là.
Lorsqu’elles arrivent dans l’appartement, la distinction est faite entre Amanda, jeune fille plutôt libérée, prête à coucher avec le premier garçon venu et Kim, jeune fille pure et explicitement vierge.
Du sexe ?! Mais tu n’y pense pas ?!
La première finira morte droguée et abusée dans un endroit sordide, tandis que la deuxième seras vendue aux enchères à des gens riches et finalement sauvée par son père avant d’être violée. En matière de promotion de la virginité, même Twilight n’a pas fait aussi fort.
Et voilà comment finissent les filles qui couchent…
Le motif de la femme passive et de l’homme actif atteint son apogée lorsque Brian sauve une prostituée dans le but de l’interroger, puisque la jeune femme est droguée, donc inconsciente…
Le dernier personnage féminin du film n’est pas secouru mais victime innocente du héros, mais nous y reviendrons plus tard.
L’autre motif récurrent et complémentaire du film est le paternalisme, en effet Bryan agit « en père » avec pratiquement toutes les femmes qu’ils rencontre, alors certes il est logique qu’il se conduise en père avec sa fille, mais il se conduit également en père avec Sheerah ( il ne se contente pas de la sauver mais prend soin lui offrant une boisson sucrée pour qu’elle remette du choc et en la serrant contre lui, elle lui offre d’ailleurs un baiser sur la joue très filial en remerciement) et avec la jeune fille droguée qu’il sauve de la mafia albanaise.
Mais ce qui est choquant c’est que Bryan se comporte également en père avec son ex-femme Lenore à qui il fait la morale (voire le paragraphe intitulé « Le monde cet endroit effrayant »). La mère dont le discours parait sensé au début (« notre fille doit découvrir le monde ») apparait après l’enlèvement comme un gamine capricieuse incapable de prendre soin de sa fille.
On remarquera également que dès qu’un personnage féminin essaie de prendre une décision contre l’avis de l’HOMME qui rappelons-le a TOUJOURS raison (Kim et Lenore sur le voyage à Paris) cela se solde par un désastre. Non seulement la femme est passive mais elle ferait mieux de le rester pour sa propre sécurité.
Bien que le film présente plusieurs personnages féminins très différents les uns des autres, tous se retrouvent en position de victime à un moment ou à un autre et aucun n’est capable de s’en sortir sans l’intervention d’un personnage masculin. Dans ce film, la femme est forcément soumise à l’homme, qu’il soit un agresseur ou un sauveur. De plus le discours comme quoi le monde est dangereux (sous-entendu : « pour les femmes ») est un discours qui restreint la liberté et l’indépendance des femmes en utilisant la peur. Une peur qui n’est absolument pas légitime puisque la majorité des actes violences subies par les femmes sont en majorité infligées par l’entourage proche (famille, amis, collègues) et non pas par des inconnus.
La paternité selon les auteurs du film
Le rapport entre Kim et son père est la colonne vertébrale du film. Les auteurs insistent durant tout le début du film (avant l’enlèvement) sur l’amour que Bryan porte à sa fille. En effet, il a renoncé à sa carrière dans les services secrets pour se rapprocher de sa fille, laquelle ne semble absolument pas apprécier les efforts que son père effectue pour elle, pas plus que la mère, Lenore qui non seulement ne fait aucun effort pour rapprocher sa fille et son père mais tente de tout faire pour repousser Bryan de sa nouvelle vie.
Selon les auteurs du film, l’amour parental ne semble se mesurer qu’aux actes que les parents effectuent pour leurs enfants. Plutôt que de passer du temps avec sa fille Bryan exprime son amour en lui offrant une machine à karaoké (qu’il a payée très cher par rapport à ses revenus et que sa fille délaisse parce que son riche beau-père lui offre un cheval), en lui sauvant la vie et en lui présentant une célébrité qui va lancer sa carrière de chanteuse. De plus sa fille ne lui propose de passer du temps avec lui que lorsqu’elle a quelque chose à lui demander, en l’occurrence son autorisation pour un voyage à Paris.
Lorsqu’il accepte à contrecœur de la laisser partir, (rappelez-vous le monde est dangereux !) Bryan ne donne aucun conseil utile à sa fille, comme par exemple lui expliquer comment se défendre en cas d’agression ou le très basique « ne donne pas ton adresse à n’importe qui » mais lui impose de l’appeler très régulièrement. Au lieu de lui donner les clés de son indépendance, il préfère la surveiller de près et garantir lui-même sa sécurité.
Certes les parents doivent protéger leurs enfants, mais les maintenir dans la dépendance ne semble pas être une solution. Quand donc Kim pourra-t-elle voyager seule ? Lorsqu’elle aura un mari pour veiller sur elle ?
La violence banalisée à l’extrême
Dans Taken, comme dans la majorité des films d’action américains, la violence est omniprésente et reste généralement dans le schéma assez classique du « héros seul contre tous » qui fracasse à tour de bras ses adversaires. La violence dans le film reste relativement justifiée, le héros se bat par « nécessité » (encore qu’on pourrait imaginer que le héros enquête de façon plus subtile et sans avoir recourt à la violence mais dans ce cas on sortirait du cadre du film d’action). Cependant deux scènes m’ont particulièrement choquée du fait de leur violence entièrement gratuite.
Dans la première séquence, Bryan Mills veut extorquer des informations à Marko, membre du gang qui a kidnappé sa fille. Bryan ne se contente pas de le tabasser pour le faire parler mais utilise un système plus élaboré, qui envoie un courant électrique à la personne, tout en discourant sur le côté pratique d’avoir du courant à sa disposition, en effet dans certains pays torturer les gens c’est compliqué parce qu’il n’y a pas assez d’électricité ! Ensuite, ayant obtenu les informations qu’il désirait, plutôt que de livrer l’homme à la police (qui de toute façon est corrompue), Bryan préfère partir en laissant le courant électrique, abandonnant l’homme à une mort atroce malgré ses supplications.
Il n’est pas anodin de présenter un acte de torture perpétré par un personnage principal, qui plus est un personnage positif, présenté comme sauveur avec des intentions louables (secourir sa fille), cela légitime la torture. De surcroît le discours de Bryan exprime clairement qu’il l’a souvent utilisé auparavant dans son travail. Quand on sait que l’armée et les services secrets américains ont souvent recours à la torture, notamment dans le cadre d’actions « anti-terroristes », cela laisse songeur. En effet, le film semble suggérer qu’on a le droit de laisser la morale de côté quand c’est pour le bien de sa famille ou de son pays. De plus, pourquoi tuer Marko une fois qu’il a donné les informations ? On n’est plus dans une logique de défense, de protection des êtres chers, mais bel et bien dans une logique de vengeance, Bryan appliquant la loi du Talion.
Dans la deuxième séquence, Bryan veut obtenir des informations de Jean-Claude, un policier français, impliqué dans le réseau de prostitution. Plutôt que de s’en prendre directement à Jean-Claude, Bryan préfère tirer une balle dans le bras de sa femme et menacer de la tuer. Il est clairement explicité que la femme de Jean-Claude ne sait absolument rien des activités illégales de son mari. On peut comprendre que Bryan soit désespéré de ne pas retrouver sa fille, mais pourquoi blesser une innocente ? De plus Bryan minimise son geste en expliquant que seule la chair est blessée… De quoi bien ancrer dans les esprits que tirer sur quelqu’un, ce n’est pas si grave si on ne le tue pas. Rappelons qu’une blessure par balle même non létale, n’est jamais anodine et reste extrêmement traumatisante pour la victime, physiquement et moralement.
Mais qu’a-t-elle fait pour se retrouver dans une telle position ? Rien, elle est innocente.
De plus, bien que le héros ait travaillé pour le gouvernement américain (donc dans une structure organisée), le film fait l’apologie de l’autodéfense. En effet à son arrivée, Bryan contacte un des amis de la police française, laquelle est laxiste (elle n’a pas l’intention de se fatiguer bien qu’il y ait une victime en danger et préfère la bureaucratie à l’efficacité), incompétente (Bryan les dupe avec une absolue facilité) et par-dessus tout corrompue (puisqu’elle reçoit de l’argent de la mafia albanaise). Le héros n’a donc pas d’autre choix que celui de protéger sa fille lui-même.
Il est intéressant de noter que bien que le film ait été réalisé, co-écrit et produit par des français, il a été calibré pour la mentalité des médias américains et en cumule tous les pires travers (sexisme, xénophobie primaire, racisme, défense de la torture et de l’autodéfense). Loin de moi l’idée que les médias français sont dénués de tout travers, simplement ce ne sont pas les mêmes. Ce calcul peut s’expliquer très simplement par le fait que les français iront de toute façon voire un film d’action américain tandis que les américains n’iront jamais voir un film d’action étranger (à la limite ils en feront un remake).
Mais si on peut comprendre la volonté de faire un film d’action « à l’américaine », c’est-à-dire spectaculaire et divertissant, doit-on obligatoirement y placer TOUS les pires travers idéologiques du cinéma hollywoodien ? S’il est difficile d’envisager un film d’action sans violence, pourrait-on au moins éviter les poncifs sexistes et xénophobes ?
Julie G.
Autres articles en lien :
- Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012)
- Moi, moche et méchant 2 : Papa a raison
- Le Masculinisme de Taken et Taken 2
Bonne analyse.
Quand je l’avais vu, je m’étais dit que c’était un film d’action efficace, bien fait mais ultra réactionnaire. Le passage sur l’immigration m’avait fait tiquer.
Le film m’avait aussi semblait être une variation du petit chaperon rouge. La fille de bryan (le petit chaperon) part à l’étranger (la forêt) discute avec un jeune inconnu (le loup) et est enlevée (dévorée). Bryan arrive et bute tout le monde comme le bucheron.
Malgré cela j’irais surement voir la suite.
Au plaisir de lire une autre critique.
J’hésitais à le voir pour enchaîner avec le deuxième volet, mais l’envie m’en a passé !
Ce que tu dis du discours sécuritaire paternaliste du film me fait penser à ce qu’a écrit Virginie Despentes sur l’infantilisation de notre société « zéro-risque », l’état se substituant au rôle traditionnel de la mère et déresponsabilisant ses membres. « Ne vous cassez pas la tête, je m’occupe de tout pour votre protection et votre bien-être, le monde est un endroit dangereux, vous savez… »
Une analyse juste qui va dans mon sens.
Alors une question me turlupine; pourquoi ce film qui véhicule tant de clichés – blockbuster par excellence qu’en principe je ne supporte pas – ne m’a pas déplu pour autant ?
Je passerai néanmoins mon tour pour le second volet…
Bonjour à tous,
Merci de vos commentaires pour ce premier article, c’est très encourageant et merci pour vos références.
Coucou,
Je pense qu’il est possible de voir aussi dans ce film l’empreinte d’une idéologie masculiniste.
Le masculinisme se définit chez Michèle Le Doeuff ainsi: « Pour nommer ce particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double celle limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue), j’ai forgé le terme masculinisme ».
Alors, sans vous faire une historique détaillée des mouvements masculinistes (que vous pouvez trouver dans cette excellente et très complète brochure http://lagitation.free.fr/IMG/pdf/Un_mouvement_contre_les_femmes._Identifier_et_combattre_le_masculinisme._Lecture_a_l_ecran.pdf ) , je vais me contenter de dire que ce sont des mouvements qui sont apparus en premier lieu dans les années 50 aux Etats-Unis, lorsque le divorce à commencer à se répandre, et ont commencé à prendre de l’ampleur sous formes de groupes de pères dans les années 70 et 80, principalement autour de la question de la garde d’enfant. Des exemples filmiques de l’idéologie masculiniste serait Kramer Vs Kramer, ou encore Mrs Doubtfire, parmi plein d’autres. Les thèmes principaux sont « la souffrance de l’homme a être quitté, et du chagrin de celui-ci de ne plus voir suffisamment leurs enfants, selon [les masculinistes] indûment laissés au soin exclusif de leurs mères. C’est en médiatisant cette souffrance face à des femmes qui, disent-ils, détruisent leur vie par égoïsme, afin de poursuivre leur carrière ou suivre un autre homme en emmenant avec elles leurs enfants, que les groupes de pères ont réussi à s’attirer la sympathie de la société ». tirée de « La Percée de la mouvance masculinistes en Occident », brochure de Hélène Palma.
Encore, dans cette même brochure: « Ainsi, Michèle Le Doeuff considère comme masculiniste tout discours, toute pensée centrés sur les seuls hommes et leurs seuls intérêts. Je dirais pour ma part que le masculinisme aujourd’hui en Occident, c’est une lame de fond, une idéologie rampante, un état d’esprit à l’égard des hommes et des femmes, qui tend à affirmer que les premiers sont victimes des « excès » des secondes. Les femmes, entend-on dire ici et là, auraient exagéré. Elles auraient obtenu « trop » de droits, de libertés et aujourd’hui, dit cette idéologie, elles seraient devenues incontrôlables. Le remède, entend-on encore murmurer, ce serait que les femmes soient rappelées à l’ordre. »
Si l’on prend ces idées comme point de départ, il me semble qu’il est fort probable que la vaste majorité des films d’action occidentaux peuvent être considérés comme soit masculinistes, soit anti-féministes. Mais il me semble que c’est particulièrement le cas avec Taken, qui se focalise explicitement sur un père divorcé qui ressent du chagrin de ne pas pouvoir voir sa fille, et qui plus est souffre de sa chieuse d’ex-femme qui essaye de l’en empêcher.
On est encouragé, dans ce film, à s’identifier avec cet homme, véritable victime du « régime injuste » de la garde d’enfant, d’autant plus que sa fille ne semble pas lui en vouloir plus que ça d’avoir été tellement absent, alors que la mère de la fille fait tout pour les empêcher de se voir ou de se voir seuls. Qui plus est, comme vous le dites très bien dans votre article, le film nous encourage aussi a sympathiser avec les énormes efforts qu’a fait le père pour se rapprocher de sa fille. C’est vrai quoi, il pourrait être au moyen-orient en train de dégommer des méchants bougnoules, et il a tout sacrifié juste pour être avec elle! C’est même une idée explicitement énoncée par un des amis du personnage de Liam Neeson, qu’elle ne fait absolument pas preuve de la gratitude qu’il faudrait.
Ce film nous raconte que le père a enfin pris (au bout de nombreuses années à mettre sa carrière devant elle) les décisions nécessaires pour se donner les moyens d’être un bon parent, donc être proche de sa fille. Ce choix nous est présenté avec pas mal de pathos comme étant d’une bonté et d’un sacrifice de soi hors norme, et qui demande d’être reconnu, ce qui est déjà en soi dérangeant lorsqu’on imagine comment le même film aurait traité cette situation si l’on parlait d’une femme. Mais plus largement, la conception de ce que c’est d’être « un bon parent » (pour un homme) est assez glauque ici.
A en croire le film, les qualités d’un bon père serait, soit à bien faire attention quand on emballe le cadeau de sa fille (scène du début), qui est une sorte de corolaire à l’importance d’être là dans les moments symboliques (« je lui ai promis que je ne raterai jamais un anniversaire »), soit cela veut dire utiliser les pouvoirs formels que l’état accorde aux pères pour interdire sa fille de faire ce qu’elle a envie de faire, pour plus tard lui autoriser et avoir l’air du type le plus génial au monde. Concrètement, mis à part le gros de l’histoire qui consiste à essayer de nous faire gober qu’être un bon papa c’est aussi défoncer la gueule à tous les méchants qui veulent du mal à sa fille, ce sont un peu les seuls exemples de « bonne paternité » que nous donne le film. Sont totalement absent l’idée de présence quotidienne, de soutient émotionnel et psychique, d’accompagnement scolaire, ludique, éthique…
Je trouve que ce film est masculiniste avant tout pour les raisons esquissées plus haut, à savoir qu’il se soucie UNIQUEMENT du point de vue masculin, que SEUL celui-ci est important dans ce film. SEULE compte la souffrance de ce père face à l’injustice d’une société (et surtout de Lenore) qui lui empêche de voir son enfant, SEULES compte les raisons qui l’ont poussé à être absent de la vie de sa fille, SEUL compte qu’il essaye de réparer ses « fautes » (qui ne sont pas vraiment perçues comme telles). SEUL LUI ET SON POINT DE VUE COMPTE.
Et ce qui est chouette avec ce film, c’est qu’il va valider cette idéologie A CHAQUE TOURNANT. Ne sera jamais abordé le point de vue de Lenore, perçu uniquement comme une chieuse qui en veut encore au personnage de Liam Neeson et qui lui pourrit la vie. Ne sera jamais abordé le point de vue de sa fille, qui est un personnage d’une unidimensionalité à couper le souffle. Ni de la copine de sa fille, perçu comme étant une « impure » qui couche avec le premier venu.
Comme le passage cité plus haut, je ne pense pas que le masculinisme soit un épiphénomène, mais bien plutôt une idéologie latente qui se répand de plus en plus, et qui plus est avance de façon masquée, peut-être plus dans le cinéma qu’ailleurs. En occultant les mécanismes historiques, en mystifiant les rapports de forces actuels, le masculinisme cherche à nous faire croire que les hommes souffriraient terriblement de leur statut de dominant, de leurs privilèges, qui en fait seraient un « fardeau » plus qu’autre chose, voire même que ça serait en fait plutôt les femmes qui seraient en position de dominantes dans notre société maintenant, et que « la féminisation » de notre société serait une grande menace pour les hommes et les garçons.
En France, nous avons des représentants médiatiques de cette idéologie avec Eric Zemmour, Alain Soral ou encore Michel Houellebecq, mais également dans les sciences humaines avec Daniel Welzer-Lang, Gerard Neyrand et Eric Verdier. A noter aussi des femmes comme Elisabeth Badinter et Christiane Castelain Meunier.
Tout ça pour dire que les discours explicitement masculinistes ne sont à mon avis que la partie visible de l’iceberg. Cela fait bientôt 30 ans que nous vivons un backlash contre les revendications (et les acquis) féministes, et il serait naïf de penser qu’il n’a eu aucun effet. A mon avis, un film comme Taken (parmi tant d’autres), prouve que ce n’est pas le cas, et que cette idéologie impacte de plus en plus nos productions culturelles, et donc nos représentations, ainsi que nos discours politiques.
Il y a bien plus à dire sur le masculinisme (dans les films/séries/clips/jeux vidéos comme ailleurs), mais j’en resterais là car j’ai déjà beaucoup écrit.
ah oui, juste quelques liens pour donner une idée de ce qu’est le masculinisme en action.
http://www.fathers-4-justice.org/
http://www.egalitariste.org/index.htm
http://garscontent.com/
http://www.lapresrupture.qc.ca/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Misandrie (à mon avis, celui-ci gagne la médaille d’or du n’importe quoi)
http://www.psycho-ressources.com/bibli/homme-fier.html
http://programmes.france2.fr/documentaires/index-fr.php?page=des-hommes-en-vrai
ainsi que de très nombreuses vidéos de Alain Soral, Eric Zemmour, Michel Houellebecq…trouvables facilement sur les sites de vidéos.
âmes sensibles s’abstenir 🙂
Je suis contente que tu aie mentionné « Yvon Dallaire ». Il est sexologue-clinicien et j’ai eu beaucoup de problèmes avec eux. En tous cas, ça ne m’étonne pas qu’il soit pro-hétéro-couple à l’extrême. Il a écrit un article en le « Journal de Montréal » qui m’a un peu dérangé. Il récita que si une fille ou une femme couchait trop rapidement avec l’homme, il aurait une mauvaise opinion d’elle, vu qu’elle serait trop facile et donc… peut-être trop souillée?
Et il y a Pierre Souci aussi mais qui est simplement psychologue et j’ai entendu parler de lui à travers d’une sexologue, Isabelle G., dont elle a pris ses idées pour rédiger une liste des « Différents rôles sexuels que la femme peut endosser au cours de son existence » et j’ai lu cette liste et elle m’apparaissait anti-sensualité, pessimiste et hermétique (sans nuance et constance) en les images des filles et des femmes.
De plus, elle me paraissait anti-érotisme (de la gracilité, en tous cas). J’ai connu le nom « porno-chic » par elle parce qu’elle en fait une grande campagne contre. Au final, j’ai regardé « un porno-chic » par curiosité et je ne pouvais pas m’identifier à aucun des personnage masculin et ni des personnage féminins et en plus les histoires étaient pour les riches.
Ma thérapeute dont j’ai vu pendant cinq années m’avait dit que les « manga » sont violente?… en fait, les « manga » m’ont énormément aidée psychologiquement et une autre sexologue faisait campagne aussi contre la pornographie… selon moi, ce qui soit pornographie est très floue… Ce qui est dommage au Québec est que toute nudité ou érotisme ou sensualité soit mal vu en moins que ça soit pour un but monétaire ou simplement d’en arriver à un coït entre couple-ultra-hétérosexuels. Tout ce rapporte à l’excitation de l’organe au Québec et c’est pour cette raison qu’il soit tout plein de frustrés sexuels et qu’il soit une société de violence en toutes les sphères de la vie.
Au delà de tous les clichés idiots lestement revendiqués par ce film, un détail ridicule qui m’avait sauté à la gueule c’était le prénom de ce collègue français : Jean-Claude.
Cela m’a instantanément renvoyé vers la volontaire caricature des agents de la DGSE dans le Godzilla de Emmerich, qui se prénomment tous Jean-XXXX, ça m’avait beaucoup fait marrer ^^ (moins dans Taken…)
Tout d’abord, je tenais à vous féliciter sincèrement pour la qualité des articles de ce blog, au contenu instructif et aux analysées rigoureuses ! J’avais vu « Taken » il y a quelques années et il m’avait laissé un souvenir amer…
D’une part, en raison de la description d’une mafia albanaise tentaculaire, puissante et cruelle, sorte d’incarnation d’une Europe de l’Est « infréquentable » (entendez par là pauvre…et musulmane). Pour bien connaître l’Albanie – et le Kosovo – la réalité est bien moins spectaculaire: si les réseaux de trafic existent, ils restent limités et concernent très majoritairement les produits manufacturés et les voitures.
D’autre part, j’ai bondis lorsque le film a évoqué la prostitution. J’y ai vu la résurgence d’un vieux mythe occidental: La traite des Blanches. Edgar Morin avait magnifiquement analysé l’une de ses incarnations dans son ouvrage « La rumeur d’Orléans ». La dite rumeur laissait entendre que des femmes étaient piégées dans les cabines d’essayage de magasins tenus par des Juifs (?!), endormies via des seringues hypodermiques, puis livrées à des réseaux de prostitution. Cette rumeur a pris des visages différents dans l’espace et dans le temps, mais illustre bien une de ces « paniques morales/sexuelles » qui secoue régulièrement la société. À ma connaissance, l’opinion est moins choquée par la traite d’être humains (notamment de femmes) lorsqu’elles ne sont ni riches, ni blanches, ni occidentales…
Bonjour et merci pour votre compliment, ça fait toujours plaisir…
Oui la traite des blanches est un fantasme très occidental et complètement ridicule qui propage la double idée que :
-les étrangers sont dangereux (notamment pour les femmes)
-les femmes blanches sont plus désirables que les autres…
Quand j’ai vu ce film perso j’ai été choqué par tous ses cliché qui m’ont semblé tellement grotesque que je n’ai pas compris pour même en France il a connu le succès qu’on lui connaît, j’ai entendu parler de ce film par une des chroniqueuse de télé matin qui faisait l’apogée du film en disant « oui c’est du déjà vu mais ça vaut vraiment le coup d’aller le voir » après l’avoir vu je me suis dis a t elle vu le même film que moi?
Le pire il parait que le film serait de Luc Besson (réalisateur français)
Dites-moi, vous n’aimez absolument pas la distraction? Vous évaluez tous les films selon votre prisme (qui est évidemment le meilleur du monde, les autres ayant forcément tort…).
Ce film, qui par ailleurs est d’une nullité sans nom avec un scénario qui tiendrait sans aucun soucis sur un ticket de métro parle aussi de la prostitution et de l’esclavagisme de femmes par milliers, même en France…
Mais je pense que dénoncé l’abattage des prostituées c’est encore trop machiste..
Bonjour,
Oui j’aime la distraction et il y a même des films et des séries qui sont « douteux » politiquement que j’ai aimé.
Le film ne dénonce rien du tout puisque « la traite des blanches » qui est décrite dans le film n’existe tout simplement pas… Ce sont majoritairement des femmes venant de pays en développement qui sont exploitées par les réseaux de prostitutions, par les blanches venues des pays riches.
Oula, il y a du lourd sur cette page.
Alors si j’ai bien tout compris, c’est un film ultra réac, anti islam, et sexiste (enfin misogyne, machiste bref un truc pas gentil du tout, mais alors pas du tout).
Vous écrivez exactement ce que vous détestez dans ce film, à savoir enchainer les clichés: qui vous dit que la personne sur le bateau est musulman ? cela a été mentionné dans le film ? non . Une personne de type orientale peut elle être athée, agnostique ou michel druckerien (si, si, cette religion existe belle et bien)? selon vous non, elle est forcément musulmane point à la ligne, on ne discute pas.
Bref, je finis en t’indiquant que la traite des blanches a existé (les harems en été plein à une certaine époque; les arabes faisaient de grandes razia et embarquaient tout ce qui se trouvait à leur disposition, c’est à dire des femmes blanches, ainsi que le trafic d’organe (dont les kosovars étaient spécialistes pendant les 90’s).
Bonjour,
Pour la traite des blanches :
http://www.scienceshumaines.com/la-traite-des-blanches-histoire-d-une-manipulation_fr_24098.html
Et si ça a probablement existé à une époque, aujourd’hui ce sont les femmes émigrées des pays en développement (Europe de l’Est, amérique du Sud…) qui sont dans les réseaux de prostitution, pas les riches fille a papa américaines…
Effectivement, il n’est pas dis explicitement que l’émir sur le bateau est musulman, cependant le cliché de l’homme « consommateur » de vierges est un cliché qui est quand spécifiquement associé à l’Islam, donc même si ce n’est pas explicite, le spectateur peut faire le lien facilement.
Nb: dans le 2 c’est le père qui a besoin de sa fille pour s’en sortir, niveau machisme on a eu mieux hein !
Bonjour,
J’avoue que je n’ai pas vu le numéro deux, vu la qualité du numéro 1…
Merci pour cet article qui remet à sa place un film proprement scandaleux idéologiquement sur tous les points que vous avez traité (j’avais été particulièrement choquée par l’usage de la torture montrée comme totalement naturel). Ce film est dégoutant et j’irais presque jusqu’à dire que, faisant l’apologie explicite du racisme et de la violence gratuite, il devrait être interdit en France !! Shame on you Luc Besson
Pour répondre à Heimdall je dirais que se divertir ne veut pas dire se faire manipuler par l’extrême droite, et qu’il y a d’autres exemples de films d’action efficaces et moins bêtes (comme la trilogie Jason Bourne)
Sauf que ce film n’est pas américain, il est français.
Et on reconnait justement l’état d’esprit du cinéma d’action français, son ultra-violence, son masculinisme et sa peur des étrangers, telle qu’on peut les rencontrer dans irreversible par exemple.
Je vais être l’avocat du diable et aller dans le sens de pancky. Mais j’adore ce film qui aborde un sujet dont on ne parle pas assez : la traite des blanches qui est peut-être l’un des plus grand scandale de notre époque. Le seul point d’accord avec l’auteur de cet article, c’est que dans ce film, les pourris de mafieux s’en prennent à deux riches américaines alors que dans la réalité, ils recrutent des filles rêvant d’une vie meilleure en Moldavie , en Roumanie, en Ukraine etc..
La traite des blanches est une réalité qu’il faudrait combattre avec la plus grande détermination et la plus grande sévérité. Ce qui est choquant, c’est qu’une abomination telle que l’esclavage sexuelle de jeunes filles de l’Est puisse exister, mais ce n’est certainement pas la détermination du personnage incarné par Liam Neeson à sauver sa fille même si ceci n’est qu’une fiction.
Ce qui est problématique, c’est de parler de « traite des blanches » pour la traite de personnes, alors qu’il ne s’agit absolument pas d’un phénomène qui touche les « blanc-he-s » de manière spécifique (et qu’il ne faut pas non plus réduire à l’exploitation sexuelle).
Dans le cas de l’Europe (http://www.unodc.org/unodc/fr/human-trafficking/index.html?ref=menuside):
« Le nombre de travailleuses sexuelles illégales dans l’Union européenne se situerait entre 200 000 et un demi-million, dont deux tiers en provenance de l’Europe de l’Est et le reste de pays en développement, estime le Rapport mondial.
La traite des femmes et des enfants des pays d’Europe centrale et orientale a connu une rapide expansion depuis l’ouverture, il y a près de 10 ans, des anciennes frontières de l’époque de la guerre froide. Selon une étude faite en 1999 par l’Organisation internationale pour les migrations (OMI), la traite pratiquée dans cette région, jadis très réduite, rivalise aujourd’hui avec celle des régions « traditionnelles », telles que l’Asie, l’Afrique et les Caraïbes. »
Le rapport le plus complet sur la traite de personnes a été constitué en 2005 par les Etats-Unis :
http://www.state.gov/j/tip/rls/tiprpt/2005/
Si l’on consulte les sections sur les pays d’Europe occidentale par exemple, on constate que ce sont des pays de destination et de transit, pas des pays d’exportation de personnes.
La fiche sur la Roumanie (http://www.state.gov/j/tip/rls/tiprpt/2005/46616.htm#romania) précise par exemple que les pays de destination pour le traffic des roumain-e-s sont les Balkans, et l’UE en particulier la France, l’Espagne et l’Italie. On aurait donc une soi-disant « traite des blanc-he-s » par les blancs… manifestement, dans ce cas-là, ce n’est pas la couleur de la peau qui importe mais bien plutôt le niveau de pauvreté et de précarité des personnes dans le pays d’origine.
Je comprends pas trop le principe de l’article… M’enfin, c’est évident que ce film est complètement indéfendable idéologiquement ! C’est même ce qui le rend rigolo tant il est grotesque ! Comme un bon vieux Chuck Norris de la Cannon ! J’avoue que cet article m’emmerde un peu, j’aime bien votre site, surtout quand il va voir en dessous de grands succès populaires et critique (Black Swan…), mais la, merde, une production Besson ! On est pas pris en traître ! C’est sexiste, xénophobe, débile, réactionnaire (bon, là, en plus, c’est d’une débilité et d’une violence réjouissantes), évidemment, c’est quasiment le cahier des charges ! Mais j’ai trouvé ça formidable, pendant tout le film, j’étais en train de me dire « Merde, ils vont pas oser… » Et si ! Ils osaient ! Fantastique !
Donc voilà, c’est un joyeux nanar réac et con des familles, mais bon, j’ai tendance à trouver qu’il vaut mieux s’attaquer à tous ces films pas moins douteux mais moins frontaux qui ont les honneurs de la critique…
Avec Jean je partage cette impression qu’analyser Taken est énoncer des évidences. Le parcours des commentaires le confirme : si vos analyses (vous, les contributeur-e-s) de « Jägten » ou « 12 Years a Slave » suscitent des débats, des doutes et même de l’emportement, ici je constate un consensus soporifique.
Toutefois, une nuance à vos propos a été apportée : le réalisateur de ce film n’est pas américain, et la morale n’a pas las mêmes énoncés dans Taken. Je fais référence à vos conclusions sur la torture et les mises à mort.
Les héros (aucune héroïne ne me vient en mémoire) Américains ont des permis de tuer très codifiés.
Le gentil héros a le droit de tuer tous les méchants secondaires comme au tir au pigeon. Cela donne des scènes
plus ou moins interminables selon la pauvreté du scénario durant lesquelles le héros, tireur émérite souvent, peut aussi éprouver des difficultés à atteindre 15 personnes serrées dans un couloir.
Ces meurtres ne posent pas de problème de morale, puisque les victimes n’ont pas d’existence. Les meurtres commis par des tueur-se-s agréé-e-s dans la croisade contre l’islam à l’aide de drones et de bombardements procèdent de la même distanciation, on en a une illustration dans la série « Homeland ».
Un traitement différent est réservé au méchant. Il ne doit pas être tué directement par le gentil. Donc il mourra, parce qu’il doit mourir (la peine de mort n’existe pas dans tous les états mais elle est bien plus consensuelle dans ces films où les Etats-Unis sauvent le monde et protègent le monde), de manière indirecte – par exemple lors d’une chute malencontreuse suite au combat avec le héros, ou dans une explosion à laquelle le héros échappe in extremis et initiée par le méchant… les procédés ne sont pas si nombreux et pourraient être recensés tant la morale peut réduire les possibles.
Il faut un talent de prêcheur pour exposer à un grand public la nécessité du meurtre dans une action juste.
La méchante (il en existe) entre dans une catégorie autre. Le gentil ne maltraite pas les femmes (physiquement s’entend) mais puisqu’elle est du mauvais côté elle va mourir. Ici la distance avec le héros doit être plus marquée. Pas question qu’elle s’empale maladroitement sur une lame tenue par le héros par exemple. La mort ne surgit que d’une action malheureuse de la méchante dans laquelle le gentil est impuissant. On a parfois même la sensation que s’il avait pu, il l’aurait sauvée car étant méchante elle n’en est pas moins une femme.
Enfin le héros ne torture pas : si les informations ne viennent pas à lui docilement, il à l’autorisation d’élever la voix et de secouer un peu en serrant fermement les pans de la veste du méchant. En général c’est suffisant.
Ces procédés sont tellement récurrents qu’il doivent être quelque part dans un manuel du scénariste.
Luc Besson s’il respecte les procédés du film pesant dans son cinéma, cherche moins à légitimer la violence que ne le font les studios étasuniens. (je me réfère à votre article car ce film, si je l’ai vu, ne m’est pas resté en mémoire).
C’est une impression général et les films grand public qui ne répondent pas à ces critères existent bien sûr : Django tue des femmes directement et tue presque directement le méchant (il est responsable de l’explosion qui l’achève).
J’ai récemment découvert ce site comme une agréable rencontre.
Vos analyses très pertinentes dérangent salutairement mes préjugés, à tel point que je vous ai d’abord cru sectaires.
Mais la lecture de vos réponses aux commentaires de différents articles, ainsi que la richesse de ces commentaires, ont modifié cette première impression.
C’est un lieu de débat.
Enfin, je reviens au début de mon intervention : le choix de certains film offre des possibilités d’analyse limitées (les films de Luc Besson ainsi que ses ambitions médiatisées laissent peu de place à la subtilité)
http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/12/21/la-cite-du-cinema-dans-le-viseur-de-la-justice_4338588_3246.html
Vos articles sont essentiellement consacrés à des films étasuniens et grand public. Les films français analysés sont aussi grand public.
Cela semble un parti-pris, et je suis intéressé d’en connaître le sens.
J’ai bien constaté que ces choix n’empêchent pas les discussions riches, l’intervention de l’intelligence, du sens critique, l’apport d’informations et de connaissances – bref un contenu de grande qualité.
P.S. Concernant la légitimation de la violence par l’introduction de la famille, vous remarquerez que l’expression (I had/have/must/wanted) to protect my family est souvent inscrite aux dialogues.
La première chose que me suis dit à la fin du film, c’est : « fichtre, j’ai intérêt à assurer pour que ma fille soit fière de moi ». J’ai quelques séance de muscu de retard pour qu’elle ait des raisons d’admirer son papounet.
La deuxième chose que j’ai faite, c’est ouvrir une page internet et taper « taken racime » dans un moteur de recherche. Je suis tombé sur cet article et ai été rassuré de ne pas être seul à penser que ce film est bourré des clichés… mais on va pas refaire l’article.
Ah, si. J’ajouterais tout de même le bon gros cliché sur les ouvriers de chantiers. Tous plus ou moins bronzés et faisant la queue pour « se faire une pute » dont l’état ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle ait été camée pour subir son sort.
Racisme social, racisme ethnique, sexisme et paternalisme. Manque-t-il un cliché ?